Chapitre 17. Laisse aller

Clem était en train d'accoucher. Putain. J'étais clairement pas prêt. On était tous dans une salle d'attente de l'hôpital, tout le monde parlait autour de moi et j'entendais pas ce qu'ils disaient.

Y avait un niveau de surexcitation assez énorme, le personnel médical semblait à deux doigts d'appeler la sécu. Violette était là aussi, collée à Idriss et Lucie depuis trente minutes, elle me calculait pas. C'était chiant.

Clem allait avoir un gosse et je pouvais pas m'empêcher d'être mort d'inquiétude pour elle. Je savais que ce dernier mois avaient été carrément compliqué. À ce niveau là y avait plus de question de jalousie ni rien, je voulais juste qu'elle aille bien.

Des cris de joie résonnèrent et je pensais pendant quelques instant que c'était pour Ken, mais c'était simplement Mékra et sa meuf qui venaient d'arriver, je poussai un soupir. Mon regard croisa brièvement celui de Violette, elle me sourit avant de me faire une grimace.

Comme je ne réagissais pas et que tout le monde ne semblait s'inquiéter que des nouveaux arrivés, elle vint vers moi.

— Ça va pas Deenou ?

— Je suis inquiet, avouai-je.

Je sentis ses doigts de glisser doucement au creux de ma paume pour la presser.

— T'inquiète c'est la plus forte Clem.

Pour l'avoir déjà récupérée à moitié morte, je me permettait d'être dubitatif sur ce point.

— T'es beaucoup plus séduisant quand tu souris, dit-elle en me faisant un clin d'œil.

Ken avait une très mauvaise influence sur elle, d'ici quelques mois, Vio serait la reine de la disquette.

— On dirait ton beauf quand tu dis des trucs pareils.

Elle rit doucement et lâcha brusquement ma main quand le bras d'Idriss entoura ses épaules.

— Embête pas notre Bigo toi, après il se plaint que t'es trop curieuse.

Une expression mutine naquit sur le visage de Violette.

— Ah il t'a parlé de moi ?

Fram lui fit un clin d'œil, un sourire jusqu'aux oreilles. Ils s'étaient bien trouvés pour ça, ces deux là.

— Ouais, askip' tu l'saoules.

Elle haussa les sourcils avec amusement mais alors que j'allais répliquer, Ken apparut sous les cris de tout le monde.

Il était dans un sale état, visiblement il venait d'enlever une charlotte de protection de sa tête car ses cheveux partaient grave en couille. Ses joues étaient baignées de larmes, il sanglotait comme un gosse qui vient de tomber.

Un décharge électrique dans mon organisme.

Clem.

Les autres s'affolaient autour de moi, posant des questions. Je n'entendais qu'un brouhaha.

Clem.

Je croisais le regard paniqué de Violette et plus que jamais j'aurais aimé la voir sourire pour me rassurer.

— Ken, bordel de merde ! C'est quoi le bail !?

La voix d'Hakim me tira de cet instant de flottement, je repris mon souffle et eus la sensation que mon cœur se remettait à battre.

— J'ai... euh... On... Elle a réussi putain. J'suis choqué à vie... c'était tellement dur pour elle, j'ai jamais vu... sanglota le Grec.

« Elle a réussi ».

— J'ai jamais vu ma femme souffrir autant... reprit-il, elle est au bout du bout, vous pourrez pas la voir ce soir. Mais... Elle a réussi.

Il ne disait rien du bébé, j'avais envie de me taper la tête dans le mur en imaginant la souffrance de Clem. Pour la première fois depuis longtemps, j'avais un besoin irrépressible de la voir, de la prendre dans mes bras, de la protéger. Je l'imaginais à bout de souffle, pâle, cernée et transpirante. Et je voulais juste la rassurer, lui dire que plus jamais je l'abandonnerais.

Au delà du fait que mes sentiments à son égard étaient confus, j'aimais profondément celle que j'avais longtemps considéré comme ma meilleure amie, même s'il m'arrivait parfois de lui en vouloir de me faire souffrir, la penser dans cet état me rendait malade.

— On est parents, les gars, on a une fille, elle Il s'appelle Iris et elle est toute petite... 2,6kg et 47cm. Bordel... je m'en remets pas, je suis daron.

Il était daron. Elle était mère, ma Clémentine avait une fille. La go sur laquelle j'avais veillé pendant des jours et des nuits pendant qu'elle pleurait comme un enfant, venait d'avoir un gosse.

Et je pouvais pas la voir, seuls Sneazz et la mère de Clem purent accéder à la chambre. J'aurais voulu forcer un peu, mais pas envie de créer une embrouille avec Ken ce soir. Déjà que je le tenais pour responsable de la souffrance de sa femme, valait mieux éviter qu'on discute. Il rejoignit vite sa nouvelle famille et petit à petit la pièce se vida. Je me laissai tomber sur un siège, Eff et Jazz m'annoncèrent qu'ils partaient, tous les Akrour avaient levé le camp et bientôt il ne resta plus sous mes yeux qu'une paire de Nike que j'avais achetée une semaine auparavant pour une drôle de gonzesse.

