Chapitre 52. On y va

Claquant la porte de l'appart, je poussai un profond soupir en voyant son état. Putain y avait des sapes partout.

Nora avait dû faire une vidéo pour sa chaîne YouTube.

Flemme de ranger, il était cinq heure du mat' j'avais qu'une envie, manger et dormir. Je trouvai dans le frigo deux-trois restes que je m'enfilai rapidement avant de rejoindre ma chambre.

La respiration régulière de ma copine m'indiqua qu'elle dormait, je me glissai à côté d'elle, l'esprit embrumé par ma discussion avec Violette.

On avait rien fait de mal.

Nora se retourna vers moi, entrouvrant les yeux.

— T'as bien bossé ? murmura-t-elle en posant sa tête sur mon torse.

Saisis par les remords, je glissai mes doigts dans ses épais cheveux bruns et les caressai doucement.

— Oui, toi aussi apparement.

Un demi sourire se forma sur ses lèvres. Putain même comme ça, au milieu de la nuit et sans maquillage, cette meuf était une vraie frappe. Je me demandais pourquoi j'avais toujours fait semblant de ne pas la voir quand j'étais ado, et même plus tard.

Peut-être parce qu'elle avait toujours été totalement amoureuse de moi, qu'elle me le faisait comprendre et que je ne voyais aucun défi.

Mon autre main se posa sur son ventre rond, c'était quand même dingue comme le corps de la femme était bien fait. À côté nous on savait juste faire une chose : baiser.

— Tu m'as manqué, souffla-t-elle.

Je me contentai d'embrasser son front et d'enserrer sa taille. Il fallait que je me fasse une raison, c'était ça, ma vie.

(...)

Ce ne fut qu'en début d'après-midi que je m'éveillai, la bouche pâteuse et le crâne un peu douloureux, comme si j'avais abusé d'un mauvais vin la veille.

Nora était levée depuis un bon moment, poussant un grognement, je rejoignis la douche en frottant ma tignasse.

Motivation pour cette journée : -100.

Un peu plus tard, en découvrant que Nora avait eu la gentillesse de ranger l'appart, et qu'elle m'avait laissé un mot pour me dire que mon déjeuner était prêt dans le frigo, un nouveau sentiment de culpabilité m'envahit.

En plus c'était archi bon. Putain je m'en voulais.

J'avais pas parlé à Maya depuis sa scène d'hystérie chez nous. Elle me manquait. Très clairement depuis deux ans elle était en quelque sorte devenue ma meilleure amie, même si j'avais un peu de mal avec ce terme depuis l'épisode Clem.

J'avais pas mal compensé l'absence de Maya avec Eff, mais... même s'il était toujours de bon conseils et que je pouvais compter sur son silence, mes histoires de meufs, il s'en battait les couilles.

Et je le comprenais.

Il me restait Ivan, on partageait la même passion pour les relations compliqués. Comme je pensais à lui, je fus surpris de voir son nom s'afficher sur l'écran de mon bigo.

— Ouais mec, répondis-je aussitôt.

— Faut qu'on se voit. Maintenant. 'Crois que j'ai fait une connerie.

S'il y avait bien une chose que Violette m'avait enseignée, c'était que s'occuper des autres était la meilleure façon de se décentrer de ses problèmes.

— Tu viens ou je viens ? demandai-je.

— J'arrive.

Eh bah. Il avait l'air d'être dans tout ses états, pas besoin de chercher loin la raison. Camille, à coup sûr.

Il débarqua une quinzaine de minute plus tard l'air totalement déboussolé.

— Tu veux graille quelque chose ? Nora a fait des lasagnes.

Ivan accepta de suite ma proposition et je lui servis une assiette pleine tandis qu'il commençait à m'exposer les raisons de sa venue.

— Cette nuit j'étais ivre.

Jusque là rien d'anormal.

— J'ai commencé à cogiter, mec, j'te dis pas c'était le bordel dans ma tête, crari y'avait des gens qui parlaient.

Toujours rien d'anormal.

— Et j'me suis dit : Putain, ça fait quatre ans que j'me prends la tête avec Camille. Quatre ans. Tu t'rends compte ?

