100. Le statut de la Liberté

Paris, 1887



Un silence glacial se forme autour d'elle. Nancy voit le groupe de femmes murmurer quelque chose dans sa direction. Elle affiche un grand sourire.



NANCY (mal à l'aise)
Tout à fait... Tout à fait !



Elle doit trouver une pirouette et vite....



NANCY (mentant)
Je... je fais partie en réalité des fondateurs du journal. J'ai initié cette démarche il y a 15 ans. 

ALBERT
Vraiment ?

NANCY
Oui, mais vous savez ô combien les femmes sont sous-estimées dans ce pays. J'imagine qu'en France, ces dames ont plus de pouvoirs.....



Le groupe de femmes affiche une grimace, comme si elles venaient d'avaler une couleuvre. 



NANCY
Quoi qu'il en soit, j'ai dû me battre pour que le Washington Post voie le jour. Et 5 ans plus tard, après avoir trouvé des investisseurs et réuni les fonds nécessaires, nous nous sommes lancés !



Les regards de ces messieurs changent. Nancy y lit de l'admiration tandis que les femmes la jalousent de cette liberté américaine. Rodin se félicite intérieurement d'avoir emmené à son bras cette délicieuse personne.



RODIN (captivé)
Charmante, absolument charmante !



Mais le Directeur du Louvre semble toujours sceptique.




ALBERT
Oui, étranges coutumes outre-Atlantique, en effet.

RODIN (lui tapant sur l'épaule)
Voyons Albert,  à présent que Bartholdi et Eiffel ont installé cette fameuse statue à l'entrée de New York, ne dit-on pas que les États-Unis sont le pays de la Liberté ?

ALBERT
Cette statue de la Liberté n'a qu'un an, Rodin ! Laissons-lui le temps de faire ses preuves avant d'en tirer des conclusions hâtives.

NANCY (rebondissant)
Je peux vous assurer, monsieur le Directeur, que son éclat ne vacillera jamais ! Elle rayonnera sur le monde entier et l'illuminera de sa bienveillance. Soyez-en certain !



Plusieurs personnes applaudissent la jeune femme.



RODIN
Une femme pour éclairer le monde, j'aime ça !



Mais le Directeur ne s'en laisse pas conter pour autant.



ALBERT
Je ne pensais pas les Américains aussi libérés.



Nancy voit rouge, mais préfère éviter de faire un scandale. Quoique...



NANCY (le narguant)
Aucune femme parmi vos effectifs pour aller dénicher des œuvres d'art ou récupérer des budgets ?




ALBERT

Disons que nous avons quelques artistes féminines. Auguste ne pourra pas dire le contraire...

RODIN
Non.. C'est sûr.



Nancy voit Rodin rougir.

Albert s'en amuse et décide de le torturer à son tour.



ALBERT
D'ailleurs comment se porte ta prodigieuse élève ?



Le Directeur du Louvre ne laisse pas à Rodin le temps de répondre et se tourne vers Nancy pour lui faire quelques confidences.



ALBERT
Auguste s'est entouré des meilleurs élèves que compte cette ville, dont une certaine Camille Claudel. (Se tournant vers Rodin) et à ce qu'il paraît, on dit que vous êtes très proches tous les deux....

RODIN
Camille est douée, immensément douée. Elle ira très loin !



Nancy sourit en voyant les yeux de Rodin s'enflammer.



RODIN (poursuivant, passionné)
C'est sûrement l'une des rares personnes qui comprennent l'entièreté de mon travail. Elle dépasse chacune de mes attentes, et son travail... c'est une pure merveille, d'une précision incomparable !

ALBERT
On dit que depuis qu'elle est revenue d'Angleterre l'hiver dernier, elle a exigé que tu n'acceptes aucune autre élève qu'elle....

RODIN
Je vois que tu es bien renseigné....



ALBERT
Tu oublies ma fonction, Auguste... Je passe mon temps avec les artistes et tu sais ô combien ils ne sont pas avares en détail....

RODIN
Je ne le sais que trop bien... D'ailleurs, je me suis engagé à protéger Camille dans les cercles artistiques.



Nancy sent une certaine compétition entre les deux hommes qu'elle tente de désamorcer.



NANCY (fixant Rodin)
Sur quoi travaillez-vous en ce moment, Auguste ?

RODIN
A l'élaboration d'un Monument à Balzac.



En voyant le sourire en coin d'Albert, Rodin doit vite changer de sujet avant qu'il ne l'attire sur une sphère encore plus intime. Il a promis à sa belle de l'épouser, mais ne peut s'y résoudre pour l'instant. Il préfère éviter toutes questions auxquelles il n'a pas de réponses franches.



RODIN 
Alors, dis-moi Albert, où en sommes-nous pour l'Exposition Universelle ?

ALBERT
J'attendais cette question...

RODIN
Tu as du nouveau ?




ALBERT

Oui la commission a décidé que tu couvrirais le vernissage de l'exposition, le 21 juin.

RODIN
Au solstice d'été, quel beau clin d'œil.



Le Directeur du Louvre se tourne vers Nancy qui ne perd pas une miette de cette conversation animée, presque surréaliste.



ALBERT
Auguste est membre du jury de l'Exposition.

NANCY (dévisageant Rodin)
Et vous pouvez exposer en étant juge et partie ?

RODIN
C'est bien pour ça que j'aimerais introduire l'événement avec un vernissage avant son ouverture, pour présenter quelques-unes de mes œuvres...

NANCY
Malin ! 

RODIN
D'ailleurs à ce sujet, Albert, permets-moi de te recommander un très bon ami...

ALBERT (sourcillant)
Ton frère de cœur ?

RODIN
Oui, Claude est doué, le plus brillant de sa génération. Si seulement les critiques voyaient son talent comme je le vois !

ALBERT
S'il n'est pas connu, c'est peut-être pour une bonne raison...

RODIN
S'il te plaît, fais un effort... Je te pousse sa candidature sérieusement cette fois-ci.

ALBERT
Et tu connais les règles de la maison, Auguste. Ce n'est pas parce que vous avez deux jours d'écart que tu dois systématiquement me l'imposer à chaque événement...



RODIN
As-tu entendu le mot "talent" dans ma phrase précédente ?

NANCY (curieuse)
Euh, excusez-moi de vous interrompre, mais qui est ce Claude ?

ALBERT
Un certain Claude Mannet...

RODIN
Claude Monnet !! Par pitié, ne le confonds pas avec Édouard ! Paix à son âme -  il n'est plus des nôtres.


En entendant le nom de son peintre préféré, le sang de Nancy ne fait qu'un tour. Elle en oublie sa réserve une fois de plus.



NANCY
Ça alors... Vous parlez de Claude Monnet, "le" Claude Monnet ?!!




RODIN (étonné)
Euh, oui... Vous... vous le connaissez ??

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