Chapitre 18. Plus de larmes

— Kenny, tu peux emmener Minouche manger quelque chose ? Elle a l'air toute faible.

Ken fronça les sourcils, Violette avait l'air de très bien se porter, mais devant le regard insistant de sa femme, le Grec saisit la gamine par le bras et l'entraîna hors de la chambre d'hôpital.

J'avais toujours les yeux fixés sur la minuscule petite fille endormie dans le berceau médical. Une sorte d'instinct assez étrange se réveillait en moi lorsque je contemplais cette crevette, une sorte de promesse que je voulais lui faire, je n'étais ni son parrain, ni son père et pourtant je me jurai de la protéger jusqu'à la fin de mes jours. Elle était comme sa mère, gracile et chevelue, ses tout petits poings fermés, elle dormait sans avoir conscience du monde un peu bizarre dans lequel elle venait d'atterrir.

— Deen...

La voix de Clem me sortit de ma contemplation, je détournais le regard vers son visage émacié. Elle me fit signe de m'assoir sur le lit et j'obéis sans réfléchir. Sa main glissa dans la mienne et elle pressa doucement ma paume.

— Je te demande pardon de t'avoir fait du mal, chuchota-t-elle, J'ai besoin que tu ailles bien... C'est pas pour me soulager moi même que je te dis ça, c'est parce que je t'aime vraiment et que savoir que tu souffres, que ce soit à cause de moi ou non, c'est un truc que je peux pas tolérer.

Pourquoi me disait-elle ça maintenant ? Elle venait d'accoucher, j'aurais dû être le cadet de ses soucis.

— On s'est pas revus depuis notre coup de fil, la dernière fois, souffla-t-elle, J'ai beaucoup réfléchi depuis et j'ai compris que je me devais de te demander pardon. Souvent j'ai cherché un réconfort auprès de toi en sachant que notre proximité te faisait du mal. C'est pas facile, parce qu'il y a pas un jour où je pense pas à toi... Tu sais comment je suis, j'ai trop besoin des gens que j'aime. Mais c'est égoïste...

— Chut Clem.

Je jouais maladroitement avec ses doigts fins toujours dans ma paume, ça me faisait du bien de l'entendre reconnaître qu'elle avait parfois manqué de délicatesse, mais elle pouvait pas me demander pardon de ne pas m'aimer comme moi je l'avais aimée. Personne n'y pouvait rien, bad timing.

— Ken a remarqué que ces derniers temps t'avais changé d'attitude avec lui, je m'en veux, votre amitié vaut bien plus que toute cette merde Deen. C'est ton frère, tu dois pas laisser des frustrations amoureuses prendre le pas là dessus.

Elle comprenait pas, j'en voulais pas à Ken d'être avec elle, la preuve c'était que j'avais tout fait pour qu'il porte ses couilles quand il menaçait de la quitter alors qu'elle était malade.

Je lui en voulais d'être avec elle et de la considérer comme un dû, de merder tout le temps et de lui faire du mal.

— Je ne suis pas jaloux de Ken, princesse. Enfin, c'est plus compliqué que ça, c'est juste que tu mérites mieux... Je trouve que depuis que vous êtes fiancés... T'as recommencé à être pas bien.

Clem secoua la tête de droite à gauche en signe de dénégation.

— Deen, c'est mon mari et même s'il est con parfois, il me rend heureuse. Si j'ai recommencé à aller mal cette année, c'est pas à cause de lui. Il y a eu toutes les histoires avec Maya, ça m'a vraiment pris la tête. Encore une fois tu sais combien tout ce qui touche aux gens que j'aime m'affecte. Tu te trompes sur autre chose, si quelqu'un mérite mieux, c'est toi. Tu vaux mieux que de l'aigreur, de la frustration et du ressentiment. T'es une des plus belles personnes que je connaisse, t'es généreux, courageux, intelligent, t'as tout pour rendre une femme heureuse, tu gâches un temps précieux à rester bloqué sur moi

Facile à dire pour une fille mariée et qui venait d'avoir un gosse.

Je laissai échapper un soupir, relevant les yeux vers elle.

— J'aimerais bien te dire que t'as raison Clem, mais pour l'instant, Y'a qu'une seule femme qui m'ait vraiment donné envie de la rendre heureuse.

— Peut-être que tu vas croiser une femme qui te rendra heureux, alors.

Les paupières closes pendant quelques instants, je priai pour qu'elle ait raison, une chose était sûre, il fallait pas trop que ça traîne.

Sa main quitta les miennes pour se poser brièvement sur ma joue, elle m'adressa un regard presque maternel.

— Je suis tellement désolée Mikael.

Clem était une des rares personne qui m'appelait par mon prénom, j'avais râlé tant de fois mais là, c'était limite apaisant.

— Tu sais, souffla-t-elle, tous les deux on a vécu des choses que personne ne pourra jamais nous enlever. T'es le seul à m'avoir secourue, et j'aurai toujours plus confiance en toi qu'en n'importe qui d'autre.

