Chapitre 42. Courchevel
——Violette——
J'arpentais avec Sneazz et Alpha, les rayons d'un supermarché pour tenter de faire les courses pour la soirée de Noël. Lucie avait eu la bonne idée de réunir tout le monde dans le chalet de sa famille. L'année avait été compliquée pour tout le monde, c'était l'occasion de se détendre et de renouer un peu les liens après tout ça.
— Vas-y, prends v'la le saumon, me dit Sneazzy, on va bouffer comme des che-ris, avec des sapes de che-ris, dans notre châlet de che-ris.
— Et ton salaire de che-ri, chéri, complétai-je en levant les yeux au ciel.
— J'te prends sur mon prochain squeud, plaisanta Alpha.
J'étais partie faire les courses dans l'optique de faire passer le stress que je ressentais à l'idée de me retrouver dans la même maison que Deen et Ken pendant quatre jours. Ils avaient enterré la hache de guerre quelques semaines plus tôt, mais je craignais tout de même un nouvel esclandre entre eux. Évidemment, le simple fait de savoir que Deen venait me tendait, j'avais peur que les choses ne se passent pas naturellement entre nous, qu'il y ait une sorte de gêne ou de défiance. J'avais peur aussi que le fait de le voir me rappelle ce nous ne pourrions jamais vivre tous les deux.
— Concentre toi Minouche putain ! s'agaça Sneazz.
Je pris alors conscience qu'il me tendait des articles pour que je les mette dans le caddie que poussait Alpha.
— Désolée.
Il rigola en me frottant la tête et se remit à saisir dans les rayons, tout ce qu'il avait envie de manger.
Effectivement, passer du temps avec cet énergumène me changeait les idées. Le plus amusant, c'était surtout de voir Alpha s'exaspérer de Moh qui s'amusait à lui casser les pieds. C'était un duo assez comique.
— Elle est où Clem ? demandai-je, Ça fait vingt minutes qu'elle est partie chercher les boissons.
— Sais pas, répondit Alpha, on va partir à sa recherche, Nek va nous faire un AVC si on perd sa femme.
Moh éclata de rire, imaginant sans doute comme moi la tête de Ken si nous rentrions en lui annonçant tranquillement "on a perdu Clem".
— Déjà il doit être en galère tout seul avec Iris.
Techniquement, il n'était pas réellement tout seul avec Iris, Lucie était également sur place avec Naël et Idriss.
Finalement, nous retrouvâmes Clem qui hésitait depuis de longues minutes entre plusieurs alcools et soft. Après de longues tergiversations, deux caddies remplis à craquer et trois disputes entre Alpha et Sneazz, nous pûmes enfin passer en caisse et remplir le coffre de la voiture des Samaras.
— C'est quand même dingue que je sois la seule à avoir le permis ici, m'insurgeai-je en prenant place au volant, à trente ans faudrait peut-être y songer les gars.
— J'ai mon code ! plaida Clem en s'installant à côté de moi, Moh n'a même pas fait deux séances et il a laissé tomber.
L'intéressé protesta vivement devant l'attaque de son amie.
— Eeeh ! Alpha il est même pas INSCRIT !
Je levai les yeux au ciel, j'étais la plus jeune, j'allais avoir vingt-deux ans et j'avais mon permis depuis bientôt quatre ans. Impensable.
— Tu peux faire la belle, reprit Sneazz, en attendant t'as le permis mais t'as pas de quoi t'acheter une voiture ! Moi je pourrais en avoir quatre wola.
J'éclatai de rire, il était en pleine crise d'égo-trip. Ça lui arrivait parfois.
Souvent.
— Très utile effectivement, commenta Clem un sourire au lèvres.
Une quinzaine de minutes plus tard, en me garant dans le jardin enneigé, je remarquai l'arrivée d'une nouvelle voiture.
— Sisisi c'est Eff ! annonça Alpha.
Eff n'était assurément pas venu seul. Clem me jeta un regard inquiet qui confirma mon intuition et je fis comme si de rien était, gardant mon sourire et ma bonne humeur apparente. Mais dans mon corps, je sentais mes nerfs se tendre et mon estomac se nouer. Presque quatre mois sans se voir, je n'aurais pas dû ressentir ça.
On avait jamais été ensemble, quoi qu'ait été notre relation, elle n'avait duré que quelques mois et je ne comprenais pas pourquoi la perspective de revoir Deen me bouleversait autant.
Sans doute tous les évènements qui avaient accompagné cette histoire avaient largement contribué à la rendre plus importante qu'elle n'était.
— Vas leur dire de venir nous aider à vider le coffre, m'ordonna Sneazz.
Nouveau regard inquiet de Clem, elle me demandait silencieusement si je voulais qu'elle y aille à ma place. Mais je n'étais pas du genre à me défiler.
— Ça marche, j'arrive.
Ma main tremblait lorsqu'elle se posa sur la poignée de la porte du chalet. Prenant une grande inspiration, préparant mon plus beau sourire et mon air le plus naturel, j'ouvris avec détermination.
