— Deen, je te jure que tu paniques pour rien, le médecin a dit que ça se soignait très bien.

— Mais elle arrête pas de pleurer ! Ça me tue elle a mal et on peut rien faire.

Jade est malade depuis deux jours et ça me tend réellement, c'est la première fois depuis sept mois qu'elle a un truc et ça me fait vraiment vriller. Le médecin a diagnostiqué une otite et lui a administré un traitement mais je suis à deux doigts de prendre ma fille et l'emmener à l'hôpital.Ça fait deux heures qu'elle pleure et c'est pas un bébé geignard normalement.

— Quand j'étais môme j'ai eu une otite et mon tympan s'est percé parce qu'elle a été mal soignée.

Violette lève les yeux au ciel, je sais pas comment elle fait pour rester aussi zen alors que la petite hurle dans ses bras. Trois heures du matin, impossible de dormir, les cernes sous ses yeux témoignent des difficultés de ces deux dernières nuits.

— La sienne est bien soignée, elle a pris tout ce qu'il fallait et on s'en est aperçus suffisamment tôt, le pédiatre a dit qu'on faisait un nouveau bilan demain en fin d'après-midi. S'il te plaît arrête de stresser, ça l'aide pas à se rendormir de te voir gesticuler dans tous les sens.

Moi je gesticule ?

J'observe ma femme parler doucement à notre fille pour tenter de calmer ses pleurs, elle a vraiment l'air épuisée. Ce n'est pas si facile de gérer une carrière qui débute et un bébé. Pour l'instant on arrive à se relayer à la maison pendant la journée, on s'arrange parfois avec les autres, mais j'ai du mal à laisser Jade à quelqu'un d'autre que sa mère ou la mienne.

Je sais bien que je suis un peu trop stressé mais celle-là je veux pas la perdre, vraiment.

— Chérie va dormir, je vais gérer. Mets ton casque ou des boules quies, je reste avec elle.

Violette paraît hésiter un peu.

— T'es sûr ? Tu vas pas venir me chercher dans dix minutes parce qu'elle a eu un sanglot "pas comme d'habitude" ?

C'est de bonne guerre, je suis réellement comme ça. Même ma mère me reproche mon attitude surprotectrice. Le pire c'est que je me suis moqué cent fois de Ken quand il paniquait pour rien avec Iris et Arthur.

— Non je te jure, je vais gérer, au pire j'appellerai ma mère.

Vio secoue la tête de droite à gauche, elle a dix ans de moins que moi et elle semble tellement plus aguerrie avec la môme. En fait peut-être que c'est parce qu'elle est plus jeune, moins peur du risque. Et puis elle a gardé les gosses de tout L'entourage parmi lesquels quelques cas extrêmement particuliers.

Elle me tend Jade qui pleure toujours et comme d'habitude, j'hallucine un peu de me dire que j'ai participé à la conception de ce petit être.

— T'es sûr que ça va aller ? Je vais pas me réveiller dans cinq heures et apprendre que tu es parti aux urgences parce que tu stressais trop.

— Promis.

Ma femme me sourit et se dresse sur la pointe des pieds pour embrasser mes lèvres avant de se pencher sur Jade pour chasser ses larmes et déposer quelques baisers sur son visage joufflu.

— Si Papa est pénible tu cries plus fort je t'entendrai, murmure-t-elle.

— C'est ça ouais.

Elle se marre et me fait un clin d'oeil avant de disparaître dans notre chambre. J'ai rarement été autant heureux que depuis que Jade est là, mais j'ai jamais été aussi fatigué.

Au début c'était un peu bizarre avec Violette, après le retour de la maternité, bien sûr on était fou de joie mais notre couple était un peu différent aussi. Pas qu'on n'était plus amoureux, au contraire, mais la plupart de nos conversations tournaient autour de Jade, c'était souvent ma faute et Vio en a un peu marre par moment. À part quelques heures la nuit on avait jamais vraiment de moments à nous et parfois c'était un peu pesant. Heureusement, on a pas laissé ça durer trop longtemps et Violette a commencé à mettre en place tout un tas de coutumes pour que notre vie de couple ne souffre pas de notre vie familiale.

Il m'arrive encore de me demander comment j'ai pu être béni au point d'avoir une telle femme à mes côtés. C'est pas pour être niais que je dis ça, je le pense réellement, à part ma mère et peut-être aussi ma grand-mère, je connais aucune autre personne qui fasse autant ressortir ce qu'il y a de bon chez moi. Et même si parfois quand elle était enceinte jusqu'au nez, je regrettais vaguement le célibat parce qu'elle était devenue assez casse-couille, ça ne durait jamais bien longtemps.

En général il suffisait d'une journée ou deux passées avec des gars pour que je sois absolument ravi de retrouver ma Vio et son gros ventre.