Je me rappelai très bien de leur première rencontre, et pour cause, c'était à la soirée de sortie de mon album Grand Cru.

— Ouais, fait bizarre de se dire que y'a quatre ans qu'on vous a entendu baiser comme des animaux dans les chiottes du club que j'avais privatisé.

Les lèvres de mon reuf s'étirèrent sur un sourire fier.

Ce brave Jazzy.

— Ouais. Ça m'a fait grave réfléchir. Mine de rien, on s'engueule depuis quatre ans, mais on s'aime comme des ouf depuis quatre ans aussi.

Je fronçai les sourcils. Première fois qu'il me disait qu'ils s'aimaient.

— Ça prouve bien qu'avec elle, c'est pas pareil nan ?

— Frère, de quoi tu me parles ? Tu l'as trompée trente fois, elle t'a trompé cinquante fois, vous passez votre temps à vous insulter, elle a même fait cramer tous tes fringues et saccagé ta caisse ! À quel moment ça c'est de l'amour ?

Ivan me lança un regard assez bizarre en passant sa main sur son crâne chauve.

— C'est golri que tu m'fasses des leçons sur ce que c'est que l'amour alors que tu fais semblant d'aimer ta meuf et que t'es pas capable de te mettre avec celle que t'aime.

Je déglutis avec difficulté.

— C'était bien quand on parlait de toi, grognai-je.

Il ricana et reprit son histoire.

— Donc, j'te disais, j'ai réalisé que c'était la femme de ma vie et que depuis le début, si je m'empêchai d'être bien avec elle, c'était parce que je flippai comme un malade de plus être libre tu vois ? J'ai grave peur de me poser et j'sais pas, d'être vieux quoi... Quand j'ai compris ça je te jure tout est devenu tellement logique. Le problème, c'est que j'étais totalement pété... et du coup j'ai over-réagi. J'me suis pointé chez elle à six heures du mat et je lui ai demandé de m'épouser.

C'était même plus de l'over réaction à ce niveau là. J'avais très peu d'affection pour Camille, même si elle était pire que bonne, elle était surtout hystérique, manipulatrice et alcoolique. Je me demandais encore comment Clem pouvait la considérer comme l'une de ses meilleures potes. Elles n'avaient strictement rien en commun.

— Elle a dit quoi ? demandai-je.

Ivan haussa les épaules.

— Je sais pas, quand j'ai réalisé ce que je venais de dire, je suis parti en courant.

Putain on était vraiment tous les mêmes, dans ce squad. Les rois du monde quand il s'agissait de faire des singeries, là on manquait jamais de courage. Mais alors pour assumer nos sentiments et faire les choses bien avec les femmes qu'on aimait, bizarrement on perdait nos couilles.

— T'es au courant qu'elle va te détruire ? Au sens propre. Enfin non, au sens sale, mec, t'es mort.

Il me lança un regard genre "merci pour ton soutien". Mais fallait quand même avouer que c'était con...

— Je fais quoi ?

Bonne question, qu'est-ce que j'en savais moi ? J'avais jamais demandé personne en mariage et je comptais pas le faire.

— Bah je sais pas... Tu devrais poser la question à Ken, Mékra ou Zer2, sont plus au courant que moi de comment ça se passe. Je crois que Ken est parti en courant aussi.

Il me semblait bien que j'avais entendu une histoire comme ça dans la bouche de Clem.

— Mais en fait, repris-je, tu veux vraiment l'épouser ?

Ivan triturait ses chevalières, notre sport national lors des moments de malaise ou d'intense réflexion.

— Bah... En fait, j'suis pas sûr. Je crois que je voulais juste lui dire que je voulais rester avec elle, longtemps... Et j'ai pas vraiment utilisé le bon vocabulaire.

Comme quoi, ma mère avait raison quand elle me répétait : "il faut réfléchir avant de parler, comme on mâche avant d'avaler, Mikael".

Ça me faisait penser qu'il fallait que je l'appelle.

— Frère, je pense qu'il faut que tu retournes la voir et que tu lui dises exactement ce que tu viens de me dire. Je suis persuadé qu'elle veut pas t'épouser.

