Chapitre 30. La Vérité
Violette allait sortir du Zénith d'une minute à l'autre. Je savais qu'elle y travaillait ce soir là, parce que normalement, elle devait venir dormir chez moi.
J'attendais patiemment de voir sa frimousse d'enfant et son air mutin se pointer par la porte de service, lorsque j'aperçus non loin sur un banc, une coupe afro qui me disait vaguement quelque chose.
Lenny. Que faisait-il là celui-ci ?
La porte s'ouvrît sur Violette et Tom.
Lenny se leva.
Ils le rejoignirent sans me voir.
Ressaisis-toi Grand-père, me soufflai-je.
Avant qu'ils n'aient eu le temps de se checker j'arrivai derrière eux.
— Violette.
Les trois visages se retournèrent aussitôt vers moi avec stupeur.
— Deen.
Elle avait retrouvé sa dégaine de skateuse, sweat et jean déchiré au genou...
— Qu'est-ce que tu veux ? me fit Tom.
— Parler à Violette, je lui dois des explications. Elle a le droit de savoir, répondis-je calmement.
Lenny me fixait avec un air de défi, je sentais pas ce type, depuis le début.
— Je crois que t'en as assez fait, dégage, me dit-il.
Je l'ignorai et mon regard capta simplement celui de Violette.
— S'il te plaît, je veux pas me trouver des excuses ou chercher à te récupérer. Simplement te donner ma version des faits.
— Je t'ai donné l'occasion de le faire, Deen, t'as pas ouvert la bouche. Pourquoi je te donnerais une chance de t'expliquer maintenant ?
Tom grattait son menton faiblement barbu en me considérant étrangement, tandis que Lenny, lui, me foudroyait d'un regard genre « tu vois ? Elle veut pas te voir ».
— Je sais que j'ai eu tort de te laisser partir comme ça, je m'en suis voulu directement. Mais... putain je suis pas du genre à courir après les meufs et je suis là ce soir alors s'il te plaît laisse moi te parler.
Lenny ricana.
— Oh félicitations, quel effort surhumain de t'abaisser à venir lui donner des explications ce soir alors qu'hier tu...
— Toi ferme ta gueule, c'est à Violette que je parle. Elle est capable de me remballer toute seule si elle le souhaite.
Tom lui adressa un signe de tête que je vis comme un acquiescement, j'avais vraiment de l'estime pour ce gars. Dans d'autres circonstances on aurait peut-être pu bien s'entendre.
— Deen... Je crois pas que ce soit une bonne idée, murmura Violette, j'ai besoin de digérer et j'ai pas trop envie de te voir pour l'instant.
De façon générale, j'avais horreur de supplier, mais alors devant deux mecs plus jeunes que moi qui étaient en position de force, c'était l'humiliation totale.
— S'il te plaît... tentai-je une dernière fois.
— Elle t'a dit non, m'assena Lenny, allez Vio, on s'en va, toi dégage.
Garder mon calme devenait vraiment compliqué mais la dernière chose que je voulais, c'était bloquer Violette en me mettant en colère. Alors calmement mais d'une vois glaciale et coupante, je répondis au skateur.
— Et moi, je t'ai dit de la fermer.
Lenny se planta entre Violette et moi, il me mettait facile cinq ou six centimètres, mais j'étais bien plus costaud. Pas très impressionnant.
— Dégage, répéta-t-il, ou je t'en colle une.
— Lenny non ! protesta soudainement Violette.
Elle amorça un mouvement pour le retenir mais Tom la saisit par le bras tout en tentant de calmer son pote.
— Mec c'est bon.
Je restai calme pour ma part, gardant les mains dans les poches, sachant très bien que Violette avait horreur de la violence.
— Arrête de faire le justicier alors que t'es le premier à jouer avec elle, dis-je simplement.
À peine avais-je fini ma phrase que je reçus son poing en pleine mâchoire.
— Non !! s'écria Violette.
S'il savait qu'il venait de me rendre service.
La jeune femme se détacha de Tom et se précipita entre nous, retenant le bras de Lenny dont le poing manqua de m'atteindre de nouveau.
