Chapitre 49. Mômes

Deuxième fois que j'allais voir Clem à la maternité. Cette fois, c'était pour un p'tit gars, Arthur.

Elle avait accouché quinze jours après le fiasco total de l'annonce de la grossesse de Nora, j'avais depuis, à peu près réussi à retrouver la confiance de ma copine. Elle m'avait fait la tronche pendant une semaine et j'avais passé mon temps à ramper comme un canard, jusqu'à ce que je pète un câble et que je lui dise que si elle voulait partir, la porte était ouverte. Les réconciliations sur l'oreiller avaient fini par tout arranger.

Toquant à la porte de la chambre de mon amie, j'entendis un joyeux « Entrez ! » me répondre et m'empressait d'aller retrouver la petite famille. Il n'y avait que les Samaras dans la pièce et après m'être penché pour embrasser la joue d'Iris, je checkai son père et m'approchai de la jeune maman qui tenait son bébé dans les bras.

— Salut, murmurai-je en embrassant Clem sur le front, t'as meilleure mine que la dernière fois.

— Ça s'est bien mieux passé, expliqua-t-elle, Pourtant il est plus gros que sa sœur, 3,9kg.

Arthur dormait à poings fermés, il était vraiment pas trop mal pour un bébé. Tout comme Iris à la naissance, il possédait une épaisse touffe de cheveux bruns.

— Il est fait pour avoir les cheveux longs ce môme, comme son père et comme ses tontons.

Clem me lança un regard dubitatif et recouvrit la tête de son fils avec un petit bonnet.

— Vous avez eu du monde depuis hier ? demandai-je.

Ken acquiesça en récupérant sa fille qui martelait le mur avec la télécommande de la télé, produisant un bruit assez désagréable.

— Viens-là princesse, on s'entend plus. Ouais, Maya et Haks sont passés ce matin, Sneazz qui est venu avec sa go aussi et Camille et Ivan, ouais ils se sont remis ensemble. Et là y'a Fram et Lucie qui viennent de partir manger avec Vio mais qui reviennent d'ici une heure.

Mon regard croisa celui de Clem, j'allais pas faire de vieux os dans cette chambre, la dernière chose que je voulais, c'était voir Violette maintenant. À partir de cet instant je me sentis bien moins à l'aise et tentai de trouver un prétexte pour partir le plus vite possible.

— Comment va Nora ? me demanda Ken, Mec j'suis désolé pour la dernière fois on...

— C'est bon, le coupai-je, on en parle plus. Si vous acceptez pas ma copine on se verra sans elle, balec'.

Ken avait plutôt l'air agacé par cette situation, il faisait partie de ceux qui n'étaient pas opposé à mon couple avec Nora, mais désormais, j'avais un peu peur que ce soit hypocrite.

— Je sais pas si tu en es conscient Deen, tenta Clem, mais tu lui fais plus de mal en restant avec elle qu'en la quittant. Tu m'as reproché d'avoir entretenu des sentiments qui n'étaient pas réciproques et de t'avoir fait souffrir, mais tu fais exactement la même chose avec elle. Voire pire.

Ok, elle me donnait une excuse sur un plateau d'argent pour quitter cet endroit.

— Je n'étais pas enceinte de toi Clem, bon si vous comptez me parler que de Nora, je me tire.

Je me levai mais Ken calma le jeu. Au même moment la porte s'ouvrit sur Idriss et Lucie.

— Coucou ! On est de retour ! Oh salut Deen, lança cette dernière.

Violette n'était pas avec eux et je poussai un soupir de soulagement, réalisant que j'avais retenu ma respiration depuis qu'ils étaient entrés.

— Vous avez fait quoi de Naël et Vio ? demanda Clem.

— Il a fait un sketch pour aller sur l'aire de jeu faire de la balançoire et Violette s'est dévouée pour y aller avec lui. Ça peut durer longtemps, un peu comme quand tu mets des manettes de PlayStation dans les mains de son père, expliqua la petite brune.

Idriss lui adressa une grimace en se laissant tomber dans un fauteuil. Il attira néanmoins sa meuf sur ses genoux.

— Alors ? Quoi de neuf le Bigo ? Elle arrive quand ta fille ?

Ma fille. Putain c'était tellement bizarre d'entendre ça. À la fois j'avais vraiment archi hâte de la voir et en même temps... Je stressais comme un malade.

— On l'attend pour Mars, répondis-je, J'ai encore six bons mois pour m'y préparer.

Lucie sourit et jeta un regard amusé à Idriss.

