Chapitre 28. Retour en arrière

——Violette——

Deen Deen Deen Deen Deen Deen.
Mon cerveau chantait ce refrain toute la journée.

Trois mois que je le voyais en cachette, trois mois que j'avais la sensation d'être enfin une adulte, même s'il m'appelait « gamine » toute la journée, même s'il se moquait de ma naïveté.

Tom s'inquiétait, il disait que j'étais bien trop accro.

Mais Tom s'inquiétait toujours de tout.

Le plus dur c'était de ne pas perdre pied dans mes études. Parce que même s'il bossait dur, Deen disposait de son temps comme il l'entendait. Et il n'était pas rare que je reçoive un texto au beau milieu d'un après-midi de cours.

Heureusement, j'avais toujours mes babysitting pour Idriss et Lucie ou pour Ken et Clem qui me permettaient de bosser tout en gardant les petits.

J'arrivais à mettre un peu d'argent de côté et songeais sérieusement à prendre un studio.

Un soir de mars, Lucie et Idriss, qui sortaient voir un spectacle me confièrent la garde de Naël.

À peine le bébé au lit, je me posai pour travailler quand Deen m'appela.

— Oui Deenou, je peux pas te parler longtemps, j'ai masse de taff, fis-je en décrochant.

— Ah... Tu veux pas venir à l'appart ? Je devais voir Eff mais ce con a oublié l'anniversaire de sa meuf.

Je soupirai... évidemment que j'aurais voulu venir. Mais je gardais Naël et ses parents n'allaient pas rentrer avant au moins minuit.

— J'peux pas, je garde le mioche.

Deen poussa un grognement désapprobateur dans le téléphone et je ne pus m'empêcher de rire.

— Sérieux... on s'est pas vus de la semaine.

— C'est vrai. Mais c'est toi qui pouvais pas, t'étais en Allemagne.

Il était rentré la veille d'une semaine de travail en studio en Allemagne avec son frère.

— Demain ? demandai-je, Je bosse au Zénith, tu viens me chercher ?

— T'es pas prête pour ce que je vais te faire, répondit-il de sa voix la plus grave.

Un hoquet de surprise me coupa la parole et je me sentis rougir violemment. Deen était souvent très direct, mais même après trois mois, j'avais encore du mal à m'y faire.

— T'es vraiment un gros beauf, finis-je par répondre.

— À ton service, chérie.

Le ton arrogant de sa voix me fit lever les yeux au ciel. Je ne pouvais néanmoins nier que ses insinuations ne me laissait pas glaciale et que j'étais d'autant plus impatiente de le retrouver.

Pouvais-je lui avouer qu'il me manquait ?

C'était un peu le problème de cette relation où rien n'était défini, je ne savais jamais vraiment ce que je pouvais dire.

— T'as perdu ta langue ? demanda Deen face à mon silence.

— Non... J'ai hâte de te voir.

Je devinai son sourire satisfait lorsqu'il me répondit :

— Je n'en doute pas un seul instant.

Un peu déçue de n'avoir droit qu'à plus d'arrogance, je décidai de mettre fin à la conversation.

— Bon, allez à demain, je t'envoie un message une demie-heure avant la fin de mon service. Bisous.

Alors que j'éloignai mon téléphone de mon oreille, j'étendis le rappeur protester.

— Hé ! Attends !

— Quoi ? demandai-je avec une pointe d'agacement.

— J'ai hâte de te voir moi aussi, pas juste pour le sexe.

Aïe, mon cœur n'était pas censé fondre comme ça.

Alors que je raccrochais, la sonnerie de l'appartement retentit et je m'empressai de répondre à l'interphone.

— Ouais, c'est Sneazz, j'ai des trucs à déposer pour Lucie de la part de Clem. J'suis le pigeon voyageur zahma.

Je m'empressai de lui ouvrir et deux minutes plus tard il entrait dans l'appart en me checkant joyeusement.

