Chapitre 36. Chaos
— Je le rappellerai plus tard, répondis-je en m'efforçant de garder mon calme, Je dois te parler d'abord.
Mathieu avait l'air totalement impassible, j'ignorai ce que Ken lui avait dit et avant toute chose, il fallait qu'on s'explique tous les deux.
— Moi j'ai pas envie d'te parler.
Il me flanqua son portable dans la main et me tourna le dos pour rentrer dans la maison. J'avais pas besoin de mettre le téléphone contre mon oreille pour entendre Ken gueuler à l'autre bout du fil.
— Math... S'il te plaît.
Mais il m'ignora et bientôt je ne l'aperçus même plus, je commençais à avoir envie de pleurer.
— Ken, fis-je dans le téléphone, tu tombes mal.
Sans blague.
— Ah ouais ? Tu trouves ? Moi je trouve que je tombe plutôt bien justement.
Je connaissais cette voix, c'était quand il se forçait à rester calme alors que tous ses muscles étaient tendus et qu'il mourrait d'envie de casser tout ce qui l'entourait.
— Qu'est-ce que tu veux ? demandai-je.
Respire, Violette, réponds posément, comme s'il n'y avait rien de grave, m'intimai-je à moi-même.
— Ce que je veux ? Tu te fous de ma gueule j'espère ? Putain de merde, on est posés avec les gars, on se dit "tiens l'album du Bigo est sorti, on va le mettre dans le tour bus au calme". Je sais pas si t'imagines ma tête quand Codéine s'est lancée ! On a tous compris, y en a pas un seul qui a un doute ! Alors putain, donne moi très vite ta version des faits avant que je fasse un aller retour sur Paname pour fumer Deen.
Je déglutis difficilement, il fallait que je rentre à Paris de toute urgence. Non mais qu'est-ce qui avait bien pu passer par la tête de Deen ? C'était pas une chanson, c'était une déclaration de guerre.
— Euh ben... On a passé du temps ensemble il y a quelques mois. Mais ça voulait pas dire grand chose.
— Vous avez passé du temps ensemble ? Il a 15 ans de plus que toi, c'est censé être mon reuf, et vous avez passé du temps ensemble ? Mais putain qu'est-ce qui tourne par rond chez toi ? Je vais le tuer je te jure, déjà il parle de ma femme, ensuite j'apprends qu'il a osé te foutre dans son pieu. C'est fini, c'est un traître, y a même plus matière à discussion.
Derrière lui la voix de Mékra marmonna quelque chose, je savais très bien ce qu'il pensait "Deen est un abruti fini". Cette affaire s'était tassée, c'était pas la peine de faire un morceau pareil.
— Écoute Ken, répondis-je en tentant de faire preuve de sang-froid, ce qu'il s'est passé ne te regarde en aucune façon. Nous étions deux adultes consentants, toi et moi n'avons aucun lien de parenté, et quand bien même, tu n'as pas à émettre d'avis sur mes relations, particulièrement mes relations passées. Maintenant je vais raccrocher parce que de toute évidence tu n'es pas prêt à discuter. Je te remercie pour ton appel, j'avais bien besoin que tu me réconfortes, t'es toujours là pour moi dans les moments difficiles et ça fait plaisir.
— Violette ! Je t'interdis de...
Mais je lui raccrochai au nez, la dernière chose dont j'avais besoin ce soir, c'était de me faire engueuler par un pseudo grand-frère en crise d'hystérie.
Mathieu maintenant, c'était le plus urgent.
Je me précipitai dans les escaliers pour remonter dans la chambre et tenter d'avoir une discussion posée avec mon copain. Allongé sur le lit, il dormait, ou du moins simulait un profond sommeil.
— Math... fis-je en m'asseyant à ses côtés, J'ai besoin de te parler...
Il se tourna dos à moi en grognant.
— T'as qu'à aller parler avec Deen, apparemment vous vous connaissez bien.
Je poussai un soupir, Ken était vraiment un parfait crétin quand il s'y mettait.
— Je veux savoir ce que t'a dit Ken exactement, s'il te plaît.
Mathieu se redressa brusquement, je lus aussitôt dans son regard qu'il était blessé.
— Je décroche, il me dit "passe moi Violette" pas bonjour, rien. Je lui dis que t'es sortie écouter le squeud de Deen et qu'il a qu'a t'appeler directement. Et là il me fait "Putain passe la moi, il se l'est faite ce traître". Du coup j'ai capté direct pourquoi t'étais si pressée de l'écouter. J'espère que t'as kiffé le son. Maintenant, juste, me parle pas.
Il se retourna une bonne fois pour toute et je compris qu'il n'avait plus l'intention de m'adresser la parole. J'avais tenu jusqu'à présent sans verser de larme et je n'allais pas craquer
J'avais envie de maudire Deen sur trente générations, de le frapper, de l'insulter, je lui en voulais comme jamais. Pourtant j'avais déjà envie de réécouter Codéine, pour le haïr encore plus et ne jamais l'oublier.
