Chapitre 22. Leçon de vie

—— Violette ——

J'étais un peu stressée, j'avais pas osé contredire Hakim quand il m'avait demandé de venir avec eux, encore moins quand il m'avait ordonné de monter devant. J'aurais préféré être derrière avec Deen.

Ça faisait une heure qu'on tournait en rond dans le XIXe, j'avais l'impression d'être avec des flics en patrouille.

— Décris les, me demanda Maya, comme ça on cherche tous.

Je laissai échapper un soupir, de toutes façons ils ne lâcheraient pas l'affaire. Et puis je préférais le calme d'Hakim que la fébrilité de Ken.

— Euh, ils avaient pas plus de vingt ans je dirais. Celui qui m'a cramée, grand, brun avec une ébauche de barbe, genre imberbe qui veut forcer. Les cheveux long un peu gras, avec un vieux chignon à la PNL, il avait une doudoune Lacoste bleue marine et un jogging du PSG.

Maya ricana.

— Hakim, tu m'avais caché qu'Idriss et toi aviez un petit frère. Les cheveux longs et gras et le jogging du PSG, forcément un Akrour.

L'ancêtre éclata de rire et je pouffai à mon tour pendant qu'un « vas-y ta gueule » s'échappait des lèvres du rappeur.

— Ça dépend, enchérit Deen, est-ce qu'il avait un quelconque signe d'appartenance à une nation bien connue du Nord de l'Afrique ? Pendentif, maillot de football, drapeau peut-être ?

— J'vais vous hagar les deux, vous faites trop les ouf, grogna Haks.

Je gloussai et croisai dans le rétroviseur le regard de Deen, il m'adressa un petit sourire satisfait.

— Au moins on fait rire la gamine, dit-il sans me quitter des yeux.

Le silence se fit dans l'habitacle et je quittai deux minutes les rues du regard pour répondre à un message inquiet de Clem.

— Est-ce qu'il portait des grosses nikes moches ? demanda soudain Maya.

Hakim se retourna pour lui jeter un regard furieux.

— C'est fini oui ?

— Putain mais Haks je dis pas ça pour toi, regardez le type là bas, il ressemble à la description de Vio.

Je relevai les yeux.

C'était lui.

Hakim pila.

— Oui, soufflai-je simplement.

Il était avec les deux autres gars, assis sur des marches, une fille sur ses genoux.

— Ok, Maya t'y vas ? demanda le Kabyle.

Elle hocha la tête ouvrit la portière. Je ne comprenais pas pourquoi il envoyait sa meuf, enfin quand même ces types n'étaient pas des tendres.

Hakim redémarra pour se garer quelques mètres plus loin.

— Allez, tout le monde dehors, ordonna-t-il.

J'étais mal à l'aise et angoissée, en sortant de la voiture je me précipitai vers Deen. Il jeta un regard étrange à son pote et ce dernier soupira, l'air désabusé.

— Ça ira pour cette fois, grogna-t-il.

Deen lui sourit et entoura mes épaules, je me sentis un peu mieux.

Nous suivîmes Haks qui se dirigeait vers l'endroit où nous avions déposé Maya.

— Pourquoi tu l'as envoyée en premier ? demandai-je.

— Un mec qui s'attaque à des meufs mérite de se faire défoncer par une meuf. T'inquiète pas pour elle, c'est une vraie teigne.

J'aperçus alors le petit groupe, et la voix rauque de la danseuse atteignait déjà mes oreilles. Elle tenait le gars par son chignon ridicule et vu sa gueule, elle ne devait pas y aller de main morte.

— Tu vas faire quoi tête de con ? T'es pas capable de te défendre tout seul ? Faut que tes petits chiens t'aident ?

Elle le maintenait face à ses potes, je ne comprenais pas pourquoi ceux-ci n'agissaient pas.

Finalement la meuf qui était sur ses genoux quelques minutes plus tôt se jeta sur elle en criant et la saisit à son tour par les cheveux.

Le gars en profita alors pour lui adresser un coup de coude dans le ventre. Un petit cri m'échappa, d'autant plus lorsqu'il se retourna pour la plaquer contre un mur.

Mais alors que je pensais la jeune femme coincée, elle lui décocha une droite de l'espace en plein dans le nez et comme il portait ses mains à son visage, un coup de genoux lui arriva dans les parties génitales.

Hakim eut un sourire satisfait.

— C'est ma femme.

Mais il le perdit très vite, lorsqu'en même temps que moi, il aperçut un éclair brillant dans la main de l'un des types.

Une lame.

À peine avais-je eu le temps réaliser que c'était un couteau, qu'il avait parcouru les quelques mètres qui nous séparaient du groupe et avait foncé sur le gars.

Tout ce que je voulais éviter. J'étais paralysée et les larmes perlaient à mes yeux.

— Regarde pas chérie, je reste avec toi.

La voix dans mon oreille me rappela la présence de Deen et je me blottis contre lui.

— J'avais dis que je voulais pas de violence... soupirai-je.

— C'est pas eux qui sont violents, ils se défendent.

