Chapitre 6. Fauché

Je l'avais pas revue depuis le mariage, et depuis qu'on avait un peu déconné.

Elle parut surprise de me voir.

— Oh, salut Deen ! lança-t-elle en s'approchant de moi pour me checker, Qu'est-ce que tu fais là à une heure pareille ? Où est Ken ? Ça a l'air bon ce que vous mangez ! Ça va Clem ? T'as l'air fatiguée !

Violette venait d'ouvrir la bouche et j'avais déjà mal à la tête. Elle embrassa Clem sur la joue et s'assit avec nous, sa grande sœur me jeta un regard implorant, me demandant d'expliquer à sa place.

J'étais un peu gêné, mais la gamine n'avait absolument pas l'air de l'être.

— Maya a eu un accident, soufflai-je, elle est à l'hosto et tout le S est avec Hakim. J'ai ramené Clem.

Violette eut l'air horrifiée.

— Oh merde ! En plus j'ai dit à Lucie et Idriss que je pouvais pas garder Naël ce soir. Vous savez si quelqu'un s'en charge ?

Clem hocha la tête, l'air abattue.

— Oui, Joanna la sœur de Maya, elle était sortie avec nous, elle a ramené Naël.

Violette sembla un peu rassurée et se tourna vers moi avec un sourire un peu triste.

— J'espère que Maya va s'en sortir, je l'aime bien. Elle et Hakim sont un peu flippants mais ils vont trop bien ensemble.

Effectivement. Même Mékra, le mec le plus froid du monde avec les meufs en avait trouvé une faite pour lui. Perso j'aurais jamais pu être avec une go aussi violente, mais il avait l'air de plutôt bien la gérer.

Enfin, si elle canait cette nuit, on allait avoir du mal à le récupérer.

Comme si elle avait entendu mes pensées, Clem fondit de nouveau en larmes. Mon cœur se serra et je pressai doucement son épaule.

— Eh, ça va aller princesse, murmurai-je, Je suis là.

Violette entoura le cou de la jeune femme qui laissa retomber sa tête contre elle.

— Tu devrais aller dormir.

— Je peux pas Deen, j'y arriverai pas sans Ken.

Mange toi ça dans la gueule, Grand-père.

— Ok ! lança Violette, on va regarder un film.

Elle me sourit, mais j'avais pas envie de lui rendre, ma fierté venait d'en prendre un coup.

La môme entraîna Clem vers le canapé et alluma la télé, lançant Netflix.

— Vous voulez regarder quoi ?

Je haussai les épaules, je m'en battais les couilles, j'avais juste envie de me tirer de là.
Mais la tipeu me fit signe de venir les rejoindre et je me rendis compte que j'allais vraiment passer un moment super gênant.

Avec Clem et Violette sur le canapé, j'étais dingue de l'une, j'avais pécho l'autre.

Bsahtek l'ambiance.

Finalement elles se mirent d'accord sur un putain de film d'auteur à deux balles, bien chiant, où tout le monde passait son temps à se moucher et à chialer avec un accent québécois. J'étais tellement blasé que je critiquais le moindre dialogue, elles me tapaient dessus et me faisaient des « shhht » agacés.

Askip' j'avais aucune sensibilité artistique.

Niquez vous avec votre sensibilité artistique, c'était pas de l'art ça, c'était de la branlette intellectuelle pour bobo arrogant.

— Tu te rends compte que le réalisateur de ce film est plus jeune que toi Deen ? me demanda Clem, Pourtant t'as vu la maturité qui en ressort ?

— Pardonne moi gamine, mais y a pas grand chose qui ressort de ce film à part un ennui mortel. Ce mec est peut-être jeune, mais il est chiant. Son seul mérite est d'être à la mode.

Les deux filles levèrent les yeux au ciel en même temps, l'air désespérées.

C'était tellement ennuyeux que je finis par m'endormir d'un sommeil de plomb.

(...)

— Eh ben ! Elle est belle la France !

Ce fut la voix de Ken qui me réveilla. J'ouvris les yeux sur le canapé des Samaras, la bouche pâteuse et le dos en compote.

Violette était avachie sur mon épaule, Clem sur la sienne.

Ok tout doux grand-père, t'es d'une humeur de chien, évite de parler à qui que ce soit tant que t'as pas bu ton café, m'ordonnai-je à moi-même.

— Ken !