J'étais pas prêt à entendre un truc pareil.

Plus qu'en Ken ?

Plus qu'en Sneaz ?

Plus qu'en Maya ?

Plus qu'en Violette ?

Violette, putain.

Clem me sortait qu'elle me faisait confiance et moi je flirtais avec sa reus.

— Il faut que je te dise quelque chose... murmurai-je.

Elle m'adressa un regard interrogatif, mais au même moment des coups répétés sur la porte se firent entendre.

J'eus à peine le temps de m'éloigner du lit que Ken, ses parents, Violette et Moh entraient dans la pièce.

— Eh bah bsahtek l'ambiance ! s'exclama ce dernier.

Je rencontrai le regard et le sourire rayonnant de Violette, une certaine culpabilité me gagna alors.

Putain mais j'étais vraiment trop con. Qu'est-ce qui m'avait pris d'être aussi faible ?

— Faut que j'y aille, grognai-je en saisissant ma parka.

Je passai devant le petit groupe qui eut l'air un peu surpris par mon départ soudain.

La porte se referma derrière moi, et je marchais à grandes enjambées pour m'éloigner de mes mensonges.

— Deen !

Je fermai les yeux entendant Violette me héler. Elle courut pour me rattraper.

— Qu'est-ce que tu fais ? T'as dit au revoir à personne.

Me stoppant net, je me retournai brutalement vers la petite blonde qui m'observait sans comprendre.

— Écoute, je crois que t'as raison. Toi et moi c'est une connerie.

Violette fronça les sourcils.

— Mais comment ça ? Quel toi et moi ? On est juste amis, on passe du temps ensemble.

Je levai les yeux au ciel, elle était de mauvaise foi.

— Arrête ton char, on est pas amis et on le sera jamais, parce que tu chopes pas tes amis, t'es pas attiré par tes amis, tu flirtes pas avec tes amis. Ou alors ce sont des plan culs. T'es mon plan cul ?

Elle secoua vigoureusement la tête, l'air un peu choquée par mon ton sec.

— N-non mais...

— Peu importe le nom de ce merdier, faut que ça cesse. Je pense que c'est mieux qu'on arrête de se voir. Ça va juste foutre le sbeul dans la mif et c'est pas ce que je veux. Et...

Elle me jeta un regard interrogatif.

— Et ?

— Et je veux pas trahir Clem. On sait tous les deux c'qui se passerait si elle entendait parler du fait qu'on s'est pécho à son mariage.

Violette soupira, elle avait l'air un peu déçue, mais très vite un sourire regagna ses lèvres.

— Très bien Deenou, fais gaffe à toi. N'hésite pas si jamais t'as besoin d'une journée avec moi pour te remonter le moral.

Elle se hissa sur la pointe des pieds pour embrasser ma joue et retourna sans plus de cérémonie vers la chambre de Clem.

Je me retournai alors vers la sortie et sursautai en me retrouvant face à Hakim et Maya.

Tous deux me toisèrent des pieds à la tête.

Ok, ils avaient assisté à toute la scène.

— À l'appart, ce soir, grogna simplement Mékra.

J'avais pas envie de le contredire, d'autant plus que s'il me disait ça, c'était qu'il ne comptait pas en parler à Clem et Ken.

(...)

Et le soir même je déboulai chez eux, avec la sensation d'être un gamin convoqué dans le bureau du directeur après avoir fait une grosse connerie. Je sonnai, entendis des aboiements et une voix cassée de femme qui leur gueulait dessus.

— Entre, me dit Maya en ouvrant la porte, je l'ai calmé t'as de la chance.

Je la suivis jusqu'au salon, Mékra était installé sur le canapé, il me checka froidement et Maya posa deux bouteilles de vin et trois verres sur la table.

— Je bois pas, grommelai-je.

Hakim le savait très bien, il ne sourcilla pas en ouvrant la première bouteille et remplit deux verres avant d'en tendre un à sa meuf.

C'était quoi le projet ? Le tribunal Akrour ?

— T'as cinq minutes pour m'expliquer ce que c'est que cette merde avec Violette. Après je verrai si j'en parle à Ken ou pas.

Y'avait pas de chef dans L'entourage, Mékra était même pas le plus vieux, mais fallait reconnaître que quand il était dans cet état, personne n'était en mesure de le contredire, même pas moi.

En quelques mots je leur expliquai toute l'histoire, le mariage où j'avais le seum, Violette ivre, notre dérapage contrôlé, les moments où on s'était revus, etc.

— C'est quoi l'idée ? me fit Haks quand j'eus terminé, Tu veux te venger de Nek et Clem et tout faire péter dans le squad ?

Putain il comprenait pas.

— Je crois, tenta Maya, que pour le coup c'est juste un mauvais concours de circonstances. Deen était pas bien, soit dit en passant pense à lâcher l'affaire avec Clem, et il se trouve que la fille qui l'a réconforté c'est Violette.