— Tu crois ?

J'en étais sûr. Camille en avait strictement rien à foutre de se marier.

— Ouais, mais elle va quand même te broyer les couilles.

Il posa son assiette vide devant lui, remit sa casquette et se leva d'un bond.

— T'as raison, j'y vais.

Ivan détala comme un lapin, sa venue m'avait fait du bien, j'étais bien plus détendu. Même si la nuit dernière était encore bien présente dans ma tête.

Elle le fut toute la semaine qui suivit. Parce que je culpabilisais, mais surtout parce que je guettais chaque jour des nouvelles de Vio en espérant qu'elle m'appelle pour me proposer une autre entrevue.

J'étais quel genre de connard ?

Ma meuf enceinte était aux petits soins pour moi, et j'attendais comme un taulard le moment où je pourrais m'échapper et retrouver une autre.

Mais Violette ne m'appelait pas, et ça me rendait barge, parce que c'était elle qui avait proposé qu'on se revoit. C'était elle qui avait conclu notre discussion par cette dernière question "On s'appelle ?".

Une semaine, puis deux. Sans nouvelles.

Croisant Idriss au stud d'Eliott, j'appris que lui non plus n'avait pas la moindre nouvelle, apparemment elle avait énormément de travail ces derniers temps.

Moi aussi j'avais du taff, et je décidai de m'y mettre à fond en tentant de m'empêcher de céder à la tentation de l'appeler.

Parce que dans ma tête, c'était moins grave vis à vis de Nora, de répondre positivement à une invitation de Violette, que de prendre l'initiative de l'inviter. Ma conscience voyait une nette différence entre accepter et proposer.

Ma conscience était sans doute bien plus vicieuse que celle du commun des mortels.

J'irais tout droit en enfer, c'était certain.

Un soir, Nora me proposa une soirée tranquille à l'appart, pour passer un peu de temps tous les deux et je n'eus pas d'autre choix que d'accepter, car je la négligeais pas mal ces derniers temps. Malheureusement, après un bon diner et un bon film, elle m'annonça qu'elle voulait discuter et non pas poursuivre les réjouissances dans notre lit.

Frustrant.

— Bébé, j'aimerais te parler de quelque chose qui me prend la tête depuis quelques semaines maintenant.

On pouvait éventuellement parler du fait que je détestais qu'elle m'appelle bébé. Est-ce que Maya appelait Hakim "bébé" ? Jamais de la vie. J'avais le droit à un minimum de respect moi aussi.

— Je t'écoute.

Les crises de jalousie étaient un peu plus rares ces derniers temps, j'espérais donc que ce n'en soit pas une.

— Je comprends pas pourquoi tu n'exprimes pas ce que tu ressens pour moi.

Mes sourcils se froncèrent, je sentais mal cette discussion.

— Comment ça ?

— Bah... On vit ensemble, on va avoir un bébé mais... Tu m'as jamais dit que tu m'aimais, t'as jamais laissé entendre que tu pensais à concrétiser les choses entre nous, enfin tout ça quoi.

Comme elle venait de le dire, on vivait ensemble, on allait avoir un bébé. Mais ça, c'était pas assez ?

— Y'a ton nom sur ma putain de boîte aux lettres, grognai-je, ça te suffit pas comme truc concret ? Tu veux aussi nos têtes sur une pièce montée c'est ça ?

J'étais pas d'humeur pour ça. Vraiment pas d'humeur.

— Deen... C'est pas ça, tu sais très bien que je ne suis pas ultra pressée de me marier, même si j'y pense évidemment, quand notre fille sera là, on sera une famille. Une famille c'est toujours beau de la rendre un peu sacrée avec un mariage. Mais... C'est vraiment pas urgent, c'est pas ça dont je parlais. Enfin pas que.

Si j'avais été un ordinateur, j'aurais choisi d'afficher un sablier à la place de la souris, parce que clairement, j'avais aucune envie de cliquer sur un mariage.

— Tu peux venir au fait ? demandai-je, Pour l'instant le mariage c'est pas dans mes plans, j'te le dis direct.

