Cats
« C'est parfaitement inadmissible ! »
Cela faisait dix minutes que Selkirk me tirait par les cheveux vers l'hôtel où nous devions dormir cette nuit. J'avais mal, extrêmement mal. Il tirait si fort qu'il m'en arrachait des touffes de cheveux.
Lorsque nous arrivâmes enfin devant la porte de l'hôtel, il daigna me lâcher.
« Un Spider ! Un Spider, Siamois ! hurla-t-il. Un putain de Spider ! »
Je ne l'avais jamais vu si énervé, bien qu'il le fut souvent, ni si grossier.
« Tu me le paieras, à moi, et à tout le gang. Trois chambres individuelles, merci. »
Il sourit, recouvrant un air parfaitement calme. Le pauvre réceptionniste avait l'air terrifié. Il nous donna à Selkirk, Persan et moi la clé de nos chambres respectives.
Je montai les escaliers qui menaient à ma chambre aussi vite que je le pouvais. Le chef m'arrêta soudain.
« Pas si vite. Tu n'as pas encore été punie, Siamois. N'oublie pas. Suis-moi, maintenant. »
Je sentis mon cœur tambouriner contre ma poitrine. Qu'allait-il bien me faire cette fois-ci ? Après la brûlure, je ne voyais pas ce qu'il pouvait m'infliger d'encore plus douloureux et humiliant.
Selkirk m'emmena vers sa chambre.
« Assieds-toi là. », fit-il en désignant son lit.
Les pires scénarios défilèrent dans ma tête. S'il usait de moi comme un vulgaire jouet, je partirai pour toujours de cette Capitale maudite.
À cet instant, tandis que Selkirk allait faire je ne sais quoi dans sa salle de bain, ma vie défila devant mes yeux. C'était ce genre de moment où l'on ne trouvait rien de mieux à faire que ressasser les pires passages de sa vie, comme si l'on tournait les pages d'un livre que l'on avait détesté, et que l'on y lisait les passages qui nous avaient le plus déplu.
Comment moi, Audrey Fog, héritière de la plus riche famille de la Capitale, avais-je donc pu me retrouver ici ? Tout revenait, avec une précision des plus effrayantes.
Mes parents m'avaient abandonnée alors que je n'avais que dix ans. Les huit années jusqu'à mes dix-huit ans, je les avais passées dans un orphelinat atroce. Je compris alors. Ce drôle d'effet que m'avait fait Épeire. Je me souvenais, maintenant. Nous étions dans le même orphelinat dix ans plus tôt. Je revoyais ce pauvre gamin, sans famille, avec ses drôles de cheveux rouges et son regard fuyant. Oui, c'était là, que je l'avais rencontré pour la première fois.
« À nous deux... Ferme les yeux. »
J'en avais oublié Selkirk. Ne voulant rien risquer, je lui obéis. Je sentis une lame froide passer sur ma nuque, puis entendit le clic si reconnaissable des ciseaux.
« Non, le suppliai-je. Ne faites pas ça ! »
On pouvait tout me faire subir, mais jamais, au grand jamais me couper les cheveux. Les mauvais souvenirs remontaient, les odieuses camarades de l'orphelinat, qui n'avaient rien trouvé d'autre que de martyriser la nouvelle arrivants, les cheveux blonds étalés au sol, les ciseaux. Et puis les directrices, qui avaient dû arranger cela en coupant à ras du crâne, les moqueries incessantes.
Il continuait à couper à un rythme inexorable, tandis que je l'implorais d'une voix ridicule d'arrêter. Mais rien n'y fit. Les lames continuaient de parcourir mon cou, avant de ne finalement laisser en tout et pour tout dix pauvres centimètres. Mon visage était baigné de larmes alors que je rouvris les yeux.
« Regarde au sol ! m'ordonna Selkirk. Regarde ! »
Il s'accrocha à mon cuir chevelu et me fit baisser la tête pour me faire voir les longues mèches de cheveux qui jonchaient la moquette verte et sale de la chambre.
« J'espère que cela te rappelle de bons souvenirs...
- Salopard... », glissai-je entre mes dents.
