9- Coïncidence flagrante

Maxine


J'essuie les verres au Torb'j, l'esprit perdu. Le bar n'ouvre que dans deux heures, mais j'avais un grand besoin de m'éloigner de mon taudis. Je souffle.

— Bah alors, Maxine, ton humour est au beau fixe aujourd'hui. Je ne t'attendais pas sitôt ce soir.

Tobias s'installe sur la chaise. Je claque ma langue en détournant le regard. Puis, pose le verre sous la tireuse et lui sert une bière.

— As-tu encore des téléphones prépayés ? demandé-je irrité.

— Il est arrivé quoi à celui que je t'ai donné à ton retour ?

Je glisse ma main dans ma poche arrière et lui balance sur le comptoir le restant du téléphone. L'engin a pris autant cher que la sim suite à l'appel du rigolo. Après avoir broyé la carte, je suis sorti et j'ai été à un stand de tir. La cible était ce maudit téléphone. Criblé de balles. Je m'en suis fait un cœur joie.

Tobias le récupère entre ses doigts, le fixe un instant en ouvrant la bouche en forme d'o et porte son regard sur moi avant de le reporter sur l'objet.

— Tu m'expliques ?

— Tu te rappelles pourquoi j'ai détruit la sim du dernier ?

Il hoche la tête, se souvenant qu'il n'avait pas pu me contacter.

— Bah, le gars, il a rappelé, et j'ai fait l'erreur de répondre, je réponds en contractant la mâchoire.

— Et que t'a-t-il dit ?

— Il s'est fait passer pour un agent de commande d'Amazon.

Je lui explique l'appel que j'ai eu. L'état dans lequel j'étais, et petit plus, profitant que la perche soit absent, je lui dépose le sachet de croquettes sur le comptoir. Il l'examine. Me regarde un temps. Un rictus se forme.

— Il y a une certaine ressemblance.

— Tu te fous de moi là ?

Il se marre. Pour ma part, je ne ris pas. OK, je ne suis pas la dernière à faire des conneries, mais qu'avec les gens que j'apprécie, le prêtre mit à part... Mais là, il y en a un qui veut réellement me faire sortir de mes gonds.

— Intéressant, rumine Tobias.

Il a le doigt posé sur sa bouche en analysant le packaging des croquettes.

— Qu'est-ce qu'il y a ? interrogé-je en le fixant, grognant à moitié.

Oui, mon humeur est à son paroxysme. Les clients ont intérêt à bien se tenir dans les jours à venir, sinon ils vont vite voler. Le lancer de boulet, ça m'connaît. Il lève le regard sur moi en souriant. Il sait un truc. Il tourne le paquet de mon côté et pointe son doigt vers l'œil du clébard.

— Je parie, comme tu t'es vite énervé, que tu n'as pas fait attention à ce détail.

Je me rapproche du paquet. Je l'analyse. Il y a un point blanc dans l'œil du chiot. Un point... Que dis-je ? C'est infime, minuscule, il faudrait une loupe pour ceux qui ne peuvent pas voir à deux mètres. Mais je le vois et je suis passé à côté. Un serpent enroulé dans un E. J'ai déjà vu ça ailleurs, mais où. J'ai déjà vu ce symbole une fois quand je pourchassais une proie aux States. Avant que je ne rencontre Tobias et la perche. C'est vieux. Facile, six ans maintenant. Ce n'était pas le commanditaire, mais il était passé avant moi.

Je tourne le dos à Tobias et me mets à courir dans son bureau. C'est un maniaque. Il garde toutes les fiches de nos missions. Même ceux me concernant. J'entre dans son bureau en trombe. Dégage sa chaise. Tape son code après avoir ouvert son placard avec force. Erreur. Merde, il a changé son code.

— Alfa 007, si tu le veux, entends-je dans mon dos.

Je regarde au-dessus de mon épaule. Le boss est appuyé contre le bâti de sa porte. Je tape le code et ouvre son coffre. Vide. Je tique.

— J'ai tout transféré ailleurs après son passage. Sait-on jamais, te connaissant.

