Chapitre 13. Sentiments

Réveillé en sursaut par la sonnette de chez moi, je me lève en grognant.

Putain si c'est Jehk qui a duper ses clés je l'éclate.

Mais la voix dans l'interphone me pétrifie aussitôt.

— Deen, ouvre moi s'il te plaît.

C'est Clem, elle chiale, elle est paniquée. Bordel de merde qu'est-ce qui se passe ?

— C'est ouvert.

J'ai à peine le temps d'enfiler un t-shirt que deux minutes plus tard elle est à la porte et se jette dans mes bras.

Je suis pas réveillé du tout, je comprends rien.

— Qu'est-ce qu'il y a princesse ?

Elle pleure sans s'arrêter et je l'écarte de moi en poussant délicatement ses épaules.

Son visage est complètement brouillé, je cherche la cause de sa douleur dans ses yeux et ne comprends pas.

— Parle moi, tu me fais flipper gamine.

Doucement, je dégage ses cheveux collés par les larmes à son visage.

— Je... Deen... Ken... Je suis per-perdue. J'ai f-fait une... je sais p-lus.

Mon pouls bats à cent à l'heure dans mes tempes, elle s'agrippe à mon t-shirt comme si j'étais une bouée de sauvetage.

Je comprends alors que tant qu'elle sera pas calmée elle arrivera pas à parler.

Saisissant ses maigres poignets, je la tire doucement vers le salon et l'entraîne sur le canapé, elle se blottie sur mes genoux, ramenant ses jambes contre son buste. Ça fait longtemps que je l'ai pas vue aussi maigre.

J'ose rien faire, rien dire, je l'entoure simplement, caressant ses cheveux du bout des doigts. Attendant que ses sanglots s'apaisent.

Bon sang mais quand est-ce que je vais arrêter d'aimer cette femme ?

Soudain elle lève la tête vers moi, me fixant avec une intensité que je lui ai jamais vue.

— Je suis partie, murmure-t-elle, J'ai quitté Ken.

Quoi ?

C'est le néant dans mon cerveau à ce moment précis, j'suis totalement sur le cul.

— Qu'est que tu racontes ? C'est n'importe quoi, c'est juste une dispute, ça va s'arranger.

Mais elle secoue la tête, essuyant ses yeux bouffis.

— Non, tu comprends pas... Y'a pas eu de dispute. Je suis partie. Ken n'y est pour rien, c'est moi. Je me suis plantée. Depuis le début.

J'écarquille les yeux, totalement médusé par ses mots, jamais je n'aurais pensé entendre ça dans la bouche de Clem.

— J'aurais jamais dû l'épouser... pendant tout ce temps j'étais complètement aveuglée. Je voyais pas que...

Ses doigts fins se posent sur ma joue, je ne comprends rien, je suis juste pétrifié par son regard, ce regard que j'ai toujours vu adressé à un autre que moi.

— J'ai des sentiments pour toi Deen.

C'est le moment où je devrais me dire que j'ai trop de fierté pour accepter cette phrase.

C'est le moment où je devrais la repousser en lui disant que c'est trop tard.

C'est le moment où je devrais lui ordonner de sortir de ma vie.

Mais non, c'est le moment où je choisis de saisir brusquement son visage entre mes paumes pour l'embrasser violemment.

C'est l'explosion dans ma tête, dans ma cage thoracique, lorsque je sens ses lèvres se mouvoir sous les miennes et qu'elle s'abandonne dans mes bras avides de la serrer contre moi, je vrille totalement.

Clem, la femme que j'ai toujours voulu, me veut à son tour, je caresse fébrilement son visage d'une main pendant que l'autre s'aventure sur son corps.

Elle ne me repousse pas.

— Si tu savais à quel point je t'aime, murmuré-je entre ses lèvres.

Je ne devrai pas dire ça, je devrais maîtriser les sentiments qui m'assaillent, mais elle est là et elle me veut. Et je peux mourir dans deux heures.

Clem pleure de plus belle en passant doucement ses doigts fins dans mes cheveux.

— Qu'est-ce que tu veux ? lui demandé-je soucieux de ne rien brusquer, de ne pas briser cet instant parfait.

— Tout oublier. Je suis à toi.

Il n'en faut pas plus pour me rendre complètement fou, ni son corps trop maigre, ni les sonnettes d'alarme dans ma tête ne me dissuaderont de l'aimer enfin comme elle le mérite.

J'ôte mon t-shirt et très vite, la sensation des ses doigts sur ma peau m'électrise, elle contemple mon torse, l'air impressionnée. Et ravi, je parcours son décolleté de baisers fiévreux.

— Ken, murmure-t-elle alors.

Mes lèvres quittent instantanément la peau de son cou et je me raidis brusquement.

— Quoi ?

Ses yeux me fixent mais j'ai l'impression qu'elle ne me voit pas.

