Chapitre 75. Suis-je

——Deen——

J'étais face à mon avocat, qui m'expliquait depuis vingt minutes que ma fille n'avait toujours pas été identifiée et qu'il fallait peut-être considérer le fait que Nora ait pu mentir dans sa vidéo.

Comme si ça ne m'avait absolument pas traversé l'esprit.

Je commençais de plus en plus à craindre pour ma santé mentale. Chacune de mes journées était complètement dédiée à cette affaire, à part peut-être une heure ou deux, quand j'allais à la salle. Je n'avais plus le temps de faire de la musique, de trainer avec mes gars, de faire à peu près tout ce que je faisais avant, en fait. Je ne dormais que quelques heures, entre 6 et 10 le matin, histoire d'avoir un minimum d'énergie.

J'avais réussi à maîtriser ma consommation de verte, à éviter l'alcool et à me restreindre à cinq cafés par jour, mais je savais que cet épisode de ma vie laisserait de bonnes grosses séquelles sur mon organisme. Heureusement que j'avais pas lâché le sport, parce que même niveau bouffe, je faisais aucun effort.

Et c'était pas ce que me racontait mon avocat qui allait arranger les choses. Putain je le payais une blinde et il était pas capable de faire son taff correctement. Je parlais même pas des keufs qui faisaient le minimum syndical. Nora avait disparu depuis plus de trois mois, avec ou sans ma fille, et personne n'était capable de la retrouver. Hallucinant. Elle avait saccagé deux fois mon appart, manqué de tuer ma femme et elle était autant recherchée qu'un voleur à l'étalage. À croire que mes années à me plaindre que les flics faisaient beaucoup trop de zèle, se retournaient contre moi.

Je me retrouvais comme une vieille bourgeoise du XVI témoin d'une bagarre en bas de chez elle à me demander « Mais que fait la police ? ».

« Vous savez M'sieur Castelle, des gens qui disparaissent, y'en a tous les jours. »

Le sang d'tes morts aussi, sale merde.

S'ils avaient un peu mieux cherché après l'incendie, on n'en serait pas là aujourd'hui.

Je devenais tellement aigri, c'était horrible. Le pire étant d'en avoir parfaitement conscience.

« Aigri et chiant » selon Maya.

Ce soir là, après mon rendez-vous avec mon avocat, j'étais arrivé à saturation. Jusqu'à maintenant j'avais pas voulu baisser les bras une seule seconde, je m'étais forcé à garder un semblant d'espoir. J'y avais même cru un instant, en faisant un test de paternité pour une gamine néeà Marseille le 25 mars. J'avais espéré si fort, ses origines concordaient, le lieu, la date, mais pouvait-on nier la science ?

C'était pas ma fille et j'étais pas son père.

Parfois, j'avais peur qu'elle soit morte, que Nora l'ait perdue ou même tuée, j'arrivais à penser qu'elle en était capable.

Et je supportais pas non plus l'idée qu'une petite fille grandisse en pensant que son père l'avait abandonnée, ne voulait pas d'elle, alors que c'était tout l'inverse.

Je prenais de la distance avec les autres, voir leur marmaille joyeuse et comblée d'amour me faisait juste penser que quelque part, ma gosse était déjà privée de l'essentiel.

Tout ce que j'avais d'elle, trois échographies, et le souvenir de l'avoir sentie bouger sous mes mains dans le ventre de sa mère. C'était la seule preuve de son existence, le seul souvenir de ma paternité.

Ce soir-là, je décidai de tout arrêter. J'en pouvais plus de passer mes journées à tâtonner dans le noir, à voir tous mes espoirs déçus, à attendre un miracle qui n'arrivait pas.

Eff me proposa de sortir avec lui et Ivan, et il fut bien surpris de me voir accepter alors que je déclinais toutes les invitations depuis quelques semaines.

Je les rejoignis dans un restau ou on avait nos habitudes et ils écarquillèrent tous les deux les yeux en voyant ma gueule.

— Mec on dirait qu't'as un cancer en phase terminale, me fit Eff.

— Moi au moins j'ai des veuch, répondis-je aussitôt, c'est le cas d'aucun de vous deux.

Ils se marrèrent pendant que je m'installai en face d'eux.

— Les contours c'est pas trop ça par contre, dit Ivan, t'es pas allé chez le barber depuis combien de mois ?

Honnêtement mon apparence physique était un peu le dernier de mes soucis en ce moment.

— J'avais pas le temps d'y aller j'étais trop occupé avec ta mère.

— Cheh !!! lança aussitôt Eff, Il t'a atomisé là !

Ça me faisait vraiment du bien de voir quelqu'un d'autre que Maya et Maxime, non pas que je ne les aimais pas, mais nos conversations tournaient toujours autour d'un seul et même sujet. Et c'était celui que j'avais décidé d'enterrer ce soir.

Malheureusement Ivan choisit au milieu du repas d'aborder un autre sujet dont je préférais ne pas entendre parler.