— Hého ! fis-je joyeusement, On aurait besoin d'aide pour vider la voiture !
Tous ceux présent dans le salon se retournèrent vers moi, Eff, Ivan, Camille, Lucie et Deen.
Je déglutis avec difficulté.
— Ah c'est vous qui êtes arrivés ! Parfait vous allez pouvoir nous aider, fis-je
Ma voix était un peu trop aiguë mais j'espérais que personne n'ait remarqué mon trouble.
Je m'approchai, toujours souriante du petit groupe et checkai Ivan et Eff avant de faire la bise à Camille. Face à Deen je ne sus vraiment quoi faire, son regard sur moi me faisait l'effet d'un lance-flamme et je fus soulagée qu'il me tende sa paume pour que je frappe dedans.
Contact physique prohibé, m'ordonnai-je à moi-même.
Après quelques amabilités échangées, ils me suivirent dehors où Sneaz râlait activement du temps que nous avions mis pour venir.
Il était très compliqué de rester naturelle en de pareilles conditions, mon coeur battait à tout rompre et j'avais les mains moites, je fuyais autant que possible les yeux de Deen, me demandant dans quel état lui-même se trouvait.
Pourtant lorsqu'un peu plus tard, il discutait tranquillement avec Jazzy et Alpha dans un canapé, je ne pus m'empêcher de le détailler durant de longues secondes. Il n'avait pas l'air d'aller trop mal, ses yeux étaient un peu cernés, mais on voyait qu'il était allé chez le coiffeur peu de temps auparavant. Les contours de sa barbe étaient nets et je me surpris à pousser un soupir en le voyant passer ses doigts de part et d'autres de sa mâchoire, comme il faisait toujours lorsqu'il réfléchissait. Les yeux fixés sur son visage, je retrouvais les traits que plusieurs mois auparavant, j'avais eu l'habitude de contempler de si près.
Je souris malgré moi en le voyant poser ses Timberland encore bien humides sur la table basse qui était devant lui.
— Chaussures !
La voix de Lucie me fit sursauter brusquement et je quittai aussitôt ma cible du regard, au même moment une pichenette me frappa la joue. Je me tournai vers Sneaz qui faisait danser ses sourcils, un sourire amusé sur les lèvres.
— Quoi ? lui demandai-je un peu sur la défensive, T'as un souci ?
Sans dire un mot, il me pointa du doigt, puis il forma un coeur avec ses mains avant de diriger son index vers Deen.
Je levai les yeux au ciel en secouant la tête, alors il se pencha vers moi pour me chuchoter une réplique phare de Scarface.
— The eyes, chica, they never lie.
— Ton accent est pourri, répondis-je en rougissant avant de m'éloigner de lui.
Tout le reste de l'après-midi, je tentais de faire comme si tout allait parfaitement bien, m'appliquant à éviter la cuisine où Deen, 2zer et Clem préparaient le dîner du réveillon. Je décidai de passer le plus clair de mon temps avec les enfants et Ken, qui lui aussi semblait vouloir fuir la cuisine.
Les choses avait été assez tendues entre nous pendant quelques temps, mais depuis un mois je retrouvais peu à peu ma complicité avec lui.
Il n'y avait qu'une règle, ne plus jamais parler de ce qu'il s'était passé.
— Naël est vraiment de plus en plus beau, c'est dingue, fis-je en caressant les boucles brunes de l'enfant assis sur mes genoux, Iris doit être folle de lui.
Ken eut un petit rire et pointa son index d'un air faussement menaçant vers lui.
— Tu touches à ma fille, je te casse les deux bras.
— Ken ! Non mais ça va pas ? s'insurgea Lucie qui passait et n'avait pas entendu le reste de la conversation.
Il adressa une moue angélique à la jeune maman qui leva les yeux au ciel, quand elle fut partie il se tourna de nouveau devant l'enfant et lui jeta de nouveau un regard avertisseur. Naël se contenta de lui sourire en tentant d'attraper la visière de sa casquette.
Pauvre Iris, elle avait pas fini de se battre contre son père.
— Violette ! Tu peux venir nous aider s'il te plaît ? m'appella Clem depuis la cuisine.
Poussant un soupir, je déposai Naël à ma place sur le canapé et rejoignis les trois cuisiniers du jour.
— Ça sent bon ! fis-je en entant dans la pièce, Qu'est-ce que je peux faire ?
— La salade de fruit, s'il te plaît, me demanda Théo en me désignant une quantité inimaginable de fruits à éplucher et couper.
On était plus d'une quinzaine dans cette maison, mais c'était sur moi que la pire corvée tombait. C'était vraiment nul d'être la plus jeune. Pourtant je feignis de n'avoir aucun problème avec cette tâche et m'empressai de me mettre au travail.