— J'ai fait une erreur, mon Dieu. Ken, fait elle en se redressant.

La sensation de recevoir un poignard en pleine poitrine me coupe le souffle.

— Je suis désolée Deen, je dois partir.

Elle se lève brusquement en essuyant ses yeux. Pour la première fois de ma vie, j'ai envie de tuer une femme. Vraiment, mes mains me démangent de saisir sa gorge délicate et de la presser jusqu'à voir ses yeux s'éteindre sous les miens.

Je la hais.

La porte claque.

Je pousse un hurlement de détresse et de rage.

C'est moi que je vais finir par tuer.

— Frère t'es pas net ? T'as fumé quoi avant de dormir ?

La voix endormie de Jehk me tira alors brusquement de mon sommeil.

Putain de merde.

— Qu'est-ce que tu fous dans ma piaule, grognai-je en me passant la main sur visage.

Mes joues étaient mouillées.

Sérieusement ?

— Tu viens de hurler à la mort je te jure, j'ai cru qu'on t'assassinait dans ton sommeil, m'informa-t-il.

On était pas loin de la vérité.

— C'est bon, ça va, dégage.

Je le vis hausser les épaules dans la pénombre et quitter la pièce.

À bout de souffle, un barreau monumental, les larmes aux yeux et une sensation douloureuse dans le thorax, j'étais totalement pathétique.

C'était pas la première fois que je rêvais d'elle, clairement, ça m'arrivait même souvent. Mais c'était la première fois avec une telle intensité.

Les mots de Maya me revenaient en mémoire, ne pas voir Clem n'arrangeait rien, preuve en était.

La vraie Clem était enceinte jusqu'au cou, j'avais rêvé de la version malade de son corps, la seule que j'avais entrevue un jour où j'avais dû la sauver d'elle-même.

Impossible de me rendormir, je me roulai un joint bien chargé pour chasser mes idées noires.

Un peu plus tard, complètement défoncé, je craquai pour la première fois depuis deux ans et me décidai à l'appeler. Il était sept heure du matin, elle devait déjà être réveillée pour écrire.

— Allô, Deen ? Que se passe-t-il ?

Je l'avais pas appelée depuis des lustres, elle devait se demander ce qui me prenait.

— Rien, je... j'avais juste envie d'entendre ta voix, soufflai-je, T'étais pas là hier soir.

Mais t'étais là cette nuit...

— Oh, fit-elle avec étonnement, je pensais que tu en serais plutôt soulagé.

Je le pensais aussi.

— J'ai appris que t'allais pas bien... Faut que tu prennes soin de toi princesse, c'est important. T'es plus toute seule.

À vrai dire, c'était surtout elle qui m'importait.

— C'est pas très grave Deenou, je suis juste un peu faible. Mais je prends des fortifiants, ça va le faire.

Je hochai la tête, comme si elle pouvait me voir.

— Clem.

— Oui ?

— Je voulais te dire, je regrette de t'avoir dit non pour le mariage... c'était égoïste.

Et surtout une réaction de mec qui supporte pas d'intégrer la vérité, elle m'aimait comme un grand-frère et j'avais pas envie que le monde entier puisse contempler cette superbe friendzone.

— Oh... Tu sais, je t'en veux pas. Mais tu me manques, j'aimais tellement notre relation, avant que tout foire.

Moi aussi, avant que je tombe amoureux et me fasse avoir comme un bleu.

— Tu crois qu'un jour ça redeviendra comme avant ? demanda-t-elle avec une petite voix qui eut le mérite de m'attendrir.

Je me rendais compte que le lui parler au téléphone était moins douloureux que l'avoir en face de moi. Elle me perturbait pas avec ses mimiques adorables.

— Je sais pas princesse, j'aimerais te dire oui.

Un long moment de silence s'installa entre nous, chacun semblait réfléchir au bout du fil à cette situation inextricable.

— Toi, comment tu vas ? demanda-t-elle finalement, Violette disait que t'avais pas trop le moral.

— Violette dramatise. Ça va, je suis juste de mauvais poil en ce moment. Enfin tu me connais, j'ai mes phases.

Elle acquiesça et je me rendis compte que j'avais bien fait de l'appeler, cette Clem au téléphone chassait celle qui avait visité mon sommeil.

— Deen là c'est pas une phase, ça fait plusieurs mois. Tu devrais aller voir le docteur Rougier, je suis sûre qu'il te recevrait.

C'était le psy qui la suivait pour ses problèmes de bouffe.

— C'est mort. J'ai pas besoin de psy. Ça va Clem, je t'assure.

— Si tu le dis, fais attention à toi. Je vais devoir te laisser, mais n'hésite pas à m'appeler, quand tu veux. Pour moi rien n'a changé et je suis là si t'as besoin.

Rien n'a changé Papy, intègre ça, rien ne changera jamais.

— Merci Clem.

