Chapitre 24. J'aurais pas dû
——Violette——
J'avais passé ma journée de cours avec un sourire complètement niais. Cette nuit chez Deen avait juste été géniale. Sous ses airs grognons et râleurs, il était quand même une personne adorable et passer du temps avec lui me faisait un bien fou. Le fait d'avoir été plus loin avec lui avait également débloqué quelque chose chez moi, je voyais moins la sexualité comme quelque chose de stressant. Alors bien sûr, je n'étais pas complètement à l'aise avec ça, il allait falloir du temps pour que je puisse vraiment me laisser aller et apprécier pleinement la chose, mais ça n'avait pas l'air de gêner Deen qui s'était appliqué à ne pas me brusquer. Il avait beaucoup d'expérience et curieusement, quand d'autres femmes auraient pu voir ça comme une pression supplémentaire, je trouvais plutôt ça rassurant. Et puis de toutes façons, s'il m'avait vraiment trouvée incompétente et qu'il n'avait pas apprécié le moment, il n'aurait pas voulu réitérer.
On allait bien voir où tout cela nous mènerait, une chose était sûre, ma mission "rendre Deen heureux" était loin d'être finie.
Le soir même, je claquai la porte de l'appartement de Lucie et Idriss derrière moi et grimaçai en me rendant compte que tout le S-Crew plus femmes et enfants étaient dans le salon.
Joie.
Fallait vraiment que je réfléchisse à une solution de logement.
— Coucou ! lançai-je joyeusement avec mon plus beau sourire, Je ne fais que passer j'ai beaucoup de travail.
Comme je m'apprêtai à m'enfermer aussitôt dans ma chambre, Ken m'interrompit sur le champ.
— Pas si vite Minouche, viens voir ici.
Argh, je n'allais pas m'en débarrasser facilement. Je fis demi-tour pour rejoindre le groupe, Clem porta sa main à sa bouche en fixant mon pansement sur la joue.
— Oh Vio... murmura-t-elle.
— T'as dormi où ? me demanda Idriss.
Tous les regards se fixèrent sur moi, particulièrement celui d'Hakim qui ne me donnait pas du tout envie de rire.
— Chez un pote.
Je voulais éviter de mentir, moins j'en disais, mieux ce serait.
— UN pote ? appuya Ken.
Maya le foudroya du regard, je m'efforçai de garder l'air le plus naturel possible.
— Oui, il va m'héberger les nuits où je bosse au Zénith, ce sera plus simple et moins dangereux.
Clem et Lucie eurent l'air rassurée, Hakim plissa les yeux, Ken fronça les sourcils et Idriss et 2zer semblaient perplexes.
— Quel pote ?
Je poussai un soupir, leur mentir me faisait horreur, ils ne me laissaient pas beaucoup le choix, mais je tentai d'esquiver la question.
— Ken, j'ai pas de comptes à te rendre.
Avant qu'il n'ait ouvert la bouche, Maya l'interrompit.
— C'est bon, on va pas rejouer la scène que vous nous avez fait chez Deen. Violette dort chez qui elle veut.
Les filles l'appuyèrent et j'en fus soulagée, mais quand je croisai le regard transparent de Maya, je sus aussitôt qu'elle avait parfaitement compris qui était "le pote".
— En parlant de Deen, fit Clem, j'avais pensé à lui demander si lui et Maxime pouvaient pas t'accueillir de temps en temps quand tu rentres tard.
Je faillis m'étouffer, d'autant plus lorsqu'Idriss acquiesça d'un "Ah oui" caractéristique.
— C'est pas une mauvaise idée, admit Ken, T'as l'air de bien t'entendre avec le Bigo.
Le malaise, le malaise, le malaise. Je ne savais pas comment me sortir de là, heureusement Hakim, qui me fixait avec insistance depuis le début, me sauva la mise.
— Auber ça craint. Je crois pas que Deen soit suffisamment déter pour aller la chercher après le taff.
Je commençais à en avoir assez que l'on discute de moi comme si je n'étais pas là. Lucie s'agaça de sa remarque :
— Sinon on peut aussi payer une nounou pour l'emmener et aller la chercher, non mais vous vous écoutez parler ? Elle a vingt ans ! Ça donne pas envie d'avoir des enfants avec vous de voir que vous surprotégez autant une jeune femme majeure, dotée d'un cerveau et d'un sens critique.
— Elle s'est fait agresser, répondit Idriss, Et trop tard, on a déjà un gosse je te signale, bébé.
Comme pour lui répondre, Naël pointa son doigt dans la direction de son père en lançant un joyeux "Baba".
— Oui mon fils, répondit-il, heureusement que je suis là pour rappeler ton existence à ta mère.
Il la défia du regard et Lucie éclata de rire, merci Naël de détourner l'attention, mon gars sûr.
— "Baba", commenta 2zer, Fais gaffe ton fils adoré te confond avec Cyril Hanouna.
Les deux rappeurs se chamaillèrent quelques minutes sous les rires des autres. Mais Ken ramena vite le sujet sur le tapis.
