8- Les hostilités sont lancés.

Elio

Ma jambe remue au rythme de la musique dans mes oreilles. Mes doigts survolent et caressent les touches du clavier. Les écrans d'ordinateur éclairent mon visage dans la pénombre, tandis que la ventilation refroidit les processeurs. Mes serveurs accolés au mur tournent à plein régime. Je souffle. J'ai enfin fini de tout réinstaller. Mes bras s'étirent au-dessus de ma tête, avant de les tendres en avant, en dansant de mes épaules.

Les touches s'enfoncent de nouveau, ouvrant une nouvelle fenêtre, connectant le retour des sons. Franck a fait un excellent travail quand il a détruit la porte de la voisine. Son attention s'est complètement focalisée sur moi pendant qu'il déposait un micro à l'arrière de sa commode. De ce que la propriétaire à dit, c'est une bordélique notoire, donc avant qu'elle ne le trouve, il faudra des mois. Mes lèvres s'incurvent. Je coupe la musique et active l'écoute. Silence.

Mes sourcils se froncent. Je pianote sur le clavier pour vérifier que tout est en ordre et réactive l'écoute. Rien. Si. Un son, bas, imperceptible. Ça vibre. Le son est constant et se module. Que fait-elle ?

« Michel... »

Michel ? Mes yeux s'agrandissent en entendant ses gémissements suivis du prénom. Je coupe rapidement le son et prends ma tête entre mes mains en soufflant.

— Elle est en train de se faire plaisir, je ne peux pas autant violer son intimité, bougonné-je.

Mais mon corps a réagi instinctivement à ça. Des années de chasteté pour être réduit à néant. Non. Il faut que je me contrôle. Je remets la musique dans mes oreilles, occultant l'image de Max en train de s'adonner dans les bras de cet homme. Je me connecte à son ordinateur. Vérifie ses derniers achats : un masque de clown flippant sur Amazon. Que va-t-elle faire avec ça ? Un autre site s'ouvre. Elle est connectée.

Ses recherches défilent sous mes yeux. Elle est sur un site pour chiens dominants. Ma main caresse ma barbe, me demandant comment elle peut se faire plaisir et être connectée en même temps. Ma jambe remue de plus en plus. La page se ferme et s'ouvre sur une nouvelle. J'appuie instinctivement sur échap.

À croire qu'elle a déjà décelé ma présence, mais c'est impossible. De la lingerie fine. Bordel, elle veut m'achever. Je soupire et dépose mon casque sur mon bureau. Mes doigts frottent mes yeux endoloris, cela faisait un moment que je n'avais pas passé autant de temps sur des écrans. Je regarde l'heure sur mon téléphone prépayé : neuf heures du matin. J'ai passé la soirée et la nuit à tout paramétrer. Je n'ai pas pu écouter ce qu'il se passait chez elle hier. Mais de ce que m'a rapporté Franck, le patron du Torb'j serait passé et aurait changé sa porte et sa serrure. Elle a été rapide. Je sors de la pièce et remonte l'échelle menant à mon studio.

Les nuages se profilent au-dessus des toits. J'ai besoin de dormir. Reprendre ce rythme va m'achever en moins de temps qu'il n'en faut si, je ne prends pas le temps de me reposer. Je me dirige vers ma cuisine, attrape une bouteille d'eau et bois directement au goulot. Je sors mon téléphone de la poche, le gardant connecté, au cas où. Je me dirige vers mon lit en retirant mon t-shirt et m'allonge sur mon lit. Le calme. Enfin.

J'ouvre les yeux. Un son. Ça tique. Une lame. Non. Une lime. C'est quoi ce bordel ? Je me redresse et fixe ma porte. Qu'est-ce qu'elle fait ? Je me redresse en entendant des coups de marteau. Je regarde par la lucarne. Je ne vois rien. Mon cœur bat la chamade. Ça toque à la porte. Mais personne derrière. J'entrouvre, mais le palier est vide. Une enveloppe se trouve toutefois sur mon tapis. Je sors et me baisse pour la ramasser. En me redressant, sa porte s'ouvre. Je n'ai pas le temps de me retourner qu'une farine explose de l'enveloppe. Me recouvre le visage. Elle sort. Me regarde en plissant les paupières. Un sourire sadique se dessine sur ses lèvres.

— Violeur d'enfant et drogué de surcroît, la réputation de l'église est faite avec toi.

Mon poing se serre sur l'enveloppe. Ma mâchoire se contracte. Elle continue avec ses préjugés. J'avance d'un pas :

— Arrêter de coller des étiqu...

— Tutute. À ta place, je resterais où je suis, avertit-elle en levant le doigt au plafond.

Je lève la tête à mon tour. Un ballon se balance au-dessus de ma tête. Il s'étire sous le poids du liquide qu'il contient. Elle se venge. Un déclic se répercute à mes oreilles. Il s'éclate sur mon visage. Je suis trempé. Elle se penche sur moi et me renifle.

