Paris 1887

Mary revient à elle. Elle se trouve dans un luxueux appartement.

Nancy est penchée au-dessus de sa tête. Elle lui chuchote quelque chose, mais Mary n'entend que le dernier mot de sa phrase.

NANCY
..., compris ?

La gouvernante arrive dans la pièce et se tourne vers le couloir.

GOUVERNANTE
Mademoiselle Mary est revenue à elle.

Gustave Eiffel les rejoint dans la chambre.

EIFFEL
Ma chère enfant, vous voilà de nouveau parmi nous. Vous m'avez fait une de ces peurs sur le Champs-de-Mars...

MARY (balbutiant des syllabes)
Je... je ... ne... enfin... je...

NANCY
Elle vous remercie, monsieur Eiffel.

MARY (se redressant d'un coup)
Eiffel ??? Vous êtes Gustave Eiffel ?

EIFFEL (lui faisant un baisemain)
Votre humble serviteur.

Mary vire au rouge pivoine. Nancy lui fait des gros yeux pour lui dire de jouer le jeu.

MARY
Enchantée, vraiment. C'est un immense honneur de vous rencontrer... ici, dans... Où sommes-nous d'ailleurs ?

EIFFEL
Dans mon hôtel particulier, à deux pas du Champs-de-Mars.

NANCY
Merci encore de nous avoir accueillies.

EIFFEL
C'est bien naturel. Alors dites-moi, que faisiez-vous là-bas ?

NANCY
Eh bien... Nous... nous baladions sur le Champs-de-Mars pour admirer votre œuvre.

EIFFEL
Vous êtes bien les seules à parler d'œuvre.

NANCY
Vraiment ?

EIFFEL
La plupart des gens commentent la structure en parlant de monstre de fer... Ce qui risque d'arriver si je ne mène pas ce chantier à bout. D'ailleurs à ce sujet.... Vous parliez d'un physicien, un certain Einstein... A tout hasard, l'accompagnerez-vous ?

Mary éclate de rire, un rire de cochon résonnant contre la paroi de la chambre.

Nancy la foudroie des yeux. Elle se redresse.

MARY (souriant à pleines dents)
Si seulement...

NANCY (changement vite de sujet)
Monsieur Eiffel, oserai-je vous demander quelques vêtements pour notre amie ? Les siens se sont déchirés lors de sa chute.

EIFFEL
Mais bien entendu. Je vous attends dans le salon.

NANCY
Merci, infiniment.

La gouvernante apporte une robe jaune satinée à Mary.

MARY
Hors de question que j'enfile cette robe.

NANCY (souriant à la gouvernante)
Merci infiniment, madame !

Elle lui indique la porte des yeux. La gouvernante prend congé poliment.

GOUVERNANTE (s'inclinant)
Madame...

Elle referme la porte.

NANCY (s'asseyant près de Mary)
Je peux vous demander à quoi vous jouez ??

MARY
Pardon ?

NANCY
Vous  voulez vous balader en jeans et chapeau de cowboy ??? Vous voyez bien qu'on est coincés au début du 20ème siècle à Paris !

MARY
Correction, fin 19ème.

NANCY
Comment vous le savez ??

MARY (sortant du lit)
La tour Eiffel a été construite pour l'Exposition universelle de Paris qui a eu lieu en 1889.

NANCY
Oh... Vous êtes forte en histoire...

MARY
Absolument pas ! Je suis ingénieure...

NANCY
Ok, alors en attendant de trouver comment retourner dans le présent, nous devons jouer le jeu, nous intégrer très rapidement à la bonne société.

MARY
Pardon, mais pourquoi la "bonne" société ?

NANCY
Parce que c'est notre seul espoir de regagner l'Amérique !!!

Mary se fend d'un rire.

NANCY
Qu'y-a-t-il ??

MARY
Parce que vous croyez sincèrement qu'ils vont aider deux parfaites inconnues ??

NANCY
Vous avez quoi d'autres comme solution ??

Mary efface son sourire. 
Nancy a raison. Pour l'instant, elles doivent se fondre dans la masse.

MARY
Ok, alors c'est quoi le plan ??

NANCY
Gustave Eiffel a dévié de sa trajectoire sur le Champs-de-Mars lorsque nous avons parlé d'Einstein.

MARY
Il écoutait notre conversation ??

NANCY
Je dirais qu'il a entendu la dernière partie. Il faudrait faire en sorte de le mettre en contact avec lui.

MARY
Et on va le trouver comment ?? On ne sait pas où il est. On n'a ni Internet ni le téléphone à cette époque. Ou alors une ébauche.

Nancy baisse les yeux.

NANCY (chuchotant)
Alors nous devrons faire croire que nous le connaissons, histoire de gagner son amitié. Enfilez votre robe.

MARY
Et après ?

NANCY
Après, on avisera au fur et à mesure. 