— Violette, il est hors de question que tu prennes à nouveau des risques irraisonnés, parce que là, c'était des brûlures, mais la prochaine fois ce sera peut-être bien pire. Putain y a des malades qui...
— Arrête Ken, le coupai-je froidement, J'en peux plus. Tu crois que je sais pas que la vie n'est pas le monde des bisounours ? Tu connais quasiment les moindres détails de mon enfance et de mon adolescence, on en a parlé des centaines de fois, arrête de faire comme si j'étais une oie blanche qui ne sais pas que le monde est dangereux. Je me suis très bien débrouillée sans toi, alors fous moi la paix !
Cette fois-ci je quittai la pièce, sentant sur moi le regard médusé de toute la famille. Je ne m'énervais pour ainsi dire jamais, et en l'espace de deux jours, je m'étais déjà rebellée deux fois contre Nek. Ça devait lui faire tout drôle.
Effectivement, à peine une demie heure plus tard alors que je travaillais au chaud dans mon lit, on toqua à ma porte et je vis la mine contrite du rappeur se faufiler par l'entrebâillement. Dieu merci je n'étais pas rancunière.
— Minouche...
— Si tu viens me faire la morale, tu peux repartir d'où tu viens.
Ken entra dans la pièce et referma la porte derrière lui, il s'assit sur mon lit tandis que je le toisai avec méfiance.
— Je suis désolé, j'ai été putain de lourd avec toi.
— C'est bien de le reconnaître, admis-je avec un sourire.
Il me le rendit et se laissa tomber sur le dos, à moitié allongé sur mes jambes.
— Effectivement t'es lourd, raillai-je.
— Je... J'ai pas toujours su protéger ma petite sœur, il lui est arrivé plein de merdes parce que j'étais pas là pour veiller sur elle. Je devrais pas reporter ça sur toi... mais quand j'ai appris que tu t'étais faite agresser ça m'a fait vriller
Du très grand Ken, en l'espace d'une phrase, j'étais passée de l'agacement à l'attendrissement. Je contemplai son profil net tandis qu'il fixait le plafond, il avait vraiment l'air épuisé ces derniers temps. Apparemment Iris leur faisait vivre des nuits épouvantables et il menait en plus de nouveaux projets, du cinéma, du rap, des sapes, il ne prenait jamais de repos.
— Ça va pas fort, pas vrai ? lui demandai-je.
Il tourna la tête vers moi, des cernes sous les yeux, les traits tirés, la barbe mal taillée, son visage ne mentait pas.
— Même trois ans de sommeil suffiraient pas à combler mon déficit, souffla-t-il, Je suis hyper heureux d'avoir Iris, vraiment, elle est magnifique, j'en reviens toujours pas qu'on ait fait un enfant aussi beau. Je veux pas que Clem se lève la nuit, elle s'en occupe toute la journée, elle est crevée aussi. Mais putain la petite nous laisse aucun répit. Je peux même pas profiter de ma femme parce que les rares moments où Iris dort, on est tellement morts qu'on s'endort après avoir échangé trois mots. C'est horrible parce que du coup, la journée, quand je suis au stud', je suis soulagé... Je tape des siestes d'une ou deux heures pendant que les gars enregistrent.
Pauvre Clem, pauvre Ken, c'était pas facile de gérer ça, surtout pour le premier enfant.
— Mais vous avez vu un médecin je suppose, enfin un bébé ne pleure pas sans raison...
— Oui, on a tout checké, elle est assez nourrie, elle n'a pas de problèmes de santé, c'est incompréhensible.
Pauvre Iris aussi, quelque chose devait lui faire du mal et personne ne réussissait à trouver ce que c'était.
— Vous pouvez pas la confier à vos parents de temps en temps ou à des amis ? histoire de pouvoir prendre du temps pour recharger vos batteries, l'interrogeai-je.
Ken me sourit affectueusement et poussa un soupir.
— On y pense... Mais on a peur d'avoir l'air d'abandonner notre bébé pendant deux jours parce qu'il nous casse les couilles. Et puis... C'est franchement pas un cadeau pour ceux qui vont s'en occuper.
Je levai les yeux au ciel, il n'y avait aucun mal à demander de l'aide quand on n'en pouvait plus.
— C'est idiot, Iris a besoin d'avoir des parents en forme, deux zombies pour s'occuper d'elle c'est flippant, tu m'étonnes qu'elle pleure. Faut que vous preniez une pause ou vous allez finir par regretter de l'avoir faite.
Ken ricana en se passant la main sur le visage, puis un violent bâillement lui échappa.
— C'est vrai qu'elle a un parrain et une marraine, ça serait pas mal qu'ils servent à quelque chose ces deux cons.
Hakim et Maya avec Iris sur les bras, je pouffai de rire en imaginant l'état de débordement intense du couple face à un tel phénomène.
— Je pourrais aussi vous la garder, de temps en temps, c'est ma nièce.
Un large sourire naquit sur les lèvres de Ken.
— C'est gentil Viovio, je suis désolé de te saouler avec tout ça. Je crois que j'avais besoin de vider mon sac.