Deen était dos à moi, s'appliquant à faire revenir des oignons dans une poêle, la discussion tournait autour des cadeaux que nous avions prévu d'offrir le soir même. Chacun ayant pioché le nom de l'un des membres du groupe. J'avais la chance d'être tombée sur Idriss, sachant l'amour qu'il portait à son fils. J'avais mis mes compétence en dessin à disposition et avait reproduit une photo du rappeur et de Naël à qui il apprenait à former le S avec ses doigts.
J'avais vraiment hâte de voir sa tête lorsque j'allais lui offrir, étant honnêtement assez satisfaite de moi.
Je m'appliquai à prendre part à la discussion avec le plus de légèreté possible en plaisantant avec 2zer.
— Je vais t'aider.
Relevant les yeux, je me rendis compte que Deen n'était plus en face de moi, il tira une chaise pour s'installer à mes côtés.
— T'épluches, je découpe ? me demanda-t-il.
— Parfait, répondis-je m'efforçant d'avoir l'air détachée et détendue.
Les discussions reprirent, Maya nous rejoignit et nous partagea les détails de ses six heures de route avec son mari, j'étais dans un état étrange. D'une part je voulais garder la face par rapport à Deen, montrer aux autres qu'il n'y avait plus d'ambiguïté entre nous et d'une autre, je ne pouvais empêcher mon rythme cardiaque de s'accélérer lorsque sa main frôlait la mienne ou que mon regard croisait le sien.
J'étais redevenue une adolescente.
Durant le repas, j'étais suffisamment loin de lui pour réussir à me concentrer sur la nourriture et ce que me racontait Sneazz. Maya et Hakim nous annoncèrent de façon très particulière que la jeune femme était enceinte, de jumeaux. Je n'en revenais pas, ayant déjà du mal à les imaginer avec un enfant. La famille s'agrandissait, tout le monde était pratiquement en couple, marié ou sur le point de le faire.
Jetant un regard à Deen qui discutait avec Maya, je me fis la réflexion que lui aussi finirait par se poser. Je savais qu'il avait envie d'avoir des enfants, d'ici peu de temps.
Encore une raison qui aurait fait que tôt ou tard cela n'aurait pas pu fonctionner entre nous. La différence d'âge n'était en soi pas un problème, mais elle pouvait le devenir au moment de faire des projets.
Deen avait déjà vécu tout ce qu'il avait à vivre de sa jeunesse, il avait fait le tour du monde, fait la fête, accompli ses rêves, acquis une situation stable, il pouvait largement devenir père. Mais moi, j'étais encore en plein dans mes études, je ne connaissais rien de la vie, j'étais si inexpérimentée. Tôt ou tard nous aurions dû nous poser les vraies questions et serions arrivés à cette conclusion : il perdait son temps avec moi.
— The eyes, chica, they never lie.
Je présentai mon majeur à SNZ et déconnectai mon regard du rappeur qui riait maintenant à une réflexion de la future maman à l'autre bout de la table.
Quelques heures plus tard, vint le moment de la distribution des cadeaux, je retins mon souffle lorsque je vis Ken tendre son cadeau à Deen. Mon Dieu c'était vraiment tombé sur eux ?
Deen découvrit une grande photo à l'argentique dans un cadre noir. Pris sur le tournage du clip de Tu rêves, le cliché était juste magnifique, les deux rappeurs ne posaient pas. Ils discutaient au milieu du plateau, le bras de Deen sur l'épaule de Ken. Bien qu'ils soient de dos et qu'on ne puisse voir que le profil de leur visage, on pouvait sentir l'affection et la fraternité qui les unissait.
Et là ils étaient juste tellement gênés, l'un face à l'autre, tentant de se donner une accolade maladroite. Je les aimais tellement.
Sentant mes yeux un peu humides, je tentai rapidement de me remettre à sourire pendant que Deen récupérait son cadeau sous le sapin.
Mais ma reprise de contenance fut de courte durée.
Car Deen se dirigea vers moi, un petit paquet rectangulaire dans les mains.
— Tiens, fit-il, j'ai pioché ton nom, Joyeux Noël.
Mon coeur battait à tout rompre tandis que je détachai délicatement les morceaux de scotch qui retenaient le papier cadeau. Son regard me brulait tellement que je sentais mes joues s'enflammer sous ses yeux. Je découvris un écrin rouge bordé d'un liseré doré, je connaissais trop bien cette boîte.
Impossible de continuer, je relevai des yeux paniqués vers lui.
— C'est pas aussi fou que tu crois, murmura-t-il, ouvre, avant de me dire que j'aurais pas dû.
Sentant toute l'attention du groupe braquée sur nous, j'obéis au rappeur, les mains tremblante et le pouls en déroute.
La marque était inscrite à l'intérieur du rabat, juste au dessus de la montre, cette même montre que m'avait offerte mon grand-père tant d'années plus tôt.
— Deen...
— J'ai fait changer le bracelet, elle... elle devrait t'aller.
Ce fut alors que je compris. Deen venait, avec cette simple phrase, de multiplier la valeur du cadeau par l'infini.
Il ne m'avait pas acheté une nouvelle montre Cartier.
Il m'offrait la sienne.
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