— Qui c'est ?

Il se redresse. S'avance dans la pièce, puis pose les mains à plat sur son bureau. Il réfléchit un instant, mais en voyant que je le fusille du regard, il prend vite la parole.

— Le serpent du dark web. Insaisissable. Elder Snake. Une ombre qui avait raccroché deux ans après que je t'ai ramassé.

Ma mâchoire se contracte. Il n'a pas tant que ça raccroché, comme je suis sa cible.

— Pourquoi moi ?

Il hausse les épaules, mais son regard part en biais. Il sait, mais pour lui faire cracher le morceau, c'est : accroche-toi cocotte, c'est parti pour la roulotte. Je tique néanmoins sur une info. Après son passage. Il est venu pour un contrat. L'ai-je réalisé ou non, je n'en sais fichtre rien. Pire qu'un don Juan qui collectionne les conquêtes, je fais la même avec les têtes.

Coïncidence.

Ce mot me percute de plein fouet. Je me lève d'un bond.

— Je prends mon week-end.

— Ah non, princesse, je n'ai que toi. Les autres ne bossent pas aussi bien que Damien et toi, rouspète-t-il.

Je le fixe.

— Dis-moi qui c'est et je reste.

Silence. Il soutient mon regard, mais n'en dit pas plus. C'est ce que je pensais.

— Démerde-toi.

Je le dépasse. Rejoins ma 4 L. La démarre et part en trombe. Elder Snake. De ce que je me rappelle, il sévissait principalement aux États-Unis. Une ombre. Je confirme. Je suis un fantôme aux yeux du monde, pourtant mon identité n'est pas cachée. Et, Max, mon surnom de tueuse est bien connu des services de sécurité. Fiché S, non. Car je passe entre les mailles des filets. Je n'agis pas comme les autres. Je ne me roule pas dans le pognon, même si je le pouvais. Je préfère mener ma p'tite vie tranquille, emmerder Gertrude et renverser des têtes.

Mais lui. Bien fiché dans les services d'Interpol. Une légende. Insaisissable. Et, je suis sa cible. Pourquoi ? Il avait raccroché. Le commentateur de la radio attire mes oreilles, alors que je suis sur le périph, bouché par l'heure de pointe.

« C'est l'heure des dédicaces et nous avons une demande spéciale d'Esnake pour Max. Max, si tu nous entends, toi et Esnake ferez un joli couple haut en couleur ! »

« À vous les studios, sur Radio France Gay. »

Mes yeux s'agrandissent. Mes mains se contractent sur le volant. Je n'écoute jamais cette radio, et il m'est impossible de changer la station. Le groupe Kyo chantant le Graal se met à sortir des enceintes. J'aurais pilé sur la route si je n'étais pas déjà à l'arrêt. Bordel. Le Graal. Ça ne peut être que lui. Roulant à une vitesse respectant à peine les limitations, je déboule dans ma rue. Claque la portière devant les yeux effarés de Gertrude. Pousse la porte avec rage, la faisant trembler. Monte les marches quatre à quatre. Arrive devant sa porte et cogne dessus comme si j'allais la défoncer.

Ma respiration est saccadée. Je suis en âge. La porte s'ouvre sur lui. Une serviette autour du cou. Torse nu. L'enfoiré. Je le pousse en plaquant mes mains sur son torse et rentre dans son studio.

— Mais qu'est-ce qui vous prend ? s'exclame-t-il surpris.

Je scrute son logement. La misère me frappe de plein fouet.

— Où est-il ? sifflé-je les poings serrés.

— De quoi parlez-vous ?

Je me tourne vers lui. Il est complètement décontenancé. Soit, il ne sait rien et j'ai surgi chez lui pour rien. Soit, il se fout clairement de ma gueule. Je pointe mon doigt sur son pectoral dégoulinant et le fixe sévèrement.

— Toi et ton putain de Graal, vous pouvez vous le carrer bien profond.

Une lueur passe dans son regard. C'était infime, mais je l'ai repéré. Pourtant, il feint l'ignorance la plus totale. Il ne se démonte pas pour autant.