— Ça va la mioche ?

J'acquiesçai et le déchargeai des sacs qu'il avait dans les bras pour les déposer dans la chambre d'Idriss et Lucie.

— Tu as mangé ? lui demandai-je en revenant.

— Non, tu me proposes quoi ?

J'ouvris le frigo pour en sortir un grand Tupperware.

— Y'a un gros reste de tajine, rassure toi c'est pas Lucie qui l'a fait, c'est la grand-mère de Fram.

— Tu sais me parler, dit-il en se laissant tomber sur une chaise.

Je fis donc réchauffer la nourriture et remplit deux assiettes tandis que Moh me partageait les dernières nouvelles de sa vie.

— Je t'avais parlé de Jasmine ? me demanda-t-il.

— Mmmh oui, vite fait, c'est la fille qui te plaisait mais que t'avais harcelée au collège ?

Il hocha la tête.

— Ouais. Clem m'a pas mal coaché et tout. Petit a petit j'arrive à gagner sa confiance. Mais putain elle est sauvage de ouf, genre pour l'instant j'ai eu un bisou sur la joue et c'est tout.

Je souris, c'était incroyable que Mohammed soit aussi persévérant. Il devait l'avoir salement dans la peau.

— Elle est jolie ? demandai-je tout en sachant très bien la réponse.

— Meuf, elle est tellement belle que parfois j'suis obligé de cligner des yeux.

J'éclatai de rire en posant une assiette pleine devant lui. Sneazz n'était jamais dans l'exagération, jamais.

— Plus belle que Selena Gomez ? fis-je en haussant les sourcils.

Il me regarda comme si j'étais complètement folle.

— Chuuut, Selena est hyper jalouse de Jas'.

Et après c'était moi la folle. Il sortit son portable de sa poche, pianota quelques secondes et me le tendis.

— Tiens, regarde.

— Ah oui, effectivement. Elle est très belle.

Ils finissaient tous avec des bombes, les uns après les autres.

— Tu crois que c'est la bonne ? demandai-je.

Sneazz hocha vigoureusement la tête comme s'il en était persuadé.

— J'ai juste intérêt à pas tout faire foirer, parce que c'est le genre de meuf, tu la trahis une fois et c'est fini. Ça va faire déjà un an que je galère...

J'étais vraiment contente pour lui, il méritait tout autant que les autres d'avoir une femme qui l'aime et l'estime à sa juste valeur.

— Bientôt vous serez tous casés c'est incroyable ça.

— Ouais, même le Bigo. J'crois qu'il a une meuf en ce moment. Tout le monde espère que cette fois il va enfin tourner la page Clem.

Quelle page Clem ?

Pour une raison inconnue, je sentis mon cœur dégringoler au fin fond de mon estomac.

— De... de quoi tu parles ?

Sneazz écarquilla les yeux, l'air sidéré.

— Attends, t'es pas au courant ? Ou alors tu fais comme tout le monde, zahma t'en sais rien alors que tu sais très bien ?

Voyant que j'avais vraiment l'air d'atterrir de la lune, le rappeur parut de plus en plus surpris.

— Bon si Mandarine te l'a pas dit c'est qu'elle voulait pas que tu le saches je suppose. Mais bon vu que tout le monde te surprotège dans ce groupe, ça m'étonne pas. Je vais t'expliquer, mais tu fais comme les autres, comme si de rien était, d'accord ?

Quelque chose me disait que j'allais avoir beaucoup de mal à faire comme si de rien était après ces révélations. Mon cœur battait beaucoup trop vite et je savais déjà que je n'allais pas en sortir indemne.

— En gros y a eu une période où Nek a fait le con de ouf avec Mandarine. Et pendant qu'il était au Japon, Deen et moi on traînait pas mal avec Clem. Et puis elle est tombée malade et elle s'appuyait énormément sur le Bigo. Sauf que cette quiche s'est pas rendue compte que lui il devenait complètement paro d'elle.