Je levai les yeux au ciel, Clem avait déjà quitté le canapé pour sauter au cou de son mari.

J'avais aucune envie d'assister à leurs retrouvailles, mais je pouvais pas bouger avec l'autre mioche endormie sur moi.

— Comment va Maya ?

— Elle va s'en sortir, Hakim l'a vue ce matin. La nuit a été horrible pour lui mais maintenant ça va aller. On va juste pas trop pouvoir compter sur lui dans les mois qui viennent, elle va être totalement immobilisée.

Ils continuèrent d'échanger à propos de Maya et Mékra et je tentai de pousser plus ou moins délicatement Violette pour me dégager.

— Il est quel heure ? articulai-je la voix rauque.

— Onze heure, répondit Ken.

Merde, je devais charbonner aujourd'hui, j'avais promis à Eff de le retrouver à 10h porte de Pantin.

Fait chier, putain. Violette s'étira en bâillant bruyamment de façon pas distinguée du tout.

— Toujours aussi discrète, railla Ken, bien dormi minus ? J'savais pas que t'étais là ce week-end.

Elle quitta le canapé pour le checker et il l'attira brièvement contre lui pour lui pincer la joue.

— Ouais bof, Deen est pas très confortable, grogna-t-elle, Oui je devais rentrer chez ma mère, mais en fait j'ai trop de taff. Je devrais déjà être à la Villette.

Hein quoi ?

Je me frottai le visage, je comprenais rien de rien, ce que Violette foutait ici, pourquoi elle aussi devait aller dans le 19e.

— T'as besoin d'un café, l'ancêtre, me dit Ken en rejoignant la cuisine.

La môme se précipita quant à elle dans la salle de bain.

J'entendis leur nouvelle machine à café écolo spéciale café bio et équitable se mettre en route.

— Tu rentres à Auber ? me demanda Clem.

Je secouai la tête négativement.

— Non, faut que j'aille chez Eff.

Le regard de la jeune femme s'éclaira soudainement. Je la connaissais pas cœur, elle venait d'avoir une idée qu'elle pensait géniale et qui l'était pas du tout.

— Mais c'est parfait, l'école de Violette est juste à côté de chez Eff !

Putain, évidemment, elle m'avait dit qu'elle était en archi. Je passais devant cette putain d'école trois fois par semaine.

— Elle se plaint tout le temps que le trajet depuis chez nous est trop long et trop chiant, au moins vous le ferez ensemble.

Oh mais oui, quelle bonne idée, je pouvais pas rêver mieux.

— Pourquoi elle squatte chez vous ? demandai-je.

— Parce que sa mère veut pas lui payer un appart sur Paname, elle estime qu'elle pouvait très bien finir ses études en Suisse. Elle travaille en plus des cours mais c'est quand même compliqué pour elle de payer un loyer parisien. Nous ça nous dérange pas plus que ça, elle est plus discrète que Sneazz et puis j'aime bien l'avoir près de moi. Le seul problème en fait, c'est qu'elle se tape 45 min de métro pour y aller.

Ouais, je connaissais bien ce problème, je me tapais ce genre de distance à chaque fois que je voulais voir la partie « Paris Sud » de L'entourage.

Ken revint et me tendit un café que j'accueillis avec beaucoup de soulagement.

Il avait les yeux cernés et les traits tirés lui aussi.

— T'as l'air mort, frère, lui dis-je.

— Ouais... bah j'ai dormi trois heures dans une salle d'attente quoi. J'suis trop vieux pour ces conneries.

Le rire de Violette retentit derrière eux.

— Attends un peu que mini Samaras soit né, Ken ! Les nuits de trois heures seront les plus longues.

Les visages des futurs parents se décomposèrent et j'esquissai un petit sourire. Cette gamine était décidément aussi drôle que pénible.

J'engloutis mon café.

— J'peux prendre une douche avant de partir ?

Clem opina, s'éclipsa un instant et revint avec un sweat et un t-shirt propre.

— Des sapes à toi que t'avais laissé dans mon ancien appart.

Je la remerciai et m'enfermai dans la salle de bain. Étrangement, ma mauvaise humeur l'emportait sur tout autre sentiment et j'en avais un peu rien à foutre de voir Ken et Clem ensemble. De toutes façons, une fois qu'on avait touché le fond, fallait s'arrêter de creuser.

(...)

— Oh Papy tu t'bouges ? Je vais pas attendre toute la journée que tu peignes ta barbe.

