Chapitre 10. Bryan Herman

Autour de moi le bruit des planches sur les rampes, les claquement des roues retombant sur le revêtement du skatepark, le crissement des semelles en caoutchouc et cette odeur bien particulière semblable à celle des gymnases dans lesquels on jouait au handball pendant les cours de sports au lycée. J'étais pas spécialement dans mon élément.

Violette me tira vers un groupe de jeunes.

Putain les clichés, que des mecs en sweat Volcom ou Vans, ils avaient tous les cheveux longs ou cachés sous une casquette.

— Vio !!! s'exclama un grand lightskin arborant une coupe afro extrêmement soignée.

Elle le checka et il l'attira brièvement contre lui, elle fit de même avec chacun des quatre mecs jusqu'au dernier qu'elle enlaça longuement avant qu'il ne dépose un baiser sur sa tempe.

— Alors les gars je vous présente Deen, vous voyez tous qui c'est, Deen je te présente Lenny.

La jeune femme me désigna le premier mec qui me tendit la main avec un grand sourire.

— Yassine, fit-elle en montrant le second qui m'adressa un simple signe de tête.

— Adrien.

Ce type me fit penser à Nek quelques années plus tôt, il avait une gueule de petit con toujours prêt à faire une dinguerie pour faire marrer les filles. Il me tendit sa paume avec un sourire malicieux.

— Et Tom, mon meilleur pote, me dit-elle en m'indiquant le gars qui l'avait enlacée.

Lui aussi se contenta d'un signe de tête. Il avait une énorme touffe de cheveux sur la tête, genre grosse mèche de cheveux châtains qui dépassaient de sa casquette et une mâchoire carrée sur laquelle il tentait de laisser pousser une ébauche de barbe.

Puceau, va.

— T'as pris ma planche ? lui demanda-t-elle.

Tom hocha la tête.

— On va chercher tout ça, dit-il d'une voix râpeuse.

Les quatre mecs s'éclipsèrent et je me demandai ce que je foutais là, j'avais pas prévu d'être animateur de colo toute la soirée.

— Tu traines qu'avec des mecs ? demandai-je.

— Ça dépend, pour le skate ouais, mais quand on se voit en dehors ils ramènent leurs meufs souvent.

Elle me sourit de toutes ses dents.

— Tu verras ils sont géniaux, et arrête de les regarder comme si c'étaient des bébés, ils sont tous beaucoup vieux que moi, à part Adri qui a 21.

Je ricanai.

— Beaucoup plus vieux ? Tu les as connu comment ?

— Tom était mon voisin à Genève, il m'a appris le skate quand j'étais petite. Il est à Paris depuis quatre ans, c'est grâce à lui que j'ai rencontré Yassine et Lenny, ils ont 25 ans.

Bon, c'était peut-être pas un si gros puceau que ça.

— Pour l'anecdote, c'est en revenant de Paris où j'étais venue voir Tom, que j'ai rencontré Clem.

Merci Tom, grâce à toi on avait cette chieuse dans les pattes.

Les quatre branleurs revinrent avec leurs planches et le petit m'en tendit une.

— Euh, non ça va merci.

Ils rirent et Violette me donna une claque dans le bras.

— Deenou, pourquoi tu crois que je t'ai ramené ici, pas pour que tu nous regardes !

Jouer le jeu ou tirer la tronche en me barrant.

Les quatre mecs me regardèrent avec un air de défi.

Tirer la tronche et jouer le jeu. Je saisis la planche.

— T'en as déjà fait ? me demanda Lenny.

— Ouais vite fait. J'tiens dessus quoi.

Il hocha la tête.

— Vio, tu restes avec lui et quand tu veux qu'un de nous prenne le relai, tu nous dis.

Elle lui répondit par son plus beau sourire.
Putain mais est-ce qu'à un moment elle s'arrêtait ?

Les quatre gars sautèrent sur leurs planches et partirent faire leur session.

— C'est moi qui vais t'apprendre un truc, ça fait bizarre hein ?

Je compris aussitôt pourquoi elle m'avait ramené là. Elle voulait renverser les rôles, c'était un domaine dans lequel elle était plus expérimentée que moi.

Bien vu, mais je voyais pas en quoi ça allait me remonter le moral.

Finalement, peut-être qu'elle voulait juste me donner une leçon d'humilité.

— Bon, ben c'est parti, soufflai-je.

Pendant plus d'une heure, elle tenta de m'apprendre un trick qu'elle désignait comme « très simple ».

Je tombais à plusieurs reprises, elle ne cessait de rire et je me surpris à me marrer aussi de ma propre maladresse.

— Tu t'en sors bien, grand-père me fit elle en m'aidant à me relever, mais fais attention à rien te casser.

— Trop vieux pour ces conneries, grognai-je.

Son rire résonna encore dans mes oreilles et je me dépêchai de tenter de nouveau la figure qu'elle m'apprenait.