— J'ai bien compris que vous refusiez de mon contrat, même si vous suppliez.

Il a un petit sourire narquois. Tss.

— Tu peux toujours me lécher entre les orteils, père mon cul, je ne céderai jamais à ta demande, rétorqué-je hargneuse.

— Père mon cul... Je me demande d'où vous vient cette imagination.

Il dévie la conversation. Et, ça fonctionne. C'est qui ce foutu prêtre à la fin ? Je plisse les yeux, serre les dents et me détourne de lui. Je traverse le palier et rentre en hurlant de rage dans mon studio. J'attrape mon téléphone personnel pour appeler la perche, mais je vois mon écran d'ordinateur s'allumer tout seul. Je fronce des sourcils. Je n'ai rien vu dans son studio.

Je reviens sur mes pas et rouvre ma porte aussi sec. Le prêtre est là à fixer dans ma direction. Je le regarde un temps, puis me tourne vers mon ordinateur. Je ne comprends plus rien. Comment fait-il ? Ma tête se tourne encore vers lui. Il a croisé les bras sur son torse.

— Un problème ? interroge-t-il le plus innocemment possible.

— Je...

Je crois que c'est bien la première fois que je suis sans voix.

— Si ce n'est pas vous, qui c'est ?

— Puis-je ?

Il veut rentrer chez moi ? Je glisse mon regard sur mon bordel. Puis, hausse les épaules. Il rentre et je l'accompagne jusqu'à mon ordinateur. On est côte à côte, mais je reste légèrement en arrière pour analyser ses gestes. Je n'aurais pas dû. Mon regard se perd sur son dos. Musclé. Alléchant. Appétissant...

— Il se passe quoi avec votre PC ?

Je cligne des yeux plusieurs fois en reprenant mes esprits. Il s'est tourné vers moi. Les yeux plissés également. Je porte mon regard sur mon écran. Un serpent se déplace dessus et se glisse sur le E qui apparaît au centre de l'écran. J'aurais juré sur Cendrillon de l'avoir éteint en partant. Apparemment, ce n'est pas le cas. L'emblème d'Elder se met à clignoter avant de se désintégrer sous mes yeux. Une phrase y apparaît.

« Le Graal ou la torture. »

Je glisse mon regard vers le prêtre. Il a sa main posée sur sa barbe. Je suis persuadé que c'est lui, mais comment pourrait-il être Elder, écrire de son PC de la mort et être ici en même temps ?

— Une question, père mon cul.

Il me regarde.

— Elio, appelez-moi Elio s'il vous plaît.

Rien à cirer de son prénom. Quoique... Elio Ray, je peux m'amuser avec. Un sourire narquois étire mes lèvres.

— Vous êtes le seul à avoir employé le terme de Graal avec moi, comment ce serpent peut en avoir connaissance ?

— Quel serpent ?

Il est con. Je confirme. Il a vu tout comme moi le serpent se faufiler sur la lettre. Je le fixe. Il ne se démonte pas. OK. Je le prendrai en traître. Il sait de quoi je parle, mais s'échappe avec une question. Depuis son arrivée ici, je n'ai que des emmerdes. T'inquiète pas, mon grand, tu ne sais pas à qui tu as affaire.

— Laissez tomber, je souffle. Mais je te préviens que je ne vais pas te laisser t'en tirer en si bon compte.

Il arque un sourcil et croise ses bras sur son torse. Mon regard s'y perd un millième de seconde de trop. Je sens mon portable personnel vibrer. N'ayant plus de prépayés, c'est le seul moyen de me joindre quand je suis dans le coin. Le nom de la perche est affiché sur l'écran. Je décline. Pas besoin d'étaler ma vie devant ce miséreux.

— Rentrez chez vous.

— Très bien, Max, au plaisir de vous revoir.

— En enfer seulement.

Je me détourne de lui. Il referme la porte dans le silence. Puis j'entends la sienne se fermer. Elder Snake. Que tu sois le prêtre ou non, ça va être ta fête.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top