Je sentais ses doigts faire des petits cercles sur ma nuque, c'était apaisant, pendant quelques instants, le nez dans le sweat beige de Deen, j'oubliai où j'étais.

— C'est fini Minouche, chuchota-t-il.

Je me dégageai doucement de son étreinte, sans oser ouvrir les yeux.

— Y a quasiment pas de sang, juste un morceau de cerveau par terre, t'inquiète, plaisanta Deen.

Un sourire m'échappa et je lui donnai un coup dans les côtes avant de finir par oser regarder la scène.

Maya tenait la fille par les cheveux, cette dernière pleurait assise par terre en silence, lâchant des petites insultes de temps à autre. Hakim maîtrisait le gars qui m'avait brûlé, les deux autres avaient déguerpi.

— Deen, demanda-t-il, sors ton portable et filme s'te plaît, Violette viens voir.

Le rappeur obéit et me poussa doucement vers Mékra.

Je me rendis compte en m'approchant que le gars pleurait lui aussi. Haks le saisit par l'oreille.

— T'as pas quelque chose à dire ? grogna-t-il.

Il resta muet jusqu'à ce qu'un râle lui échappe quand le Kabyle fit tourner son oreille.

— J'suis désolé, j'suis désolé c'est bon ! fit finalement mon agresseur.

— J'ai rien entendu.

Hakim serra plus fort, j'étais mal pour lui, je ne devais pas, mais pourtant il me faisait pitié.

— T'as entendu quelque chose Deen ?

Un sourire amusé sur les lèvres, l'intéressé secoua la tête. Mékra resserra sa prise.

— Je suis désolé !!! Je m'excuse !!! hurla gars en articulant chaque mot.

— De quoi ? demanda Hakim.

Mon agresseur pleurait maintenant à chaudes larmes.

— De l'avoir rackettée, chouina-t-il, je savais pas c'était votre pote.

Mais Haks secoua la tête et fit claquer sa langue.

— C'est pas tout je crois. Excuse toi d'être une grosse baltringue qui a tellement pas de couilles qu'il s'attaque à des meufs.

Le gars ne dit rien alors Hakim empoigna son autre oreille.

— C'est bon, c'est bon j'vais le dire.

— J'attends, elle aussi, elle attend.

À vrai dire non, j'avais juste hâte que tout ça se finisse, j'avais envie de me remettre à pleurer. C'était trop violent.

— Je suis désolé d'être une baltringue qui a pas de couilles et qui s'attaque aux meufs, chuchota le type.

— Plus fort !

Mais cette fois je ne résistai pas et alors qu'Hakim tirait plus fort, je me mis à le supplier.

— Hakim arrête, s'il te plaît c'est bon...

— Tu vois, fit le rappeur, elle te défend. Sah t'es vraiment une merde. Si j'entends encore qu'y a heja avec toi, je te jure que c'est pas les oreilles que j't'arrache. Pense même pas à répliquer, on balancera direct la vidéo sur nos réseaux. Maintenant t'as intérêt à te faire oublier, parce que là t'as même pas 1% de l'équipe qu'on peut réunir pour te faire la misère. Allez dégage, emmène ta crasseuse avec toi, miskina elle fait moins la belle celle-là !

Hakim et Maya lâchèrent en même temps les deux gamins et je les observai partir en courant, l'estomac noué.

Deen rangea son portable et me ramena contre lui. Curieusement cette vengeance ne m'apportait aucune satisfaction, contrairement au jeune couple qui avait l'air ravi d'avoir rendu la justice.

— C'est pas que pour toi qu'ils l'ont fait, murmura Deen, maintenant il réfléchira à deux fois avant de s'attaquer à une meuf.

— Burb c'est bon tu peux arrêter de la peloter maintenant, grogna Hakim en arrivant à notre hauteur. Allez on s'arrache.

Je rougis un peu de sa remarque, mais il me fit un clin d'œil et je compris alors qu'il devait être au courant de toute l'histoire. J'ignorai comment, mais peu importait.

Malgré le regard sévère d'Hakim, je me glissai à côté de Deen à l'arrière de la voiture, quand il fut sur le point de protester, Maya me sauva la mise.

— Haks fous leur la paix, sinon je te préviens que je passerai derrière dans ta caisse jusqu'à la fin de tes jours.

Il soupira, l'air résigné.

— Tu te déplaceras à pieds surtout ouais, maugréa-t-Il.

Maya ricana en s'installant sur le siège passager.

— C'est ça, ouais, je suis terrifiée.

Deen leva les yeux au ciel, j'étais toujours mal à l'aise et décidai de changer de sujet.

— Hakim, l'interpellai-je.

— Ouais.

— Il est devenu quoi le couteau ?

Un large sourire naquit sur les lèvres du concerné, remplaçant sa moue contrariée.

— Maya, dit-il.

Elle sortir alors l'Opinel replié de sa poche et me le présenta fièrement.

— On déconne pas avec nous, fit-elle.