Je la réussis enfin et elle me sauta au cou pour me féliciter.

— T'as géré ! Quand je vais montrer la vidéo à Ken et Clem ils vont halluciner !

Sa réflexion joyeuse me fit alors réaliser que depuis que j'étais là, j'avais pas pensé une seule fois à Clem.

Ça faisait du bien.

— T'as vu comme ça vide la tête ? Tu penses tellement à réussir ton trick que t'oublies tes problèmes, fit-elle comme si elle avait entendu mes pensées.

Je fus obligé d'acquiescer, elle avait entièrement raison.

Les gars revinrent et Violette me demanda alors de filmer sa session. J'acceptai, parce qu'après ça, j'avais un peu envie d'être sympa.

Pendant que je m'appliquais à cadrer correctement tout en admirant la dextérité de Violette sur sa planche, Tom vint s'assoir avec moi.

— Elle est douée hein ? me dit-il.

— Ouais, elle a l'air.

Je sentais qu'il me détaillait, il avait l'air d'en avoir rien à branler que je sois un rappeur ayant un tant soit peu de notoriété. Mon impression se confirma quand il me dit :

— Je sais c'qui s'est passé entre vous.

Ok deux solutions, soit il était en kiffe sur elle et il m'en voulait à mort, soit il la considérait comme sa tipeu et il m'en voulait à mort.

Je répondis rien et il reprit :

— Quand c'était la merde chez elle, quand son daron rentrait pété à la mort, elle venait chez moi. J'lui ai appris à faire du skate pour lui vider la tête, j'savais pas quoi faire, quand t'as quinze piges et qu'une gamine de dix ans, vient trois soirs par semaine dormir avec toi parce qu'elle a trop peur d'entendre sa mère crier, tu sais pas comment réagir. Je l'ai protégée comme je pouvais. Violette a toujours traîné avec mes potes et moi, elle a pas du tout conscience de son âge, elle déteste qu'on la voie comme le bébé du groupe. Dans sa tête elle a 25 ans et elle se rend pas compte que choper un mec de 30 c'est hyper chelou.

Il marqua une pause pour me laisser emmagasiner les informations qu'il venait de me donner.

— Toi par contre, t'as aucune excuse. T'es bien plus âgé, t'es censé être au courant que faire fumer et pécho une gamine un peu naïve c'est un truc de fils de pute. C'est même pas la différence d'âge qui me dérange, quoique ce soit un peu chelou quand même, c'est la putain de façon dont tu t'y es pris. J'peux te dire que j'ai galéré de ouf à redonner le sourire à Vio. Si elle le perd à cause de toi, je te jure que même si t'es bien plus musclé que moi, je t'éclate la gueule. Je l'empêcherai pas de te voir, elle est suffisamment mature pour faire ses choix, mais si j'apprends encore une fois que tu l'as faite fumer, ça va mal tourner. Et je pense que Ken et Clem seront d'accord avec moi.

Je me contentai d'hocher la tête, ce mec avait gagné toute mon estime en quelques mots.

— Autre chose, y a que Yass et moi qui savons. Si tu veux pas que ça s'ébruite, je te conseille de pas faire le con.

Sur ces dernières paroles, il se leva et d'une impulsion sur sa planche, dévala la pente qui s'étendait devant nous.

Au même moment, Violette arriva face à moi.

— Ça rend bien ? Tu me montres ?

Merde, la vidéo. J'avais aucune envie qu'elle entende ce que Tom venait de me balancer.

— Euh, je me suis chié, j'ai pas filmé.

— T'es sérieux ? Tu gères pas !

Elle pensa sans doute que c'était toujours une technique pour lui péter le moral.

Pendant quelques instants Violette me dévisagea avec une expression étrange.

— Quoi ? demandai-je.

— Je me demande pourquoi tu fais aucun effort, c'est tout. On dirait que tu te complais vraiment dans ta mauvaise humeur.

Totalement.

— Tout le monde a pas envie de faire semblant comme toi.

— Qui parle de faire semblant Deen, je cherche pas à mentir à qui que ce soit. Je pense juste que la vie est trop courte pour la passer à déprimer.

Bla-bla-bla.

Ce serait pas mal d'avoir un discours plus original, jeune fille, j'avais prononcé ce genre de phrases bien avant toi.

Mais j'y croyais plus.

— T'as prévu un truc après ? demanda-t-elle.

À vrai dire, j'avais plus d'idée, je me disais que la meilleure façon de casser son moral c'était de pas la laisser me rendre heureux.

— Nan, il est quelle heure ?

— 20h30.

Nourriture.

— On va manger ? proposai-je.

La skateuse hocha la tête, il me sembla qu'elle était aussi affamée que moi. Elle checka tous ses potes et me rejoignit pendant que je leur adressais un signe de main. Violette avait gardé sa planche sous le bras et son sourire rayonnant refusait de disparaître.