Il fit monter ma tête à son niveau, serrant toujours mes cheveux horriblement courts, et plongea ses yeux bruns dans les miens.
« Je n'ai pas entendu. Veux-tu que je continue ?
- Non, non ! »
Je sortis en coup de vent de cette chambre, des larmes roulant sur mes joues. Pourquoi m'avoir refait subir une telle chose ? Quel genre de monstres pourrait faire revivre les événements les plus traumatisants de l'enfance de quelqu'un ?
En à peine deux minutes, je me retrouvai à la fenêtre de ma chambre, à fixer le clair de lune. Il devait être trois ou quatre heures du matin, et je tombais de sommeil.
« Siamois. »
Je me retournai et plaquai une main sur ma bouche pour étouffer un cri.
Épeire.
Lorsque la surprise fut passée, je cachai les dégâts qu'avait faits Selkirk dans l'ombre de la pièce.
« Que... que fais-tu ici ? réussis-je à murmurer. Ça ne t'a pas suffit, tout à l'heure ? Tu as peut-être eu plus de chance que moi, Mygale ne t'as pas réprimandé, n'est-ce pas ? »
Il se plaça à la lueur de la lune pour que je puisse voir son visage. Il était complètement tuméfié, sa lèvre saignait et son œil gauche était entouré d'une énorme ecchymose.
« Tu appelles ça ne pas réprimander ? Et bien pas moi, lâcha-t-il
- Je suis désolée. »
Épeire fit un signe de la main.
« Passons. Ce n'est pas pour ça que je suis ici, dit-il.
- Pourquoi donc, alors ? », demandai-je.
Il s'assit sur un fauteuil, que je n'avais pas encore remarqué, et étendit ses longues jambes sous lui. Je fis de même, m'asseyant sur le lit. Nous étions exténués, autant l'un que l'autre. Bien que la soirée n'est pas été très animée pour nous deux, les sévères punitions de nos chefs respectifs nous avaient complètement épuisés.
« Vipère a eu une vision. »
Épeire n'eut rien besoin de prononcer d'autre. Un Snake qui avait une vision n'était jamais bon signe. Tout le monde le savait.
« Et... qu'y avait-il dans sa vision ?
- Rien de bon, j'en ai bien peur, déclara-t-il en hochant la tête.
- Épeire, dis-je en m'avançant vers lui, dis-moi ce qu'elle a vu. »
Le Spider cligna des yeux en voyant mon visage aux yeux rougis.
« Que s'est-il...
- Ne détourne pas ton attention de ma question. »
Il soupira, hocha la tête, avant de dire :
« La fin des gangs. Voilà ce qu'elle a vu. La fin de la Capitale. La fin du monde. »
Je me reculai, effrayée.
« La... la... fin du monde ?
- Oui.
- Dieu tout-puissant, je t'en prie, aide-nous... murmurai-je, bien que non croyante.
- Dieu ne nous aidera pas, déclara-t-il d'une voix grave.
- Qui le fera alors ? »
Épeire sourit, dévoilant ses dents blanches.
« Nous-mêmes. »
J'écarquillai les yeux.
« Nous-mêmes ?
- C'est ce qu'elle a dit, acquiesça-t-il. Je ne sais pas pourquoi...
- Il n'empêche que je ne sais toujours pas pourquoi tu es là. »
Il balança sa tête en arrière et soupira. Ses cheveux mi-longs à la couleur acajou touchaient le dos du fauteuil.
« Mygale ne voulais pas venir elle-même ici pour prévenir Selkirk, alors elle m'a envoyé à sa place.
- Mais pourquoi n'es-tu pas directement allé le voir lui ? »
Épeire éclata de rire.
« Ça me semble évident ! Tu as vu mon visage ? Et bien, je ne veux pas subir de nouveau la même chose.
- Alors tu es venu me voir moi...
- ...Pour que tu ailles le dire à Selkirk. », finit-il.
Je me levai.
« Jamais je n'irai lui dire. Jamais. Tu as vu ce qu'il m'a fait ?
- Je sais. Mais...
- Allons-y ensemble. »
Je le tirai par la main et le fis sortir de la chambre.
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