Pour le coup, j'adorais qu'on se confie à moi, j'avais suffisamment de recul pour que ça ne me pèse pas sur les épaules et j'étais heureuse de pouvoir décharger un peu Ken de ses difficultés.
— Je préfère que tu vides ton sac plutôt que tu fasses le daron surprotecteur, lui indiquai-je.
— Je sais, vraiment je suis désolé. J'ai toujours un peu l'impression que t'es cette ado de seize piges, timide et blessée que Clem m'a ramenée sur le quai de la gare de Genève. Mais c'est vrai que t'as grandi et t'as pas besoin de moi.
À vrai dire, j'avais besoin de lui. Sa musique m'avait profondément aidé à persévérer lorsque j'étais ado et aujourd'hui, savoir qu'il était là pour moi me rassurait et me donnait de la force.
— Ken, c'est pas ça. Tu peux me protéger et me soutenir sans m'étouffer, en fait j'aimerais juste que tu me fasses confiance.
Je culpabilisai aussitôt d'avoir dit ça, je lui cachai un truc énormissime, clairement demander de la confiance était malvenu.
— Je vais arrêter de te casser les couilles, c'est promis.
Il se redressa et se tourna vers moi.
— Viens là, fit-il en m'ouvrant les bras.
Je me dégageai des couvertures pour le rejoindre, ces derniers temps j'avais un peu oublié à quel point j'adorais ce grand-frère tombé du ciel. Encore une fois je me sentis tiraillée, repensant à Deen et à la nuit que nous avions passé, parfois concilier sa famille et ses choix de vie était vraiment compliqué. Surtout cette famille qui ne reposait sur rien de vraiment concret, mais qui possédait tant de codes d'honneur et dont les membres étaient obsédés par la peur de la trahison.
— Tu sais, souffla Ken en posant son menton sur le sommet de mon crâne, si je suis chiant avec toi, c'est aussi à cause de mon métier. Je te dis pas le nombre d'histoires horribles que les meufs nous racontent en message privé ou quand on les rencontre. Comme elles sont touchées par nos sons, elles ont parfois tendance à penser qu'on est leur psy... Mais ça rend parano je te jure, je flippe pour ma fille, elle va devoir grandir dans ce monde de merde et je serai pas toujours là pour veiller sur elle.
Ça aurait été être idiote de ne pas comprendre son inquiétude.
— Tu sais ce que dirait Sneazz ? demandai-je en m'écartant de lui avec un sourire rassurant.
— Nan ?
— Ça sert à rien de s'inquiéter, y'a le Bon Dieu qui veille.
Ken me rendit mon sourire, je savais que son inquiétude était aussi due à sa fatigue qui l'empêchait de voir les choses du bon côté.
— Bon, après il aurait ajouté « Y'a quoi à graille, Mandarine ? ».
Le rappeur éclata de rire et au même moment, la voix de Fram nous interpella :
— Eh Goku et Goten, vous êtes réconciliés ? On peut passer à table ?
Je ris et après avoir déposé un baiser affectueux sur la joue de Ken pendant qu'il me frottait la tête, je le suivis dans le salon où une bonne dizaine de pizzas avaient miraculeusement apparu. Il y avait une place libre entre Clem et Idriss et je m'y installai. La jeune femme me prit par les épaules avant d'embrasser mon crâne et de me murmurer :
— Ça va mieux ?
Je lui répondis par un hochement de tête en saisissant une part de pizza.
— Tu sais, ça lui a fait du mal de se prendre la tête avec toi, tu comptes beaucoup pour lui.
— Je sais, on en a parlé tout va bien t'inquiète.
Autour de nous les discussions étaient bien plus légères, Lucie était en pleine conversation avec Maya qui tenait Naël sur ses genoux, ce dernier essayait sans succès d'attraper sa part de pizza. Haks débattait avec 2zer sur les chances du PSG en champion's league, tandis que Ken et Idriss commentaient la nourriture.
— Minouche, m'interpella Clem.
Je me tournai vers elle, son regard semblait un peu triste.
— Quoi ?
— Je... J'ai l'impression que tu t'éloignes de moi. Avant tu me confiais tout... Et depuis que t'es partie de chez nous...
Clem et sa peur de l'abandon, son besoin maladif d'être entourée et rassurée par les gens qu'elle aimait. Je la connaissais par cœur, je savais comment elle fonctionnait mais pour le coup j'avais vraiment manqué de délicatesse.
— Je suis désolée... J'étais assez prise ces derniers temps. Si tu veux je viens diner la semaine prochaine, un soir ou Ken n'est pas là et on se fait un film.
Son visage s'éclaira, je m'en voulais de ne pas lui avoir proposé plus tôt. Mon portable vibra dans ma poche et je le sortis, un sourire un peu adolescent étira mes lèvres en découvrant le message.
Deen : J'ai négocié avec Jehk, on sera tranquilles deux soirs par semaine. Si c'est toujours ce que tu veux.
Je lui répondis aussitôt, oubliant mon entourage.
Moi : Parfait, minuit jeudi devant le Zénith, bisous.
— Tu me parleras de ce « pote » dont les messages te font sourire comme une quiche, me taquina Clem avec un sourire narquois.
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