Oh putain. Voilà on y était.

— En gros ça fait trois ans qu'il bloque sur elle à mort, pendant un moment il voulait même plus la voir. Ça a foutu une mauvaise ambiance, parce qu'en plus Nek est au courant.

Je comprenais tout.

Deen malheureux au mariage.

Deen déprimé.

Deen s'intéressant subitement à moi.

Deen qui avait voulu mettre de la distance entre nous après avoir discuté avec Clem.

Deen qui m'avait sauté dessus quand j'avais dit que j'emmerdais Ken.

Mon Dieu, j'étais sa vengeance.

(...)

Il m'attendait, les mains dans les poches à la sortie du zénith.

Ne rien changer aux habitudes.

Deen me sourit lorsque j'arrivais à sa hauteur et ses mains se posèrent sur mes joues pour attirer mon visage contre ses lèvres.

— Salut toi, souffla-t-il, ça s'est bien passé ?

Je lui rendis son sourire et me blottis quelques secondes dans ses bras.

Autant profiter des quelques moments d'affection qui me restait, même s'ils étaient faux.

Même si désormais, il n'était plus le seul à mentir.

— C'était bien l'Allemagne ? demandai-je en montant dans le bus à sa suite.

Plusieurs mecs un peu chelous nous dévisageaient et je me collai à Deen qui entoura mes épaules en leur adressant un regard condescendant.

Je me sentais toujours en sécurité avec lui, ça ne changeait pas.

J'étais toujours bien, le nez contre son sweat, ses bras autour de moi, sa barbe qui me piquait le front.

Pourquoi arrêter ?

Parce que qu'il m'utilisait pour faire du mal à l'une des personnes que j'aimais le plus au monde.

Quelle idiote d'avoir pu penser que je pouvais réellement lui plaire.

— Tu m'as manqué, chuchota-t-il en déposant ses lèvres sur mon front.

Mensonges.

Je cachai mon visage, laissant son odeur emplir mes narines et tentant de retenir les larmes qui naissaient à la jonction de mes paupières.

Il fallait se rendre à l'évidence, je m'étais gravement attachée à lui.

— On est arrivés, murmura-t-il quelques minutes plus tard en me secouant un peu.

Je me détachai de lui mais il garda ma main dans la sienne pour m'entraîner hors du bus. Je le suivis jusque chez lui, avec l'impression d'être dans un cauchemar.

J'aurais aimé que ce soit ça, que la conversation avec Sneazz n'ait été qu'un rêve. Si seulement je pouvais me réveiller tranquillement face au visage endormi de Deen et ses cheveux en pétard.

Mais j'entrai dans l'appartement du rappeur et il me plaquait contre la porte pour m'embrasser, et je laissai ses lèvres jouer avec les miennes. Une dernière fois.

Mon haut passait par dessus ma tête, et Deen parcourrait mon cou et ma poitrine de baisers fiévreux et pendant quelques instants, je crus presque que c'était réel.

Mais la voix de Sneazz résonnait dans ma tête, couvrant les murmures de Deen à mon oreille.

« Ça fait trois ans qu'il bloque sur elle »

— Violette.

Le rappeur me fixait, l'air un peu inquiet, l'une de ses mains quitta ma hanche pour se poser sur ma joue, caressant du pouce la cicatrice qui la creusait.

— T'as l'air ailleurs, tu veux qu'on parle ?

Non.

Pas tout de suite.

Encore un peu de mensonge, il était bien plus agréable que la vérité.

Je secouai la tête et me raccrochai à son cou pour l'embrasser de nouveau et ses mains agrippèrent mes fesses pour me soulever et m'entraîner dans la chambre.

Oui j'avais tort de faire ça, mais j'avais besoin d'une dernière fois.

Allongée contre son torse, je savourais douloureusement ses caresses le long de ma colonne vertébrale.