J'étais surpris qu'elle prenne ma défense, Clem était quand même sa meilleure pote.

— C'est sa reus putain ! Elle a vingt piges ! À quel moment quand t'as trente ans tu pécho une gamine ?

Maya leva les yeux au ciel.

— Arrêtez avec ça, Violette n'a aucun sang en commun avec Clem, ce n'est objectivement pas sa soeur. Et quand bien même, vous nous faites chier avec vos codes d'honneur à deux balles, ça fait deux ans que Deen bloque sur la meuf de son "frère", si Violette lui permet de passer à autre chose tout le monde sera soulagé.

— Elle a vingt ans.

Hakim n'en démordait pas, je disais rien, parce que j'étais d'accord avec lui, Violette était beaucoup trop jeune.

— Et alors putain ? Elle est majeure, consentante, Deen la force à rien ! Arrêtez de faire comme si c'était pas une personne dotée d'un cerveau et d'un sens critique. Vous étiez les premiers à vingt ans à vouloir vous taper des femmes un peu plus âgées pour l'expérience. Soyez pas hypocrites, vous l'instrumentalisez totalement. Si vous avez envie de passer du temps ensemble, les coupables ce sont ceux qui y trouvent quelque chose à redire.

Je ricanai, elle rêvait complètement si elle pensait une seule seconde que Ken ou même Clem serait d'accord avec elle.

— Khlass Maya, tu sais pas de quoi tu parles. Si Nek apprend ça, on va rejouer l'affaire Guizmo, trancha Hakim, Je vais rien lui dire parce que j'ai l'impression que t'es pas suffisamment con pour persévérer et que ça foutrait la merde pour rien. Mais t'as pas intérêt à déconner.

Maya se resservit un deuxième verre de vin et fusilla son mec du regard, je me demandais si elle faisait exprès de me soutenir pour prendre le contrepied de ce qu'il disait.

— Nek n'a strictement rien à dire, il est rien pour Violette et elle ne lui appartient pas. Crois moi que s'il pète un câble je lui ferai connaître ma façon de penser. Deen, je le sens bien ce truc avec Violette, tu l'as dit toi même, tu te sens mieux depuis que tu passes du temps avec elle.

Laissant échapper un soupir, je rencontrai le regard dur de Mékra, cette histoire divisait même les couples entre eux, c'était nocif.

— Elle me fait du bien peut-être, mais moi je vais lui faire du mal. C'est pas une bonne idée, elle est trop... joyeuse, je vais tout gâcher. Et puis elle sait pas pour Clem, t'imagine si elle l'apprend ?  Et si ça marche pas, la galère que ça va être...

Hakim opina de la tête et regarda sa femme l'air de dire "T'as encore quelque chose à ajouter ?". Mais visiblement Madame Réponseàtout avait effectivement quelque chose à ajouter.

— Haks tu te fous de ma gueule à être d'accord avec lui là dessus ? Quand je dis des choses comme ça à propos de nous t'es le premier à dire qu'il faut arrêter d'imaginer toujours le pire. C'est vraiment quand ça t'arrange. En plus c'est dégueulasse, personne ne demande l'avis de Violette. Pourquoi tu lui as dit que tu voulais plus la voir ?

— Clem m'a dit que j'étais la personne en qui elle avait le plus confiance. Je peux pas lui faire ça.

Les yeux transparent de Maya s'enflammèrent brusquement. Putain elle était trop flippante, paix à l'âme de ses futurs gosses.

— Elle est sérieuse ? Je vais la défoncer, non mais elle est complètement stupide ou quoi ? Elle veut quoi, que tu meures d'amour pour elle, seul et célibataire jusqu'à la fin de tes jours ? Mais elle entretient le truc à mort c'est pas possible !

Elle descendit son verre de vin à une vitesse fulgurante. Pour le coup Hakim avait l'air à peu près d'accord avec la danseuse.

— Deen, tu t'en bats les couilles qu'elle ait confiance en toi, d'accord ? reprit-elle, C'est pas avec elle que tu vas finir tes jours, donc à quoi ça sert ? Putain mais à ta place j'aurais pété un câble et je lui aurais dit de s'enfoncer sa confiance bien profond. Arrête de vivre à travers elle, parce que meme si elle t'aime beaucoup, elle ne fait pas ses choix en fonction de toi.

— Elle a raison, admit le Kabyle, pas pour Violette, mais pour Clem. Dis lui d'aller se faire foutre une bonne fois pour toutes. Qu'elle s'occupe de son mari et de son gosse et qu'elle casse pas les couilles. T'es trop faible frère.

"Frère" Haks n'était donc pas si énervé que ça contre moi.

Bilan de la discussion : ne plus voir Violette et envoyer Clem se faire foutre.

Je me versai un verre de vin et le descendis malgré moi. Cette situation n'avait que trop duré.

— Je devrais passer plus de temps avec vous deux, soufflai-je.

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