Ils m'emmenèrent ensuite chez le médecin qui me donna une ordonnance. J'appris néanmoins que j'avais de grands risques de garder à tout jamais une cicatrice sur la joue.

Devant ma mine contrariée, Maya qui était restée avec moi, releva son pull et me montra une énorme cicatrice qui barrait son abdomen.

— J'en ai trois comme ça, me fit-elle, c'est pas hyper classe, mais Haks dit que ça fait guerrière. Donc t'inquiète, les mecs kiffent quand on a un truc qui nous rend unique.

J'avais déjà un peu de mal à me trouver jolie et voyais déjà venir, après les « t'es super mignonne Viovio », les « Oh qu'est-ce que t'as à la joue ? ».

— Haks et moi on est au courant pour ce qui s'est passé avec Deen.

C'était bien ce que je pensais, je rougis violemment.

— Je déteste les gens qui se mêlent des histoires des autres, murmura-t-elle, y'a rien de plus insupportable. C'est pas moi qui vous embêterais avec ça. Mais fais attention, ne t'attaches pas trop vite et surtout, gardez ça pour vous. Nous on dira rien.

J'acquiesçai, je savais par Clem que Maya avait une sorte de phobie sentimentale. Si elle pouvait m'aider à m'endurcir et à me protéger un minimum, ce n'était pas plus mal.

— Comment on fait pour ne pas s'attacher ?

Elle me sourit et son regard se porta quelques secondes sur Hakim qui regardait la vidéo avec Deen un peu plus loin.

— Je vais te dire un secret, ne le répète surtout pas à Haks. La première fois qu'il s'est passé un truc entre lui et moi, j'ai compris qu'il était aussi fort que moi. Ces mecs là ont reçu une sorte de pouvoir vaudou, t'es obligée de finir par t'attacher. En revanche, il faut que tu leur laisse croire que tu peux partir à tout moment, qu'ils doivent se battre pour te garder. Sinon... ils te tiendront pour acquise et se lasseront bien trop vite. Leur vie entière est un challenge, c'est ce qui les fait vibrer, le dépassement de soi, la compétition. Faut que tu trouves leur point faible, le truc qui les fait craquer, qui fait qu'ils reviennent vers toi. Après ça, c'est plus que de l'entretien, des petites piqûres de rappel tu vois. Mais fais attention, parce que selon les cas, ça peut être de vrais connards et tu risques d'en baver pour arriver à ton objectif. Ne fais pas confiance trop vite.

À vrai dire, j'ignorais si je voulais vraiment quelque chose de sérieux avec Deen, il m'attirait, c'était un état de fait. Mais de là à dire que je voulais le rendre fou...

Hakim et Maya, Idriss et Lucie, Ken et Clémentine, Théo et Judith, c'était assez époustouflant comme chacun avait trouvé une femme qui le complétait pleinement. C'étaient elles qui menaient les choses au bout du compte. Ils avaient terriblement besoin d'elles pour conserver leur équilibre, pour se canaliser.

On avait souvent la sensation qu'ils les protégeaient, les rassuraient, etc, mais pour les fréquenter de plus en plus, je me rendais compte, que c'était finalement tout autant ces femmes incroyables qui protégeaient ces hommes maladroits de leurs travers.

Et elles étaient toutes si belles et naturelles, voire dans le cas de Maya et Judith, carrément élégantes.

Je n'avais ni l'aura de Clem, ni la force de Maya, ni le rayonnement de Lucie, ni la classe de Judith.

Moi j'étais juste la petite blonde, avec mon sourire pour seul atout.

Le sourire, seule monnaie d'échange au pays du silence.

Mon regard croisa celui de Deen et je me rendis compte que je n'avais certainement pas les moyens de le faire un jour tomber amoureux de moi. 

Mais j'avais ma joie, et je pouvais essayer de lui en donner un peu.

— Bon, on te ramène chez mon reuf, annonça Hakim, Deen c'est bon tu peux rentrer.

— À vrai dire, dis-je en m'efforçant de soutenir son regard sévère, j'ai des affaires à récupérer chez Deen. Rentrez, je me débrouillerai.

Il me détailla, visiblement pas dupe, mais Maya glissa sa main dans la sienne avant de prendre ma défense pour la millième fois.

— Haks, s'il te plaît, dit-elle simplement d'une voix douce que je ne lui connaissais pas.

Le concerné détourna la tête vers sa fiancée qui lui adressa un regard très étrange, relevant les paupières presque au ralenti.

Il poussa un juron, grogna quelque chose sur le fait que sa femme était une sorcière et finit par nous faire un signe de tête avant de l'entraîner vers la voiture.

— T'as compris ce qui vient de se passer ? demandai-je à Deen interloquée.

Il haussa les épaules.

— Je sais pas, cette nana est pas nette, je pense qu'elle doit effectivement avoir une sorcière dans ses ancêtres ou un truc dans le genre.

Deen ne me proposa même pas de venir chez lui, je le suivis presque par automatisme.

— Comment tu te sens ? me demanda-t-il en refermant la porte derrière nous.

Je me retournai alors vers lui, enfin décidée.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top