— Tu fais quoi Deenou ? me demanda leur propriétaire, Tu vas pas dormir là, tu reviendras demain.

Je répondis pas, les yeux fixés sur ses pieds.

Alors elle s'accroupit face à moi, me présentant son visage un peu plus tendu que d'habitude.

— Moi aussi j'aurais bien aimé la voir, souffla-t-elle, ça me vexe un peu qu'ils aient laissé entrer Moh et pas moi, mais je sais pourquoi.

Ses yeux noirs cherchaient mon regard et doucement, elle posa sa main fraîche sur ma joue en une brève caresse.

— Pourquoi ? murmurai-je malgré moi.

Violette soupira, c'était rare qu'elle arbore cet air agacé.

— Parce qu'ils veulent me protéger, comme si j'étais pas capable d'endurer le fait de voir Clem en mauvais état. Ken croit que j'ai quinze ans.

Tout le monde ici croyait qu'elle avait quinze ans, je crois qu'y avait que moi qui savait que c'était légal s'il se passait un truc entre nous.

— Tu vas rester là grand-père ? T'es trop bresson là, faut se changer les idées.

Je poussai un soupir en me levant, elle m'imita et à peine debout, me murmura :

— Je crois que j'ai besoin d'un câlin.

Avant que je n'aie eu le temps de réagir, elle était déjà blottie contre moi.

Je calai mon menton sur sa tête blonde et refermai mes bras autour d'elle. En fait, ça me faisait du bien à moi aussi.

— Tu veux dormir à l'appart et qu'on aille la voir ensemble demain ? chuchota-t-elle.

Aucune envie de dormir sur le canapé de Ken et Clem, aucune envie de dormir tout court, je savais déjà que j'allais rêver d'elle.

— J'ai pas trop envie d'être toute seule, on peut juste mater des films et faire un bon repas...

— Ouais, concédai-je.

J'aurais préféré la ramener chez moi, mais y avait Max à l'appart et autant éviter les problèmes.

Une demie-heure plus tard on se mettait aux fourneaux dans la cuisine des nouveaux parents.

— T'as pas envie d'être indépendante ? De te casser de chez eux un peu ? lui demandai-je, Ça doit pas aider Nek à te considérer comme une adulte si tu crèches ici.

Elle haussa les épaules en découpant avec application le poulet que je venais d'acheter.

— Je demande que ça à vrai dire, mais j'ai pas suffisamment de fric pour payer un appart et Clem refuse de me laisser habiter une chambre de bonne. C'est soit je dors ici, soit j'accepte qu'ils m'aident à payer un petit studio bien placé. Mais crois moi, j'ai envie de partir, maintenant en plus va y avoir Iris. C'est la fille de Clem et Ken donc elle va être insomniaque et pleureuse.

Je ricanai, c'était en effet tout à fait envisageable.

— Pourquoi t'acceptes pas qu'ils t'aident à payer ton appart ? Et t'as pas un de tes potes qui peut t'accueillir ?

— M'héberger c'est une chose, être mes garants en est une autre. J'ai pas envie de me sentir redevable financièrement. Et puis tu connais Clem, quand je parle de partir elle me fait limite culpabiliser. Après mes potes, le problème c'est que Yass et Tom vivent en couple et il n'y a absolument pas de place pour moi dans leurs apparts, leurs copines verraient pas ça d'un très bon œil. Adri vit chez ses parents et Lenny...

— Oui clairement, chez lui c'est pas une bonne idée, complétai-je.

Manquerait plus qu'elle aille vivre chez ce petit con. Violette acquiesça et me tendit sa planche sur laquelle reposait la viande qu'elle venait de découper.

— Et Fram et Lucie, ça leur plairait pas d'avoir une nounou à domicile ?

Elle éclata de rire, ça me fit du bien, j'avais l'estomac noué depuis que j'avais appris que Clem accouchait.

— Chez eux ça aurait pu être cool, mais laisse tomber je travaillerais jamais pour les cours, entre les marathons de film avec Lucie, les bavardages d'Idriss et Naël, je serais en échec scolaire au bout d'un mois. Et puis bon... Clem le prendrait mal.

Bien vu, elle remettrait sûrement en question toute sa vie, s'imaginant qu'elle s'était mal occupée de Violette.

— Hakim et Maya ? tentai-je.

Nouveau rire pour la jeune femme.

— Tu veux absolument que je vive chez un couple en fait ? Tu vas me proposer 2zer et Judith dans la foulée ? Et puis merci Hakim et Maya, ils sont grave flippants, j'aurais peur de me prendre une baffe en demandant où sont les toilettes. Non mais Deen si je pars de chez les Samaras c'est pour vivre seule, je vais pas faire le tour de L'entourage.

Une fois à table, je me rendis compte qu'il était moins pesant d'être dans cet appartement sans ses propriétaires et surtout, avec Violette.

— En tout cas, fit cette dernière, ça m'a fait beaucoup relativiser sur leur couple.