— Et en plus alcoolique, ça promet, rétorque-t-elle en se reculant.

Elle s'allume une cigarette en ne me quittant pas du regard.

— Petite mise au point par rapport au café renversé sur moi et à ma porte que vous avez cassée, nargue-t-elle.

C'est bas. Très, très bas.

Elle ferme sa porte à clé. Glisse les mains dans ses poches et me souffle sa fumée au visage. Mes poings sont serrés. La meilleure dans son domaine, certes, mais elle ne sait pas à qui elle a affaire. Ma mâchoire est contractée. Sa main se lève. Elle me tapote sur la joue. Son contact m'électrise.

— T'inquiète pas mon chou, l'eau bénite te servira à te rincer.

Elle s'en va en riant. Je tremble de colère. Elle veut la guerre ? Elle l'aura.

Maxine

Une nouvelle tête à emmerder, ça me plaît. J'aurais dû le prendre en photo, son faciès valait le détour. La perche n'aura pas ce que je lui ai demandé avant son retour, donc je vais seulement pouvoir faire du repérage. Je rabats ma capuche sur la tête en déambulant dans la rue. Je rigole toute seule en repensant à sa tronche de cake enfariné dégoulinant de vin. Par contre, ce que je n'avais pas prévu, c'est qu'il sorte en jogging sans rien le couvrir. Mes lèvres se pincent. C'est qu'il s'entretient le père mon cul.

Je marche les mains dans les poches jusqu'au buraliste. Il y a du monde. J'achète ma cartouche que je fourre dans mon sac à dos après avoir récupéré un paquet. Je coince une cigarette entre mes lèvres et l'allume. Je tourne et remonte la rue de la Réunion. Les gens se bousculent sur les trottoirs. Les gamins braillent dans leurs poussettes. Ça m'exaspère, mais j'ai la dalle et plus rien dans les placards. J'arrive à la place. Le marché n'est pas là. Je réfléchis un instant.

— Fichtre, on est mercredi.

Un jour trop tôt. Je rebrousse chemin et vais à l'épicerie du coin. J'affronte encore les bambins allant à la crèche. Je leur sourirai bien, mais généralement ils hurlent en me voyant. Hé hé, avec ma tronche, ils doivent sûrement croire que j'incarne le croc mitaine sous leur pieu.

Épuisé, j'arrive au bâtiment. La foule, très peu pour moi. À part au bar, car je m'y sens à l'aise. Mais en dehors, je me terre dans mon trou. Tiens, Gertrude est à la fenêtre, Rex gueulant derrière elle. Elle n'a pas voulu lui mettre le bâillon que je lui ai acheté ? Pourtant, je l'avais déposé sur sa poignée la veille. À moins qu'elle s'en serve pour elle, la cochonne.

— Mademoiselle Nyx, quel mauvais vent vous amène ?

Si je tire une de mes balles de l'angle de la rue en visant ses lunettes à double foyer, est-ce qu'en ajustant mon tir, je ferais ricocher la balle sur ses verres pour lui déclencher une crise cardiaque ? Je récupère la douille après, ni vu, ni connu, mort naturelle. Les pompiers n'arriveraient que trois jours après. Découvrant Rex se faisant la vieille décédée. Elle rejoindrait enfin ses ancêtres aussi aigris qu'elle, sous le regard choqué de ses locataires, avec en prime le prêtre qui lui ferait les grâces et moi priant pour qu'elle m'attende sagement en enfer.

— Vous êtes sourdes ?

Je cligne des yeux et me tourne vers elle. Je me suis égaré. Mon sourire narquois s'évanouit.

— Je vous disais que je n'étais pas un bureau de poste, siffle-t-elle, votre colis vous attend au pied des escaliers. Pensez à changer votre adresse la prochaine fois.

Je hausse les épaules, la laissant s'exciter sur le rebord de la fenêtre. Elle me pète les oreilles. En poussant la porte du bâtiment, je découvre mon colis Amazon plus gros que ce que je l'aurais pensé. En même temps parfois, ils mettent une boîte énorme pour un tout p'tit truc. Je le récupère sous le bras et rejoins mon studio.

Je découvre au passage que le prêtre a fait le ménage. À moins qu'il ait soudoyé Gertrude. Je referme derrière moi, et dépose le colis sur l'espace libre de ma table. Je sors un couteau et glisse la lame dans la fente. Pas d'idée perverse qui me vient là, je suis concentré sur ma tâche. Le masque de ÇA est dans son emballage. Ah, parfait pour la perche. Il déteste les clowns ! Mais je remarque un autre carton sous ma commande. Je fronce des sourcils, récupère la boîte et la secoue. Des céréales ? Je n'ai pas commandé de céréales.