Une ombre passa sur son visage mais je l'ignorai, s'il y avait bien une chose que je mettrais du temps à envisager avec elle, c'était cette possibilité. De toutes façons ma mère me tuerait si je demandais Nora en mariage. Et ma mère passait avant quiconque.

Fallait vraiment que je l'appelle, ça faisait des lustres.

— Est-ce que tu m'aimes ? laissa brutalement échapper Nora.

Clairement, là le sablier ne m'était d'aucune utilité, fallait que je lance une mise à jour d'une heure ou deux.

Une quantité de prières à Dieu pour que la foudre me tombe dessus et que je n'aie pas à répondre à cette question se bousculèrent dans ma tête.

Mes prières furent exaucées.

Mais pas de foudre, un appel de la femme de ma vie.

— Désolé, faut que je décroche, fis-je en saisissant mon portable sur la table basse, Allô Maman, j'étais justement en train de me dire qu'il fallait que je t'appelle.

Merci, merci mon Dieu.

Nora secoua la tête, l'air blasé, et récupéra son propre téléphone pour se concentrer dessus.

— Ah, donc tu te souviens que j'existe ! fit la voix de ma mère dans mon oreille, Comment vas-tu mon chéri ?

À part le fait que tu viens de me sauver de l'instant le plus gênant de toute ma vie, tout va pour le mieux, pensai-je.

— Ça va, on est là, et toi ? Papa va bien aussi ?

— Oui. Je t'appelle pas pour prendre des nouvelles à vrai dire. J'ai eu Violette au téléphone il y a dix minutes.

Hein ?

Est-ce que je devenais complètement dingue ?

Depuis quand ma mère et Violette se parlaient au téléphone ?

— Attends quoi ? Vous vous appelez ? Putain c'est quoi ce bordel ?

— Langage Mikael, me réprimanda-t-elle, Oui figure toi qu'on s'est très bien entendues cet été, j'adore cette petite, je l'appelle de temps en temps. Peuchère, elle vit pas des choses faciles. C'est pour ça que je te téléphone, tu savais que sa mère était à l'hôpital ? Parce que d'après ce que j'ai compris, elle a prévenu dégun.

J'allais bientôt avoir besoin d'une assistance respiratoire. Comment en étais-je rendu à ce que ma mère, m'apprenne des nouvelles de Violette ? Et surtout ce genre de nouvelles.

— Pourquoi ? Elle a quoi sa mère ?

— Elle a fait une tentative de suicide Mike. Ça va très mal dans sa famille. Je pensais que tu savais. La pauvre, elle gère ça toute seule.

J'étais beaucoup trop con. Tout ce temps j'avais pensé qu'à notre histoire et à ma culpabilité, sans réfléchir à ce que Violette m'avait annoncé l'autre nuit.

— Elle est où ?

— À Genève, elle a dû rentrer en urgence. Tu sais chéri je pense qu'il ne faut pas la laisser seule.

Me levant d'un bond, tout en gardant ma mère au téléphone, je saisis mon iPad et m'empressai de taper mes quatre lettres préférées dans la barre de recherche google : SNCF.

— Ok, t'inquiète pas, j'y vais, je suis en train de regarder les trains.

— C'est bien mon fils, tiens moi au courant, je t'aime.

— Promis, je te rappelle, moi aussi, bisous Maman.

Une fois mon billet pris, je me précipitai dans ma chambre pour enfouir dans un sac quelques affaires en vrac.

— Qu'est-ce que tu fais ? me demanda Nora en me rejoignant, Tu vas où ?

Hissant mon sac sur l'épaule, je récupérais au hasard deux trois trucs dont j'aurais pu avoir besoin. J'avais pas les moyens mentaux de réfléchir.

— À Genève, il est arrivé un truc grave à la mère de Violette. Je t'appelle.

Comme j'enfilai une paire de pompes en quatrième vitesse, Nora me suivait partout dans l'appartement en me bombardant de questions. Mais c'était à peine si j'entendais sa voix.

— Je t'appelle, répétai-je avant de claquer la porte, Préviens les autres.

— Deen ! l'entendis-je hurler, Tu peux pas partir comme ça !

Oh que si je pouvais.

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