101. Monnet Mannet

Paris, 1887



Nancy n'a pas le temps de répondre qu'Albert en a décidé autrement.



ALBERT
Peu importe ! Monnet doit faire ses preuves avant, Auguste ! Je ne peux pas inviter un illustre inconnu à un vernissage pareil !



Mais Nancy ne peut pas laisser la réputation de son peintre fétiche être salie de la sorte.



NANCY
Excusez-moi d'insister, mais je peux vous garantir que Monnet est l'un des peintres les plus talentueux de sa génération !

ALBERT (la fusillant du regard)
Vous êtes quoi, une sorte de devin ?

NANCY
En quelque sorte...



Rodin la dévisage. Lors de leur rencontre, Nancy lui a parlé de deux œuvres "Le Baiser" et "Le Penseur", deux noms auxquels il avait déjà songé d'édifier une sculpture. 

Quelque chose cloche avec cette femme. Il décide d'en avoir le cœur net.



RODIN
Vous connaissez vraiment Monnet ?

NANCY
Si je le connais... Un peu ! Tout ce qu'il touche se transforme en or. Il n'y a qu'à voir toute la poésie que renferment ses toiles ! J'ai d'ailleurs deux copies de ses tableaux dans mon salon !
 
ALBERT
(dévisageant Rodin, étonné)
J'ignorais que sa réputation s'étendait hors de Paris.



Rodin ne répond rien et la fixe. 

Nancy s'est un peu trop enflammée. Elle vient de commettre une nouvelle bourde "temporelle".



NANCY
Enfin, je veux dire que si on lui donne sa chance, cet artiste fera un carton.... enfin, un malheur (voyant leur regard perdu) un tabac... non, toujours pas... Il va tout déchirer !!

ALBERT
Déchiré quoi ??

NANCY (entre ses dents)
Zut, rude époque...



Les deux hommes la fixent à présent, comme si elle était un singe savant. 



NANCY (rattrapant le coup)
Je peux vous assurer qu'il va vendre ses toiles à prix d'or. En Amérique, les journalistes commencent déjà à parler de lui.

ALBERT
Monnet s'est exporté jusque là-bas ??! Tu étais au courant Auguste ??

RODIN (mentant)
Bien sûr ! Pourquoi crois-tu que je te le recommande.



Rodin ne se fait pas prier pour saisir la perche que Nancy lui tend depuis un bon moment. Devant un tel engouement international, le Directeur du Louvre n'a d'autres choix que d'abdiquer.



ALBERT (soupirant)
Bon très bien, je vais lui envoyer un carton d'invitation.

RODIN (posant sa main sur son épaule)
Crois-moi, Albert, tu ne vas pas le regretter ! On n'aura pas fini d'entendre parler de notre génération dans les annales !

NANCY (acquiesçant)
Ça, je peux vous l'assurer....



Un homme qui écoute leur conversation depuis un bon moment s'approche d'eux.

Le Directeur du Louvre l'accueille les bras ouverts.


ALBERT
Jules !

JULES
Bonjour Albert, Bonjour Auguste. Toutes mes félicitations pour cette médaille.



Les deux hommes se serrent la main chaleureusement.



RODIN
Je ne sais pas si c'est mérité, mais je l'accepte volontiers !



L'homme dirige ses yeux bleus perçants vers Nancy.  Le Directeur fait les présentations.



ALBERT
Jules, je te présente Nancy Wheeler une amie américaine d'Auguste que je ne te présente plus.



L'homme fait un baise-main délicat à Nancy et la fixe intensément.



JULES
Enchanté madame, je m'appelle Jules Ferry.



Nancy reconnaît le nom de l'homme qui a rendu l'école obligatoire en France.



RODIN (ajoutant)
Jules est un avocat réputé qui se passionne pour la chose publique, si bien qu'il est devenu le Président du Conseil des Ministres. Il collabore régulièrement aux journaux "La Presse", "Le Courrier de Paris", "Le Temps" que vous connaissez certainement. 

NANCY (acquiesçant)
En effet ! C'est un honneur !

RODIN
Et c'est aussi l'initiateur de ce projet pharaonesque.

NANCY
Quoi donc ?

JULES FERRY (répondant)
L'Exposition Universelle. J'ai proposé de relancer le concours.

RODIN (commentant)
100 ans après la Révolution française... Quelle merveilleuse idée, mon cher Jules !

JULES FERRY (soupirant)
Et nous avons encore deux ans pour y parvenir.

RODIN
Je te sens soucieux... Il y a un problème ?




JULES

Avec toutes ces manifestations, il y a de quoi...

RODIN
Laisse-les parler, ce sont des imbéciles ! Les gens n'y comprennent rien à l'art, ce n'est pas nouveau !

JULES
Sauf que cette fois-ci, Guy de Maupassant est dans leur camp !

NANCY (intervenant)
L'écrivain ? Pardonnez cette question, mais contre quoi proteste-t-il ?

JULES
La construction d'une tour haute de 300 mètres.

NANCY
La tour Eiffel ??

ALBERT (riant)
La "tour Eiffel"... Ne prononcez jamais ce nom devant Gustave, sinon il va encore nous rabâcher que c'est lui le meilleur....



JULES
Certes, mais son projet surpassait de loin les autres.

ALBERT
C'est un peu trop irréaliste si vous voulez mon avis.

JULES
Je fais confiance à Gustave. Après tout, sa Statue de la Liberté éclaire New York à présent. Nous devons avoir la nôtre en France également.



Rodin et Nancy se jettent un regard, amusés par la référence qui semble vraiment agacer le Directeur du Louvre.



ALBERT
Je ne vois pas en quoi une tour métallique sans aucune forme va faire rayonner la France...

RODIN (prenant la défense d'Eiffel)
En réalité, l'idée de Gustave est d'offrir une tour du soleil fonctionnant comme un pylône éclairant Paris. (Regardant Nancy) savez-vous que cette idée est venue d'Amérique ?



NANCY

Non, je l'ignorais...

ALBERT
Deux ingénieurs, Clarke et Reeves, ont tenté de faire passer ce projet à l'Exposition Universelle de Philadelphie. Mais, faute de financement, ils n'y sont pas parvenus. Finalement, c'est Eiffel qui s'est emparé du sujet.

JULES (désespéré)
Jusqu'à quand ? Regardez ce que Guy de Maupassant et ses petits amis ont écrit dans le Temps ce matin !



Ferry sort un journal parisien de sa sacoche et le donne à Rodin.



RODIN (lisant un extrait en gras)
"Le caractère industriel de cette tour de 300 mètres, contraste avec un Paris plutôt horizontal, plutôt blanc...." (Relevant la tête) je ne vois là rien d'alarmant, Jules...

JULES (rajoutant)
Sauf qu'il n'est pas le seul. Si d'autres grands artistes mettent leur véto, l'œuvre d'Eiffel risque de ne jamais voir le jour et de tourner la France en ridicule aux yeux du monde....



ALBERT
En effet, ce serait une catastrophe de faire marche arrière à ce stade. 

NANCY (commentant)
La France louperait une belle occasion... ça c'est sûr !



Rodin l'observe en silence. Il commence à se demander si Nancy ne serait pas envoyée par la Providence.



RODIN (la fixant intensément)
Avez-vous quelques suggestions à nous faire ?



NANCY (hochant la tête)
Avez-vous pensé à contre-attaquer ?

JULES FERRY
Contre-attaquer ? Comment ça ??

NANCY
Je vois...



Finalement Mary avait peut-être bien raison. L'objet de leur venue dans le passé a sans doute un lien avec la tour Eiffel....



NANCY (souriant en coin)
J'ai une idée....


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