Ok, j'étais pas sûr d'avoir envie de discuter de ça. Mais elle continua.

— Quand j'étais plus jeune, je les idéalisais beaucoup, il lui écrivait des chansons de fou, je bavais devant leurs petits regards amoureux et leur côté ultra fusionnel. Maintenant je me rends compte qu'ils ont vraiment du mal à gérer ça au quotidien. 

Ah ouais ? 

— Comment ça ? demandai-je malgré moi. 

— T'as pas une semaine sans que Clem pleure à cause de Ken, parce que quand il se vénère il devient blessant, lui il pète des trucs quand elle le fait chier, quand l'un est absent plus d'une semaine, t'as l'autre qui commence à dépérir. En même temps, ils sont tellement... amoureux. C'en est limite flippant parfois. 

C'était déjà comme ça trois ans auparavant, rien de neuf sous le soleil. Mais c'était pas forcément une bonne nouvelle. 

— Mais je trouve que depuis qu'elle est enceinte, ça va en s'améliorant, Ken est beaucoup plus patient, Clem un peu moins fragile. 

Ah, bon. 

— Mais j'ai un peu hâte de partir, je suis quand même dans leur intimité, parfois c'est gênant. 

Oulah, arrête toi là gamine, je veux pas en savoir plus, lui fis-je comprendre à travers une grimace. 

S'il y avait bien une chose dont je ne voulais pas entendre parler, c'était l'intimité des Samaras.

— Je dors avec mon casque comme ça je suis sûre de rien en-

— Ta gueule. 

Ça m'avait échappé malgré moi. Mais là clairement, c'était trop. 

Violette eut l'air surprise par ma réaction un peu trop violente, mais elle se tut et vida son assiette en silence. Ce n'était pas tellement mes mots qui l'avaient atteinte, c'était le ton que j'avais employé, c'était évident, beaucoup trop sec. 

Un moment un peu gênant suivit ma phrase, aucun de nous deux ne parlait, j'avais honte de m'être énervé aussi vite, elle ne comprenait pas. 

La petite blonde ramassa nos deux assiettes pour les ranger dans le lave-vaisselle et je voyais bien qu'elle était blessée. 

J'étais pas un pro des excuses, la plupart du temps, je laissais les choses se tasser et j'attendais que les personnes fachées reviennent vers moi ou fassent comme si de rien était. 

Mais là je culpabilisais, me levant, je rejoignis Violette dans la cuisine, elle était dos à moi et je posai doucement mes paumes sur ses épaules et mes lèvres sur sa joue. 

— Désolé, fis-je dans son oreille, je voulais pas dire ça comme ça. 

Elle se détendit un peu, pourtant je ne bougeai pas, ses cheveux me chatouillaient la joue et son parfum léger me donnait envie de laisser mon nez près de sa peau. Je l'embrassai derrière l'oreille, et mon baiser fut vite suivi de plusieurs autres le long de son cou. 

Son souffle se raccourcit à mesure que mes lèvres parcouraient sa peau et mes mains quittèrent ses épaules pour entourer sa taille et la coller à moi. 

— Deen, murmura-t-elle simplement. 

Je pouvais sentir la tension qui gagnait ses muscles, d'autant plus lorsque je glissai mes mains sous son sweat pour caresser ses hanches. 

Tu joues avec le feu, Grand-père, c'est très dangereux. 

Comme si elle avait entendu le message d'alerte de ma conscience, Violette se retourna vers moi. Elle était un peu rouge, un peu gênée peut-être. 

— Assez pour aujourd'hui, souffla-t-elle en m'embrassant au coin des lèvres. 

Putain j'étais bluffé par sa maîtrise d'elle-même, j'avais bien conscience que son corps en voulait plus, mais elle arrivait avec un mental d'acier à stopper net la pression qui montait. 

Je poussai un grognement frustré en la regardant gagner le canapé et allumer la télé. De toutes façons c'était toujours comme ça, la meilleure façon de rendre un mec fou c'était de lui résister. 

— Tu viens Deenou ? 

Au moins elle n'était plus fâchée, je la rejoignis sans rien dire et elle se blottit contre moi à l'instant même où je m'asseyais. 

— Garde tes mains baladeuses bien sages ou je te fous à la porte, chuchota-t-elle en lançant un film random sur Netflix. 

Un petit rire m'échappa et j'embrassai son front, mes mains se contentèrent de ses cheveux et elle parut apprécier car elle s'assoupit très vite sur mon torse. 

 C'était assez curieux, j'avais plus l'habitude de passer du temps comme ça avec une meuf, mais ça me faisait du bien. Je commençais sérieusement à m'attacher à cette tête blonde et effrontée. 

Lorsque je m'éveillai le lendemain, nous étions tous deux allongés sur le canapé, mes bras l'entouraient et elle dormait encore. Mais plus pour longtemps, quelle satisfaction de se trouver face à un sourire rayonnant dès les premières minutes de la journée. C'était putain d'agréable de sentir son visage joyeux se glisser dans mon cou pour y déposer quelques baisers, comme ça gratuitement. 




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