— Tu m'as menti, lui dis-je une fois dans la rue.

— Pourquoi ?

Elle fronça les sourcils, triturant fébrilement l'un de ses piercing sur le cartilage de l'oreille.

— Au mariage, quand t'as voulu que je te fasse bedave. Tu m'as baratiné en me disant que si fumais pour la première fois avec te potes ça risquait de dégénérer. Ils ont pas l'air d'être du genre à te faire faire des conneries.

La petite blonde soupira bruyamment.

— Tom t'a fait son petit numéro de grand frère protecteur ? Je t'ai pas menti Deen. Tu veux aller où ?

Je réfléchis quelques instants, il faisait froid, le froid, c'était pas bon pour le moral. Surtout le mien.

— Belushi's, dis-je, tu vois où c'est ?

Elle hocha la tête et d'un commun accord, on se mit en route vers le bassin de La Villette.

— Alors, explique moi pourquoi tu m'as pas menti ?

— Parce que, répondit-elle, Déjà les gars ne sont pas mes seuls potes, ensuite je connais très bien Lenny et Adri, un verre dans le nez et ils deviennent hyper influençables, si je leur demande de me filer un joint, ils n'hésiteront pas longtemps. Même si Tom a menacé de les exterminer si jamais ça arrive.

Ce Tom avait décidément l'air de menacer tout l'entourage de Violette.

Un peu plus tard, alors qu'on commandait « à emporter », je posai à Violette la question qui me démangeait.

— T'as jamais eu un truc avec aucun de ces types ?

Comme d'habitude elle m'adressa l'un de ses lumineux sourires à fossettes. Et, pendant qu'on trouvait un endroit pour se poser Quai de la Marne, elle entreprit de m'expliquer sa relation avec les gars.

— Tom a toujours été mon grand-frère, il n'y aura jamais d'ambiguïté entre nous, il a une copine depuis cinq ans. La question se pose même pas. C'est comme toi et Clem tu vois.

Alors là.

En quelques mots, elle venait de faire voler en éclats tout le travail qu'elle m'avait fait faire sur moi-même durant cette journée.

Je dus me maîtriser pour pas répondre de façon agressive et mordis dans mon burger avec rage.

— Yass a une copine aussi et c'est pareil que Tom, c'est comme si on faisait partie de la même famille. Les autres c'est un peu différent, Adri enchaine les meufs et parfois, un peu bourrés, on a pu avoir des petits flirts sans importance. Mais on reste bien plus des amis qu'autre chose et aucun de nous deux ne veut plus.

— Qu'est-ce que t'en sais, si ça se trouve tu l'as friendzonné alors qu'il veut plus.

Mais la blonde éclata d'un rire moqueur.

— Adri ? Ah non c'est sûr que non, il est hyper cash et direct, s'il veut quelque chose il le dit, crois moi que c'est pas le genre de type qui se laisse friendzonner sans rien dire.

Allez, deuxième couche.

— Lenny c'est le seul avec qui il y a eu quelque chose, j'ai été amoureuse de lui pendant un bon moment, sauf qu'il était en couple. Et puis à une soirée on s'est chopés, et le lendemain c'est lui qui m'a friendzonnée, Tom a failli lui éclater la gueule, pendant quelques temps c'était tendu. J'ai fini par faire un travail sur moi même et depuis, il n'y a plus de malaise entre nous.

Toutes ces cas de figure d'amitié garçon-fille me laissaient dubitatif.

— T'as plus de sentiments pour Lenny ?

Avalant sa bouchée de burger, elle haussa les épaules, l'air un peu triste soudainement.

— Bah, je dirais que non, ça me fait pas du bien de le voir embrasser sa meuf, mais je suis contente pour lui. J'ai passé le cap d'avoir le seum à chaque fois que je le vois, à essayer de décrypter tout ce qu'il me dit en me faisant des films. J'ai accepté le fait qu'on sera jamais ensemble en fait. Y'a plein d'autres mecs sur terre, je vais pas arrêter de vivre pour un râteau.

Comment une gamine de vingt piges arrivait à passer là dessus, alors que moi, avec dix ans de plus, je restais bloqué sur une femme que je n'aurais jamais.

Peut-être parce qu'elle avait la vie devant elle, et que moi je voyais mes reufs fonder des foyers tandis que j'avais toujours rien construit.

Ayant fini de manger, je me roulai un joint. Mon moral redescendait en flèche et je fus surpris de sentir le poids d'une tête sur mon épaule et des cheveux me chatouiller la joue.

— Heureusement que c'est moi qui choisis ce qu'on fait après, murmura-t-elle, parce qu'avec cette discussion t'as presque réussi à me déprimer.

Coinçant mon spliff entre mes lèvres, je l'allumai avant de passer mon bras autour de ses épaules.

— Grand-père gagne toujours, gamine, toujours.

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