Ma bouche se tord sur le côté au fur et mesure que j'ouvre l'emballage. Mes doigts touchent un paquet, le sort. Je me fige. Un paquet de croquettes pour chien avec la tête d'un chiot. Épagneul breton. La moitié du museau tourné vers l'extérieur, souriant, sortant sa langue. La caractéristique de sa fourrure est blanche d'un côté avec un œil blanc et l'autre se fond dans le marron.

Écrit en grosse lettre à côté : MAX, votre fidèle chienne, donnez-lui des croquettes et elle fera la belle. Mes doigts se compriment sur le paquet. Je me mets à hurler de rage et le balance contre la porte.

Elio

Après avoir pris une bonne douche pour nettoyer ses âneries. Je n'ai pas pu fermer les yeux. Je suis donc redescendu dans ma pièce, retrouvant Elder Snake, pianotant avec lui sur mon clavier. Elle est absente. Son regard ne me quitte pas. Même hors de son lieu de travail, elle garde son aura. Fascinant. Une créature vraiment fascinante. Imprimant sa marque au fer rouge sur mon âme. Si elle savait ce qui lui attendait.

Je croise les informations de son répertoire dans mes fichiers. Je travaille une bonne partie de la matinée, gardant mon casque sur les oreilles. J'attends, j'écoute. Le silence. Une clé s'enfonce. Elle rentre chez elle. La commissure de mes lèvres s'étire. Je pose mes coudes sur le bureau. Mes mains jointes entre elles soutiennent le bas de mon visage. J'attends.

Des bruits d'objets tombant sur le sol m'indiquent qu'elle a posé son colis. Le couteau glisse dans la fente. Mes yeux se rétrécissent, imaginant ses gestes méticuleux. Elle rit en découvrant sa commande. Le couteau glisse de nouveau. Mon sourire s'étire encore plus. Je l'entends hurler dans mon casque, suivi d'un bruit sec s'écrasant contre sa porte. Échec. Un jeu d'enfant de rajouter un article dans sa commande.

« Putain de fumier, fulmine-t-elle, je vais lui créer un second trou de balle. »

Je ris. Son téléphone s'allume. Le nouveau prépayé que j'ai déjà piraté. Mon écran affiche un nom que je ne connais pas : Uriel. J'active l'écoute de la conversation.

« Quoi encore ! » rage-t-il.

« T'as intérêt à te planquer fissa. »

Silence.

« De quoi tu parles, Max ? » demande-t-il à l'autre bout du combiné.

Silence.

« Des croquettes sombres abrutis ! Ma vengeance sera terrible. »

Elle raccroche.

Il rappelle, mais l'ignore. Elle ne se doute pas un instant que c'est moi. Parfait. Je ne suis pas grillé. J'avais douté un instant. Pour elle, je ne suis qu'un prêtre aussi inoffensif qu'il soit. L'apparence est souvent bien trompeuse. Je l'entends fulminer dans son studio.

« Des croquettes bordel. Des putains de croquettes ! Il m'a déjà fait le coup une fois... »

Ah, donc il se cherche entre eux. Intéressant.

« Il va voir, ce qu'il va voir... Mais sa réaction... »

Je n'entends pas tout. Mais elle doute de la réaction qu'il a eue.

« Il veut faire le malin... »

J'appuie sur une touche et lance la bande-son. Son téléphone sonne. Mais pas avec sa sonnerie habituelle. Une chanson de Vitaa, « mais t'es où » avec l'inconnu d'afficher sur son écran.

« Encore lui ? » s'égosille-t-elle.

Je souris de plus belle et me retiens de rire. Elle ne répond pas. Je réitère une nouvelle fois. Je l'entends grogner. Elle décroche. Moins patiente que la dernière fois.

« C'est quoi ton problème bâtard ? »

Elle est à bloc. J'active mon modulateur de voix. Baisse mon micro.

— Bonjour, Madame Nyx ? Je me présente, Hervé du service des commandes d'Amazon. Nous avons fait une erreur dans votre...

« Vous vous foutez de ma gueule, j'espère ! »

Je plaindrais presque le pauvre Hervé s'il n'était pas fictif avec une voix efféminée.

— Je vous demanderai de rester poli. Nous avons oublié un article dans votre commande. Il est resté à l'entrepôt.

Silence. Son souffle se renforce.

« Je n'ai commandé qu'une seule chose », indique-t-elle le plus calmement possible.

Mais sa voix tremble de menace.

Je reprends.

— Sur votre commande, nous avons : un masque de ÇA, des croquettes de chien...

Sa langue claque sur son palais.

— Et une photo d'un caniche blanc entourée d'un cœur rose et d'une trace de lèvre.

Elle raccroche. Je me marre. Elle n'a pas rétorqué, mais je l'entends démonter son téléphone et broyer sa nouvelle carte. Sa porte d'entrée claque. Échec et mat, pour l'instant. 

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