— T'as revu Violette ?

Je lui jetai un regard mauvais, mais il continua d'attendre ma réponse.

— Pourquoi tu poses cette question alors que tu sais très bien que non ?

Fallait pas non plus me prendre pour un con, tout le monde savait que Violette et moi n'avions quasiment plus de contacts depuis la séparation.

— Parce que t'étais mieux quand t'étais avec elle.

Eff hocha la tête pour appuyer les propos de Jazzy.

Oh grosse nouvelle, vraiment.

— Sauf que c'est pas un médicament, répondis-je, C'est pas parce qu'elle me soulage quand ça va mal, qu'elle a pas elle aussi ses souffrances et qu'elle peut tout endurer de ma part. Je l'ai trop utilisée de cette façon, si on se remet ensemble un jour c'est pour qu'elle soit ma femme, pas mon infirmière.

Eff Gee fit danser ses sourcils et murmura un « pas si incompatibles que ça ». Mais j'étais pas d'humeur à rire là-dessus.

— Ok, c'est votre choix, trancha Ivan, Mais peut-être que toi tu lui apportais quelque chose aussi, j'avais pas vraiment l'impression que vous étiez dans une relation dépendante et malsaine comme a pu l'être le Fenek avec Clem.

Et comme ils l'étaient un peu toujours et le seraient peut-être jusqu'à la fin de leur vie.

— La preuve c'est que vous avez réussi à vous séparer d'un commun accord, sans revenir au bout de trois jours pour vous envoyer en l'air. Violette c'est pas une fragile.

C'était vrai, j'avais cru, au début. Je voyais un peu en elle cette même sensibilité que Clem. Mais la différence était très nette entre les deux. Violette avait besoin de protection et de sécurité, Clem avait simplement besoin d'être sauvée. Et moi je pouvais pas sauver une femme alors que j'étais pas capable de me sauver moi-même.

— Ivan, t'as vu dans quel état je suis ? C'est vraiment pas pour tout de suite.

— Pourquoi tu partirais pas un peu ? me demanda Eff, Ça te ferait du bien de voyager non ? D'être seul loin de toutes ces merdes. Vu que la situation avance pas, que tu sois là ou pas qu'est ce que ça change, s'il y a du nouveau tu prends un avion et tu reviens.

Changer d'air. Pourquoi pas. Fallait que j'y réfléchisse. J'avais eu des nouvelles de Paloma assez récemment, même si on couchait plus ensemble, on était toujours amis et elle m'avait proposé de venir au Brésil, plusieurs fois. Elle avait un gosse maintenant, truc de fou tout ce qui pouvait se passer en un an.

Alors pourquoi pas après tout, j'avais besoin de me sortir de cet appart qui ne me rappelait que Violette, les frasques de Nora et tout ce que j'avais perdu.

Tout était au point mort dans ma vie, j'étais même plus capable d'écrire une ligne.

Alors peut-être que quelques plages paradisiaques, une culture festive et des paysages grandioses pouvaient me redonner envie d'aller de l'avant.

— T'as pas tort, concédai-je, Je vais y réfléchir.

Pendant tout le reste du dîner, je repensais à ça, et plus j'y pensais plus je me disais que c'était peut-être la meilleure chose à faire. Prendre le large.

C'était pas une fuite, c'était plus un départ, y'avait rien de bon pour moi ces derniers temps ici, alors pourquoi y rester. Je m'enfonçais dans mes mauvaises habitudes, j'inquiétais mes proches. Je vivais à une poignée de kilomètres de la femme que j'aimais et je pouvais même pas la voir, alors un océan entre nous ne changerait pas grand-chose.

Il y avait eu comme un déclic dans ma tête quand Eff avait dit ça. Quand je pensais à cette éventualité, je me sentais beaucoup mieux, comme si c'était la meilleure façon de m'en sortir.

Je devais partir.

Chez moi, je passai ma nuit à planifier mon départ, c'était la première fois depuis longtemps que je faisais autre chose que des recherches. Paloma était ravie que je veuille venir, elle accepta aussitôt de m'héberger chez son mari et elle. Il me restait à obtenir le visa, et puis un aller simple pour Rio.

Plus les jours passaient, plus cette perspective de départ m'apaisait, j'étais toujours fou de rage contre Nora, j'avais toujours cette tristesse intense qui me consumait les entrailles quand je pensais à ma fille. Mais l'idée de partir m'apparaissait un peu comme ma seule issue à tout ça.

Mais deux jours avant mon départ, je sentis qu'il me restait quelque chose d'important à faire. J'avais prévenu uniquement mon frère, Ivan et Jazzy. Max devait être mes yeux et mes oreilles ici pour gérer ce qu'il y avait à gérer. Je lui faisais aveuglément confiance.

Mais je ne pouvais pas imaginer disparaître sans dire au revoir à Violette.