— Ça suffit ! dit-elle, Deen allons parler si c'est la seule chose que tu veux. Lenny rentre chez toi.
— Mais, tu devais dormir à l'appart ! protesta-t-il.
Ah le con, il perdait pas le nord.
— Clairement j'en ai plus envie. Allez vous en, tous les deux. Je me débrouillerai pour rentrer, ordonna-t-elle.
Lenny essaya de discuter mais Violette fut ferme et Tom l'appuya. Elle enlaça brièvement ce dernier qui lui ordonna de faire attention à elle.
— Merci, dis-je simplement en me frottant la joue.
— Te méprends pas Deen. Tu l'as pas volée celle-là. Mais j'aurais préféré te frapper moi-même. Ce stupide Lenny veut toujours passer pour le mec bien...
Je savais pas trop quoi dire, ni où aller.
— Tu veux venir à l'appart pour discuter ?
— Sûrement pas, répondit-elle froidement, on a qu'à marcher.
Ça allait pas être facile putain. J'avais envie de voir son sourire, mais elle restait de marbre.
— Ok, concédai-je, tu veux marcher où ?
— Bah on a qu'à prendre la direction du Sud et puis quand t'auras fini de parler, je prendrai un bus, ça me rapprochera.
Sa voix était nette, claire, sans douceur, je n'avais pas l'habitude qu'elle me parle de cette façon.
— D'accord, je te raccompagnerai.
Elle s'apprêtait à discuter mais d'un signe de main, je lui fis comprendre que ce n'était pas la peine.
— Je t'écoute, fit-elle en se mettant en marche.
Par où commencer ? le début peut-être.
Un joint d'abord.
En l'allumant, mon regard se posa sur les pieds de Violette et les Nike que je lui avais offertes.
— Jolies pompes, soufflai-je.
— Deen.
Bien, il était grand temps de se lancer.
— Avant que Clem soit avec Ken, on va dire que j'ai un peu tenté mon coup. Elle me plaisait quoi. Mais bref, quand j'ai compris qu'y avait quelque chose entre eux j'ai lâché l'affaire directement. Ça n'a pas empêché qu'on se rapproche énormément, c'est devenue ma meilleure amie assez rapidement. Tu sais comment elle est, elle prend très vite sa place dans ta vie, t'as l'impression de la connaître depuis dix ans et tu peux plus te passer d'elle.
Violette hocha la tête, regardant fixement devant elle tandis que nous longions le canal Saint-Martin.
— Quand Nek et elle ont rompu, bah j'ai un peu été son doudou... Faut bien l'avouer. Elle était en manque d'affection, fragile et puis malade... Et j'ai craqué, je suis tombé amoureux. Mais j'ai jamais rien tenté, jamais. Je me suis fait des centaines de milliers de film, j'ai rêvé de voir Ken mort, je les ai détesté tous les deux, mais jamais de la vie j'aurais pu tenter quoi que ce soit. Sauf un soir.
Lorsqu'on avait plus rien à perdre, on pouvait livrer ses secrets les plus noirs. Violette allait tout savoir, ce que je n'avais jamais pu avouer a quiconque. Parce que maintenant, ça n'avait plus d'importance.
— Le mariage a été clairement le pire jour de toute ma vie, expliquai-je, Au milieu de la soirée, j'ai pété un câble et je suis sorti en faisant signe à Clem de me suivre. J'avais décidé de tenter le tout pour le tout. C'est tellement pathétique quand j'y repense, elle venait d'épouser l'homme de sa vie, elle savait qu'elle en était enceinte, et moi je pensais que si je la suppliais de partir avec moi, j'avais la moindre chance. Tu t'imagines pas dans quel état j'étais ce soir là. Je l'avais jamais autant haïe, jamais autant aimée.
Curieusement, aborder tout ça n'était plus si douloureux, peut-être qu'au fond je m'étais réellement fait une raison. Clem ne serait jamais mienne.
— Clem est jamais venue. À la place, y'a une espèce de gamine complètement bourrée avec une robe trop courte et un sourire ravageur qui s'est mise à me coller aux baskets.