Ah, j'avais espéré que la tipeu parte sans moi, mais visiblement, elle avait l'air décidée à faire ce putain de trajet en ma compagnie.

Elle allait pas être déçue du voyage...

En attachant mes cheveux, je ne pus m'empêcher de me demander à quel moment j'étais devenu un connard aigri à ce point là. J'avais toujours été d'un tempérament un peu râleur, mais ces derniers temps, c'était pire que tout. Depuis quelques mois je broyais du noir toute la journée et c'était pas seulement Clem, elle n'était finalement qu'une des multiples raisons qui faisait que j'étais H24 d'une humeur massacrante.

— Deeeeen !

Soupirant, je sortis de la salle de bain. Pour retrouver la mioche. Sweat à capuche, casquette sur la tête, jean et vans, elle avait son skate sous le bras .

— J't'emmène au collège c'est ça ? grognai-je.

— Si tu dis ça pour ma tenue, je dois en déduire que tous les membres de L'entourage s'habillent comme des adolescents ?

Un point pour elle.

— Sont où Nek et Clem ? demandai-je.

— Partis se coucher ! Bon, on y va ?

Bande de branleurs.

J'emboitai le pas à Violette qui claqua la porte derrière nous. Mon Dieu, ça faisait du bien de quitter cet endroit.

Une fois dans la rue on se dirigea tous les deux vers le métro.

— Attends moi deux secondes, fit Violette en entrant dans un kebab, Tu veux un grec ? Ils sont bons ici.

J'écarquillai les yeux, m'attendant pas à ce qu'elle veuille manger maintenant, puis réalisant que moi aussi j'avais faim, je la suivis.

— Je mange ici tout le temps ! Salut Farid, dit-elle en checkant le gérant tout sourire.

— Salam Viovio ! Il va bien Nekfeu ? Il mange toujours ses graines ? Tu veux que je lui fasse un falafel ?

Ah oui, visiblement elle avait ses habitudes.

— C'est Ken qui m'a emmenée ici la première fois, Farid était son voisin avant, m'expliqua-t-elle.

Passionnant. Chacun fit sa commande et Violette insista pour payer les deux grecs puis, sac plastique à la main elle m'entraîna vers le métro.

— S'te plaît dis pas à Ken et Clem que je mange là quatre fois par semaine, ils vont me faire la morale.

Je haussai les épaules, lui signifiant que je m'en battais éperdument les couilles.

— Pourquoi tu manges là quatre fois par semaine ? lui demandai-je en me posant sur un strapontin.

Elle rit en mordant dans une frite.

— Parce que c'est pas cher ! Et puis ça me tient la journée. J'suis une galérienne et je veux pas qu'ils m'aident financièrement, déjà qu'ils m'hébergent...

Sa réflexion me fit rire, on était un peu tous passés par là.

— Clem a dit que tu bossais en dehors des cours.

Elle acquiesça pendant que je prenais une large bouchée de kebab. Putain, elle avait raison, c'était un bon.

— Oui, j'ai trouvé un job au Zénith, j'vends des bières, fit-elle en riant, c'est bien c'est pas loin de l'école, Mais pour rentrer la nuit comme hier, je mets ma vie avec les bus de nuit, à chaque fois en plus t'as des vieux schlag flippants.

J'étais tenté de lui dire de changer de job, traverser Paname la nuit toute seule, c'était franchement pas prudent. Ça me surprenait que Ken laisse faire ça. 

— Je sais ce que tu penses, je leur donne pas vraiment le choix, ce sont pas mes parents. J'adore mon job, je travaille avec mon meilleur pote c'est ouf, en plus du coup j'ai plein de concerts gratuits.

Que pouvais-je dire, j'étais pas son daron non plus et après tout, c'était une grande fille quand même.

— Tu sais Violette, euh... Je suis content qu'il y ait pas de malaise entre nous.

Elle faillit s'étouffer avec son grec en éclatant de rire.

— Mais Deen ! Pourquoi il y aurait du malaise ? Il s'est rien passé entre nous à part deux trois bisous d'adolescents !

Putain, mon ego en prenait salement un coup. Cette fille me perturbait vraiment, on savait jamais ce qu'elle prenait au sérieux, elle riait tout le temps et avait pas l'air de s'emmerder à se triturer l'esprit pour rien.

— Ouais, t'as raison.

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