— J'ai l'impression de t'entendre, t'étais tellement en monde « C'est bon, il reste encore trois mois ». Mais tu verras Deen, ça passe très très vite. Et c'est encore pire une fois qu'ils sont là. J'ai l'impression que mon fils a encore deux mois alors que ça fait deux ans et demi qu'il est sur cette terre.

Le temps passait déjà bien trop vite. C'était devenu mon pire ennemi ces deux dernières années. Et je me disais tous les jours en me réveillant que je devais arracher un maximum de joie à chaque minute qui passait, pour ne pas regretter. Mais j'y arrivais pas, je savais plus où la trouver, cette putain de joie.

Peut-être que tout changerait quand ma fille serait là. J'aurais vraiment une raison d'être heureux.

— Je vais vous laisser, Nora m'attend.

Je fis le tour de la pièce pour embrasser et saluer tout le monde et quittai rapidement la chambre de Clem. Je ressassai mes dernières pensées en traversant les couloirs, quand une voix que je connaissais trop bien me parvint à l'oreille.

— Oui, Tonton Haks et Tatie Mayou ils sont mariés, ça veut dire qu'ils se sont promis de s'aimer toute la vie.

— Papa et Maman, sont pas mariés. Vont pas s'aimer toute la vie ? fit une voix d'enfant.

Ils étaient juste à côté, je me stoppai net.

— Papa et Maman s'aiment très fort et je pense que ça va durer toute la vie.

La douceur de ce timbre de voix me fit frissonner.

— Et surtout, tu sais qui ils aiment très fort ? reprit-elle.

— Moi.

Un sourire étira mes lèvres, c'était vraiment trop adorable.

— Oui, toi, et ça je te le promets, ils t'aimeront toute la vie.

Elle savait tellement bien s'y prendre, j'aurais été incapable de répondre à la question de Naël sans lui mentir ou lui faire miroiter un avenir parfait pour ses parents. Avec quelques mots très bien trouvés, elle avait réussi à le rassurer sans lui promettre des choses qui lui échappaient. Sans lui dire « tu comprendras quand tu seras grand ».

— Toi t'as un mari ? demanda Naël.

— Non moi j'ai pas de mari.

Il y eut un moment de silence et je supposai que le gamin réfléchissait.

— Pourquoi ?

J'étais mal barré si ma fille voulait en savoir autant que lui. Ma curiosité était piquée et j'avais hâte de savoir ce qu'elle allait lui répondre.

— Parce qu'avant d'avoir un mari, il faut avoir un amoureux, et j'ai pas d'amoureux.

Pourquoi cette nouvelle me faisait profondément plaisir ?

— Moi j'ai une amoureuse, annonça Naël.

Eh bah, précoce le môme. J'allais pas trop laisser traîner ma fille avec lui.

— Ah oui, c'est qui ? demanda Violette.

— Toi.

Je me retins de m'étrangler. Là on pouvait même plus parler de différence d'âge. J'entendis le rire de Violette résonner dans la pièce à côté.

— T'es mon mari ? demanda l'enfant.

Discrètement, je me rapprochai de la porte pour tenter de les apercevoir. Assisse sur une chaise, Violette riait en observant Naël qui tout en lui parlant, coloriait énergiquement sur une feuille de papier. Les cheveux de la jeune femme étaient de nouveau coupés au carré, comme lorsque je l'avais connu. Elle était emmitouflée dans un énorme sweat, portait un jean noir déchiré au genou et une vieille paire de Nikes qui semblait avoir connu les tranchées. Retour à son look de skateuse adolescente.

— Je ne peux pas être ton mari Naël, dit-elle en riant.

— Pourquoi ?

C'était visiblement sa question préférée.

— Parce que je suis une fille, premièrement. Ensuite parce que tu es un petit garçon et que je suis une grande fille. Ton amoureuse doit être petite, et moi mon amoureux il doit être grand.

Naël la fixa pendant quelques secondes puis haussa les épaules, il lui adressa une moue dont son père avait le secret, genre « M'en bats les couilles t'façon j'ai raison et je le sais. » Il ressemblait tellement à Idriss, c'était assez dingue.

Finalement je vis l'enfant lâcher ses crayons et s'approcher de Violette, elle le saisit sous les épaules pour l'assoir sur ses genoux. J'observai pendant quelques secondes ce tableau plutôt attendrissant avant de me décider à partir.

— Comme papa ! 

Le cri de l'enfant me retint. Il caressait du bout des doigts le cadrant de la montre de Violette.

— Tu sais comment ça s'appelle ?