Elle jeta un regard un peu embué vers moi, j'aimais pas l'idée de la faire pleurer.
— J'ai rien calculé, Violette. À aucun moment je me suis dit « tiens, si je me tapais la sœur de Clem pour me venger ». T'es juste arrivée comme une putain de dose de morphine au moment où je souffrais le plus. C'était ce que tu voulais non ? Me redonner le sourire. Au début tu m'as fait chier parce que je me complaisais dans cette douleur et ces rêveries malsaines. Mais tu t'es imposée et t'as bien fait, parce que tu m'as sorti de toute cette merde sans même le savoir.
Les lumières de la ville donnaient à sa peau claire des tons qui variaient au fur et à mesure de la marche, se mêlant aux expressions de son visage. Je l'avais rarement trouvée aussi belle. Pourtant il me manquait l'essentiel, son sourire.
— Je t'ai utilisée, c'est vrai. Mais pas comme tu le crois. T'étais pas ma vengeance, peut-être une espèce de revanche en mode « Tu vois Clem, je peux être heureux sans toi ». Mais j'ai pas calculé, mon objectif n'a jamais été de te faire du mal... Ou de la faire souffrir elle. Même si je t'avais prévenue, j'allais tout faire foirer. Je t'ai utilisée comme un médicament.
Et clairement... Je préférais sa douceur à ma douleur.
— Tu sais les médicaments... tu les prends quand t'as mal quelque part. Sauf que parfois, même quand t'as plus mal, t'as encore envie de l'effet qu'ils te procurent. Y'a une notice pourtant, qui t'indique qu'il y a des risques d'accoutumance.
Violette, comme la codéine.
Elle s'arrêta quelques secondes les yeux fixés sur le canal.
— Regarde moi, murmurai-je.
— Non.
Je savais pas quoi faire, ayant envie de la prendre dans mes bras, mais peur qu'elle me repousse.
— Tu sais ce que c'est le pire dans tout ça, Deen ? chuchota-t-elle.
— Non...
Elle se retourna vers moi, les yeux baissés .
— C'est que j'ai toujours envié à Clem son aura, sa façon de plaire à tout le monde, de se rendre attachante. J'ai toujours été un peu jalouse de la façon dont Ken la regarde, de leur couple qui traverse tout en devenant plus fort à chaque épreuve. Tu sais à quel point je me sens insignifiante pour les hommes... Et pour la première fois, avec toi j'avais l'impression que je plaisais à quelqu'un, c'était un peu ma revanche, à moi aussi. La gamine de service plaît à Deen, qui l'eut cru... J'étais un peu comme dans un rêve, j'arrivais pas à croire que toi, le mec qui rend ouf toutes les tainp de Paris, tu puisses t'intéresser à moi, alors que le crétin dont j'étais amoureuse s'en battais les couilles.
Elle marqua une pause et je m'apprêtai à la démentir, mais elle me fit signe qu'elle n'avait pas fini.
— Quand j'ai appris que t'étais amoureux de Clem. Je me suis dit « Mais quelle conne, évidemment ». Bah oui, évidemment, parce que Clem est exceptionnelle, elle est magnifique, elle est fragile... C'est une femme que les autres jalousent et dont les hommes envient le mari. C'est comme ça. Tu vois Deen, c'est ça le pire, c'est que j'en viens à la détester. Alors qu'elle a tout fait pour moi, qu'elle préférait se tuer plutôt que de me faire du mal.
Derrière nous, une bande de mecs un peu bourrés commençaient à gueuler en s'insultant, j'étais sous le choc des révélations de Violette, alors tout ce que je trouvai à répondre fut :
— Viens, on bouge de là.
Un silence pesant s'installa entre nous pendant que nous recommencions à marcher. Elle se roula une cigarette et je vis une larme s'échapper de son œil.
— Tu me plais vraiment Violette. Je serais pas là si c'était pas le cas.
— Sauf que je te crois plus. Si t'avais été honnête depuis le début... Pourquoi t'as rien dit Deen ?