— Je savais pas qu'il allait faire ça Math, murmurai-je, On s'est fréquentés pendant quelques mois, ça voulait rien dire. C'est du passé.
— Si ça voulait rien dire, tu m'en aurais parlé.
Poussant un soupir, je me résignai à ne pas avoir de discussion cette nuit avec lui. De toute évidence il avait besoin de digérer la nouvelle. J'étais réellement attachée à Mathieu et avais peur de le perdre pour un mensonge idiot.
Mon Dieu, je me retrouvais dans la même situation que Deen quelques mois plus tôt. Sauf que moi, je l'avais quitté parce que je tombais amoureuse de lui et ne pouvais envisager quelque chose de sérieux avec quelqu'un qui en aimait une autre. Et quatre mois plus tard, alors que je commençais enfin à laisser derrière moi toute cette histoire, il me balançait ce que j'aurais rêvé d'entendre au moment opportun. Et ça c'était dégueulasse.
Sentant une colère sombre me contracter l'estomac, je m'empressai de prendre un billet de train pour le lendemain, s'il y avait quelqu'un avec qui je devais régler cette histoire avant que tout le monde ne s'en mêle, c'était Deen.
Et puis s'il pensait que j'allais me jeter dans ses bras, il se trompait totalement. Comme le disaient très bien Ken et Idriss, "La vie c'est pas un film kho".
Je ne dormis pas de la nuit, me préparant mentalement à déverser sur lui ma colère et mon ressentiment.
Dans son sommeil, Mathieu parut oublier qu'il était furieux contre moi, car bien vite il se retourna pour poser sa tête sur mon thorax et entourer ma taille. Je fermai les yeux en m'efforçant de conserver l'image de ce comportement un peu enfantin. Il serait bien moins doux en se réveillant.
Et effectivement, quand il ouvrit les yeux, après un bref temps de réaction, il chassa ma main qui caressait doucement son épaule et s'éloigna de moi sans rien dire.
Je l'observai se lever, la mine sombre et le regard amère, il partit à la salle de bain, revint une quinzaine de minutes plus tard pour préparer ses affaires.
— Tu comptes m'ignorer combien de temps ? demandai-je.
Il haussa les épaules sans répondre, tout en refermant son sac. J'avais horreur des bouderies, ça faisait perdre un temps fou. Je préférais largement une bonne dispute.
— Tu vas me quitter ? tentai-je.
Mathieu releva alors les yeux vers moi, l'air un peu dédaigneux, j'avais l'impression qu'il me voyait comme l'une de ses groupies envahissantes.
— Je sais pas, fit-il finalement, J'ai besoin de réfléchir. On se voit à Paris.
Oh super, très mature comme comportement. Il était beaucoup trop orgueilleux et je savais très bien que ce qui le dérangeait dans cette affaire, c'était pas tellement que j'aie eu une brève histoire avec Deen, c'était que ce dernier ait sorti un morceau qui parlait de sa meuf.
Sauf que ça j'y étais pour rien et c'était vraiment puéril de réagir de cette façon. Je décidai d'être plus mature que lui et de ne pas réagir en petite fille naïve qui le supplie de lui pardonner. Même si au fond, c'était ce que j'avais envie de faire.
— Très bien, mais si tu crois que tu peux me faire poireauter le temps qu'il te semble, te taper toute la terre entre temps, et revenir comme une fleur quand tu auras digéré, tu te trompes.
Il me foudroya du regard.
— T'es pas trop en mesure de me foutre des ultimatums, lâcha-t-il.
Non clairement, mais parfois c'était la meilleure chose à faire pour que les gens réagissent.
— Et toi t'es pas en mesure de me prendre pour acquise.
Mathieu chargea son sac sur son épaule, et me considéra avec colère, je jouais un personnage en ayant l'air sûre de moi de cette façon. Mais je savais que c'était la meilleure manière de ne pas le perdre.
— On se voit à Paname, répéta-t-il en pianotant sur son téléphone pour commander un taxi.
Il commença à amorcer un départ, mais je le retins par le poignet.
— T'es au courant que si l'un de nous meurt, l'autre regrettera toute sa vie de s'être quittés fâchés, lui dis-je.
— Espérons que ce soit moi qui crève alors.
Je voyais très bien qu'il faisait le bonhomme mais qu'au fond, il avait envie de craquer. Mais Mathieu était beaucoup trop fier pour l'admettre, il se dégagea de mon étreinte et quitta la maison.
Si Deen était doué pour masquer ses sentiments, Math le surpassait de loin, il pouvait à la fois être très "canard" quand tout allait bien et devenir un mur de glace quand il devait se protéger. Ça devait être un truc de Polak, Maya était assez comme ça aussi.
Laissant échapper un profond soupir, je me mis à mon tour à préparer mes affaires, il fallait que je demande à ma mère de m'emmener à la gare. Elle fut surprise de me voir rentrer aussi tôt alors que j'avais prévu de remonter quelques jours plus tard.