Naël secoua la tête.

— Une montre.

— Une monte, répéta-t-il.

Violette le félicita en embrassant son front.

— Peux l'avoir ?

Jamais de la vie. T'auras ni la montre, ni la fille, jeune bandit. C'était le genre de p'tit gars qui pensait tout obtenir avec son sourire enjôleur et ses yeux séducteurs. Il menait déjà toutes les femmes à la baguette.

— Non Naël. Je ne peux pas te la donner.

— Pourquoi ?

Décidément. Il avait que ce mot à la bouche.

— Parce que c'est précieux pour moi. Tu sais ce que ça veut dire précieux ?

Il secoua la tête.

— Ça veut dire qu'on le garde et qu'on fait très attention à ne pas l'abimer ou le perdre. C'est quelque chose qu'on aime plus que les autres choses, qui a de la valeur.

Mon cœur se serra, malgré moi. J'avais envie d'entrer pour la prendre dans mes bras.

— Pourquoi c'est précieux ? demanda Naël pour la énième fois.

J'admirais la patience de Violette, j'aurais déjà répondu par un « parce que c'est comme ça » bien sec, à sa place.

— Parce que c'est une personne que j'aime beaucoup qui me l'a donnée, comme un cadeau tu vois.

À l'intérieur de moi, c'était le chaos.

— Ton amoureux ?

Putain. Fallait vraiment qu'on apprenne à ce môme à arrêter de poser des questions. Une ombre passa sur le visage de Violette, mes yeux se fermèrent pour chasser cette image.

— Presque, murmura-t-elle, quelqu'un que j'aimerai toute la vie.

Une violente vague de tristesse me submergea et je me retournai pour ne plus voir son expression douloureuse.

— Pourquoi c'est pas ton mari alors ?

— Parce que c'est le mari de quelqu'un d'autre.

J'aurais pu me jeter par la fenêtre sur le champ. À croire que j'allais passer ma vie à faire souffrir ceux qui m'aimaient. Putain, même ma fille allait pâtir de cette histoire de merde. C'était certain. Tôt ou tard, elle comprendrait et me détesterait.

— Deen ?

Je fis volte-face, Violette avait posé Naël et s'était levée, m'ayant aperçu.

— Je... Salut, murmurai-je.

— Salut... T'es là depuis longtemps ?

Me frottant la barbe, je lui lançai un regard gêné, elle connaissait dejà la réponse à sa question et savait que j'avais tout entendu.

— C'était pour expliquer à Naël enfin... C'est un bébé encore... Il est en avance pour son âge mais... Il comprend pas tout enfin... Tu vois.

Je pouvais compter sur les doigts d'une main les fois où j'avais vu Violette aussi mal à l'aise. Elle était rouge comme une pivoine et jouait maladroitement avec ses doigts. Une ado.

Mais j'étais pas mieux.

— T'inquiète, y'a pas de souci. Comment tu vas ? lui demandai-je en m'efforçant de garder un air à peu près naturel.

— Ça va... C'est un peu la galère en ce moment, je suis beaucoup à Genève. Mon père va surement être libéré et ... Ma mère est dans tous ses états.

Merde, j'ignorais qu'elle traversait ce genre de choses. Il fallait dire qu'on avait pas eu de contacts depuis le mois d'aout.

— Je suis désolé, soufflai-je, Si je peux faire quelque chose... Enfin hésite pas. On est toujours amis non ?

Un large sourire éclaira son visage, creusant ses jolies fossettes. Je sentais que ma phrase lui faisait réellement plaisir.

— Oui, on est toujours amis, acquiesça-t-elle.

— Parfait, donc hésite pas... Appelle-moi si t'as besoin.

Nora détesterait absolument chaque seconde de cette conversation. Mais je m'en battais les couilles, parce que l'évidence était là, j'arrivais pas à être heureux sans Violette dans ma vie. D'une façon ou d'une autre, il fallait qu'elle soit là.

— Merci Deen, j'y penserai. C'est promis.

Je lui répondis par un clin d'œil que je voulais encourageant et qui la fit sourire de nouveau.

— Bon, il faut vraiment que j'y aille, murmurai-je, Fais attention à toi. Salut Naël, lançai-je au gamin qui nous regardait avec des yeux de merlan frit, Prends soin de Violette, elle est précieuse.

J'appuyai bien sur le dernier mot et après un dernier signe de main, je m'éloignai d'un pas plus léger. Jusqu'à ce que la voix du môme me parvienne une dernière fois :

— Alors c'est lui ton amoureux ?

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top