— T'es belle.

Menteur, pensai-je en me sentant néanmoins rougir.

— Violette.

Je relevai les yeux vers son visage, il me contemplait avec une moue un peu attendrie.

J'aurais voulu qu'elle soit réelle.

— Oui ?

— J'ai réfléchis un peu... quand j'étais en Allemagne. Et euh... je sais pas trop ce qu'on est toi et moi... Mais on est bien non ? Peut-être qu'on pourrait dire que...

— Deen, le coupai-je subitement prise d'un élan de courage.

Il me jeta un regard interrogateur, pendant que je quittai le lit pour m'habiller.

— Comment tu vis le fait d'utiliser une fille de douze ans de moins que toi comme un instrument de vengeance contre sa grande sœur dont tu es fou amoureux ?

Il comprit aussitôt, je le lus dans son regard.

Je sentais la colère me gagner, pourtant Dieu savait que cela ne m'arrivait pas souvent de m'emporter.

— Violette, c'est pas...

Il n'ajouta rien, les mots semblant lui échapper soudainement. Je reconnaissais son expression, Naël avait la même quand je le surprenais en flagrant délit d'une énorme connerie. Il n'y avait aucun doute, je m'étais fait berner en beauté.

— T'es vraiment le plus gros égoïste que j'aie rencontré de ma vie Deen, faut pas s'étonner qu'à trente ans passé, t'aies toujours rien construit. Tout tourne autour de ta petite personne.

Il fronça les sourcils, comme si ma remarque l'agaçait. Mais il était très mal placé pour être agacé.

— Je croyais qu'on avait dit qu'on s'amusait et qu'on se prenait pas la tête, t'étais d'accord je te rappelle, murmura-t-il.

Alors là, c'était vraiment la pire excuse du siècle. Je sentais une rage inconnue me consumer les entrailles.

— T'es vraiment un grand malade, j'étais d'accord pour m'amuser, pas pour faire du mal à ma grande sœur, pas pour être un moyen de vengeance. J'arrive pas à croire que tout le monde était au courant sauf moi putain ! Tu passes ton temps à t'auto proclamer grand patriarche du L, à me traiter d'enfant naïve, mais toi t'es encore plus immature. Ce que t'as fait là, c'est tellement puéril que c'est à pleurer.

Son regard était vide, il semblait me fixer sans me voir, l'air perdu dans ses pensées.

De longues minutes passèrent, je me rendis compte qu'il me manquait déjà. Et ce malgré ma colère. Mais maintenant il n'y aurait plus de retour en arrière possible.

— T'as rien à dire ?

Deen ne répondit pas, comme s'il était parfaitement conscient que j'étais au courant de tout. Il n'avait même pas tenté de feindre, de nier, d'expliquer, il n'essayait même pas de me retenir.
Je le vis se lever et s'habiller sans rien dire.

— Deen.

Il se tourna vers moi, et ses yeux parcoururent mon visage et mon corps avec une lueur étrange. Du désir ? Sérieusement ? Il se foutait de ma gueule.

Mais je savais très bien que moi aussi, j'aurais pu me jeter sur lui à cet instant précis.

— Je vais chez Idriss et Lucie, pense à te faire soigner, sinon tu vas te retrouver tout seul et plus vite que tu le crois, crachai-je.

J'attendis une minute ou deux, espérant qu'il dise quelque chose, qu'il démente. Mais j'étais encore une fois beaucoup trop optimiste, le pensant tellement mieux que ce qu'il était.

J'avais cru voir naïvement en lui une belle personne qui se cachait derrière une fausse négativité. Mais non, c'était juste positivement un connard.

Devant son absence de réaction, je finis par partir, claquant la porte derrière moi. Les larmes franchirent alors la barrière de mes paupières et je les ignorais en me précipitant dans l'ascenseur.

Deen était un connard, et j'étais amoureuse de lui.

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