Paris, fin 19ème siècle

EIFFEL (persistant)
Il a eu une sacrée année, dites-donc !

MARY (regardant Nancy)
N'est-ce pas....

Nancy déglutit.

Elle n'arrive pas à identifier l'année exacte dans laquelle elles viennent de mystérieusement apparaître. 

NANCY (baratinant)
Avec tous ces projets... C'est certain.

Elle doit faire parler son hôte pour avoir plus d'infos.

NANCY
D'ailleurs, auriez-vous à tout hasard conservé un journal parlant de notre Président ? J'aimerais voir comment la presse française traite ce sujet. Je dois avouer que je prête ma plume également pour un petit journal de quartier de Washington.

EIFFEL
Vraiment ?

NANCY
Sans aucune prétention... je vous assure. Mais oui, je serais curieuse de voir ce que rapporte la presse française sur notre nation.

EIFFEL
Bien sûr. Je reviens tout de suite.

Eiffel quitte la pièce.

MARY
Alors là, l'esquive, bravo ! J'applaudis des deux mains....

Nancy se tourne vers Mary.

NANCY (chuchotant, énervée)
Ne dites plus un mot...

MARY (vexée)
Pourquoi ça ?

NANCY
Vous alliez parler de la Première Guerre mondiale à la fin du 19ème siècle.... L'histoire, c'est vraiment pas votre fort.

MARY
Ah oui ? Alors d'un; mon fort comme vous dites, ce sont les sciences ! Et de deux; vous savez de quel Président il parle ? Parce qu'il vient de dire qu'on se situe quelques années après la guerre de Sécession...

NANCY
Le problème, c'est que plusieurs présidents se sont succédé très rapidement... Il y a eu Grant, Hayes, Garfield, Arthur, Cleveland, Harrisson....

MARY
Génial... Reste plus qu'à espérer qu'ils ne nous enferment pas dans un asile....

Eiffel revient dans le salon. Les deux femmes se redressent sur leur siège.

NANCY (lui souriant)
Vous avez trouvé un journal !!

EIFFEL
En effet.

Mary et Nancy lisent rapidement la date 1887 au dos de la première page du journal.

EIFFEL (lisant l'article)
Voici ce que dit l'article de ce matin : "Le Président américain Grover Cleveland ulcère les investisseurs ferroviaires en ordonnant une enquête sur les terres de l'Ouest. Cleveland avance que les droits sur ces terres doivent être rendus au public, en raison des lignes ferroviaires non construites. Les terres ainsi confisquées permettront au gouvernement de récupérer environ 330 000 kms."

Il regarde les deux femmes.

EIFFEL
Eh bien, je dois dire que j'aurais bien besoin d'un homme de sa trempe dans mon équipe. Le gouvernement français ne m'a donné qu' 1,5 million de francs pour construire cette tour. Et en à peine quelques mois, je viens d'engloutir cette somme.

NANCY
Comment allez-vous faire ?

EIFFEL
Je dois à nouveau les rencontrer pour faire pression. Ce n'est pas de tout repos...

MARY
Pourquoi avoir englouti tout votre budget ?

NANCY (la foudroyant du regard)
Mary, ça suffit !!!

Mais Mary n'en fait qu'à sa tête.

MARY
C'est juste pour comprendre la complexité de la chose...

EIFFEL
Eh bien, j'ai un souci avec les piliers. C'est très technique. Mais tout ce que vous devez savoir c'est que je suis à la recherche de physiciens pour répondre à un problème de gravité. Pardon, je vous ennuie avec ces détails.

MARY
Absolument pas ! Pouvez-vous nous en dire plus  sur ce problème de gravité ?

EIFFEL
Oh... Écoutez, je fais passer des entretiens d'embauche à des physiciens. J'en ai vu un bon nombre, mais aucun ne vient à bout de mon problème.

MARY
J'entends ce que vous dîtes, mais ce problème consiste en quoi exactement ??

EIFFEL
Ce serait difficile à expliquer comme ça à une femme... euh, telle que vous bien sûr. J'imagine ô combien ces détails doivent vous sembler fatiguants. Votre ami Einstein serait-il capable de le résoudre ?

NANCY (répondant à la place de Mary)
Probablement, mais Albert est en voyage.

EIFFEL
Oh, je vois... Quel dommage. "Albert Einstein" vous dîtes ? ... C'est étrange, ce nom sonne très bien à mes oreilles, j'ignore pourquoi.

Nancy voit Mary sourire comme une droguée.

MARY
C'est parce que c'est probablement l'un des meilleurs physiciens au monde !

EIFFEL (répétant, triste)
C'est bien dommage que ce monsieur ne vous accompagne pas.

Nancy se place devant Mary pour l'empêcher d'ouvrir encore la bouche. Mais Mary se penche pour parler.

MARY
Mais écrivez donc ce problème sur un bout de papier, nous lui transmettrons.

EIFFEL (retrouvant le sourire)
Vous feriez ça pour moi ?

MARY
Tout ce que vous voudrez !

Eiffel retourne derrière son bureau. Il s'empresse d'attraper une feuille de papier et trempe sa plume dans son encrier.

NANCY (dévisageant Mary)
À quoi vous jouez ?

MARY
J'aime les défis !

NANCY
Pardon ??

La gouvernante arrive au même instant avec des viennoiseries.

GOUVERNANTE
Vous devriez les goûter....

NANCY (soulevant un pavé bien beurré)
Qu'est-ce que c'est ?

GOUVERNANTE
Un far breton, une spécialité de ma Bretagne natale à base de beurre.

NANCY
Oh... çà a l'air.... très.... calorique...

La gouvernante la regarde bizarrement et retourne en cuisine.

MARY (sifflant entre ses dents)
Les calories, vous croyez sérieusement qu'elle sait ce que c'est ?

Nancy affiche une moue.

NANCY
Je n'y avais pas pensé....

Avant qu'elle n'ait le temps de la sermonner à son tour, Eiffel revient avec une enveloppe manuscrite cachetée par un sceau de cire.

EIFFEL
Et voici. J'ai glissé l'objet de toutes mes insomnies dans cette enveloppe, à l'attention de Monsieur Albert Einstein.

MARY (s'en emparant)
Voyons voir.

Nancy lui ôte l'enveloppe des mains.

NANCY (s'inclinant)
Merci pour tout monsieur Eiffel, nous lui transmettrons.

EIFFEL
Parfait, j'espère avoir de vos nouvelles très vite. Vous savez où me trouver.

NANCY
Entre votre hôtel particulier et le Champs-de-Mars !

EIFFEL (souriant)
C'est cela ! Je vois que vous avez goûté au far breton de ma gouvernante ?

MARY (parlant la bouche pleine)
Un délice.

Eiffel éclate de rire.

EIFFEL
Ah quel plaisir mesdames de vous avoir, ici. Vous avez illuminé ma journée... En fait, pour tout vous dire, ma semaine...

MARY (se battant avec le beurre collé entre ses dents)
Vous inquiétez pas, on va la trouver cette solution !

EIFFEL
Que Dieu vous entende.... mesdames. Que Dieu vous entende !