— Je t'en prie, à bientôt Deenou, passe le bonjour à Maxime.

Je me retins de ricaner, mon frère serait pas forcément ravi s'il apprenait que j'avais appelé Clem.

Après cet appel, je me sentis un peu mieux, bien que toujours perturbé par mon rêve. Je dépensai ma journée à écrire et à aller à la salle, puis je reçus un message de Violette.

Violette : Toujours bon pour ce soir ?

Je grognai, pourquoi fallait-il toujours que j'oublie tout.

Moi : Ouais, serais en retard.

Quelques heures plus tard je la retrouvais devant le bâtiment rouge. Son sourire vissé aux lèvres, elle se hissa sur la pointe des pieds pour embrasser ma joue avec affection.

— Dis donc t'as fait un effort vestimentaire, constatai-je.

Pas de gros sweat mais un perfecto et une blouse assez décolletée, ça la mettait en valeur.
Ses yeux noirs se teintèrent de malice.

— C'est pas pour toi, c'est pour bosser. Tu viens ?

Je ne comprenais toujours pas ce que j'allais foutre ici. Elle apposa un badge sur une porte et entra dans le bâtiment, je la suivis.

— C'est quoi le concert ce soir ? demandai-je.

Elle éclata d'un rire sonore.

— Pascal Obispo. T'inquiète que tu vas pas croiser ton public.

Je pouffai à mon tour. La soirée s'annonçait enrichissante.

— Te moque pas, ma mère est fan, lui dis-je.

Violette se retourna brusquement vers moi dans le couloir sombre et je manquai de lui rentrer dedans.

— Prépare toi à voir une déferlante de milliers de daronnes dans cet espace ce soir, fit-elle sur un ton apocalyptique, Elles seront là, partout, Tu entendras « Pascal est vraiment généreux avec son public, je l'ai vu il y a deux ans à la Cigale, c'était sensationnel. » ou « Quel dommage que Sylvie et Frank n'aient pas pu venir, ils sont fan eux aussi.» Elles seront partout, dans chaque recoins du zénith, prête à bondir sur leur idole.

J'éclatai de rire devant son visage dramatique et sa voix digne de la prof folle dans Harry Potter avec sa boule de cristal.

Elle m'adressa un sourire joyeux et je me rendis compte que je louchai un peu trop sur cette jolie bouche farceuse.

Ma main se posa sur le côté de sa tête et mon pouce sur sa joue, je me sentis céder mais la jeune femme plaqua sa paume sur mes lèvres. Ses yeux me fixèrent avec une intensité mêlée d'amusement.

— C'est pas le moment Deen, j'ai besoin d'être concentrée pour travailler.

Elle s'éloigna subitement de moi et entra dans un vestiaire où elle déposa son skate et son sac à dos, je fis de même avec ma veste.

— Tom ne travaille pas ce soir, m'annonça-t-elle, C'est toi qui le remplace.

J'écarquillai les yeux. Depuis quand j'avais que ça à foutre de remplacer des barman ?

— Tu es payé ne t'en fais pas.

— C'est une blague ? Eh moi si je viens au Zénith c'est pour être dans la fosse ou sur scène hein ? Pas pour servir des bières ! Les boulots de merde c'est fini pour moi.

Elle m'adressa un regard implorant.

— S'il te plaît Deenou... Ça va être fun tu verras ! On sera juste tous les deux ce soir au bar, c'est juste un peu le rush avant le concert mais après c'est tranquille. On mangera des hot dog et on boira des bières. Allez !

Je soupirai, elle m'avait bien eu cette forceuse. Rayonnante, elle me tendit un effroyable t-shirt orange.

— Me dis pas que je dois mettre ça ?

Elle fit papillonner ses paupières et poussant un grognement je saisis le vêtement.

Sans plus de cérémonie elle ôta sa blouse et encore une fois je sursautai devant son manque de pudeur.

— Violette, putain.

Elle haussa les épaules et enfila son t-shirt.

Tu veux jouer à ça gamine ?

J'enlevai mon propre pull, elle me tournait le dos, je m'approchai doucement et murmurai à son oreille.

— Je croyais que t'avais fait un effort vestimentaire pour ton boulot, explique moi pourquoi t'as mis ce t-shirt épouvantable.

Elle se retourna brusquement, les joues un peu rouges. Ses yeux se posèrent sur mon torse et remontèrent vers les miens.

— Tu devrais rester comme ça, avec toutes les daronnes dont la seule activité sexuelle depuis cinq ans consiste à lire Cinquante Nuances de Grey, on devrait faire le chiffre de l'année.

Violette m'esquiva et m'adressant un clin d'œil, quitta le vestiaire.

J'étais frappé par sa capacité à m'allumer et m'éteindre d'un instant à l'autre.

J'arrivais pas à savoir ce qu'elle voulait et ça me perturbait vraiment.

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