Jade pleure toujours contre moi et je suis à deux doigts d'aller chercher une paire de boules Quies. Parce que bon sang... Ton bébé a beau être la chose que tu kiffes le plus au monde et pour lequel tu pourrais être torturé, coupé en morceau et brulé vif, quand il te gueule dans les oreilles pendant des heures il te vient des pensées qu'il vaut mieux pas exprimer à voix haute.

— Calme toi ma puce je t'en supplie...

Ça me rend ouf de la voir souffrir comme ça, on ne peut pas lui donner plus que la dose d'antidouleurs préconisée. On ne peut pas non plus lui donner un somnifère. Juste attendre patiemment qu'elle s'endorme. Sincèrement j'aimerais pouvoir prendre sa douleur sur moi. Ça serait pas tellement plus agréable pour Violette parce que je suis épouvantable quand je suis malade. Mais au moins la petite souffrirait plus.

J'essaye de chanter des berceuses toutes pétées dont je connais une parole sur deux. On est plus sur du yaourt qu'autre chose. Faudrait que j'appelle Némir, lui il sait chanter.

Oh la bonne idée.

Je vais pas lui téléphoner pour lui dire d'endormir ma gosse, mais je sélectionne quelques un de ses sons que je lance rapidement dans le salon pendant que je fais les cents pas dans la pièce avec Jade dans les bras.

— Tu sais j'aurais jamais supporté qu'une autre femme me hurle dessus comme tu le fais. T'es une grande privilégiée.

J'espère que Vio a réussi à s'endormir. Mais je ne me fais pas trop de souci, elle était vraiment HS.

— Prends pas trop la confiance quand même, parce que quand t'auras quinze piges je serai beaucoup moins tolérant.

Et elle hurle encore.

Bordel de merde, comment un son pareil peut sortir d'un si petit corps. Si je finis sourd, on pourra pas accuser la musique.

C'est horrible je me sens tellement démuni face à ses cris de douleurs. Je dois vraiment prendre sur moi pour pas flipper comme un ouf et partir illico aux urgences.

Violette serait paniquée si ça avait vraiment l'air grave non ?

En même temps elle est pas médecin...

Mon regard se pose sur l'heure affichée par la box internet, 4h15, ce serait salaud de réveiller ma mère à cette heure là.

Pour tenter de m'auto calmer, je chantonne en même temps que Némir qui commence lui aussi à me taper sur le système nerveux.

J'résiste mais le temps s'écoule, la nuit j'trouve plus l'sommeil...

Après avoir réussi à la calmer un peu avec un biberon, je me laisse tomber dans le canapé, allongeant Jade contre mon torse, elle gesticule un peu jusqu'à ce que j'arrive à bien la caler.

— J'suis trop vieux pour ces conneries putain.

Il ne m'est même pas possible d'avoir une pointe de regret en me disant que si j'avais connu Violette plus tôt ça aurait été autrement... Ça serait trop malsain.

Je pose mon nez contre les cheveux soyeux de ma fille pendant que les derniers sanglots secouent encore son petit corps.

— Je râle mais quand t'auras vingt ans et que tu te seras taillée de la maison, je regretterai de plus pouvoir te prendre dans mes bras parce que t'as mal aux oreilles.

Enfin j'imagine qu'à vingt ans il y aura peut-être d'autres douleurs. Sans doute bien plus graves qu'une petite otite.

Mon Dieu il faut que j'apprenne à moins stresser sinon ça va être de pire en pire.

Il n'y a rien de pire qu'un daron abusif qui refuse de voir ses enfants grandir, faut que je fasse un sérieux travail sur moi sinon c'est elle qui va en pâtir. Les gosses surprotégés sont faibles et ont peur de tout.

Mais quand je vois le monde qui nous entoure et la petite chose sans défense que j'ai dans les bras, c'est plus fort que moi, je flippe. Heureusement que Violette est là.

— Faudra que je t'apprenne à te défendre, comme ça t'auras même pas besoin que ton vieux père veille sur toi.

Je veux que ma fille soit forte et douce, qu'elle soit gentille mais pas naïve, qu'elle soit là pour les autres mais qu'elle soit pas dépendante d'eux, qu'elle soit consciente de ses fragilités mais qu'elle se cache pas derrière.

— Tu vas être une putain de guerrière.

Elle ne comprend surement pas grand chose, je crois même qu'elle dort maintenant, mais ça me fait du bien de lui parler, c'est plus moi que ça rassure en fait.

Je commence à être réellement épuisé quand Elle pleut se lance dans le salon, faudra que je dise à Némir que je me sers de lui pour endormir la petite, il m'endort un peu aussi je dois bien l'avouer. Mais j'ai pas le temps de pioncer, parce que j'ai dans la tête les paroles de ce qui sera sûrement la meilleure chanson de ma vie.