MARY (s'habillant)
Super plan...

NANCY (lui décochant un regard noir)
A moins que vous sachiez fabriquer une machine à remonter le temps...

Mary soupire.

MARY
Déjà, je vais commencer par prendre sur moi avec cette immonde robe.

Elles rejoignent Eiffel dans son salon. La gouvernante apporte le thé.

NANCY
Merci, monsieur Eiffel, de recevoir chez vous deux inconnues. C'est très aimable.

EIFFEL
Voyons, c'est tout naturel. Alors dites-moi. Vous n'êtes pas sur Paris pour voir uniquement ma construction, j'espère...

NANCY
En effet. Nous sommes en visite. Nous venons d'Amérique.

EIFFEL
Deux américaines ? Vraiment ? Ça alors, votre français est parfait. Je n'y décèle aucun accent !

MARY
C'est parce que notre mère est française, de Paris pour être exacte, près du Moulin Rouge.

Mary sourit en coin, improvisant...

EIFFEL
Le Moulin Rouge ? Je ne connais pas cet endroit. Où est-ce ?

NANCY (intervenant)
Dans les quartiers Nord. Du moins, c'est le nom qu'on lui a donné dans le quartier. Les Parisiens ne le connaissent pas vraiment.

EIFFEL
Oh... je vois. Étonnant, je pensais tout connaître de Paris.

En disant cela, il reprend une gorgée de thé, imité par les deux touristes temporelles.
Nancy lance un regard à Mary pour lui dire d'arrêter d'improviser avec des noms de films...

EIFFEL
Donc vous venez d'Amérique. De quelle région ?

NANCY
Washington !

MARY (en même temps)
Los Angeles...

Un blanc s'installe. Eiffel éclate de rire pendant que les deux femmes se lancent des œillades.

EIFFEL
Je vois, vous n'habitez pas au même endroit. Même aux antipodes l'une de l'autre.

NANCY
C'est exact. Nous avons nos vies à nous. Ce voyage, c'était l'occasion de nous retrouver.

EIFFEL
Pardonnez ma question, mais vos époux ne s'inquiètent pas à l'heure qu'il est ?

NANCY
Oh, eh bien,  à vrai dire nous sommes célibataires....

EIFFEL
Oh....

Nancy se rappelle que passé un certains âge, les femmes étaient tout de suite cataloguées à cette époque. Mary lui coupe l'herbe sous le pieds.

MARY
"Veuves" pour tout vous dire.

EIFFEL (étonné)
Toutes les deux ??

MARY (remettant ça)
Oui, depuis un an. Nos maris ont fait la guerre... "ensemble"....

Eiffel les dévisage.

EIFFEL
Je suis navré de l'entendre. Mais pardonnez-moi encore ma curiosité, de quelle guerre s'agit-il ?

MARY
Eh bien, la 1ère guerre mond...

Nancy écarquille les yeux. Mary est en avance de 40 ans sur le planning.

NANCY (parlant plus fort)
La guerre de Sécession !

EIFFEL
Mais elle est terminée depuis plusieurs années déjà...

NANCY (bégayant)
Oui, en effet... Mais vous savez, toutes ces guerres ne sont jamais vraiment terminées...

EIFFEL
Oh, oui j'entends parfaitement ce que vous dîtes. Et donc, vos maris en ont fait les frais... Je vous présente mes plus sincères condoléances.

NANCY (baissant les yeux)
C'est très aimable, monsieur Eiffel.  Merci. La raison de notre venue sur Paris, c'est parce que c'était un vœux très chers de nos maris. Partir ensemble voir Paris, tous les quatre.

EIFFEL
Et vous honorez là, leur mémoire. Quel bel hommage, mesdames.

Soudain Nancy entend des reniflements étranges à côté d'elle.

MARY (en larmes)
C'est abominable, ce qui leur est arrivé. Quand j'y repense... Je... je me sens toute... Ce vide si immense....

Elle éclate en sanglots sur demande.

EIFFEL
Je suis sincèrement navré. Je ne voulais pas vous imposer ces douloureux souvenirs. 

MARY (se mouchant dans sa serviette de table)
Merci mon brave monsieur. Vous êtes si élégant... si aimable...

En disant cela, elle boit avec beaucoup de simagrées une gorgée  de thé, sous l'œil noir de Nancy qui lui intime du regard de calmer le jeu.
Mais c'est sans connaître Mary qui adore les dramas.

MARY
On nous avait toujours dit que les français étaient si...

NANCY (la coupant)
Prévenants !!

Eiffel sourit à la réflexion.

EIFFEL (tentant de changer rapidement de sujet)
Je vous retourne le compliment. Votre Président est un homme méritant.

Un ange passe.

EIFFEL
Et je serais curieux de connaître votre opinion à son sujet...

Mary et Nancy ne savent pas de quel président il parle puisqu'elle ne savent pas en quelle année elles sont...