— Problème urgent à régler à Paris, expliquai-je.
Elle me demanda si c'était en rapport avec Mathieu, je lui répondis que non.
Je finis par rallumer mon portable dans le train et de nouveaux messages vinrent s'ajouter à la quantité déjà reçue la veille. Entre tous les "rappelle moi", "décroche" et autres ordres provenant de Ken, je réussis à lire celui que Mathieu venait de m'envoyer.
Math : Je veux pas te quitter. Mais j'vais lui niqué sa race.
Pour une fois, son orthographe aléatoire ne me fit pas sourire, même si j'étais soulagée qu'il me reparle, je n'avais aucune envie d'être la cause d'une baston générale.
Moi : Attends qu'on ait pris le temps de discuter avant de faire le voyou, s'il te plaît.
Il ne répondit plus et je sentis le stress monter à mesure que le train approchait de Paris. J'avais peur de me retrouver face à Deen. Parce qu'un mois plus tôt, au mariage d'Hakim et Maya, il m'avait remballée violemment, parce qu'il m'avait écrit ces mots tellement uniques, parce que j'étais terrifiée à l'idée qu'en le revoyant, mes sentiments me reviennent de plein fouet.
Mais un petit tour sur twitter me glaça le sang, entre les titres putes à clic "Deen Burbigo révèle un amour secret, découvrez le nom de celle qui fait battre son coeur" "Entre amour interdit et crise de la trentaine, ce que nous avons pensé du dernier album de Deen Burbigo", et les tweets genre "À votre avis la meuf de Codéine elle s'appelle vraiment Violette ?", "Mais Violette c'est pas la meuf de PLK ?", "Omg j'ai trouvé le Insta de Violette, la go du son de Deen, elle connait tout l'entourage cette pute". J'étais à peu près habituée aux insultes depuis que Mathieu avait posté une photo de moi sur Instagram, mais là c'était clairement un déferlement de haine.
Cela ranima aussitôt ma rancune à l'égard de Deen. Le fait qu'il ait mis mon prénom m'exposait, qu'il le veuille ou non, à un lynchage public. Je supprimai aussitôt l'application de mon téléphone, ne voulant pas en lire davantage.
Ce fut remontée à bloc qu'après avoir déposé mes affaires chez Clem, je m'engouffrai dans le RER B.
Il faisait une chaleur étouffante à Aubervilliers, pourtant ma main tremblait de stress et de colère lorsque je sonnai chez Deen, priant pour qu'il soit chez lui et qu'on enterre cette histoire une bonne fois pour toutes.
La porte s'ouvrit sur Maxime qui perdit son sourire en me voyant.
— Ok, alors ce que je propose, fit-il avant même de me dire bonjour, c'est que toi et moi on échange de place. Attends deux secondes.
Il disparut un instant et réapparut avec sa sacoche autour du torse.
— Amusez vous bien.
Je compris alors qu'il préférait fuir l'appartement, c'était peut-être une bonne chose effectivement.
— Deen ? appelai-je en refermant la porte derrière moi.
Pas de réponse, je le vis alors allongé sur une sorte de transat, sur le balcon dont la baie vitrée était entrouverte. Eh bah, pour un mec qui venait de déclencher une guerre mondiale, il était plutôt serein.
Il ne me voyait pas et je le rejoignis sur le balcon, il ne portait qu'un short de jogging et bronzait tranquillement, les yeux clos sous ses lunettes de soleil.
— Comme un été à Auber, lâchai-je en reprenant l'une de ses phrases.
Deen sursauta brusquement en entendant ma voix et se redressa pour me faire face.
— Violette.
— Ouais, c'est bien mon prénom. Mais je crois que tu le sais.
Se passant la main sur la barbe, il me dévisagea pendant quelques secondes comme s'il essayait de jauger dans quel état d'esprit j'étais.
Ma main partit toute seule, je n'avais jamais frappé qui que ce soit, mais une impulsion soudaine venue de tout ce que j'avais intériorisé depuis la veille, la fit partir avec une force qui m'était inconnue en direction de son visage.
Mais la sienne se referma juste à temps sur mon poignet et il m'esquiva.
— T'as fait tout ce chemin pour venir m'en coller une ? murmura-t-il.
Un sanglot me submergea comme un raz de marée intérieur et les larmes franchirent la barrière de mes paupières avant que je n'aie eu le temps de les retenir.
— T'es vraiment le roi des cons, crachai-je.
Et bien vite mon visage brouillé se retrouva dans le creux de son épaule tandis que ses bras se refermaient autour de moi.
J'allais le repousser, vraiment, je le voulais. Je m'étais jurée de ne pas me laisser amadouer par ce genre d'attitude. Sa peau nue sous ma joue n'effaçait ni ma haine, ni ma colère, son menton piquant contre mon front ne chassait pas mon ressentiment. Mais dans ses bras, je retrouvais mes regrets pour une histoire qui n'avait jamais vraiment commencé et qui était restée désespérément inachevée.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top