Je ramais comme un malade, la partie n'était pas gagnée et je me sentais même sur le point de la perdre.
— Je crois que tu t'imagines pas à quel point j'avais honte de ce que je ressentais pour Clem. C'est putain d'humiliant d'être dans la friendzone à ce point. Et puis... Sois honnête, tu m'aurais juste méprisé.
— Tu sais ce qui est humiliant ? Croire que tu plais à quelqu'un alors que t'es juste là pour l'aider à oublier une autre. T'avais raison, j'étais trop naïve.
Pourquoi refusait-elle de comprendre ?
— Moi aussi tu m'as utilisé pour oublier Lenny au début, c'est pas comme si on s'était promis quoi que ce soit. On était pas ensemble... et puis à la fin...
Violette ferma les paupières sur une nouvelle larme.
— Oui, c'est vrai, tu as raison. Au fond au début je savais bien que c'était une femme qui t'avais rendu aussi aigri. Peut-être d'ailleurs que si ça n'avait pas été Clem... Mais Clem... Qui peut rivaliser... sûrement pas moi.
Je saisis brusquement sa main dans la mienne et attirai la jeune femme contre moi.
— Tu n'as pas idée du nombre de conneries sur toi que tu débites à la minute.
Ses yeux noirs rencontrèrent enfin les miens. Elle avait l'air pétrifiée.
— Violette je te l'ai dit cent fois, si quelqu'un n'est pas assez bien pour l'autre c'est moi. Tu peux m'envoyer chier parce que je suis un connard, parce que je t'ai fait du mal, parce que je te mérite pas, mais je te laisserai pas te détester.
Elle ne bougeait toujours pas, raide entre mes bras, seul son regard m'indiquait que me sentir si proche la faisait paniquer.
— Je suis en train de ramer comme un fou pour essayer de te récupérer, t'es carrément en position de force, alors je t'en supplie réalise qu'il n'y a aucune rivalité. Clem m'a juste fait du mal, encore maintenant, ça lui arrive de jouer avec moi sans s'en rendre compte. Elle est mariée, elle a un gosse, elle ne m'aimera jamais.
Je n'avais jamais exprimé ça à voix haute, on me l'avait dit des dizaines de fois. Mais je l'avais pourtant intégré assez récemment.
— Il n'y aucune rivalité, répétai-je en collant mon front sur le sien.
Violette ferma les yeux.
— Tu me promets de ne plus jamais me mentir ? murmura-t-elle les paupières closes.
Je sentis que mon cœur s'accélérait, ça sonnait comme le début de la victoire.
— Oui, je te promets, chuchotai-je.
Elle ouvrit les yeux et ses mains froides se posèrent sur mes joues.
— Alors réponds moi, est-ce que tu as encore des sentiments pour elle ?
Putain, j'étais coincé.
— Je... C'est plus compliqué que ça... Je ne l'aime plus comme avant c'est sûr, mais... Je sais pas.
Violette ferma de nouveau les yeux une demie seconde.
— Il y a un mois ou deux, murmura-t-elle, ça ne m'aurait pas dérangé de te partager. Mais... là c'est au dessus de mes forces. Tant que t'as pas vraiment fais le point Deen, tant que tu n'es pas sûr absolument de ne plus rien ressentir pour Clem. Je ne peux pas être avec toi.
Et je ne pouvais pas contredire ces derniers mots. Elle avait posé la question à laquelle moi-même je ne savais pas répondre.
Son pouce caressait ma joue et elle me fixait toujours, avec tendresse et tristesse à la fois.
Et puis elle m'embrassa, sans prévenir, légèrement, furtivement. Ses lèvres glacées par la nuit de mars firent danser les miennes une dernière fois.
Puis elle s'écarta de moi, et j'en voulais plus.
Mais elle me sourit.
— Je t'en supplie, ne te laisse plus détruire Deen.
Et elle partit en courant, me laissant désespérément seul.
J'avais un peu envie de pleurer, un peu envie de béger, un peu envie de mourir.
Et sur mes lèvres persistait le goût des siennes.
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