On arrivait à la fin du mois de juin, il faisait une chaleur étouffante à Paname, je savais qu'elle bossait à la Fnac de Beaugrenelle et j'avais décidé de l'y retrouver pour l'emmener diner quelque part et prendre le temps de se parler avant que je lève les voiles.

J'étais enfin passé chez le coiffeur, avais fait attention à être pas trop mal sapé, je voulais vraiment qu'elle garde une bonne image. Histoire qu'elle ait un minimum envie que je revienne un jour.

Arrivant dans le magasin, je m'adressai aussitôt à l'accueil pour savoir où elle se trouvait.

— Bonjour Mademoiselle, elle est là Violette ? demandai-je à l'hôtesse avec mon sourire le plus séduisant.

Elle me dévisagea un peu étrangement et je compris qu'elle savait qui j'étais. En même temps on était dans un endroit où on pouvait retrouver ma tête sur quelques squeuds.

— Oui, elle travaille en rayon culture loisirs aujourd'hui, vous voulez que je la fasse venir ?

Je secouai négativement la tête et la remerciai avec toujours plus de politesse, si Vio était en rayons, je n'allais pas avoir trop de mal à la trouver.

Effectivement, quelques minutes plus tard je la trouvai en train de conseiller une dame sur un jeu de société.

Je récupérai vite fait deux albums à moi au rayon musique et revins vers elle sans qu'elle ne me voie. Quand elle eut fini avec la dame, je lui mis les disques sous le nez avant de lui demander, d'une voix très naturelle.

— Vous pensez que cet artiste pourrait convenir à une jeune femme qui aime le rap ?

Elle releva aussitôt la tête vers moi et son visage s'éclaira instantanément. Mais elle conserva son sérieux, on était au milieu d'un magasin, elle portait son gilet d'employée, pas la peine de se faire virer non plus.

— Je ne sais pas, c'est quel genre de femme ? demanda-t-elle alors que ses jolies fossettes creusaient ses joues.

— Genre un peu forceuse, avec un sourire à se damner et une bonne humeur envahissante.

Violette fit mine de réfléchir, prit l'un des albums dans sa main, lut la tracklist au dos, et releva ses yeux noirs vers les miens.

— Vous savez, ce rappeur est un peu grognon et râleur, mais il a beaucoup d'humour et il est quand même très attachant. Je pense que ça pourrait lui plaire. En revanche je vous préviens tout de suite, il a une voix épouvantable et chante comme une casserole, faut pas qu'elle soit exigeante sur la qualité auditive.

Putain je l'aimais beaucoup trop.

— Vous êtes censée donner votre avis à ce point-là ? demandai-je en me marrant.

— J'essaie d'être la plus honnête possible, répondit-elle, je ne voudrais pas que votre amie soit déçue.

Pourtant elle mentait, elle m'avait dit qu'elle aimait bien ma voix. Je décidai de mettre fin au jeu avant qu'il ne nous emmène trop loin.

— Je voulais lui proposer d'aller diner, murmurai-je, mais j'aimerais bien qu'elle me dise d'abord si elle est disponible.

Elle me sourit, l'air absolument ravie.

— Je te retrouve dans la rue d'ici dix minutes. T'as qu'à faire un tour dans les rayons, ça va fermer de toutes façons.

Si j'avais été un sale lâche, je serais parti sans lui dire au revoir, je savais que cette entrevue allait rendre mon départ bien plus difficile. Mais elle méritait de savoir où j'étais. Et je savais qu'elle comprendrait, parce que Violette comprenait toujours tout.

Elle me rejoignit quelques minutes plus tard et ce fut tout naturellement que je saisis sa main pour l'emmener avec moi.

— Tu veux aller quelque part en particulier ? me demanda-t-elle.

— Non, t'as une envie particulière ?

La jeune femme hocha la tête, ayant visiblement une idée très nette derrière la tête.

— On prend un grec et on va se poser sur mon toit. Je fais ça tout le temps en ce moment.

— Sur ton toit ? demandai-je, C'est méga cliché non ? Le rendez-vous sur les toits de Paris ?

Elle éclata de rire en levant les yeux au ciel.

— Deenou on va manger un grec et boire du Tropico, pas du foie gras et du champagne. Tu verras c'est trop bien, il fait tellement beau, ça donne envie d'être dehors !

J'oubliais presque pourquoi je partais. Quand j'étais avec elle, comme ça, sans être dans un quotidien ensemble, j'avais toujours l'impression d'être un putain de gamin qui se faisait retourner la tête par la plus jolie fille de sa classe. Les plus beaux moments qu'on avait vécu tous les deux, étaient toujours soit interdits, soit limités par le temps, voire un mélange des deux.

Et quand quelques minutes plus tard, je me retrouvai perché avec elle sur le toit de son immeuble à mordre dans l'un des meilleurs kebabs de Paris. Je ne pus m'empêcher de penser que même si tout s'acharnait contre nous, y'avait peu de chances que le temps et les difficultés changent quelque chose à ce que je ressentais en la regardant rire. 

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