40 - L'Anarchie en Famille

Elio

Je pensais avoir tout vu, tout vécu avec eux. À croire que je ne me suis pas assez enfoncé les doigts dans les yeux. Trois jours que l'on vit les uns sur les autres sous la régence de dame Gertrude. Mes doigts pianotant sur le clavier se figent à cette pensée. Je souffle. Maxine déteint sur moi. Je m'enfonce contre le dossier de la chaise. Tourne ma tête pour faire craquer mon cou, en fermant les yeux.

Après notre arrivée, le point sur les pertes, la déforestation de cerbère et son collègue, on s'est tous mis en action après un peu de repos. Bien que ce soit l'anarchie dans cette maison, c'est organisé. Suffit de supporter au quotidien la concierge de Paris qui n'a plus sa fenêtre pour commérer. Et dire que c'est la mère du boss, ses informations étaient bien protégées. Le caméléon m'avait fait un clin d'œil quand l'information m'a scotché sur place. La légende du serpent du Net s'est pris un coup dans sa fierté. Mais ce n'est pas pour autant que j'ai relâché mes efforts pour parcourir le dark web avec Elder pour connaître toutes les informations concernant nos ennemis.

Des nuits à se relayer avec Tony. Des cafés avalés. Tandis que les pros de la gâchette parcourent leurs planques pour amasser assez d'armes et de munitions qu'il en faut pour une guerre. Pourchassé par un tueur, ça me connaît, surtout par la pire, mais franchement là, je n'aimerais pas être leurs places.

Une main se pose sur mon épaule, interrompant le fil de mes pensées.

— Tu devrais aller te reposer.

Franck. J'ouvre les yeux et me penche sur mon ordinateur.

— Je n'ai pas fini de tracer ses déplacements, réponds-je molasse.

Je l'entends souffler.

— Un jour de plus ou de moins il n'échappera pas à notre surveillance.

Il est un peu trop agité à mon goût, mais je me garde d'informer Franck sur cette information. Mon géniteur est resté aux états unis, laissant ses chiens s'occuper du reste. Pourtant, il est constamment en mouvement, ne restant jamais en place, échappant à mon radar. Même la panthère et son équipe ont dû mal à le tracer.

Je lève les yeux au-dessus de mon écran. Le jour perce les rideaux hideux de Gertrude. Tony est affalé dans le canapé, son ordinateur posé sur son ventre alors qu'il dort profondément. Il s'acharne à s'en pourrir la santé, prenant peu de repos, et se renfermant sur lui. Une chose le lie aux deux autres dégénérés. Bien que j'ai essayé d'en savoir plus, je me suis heurté à plusieurs murs.

J'appuie sur une touche pour lancer mon programme, recule la chaise, puis me lève. Un vertige me saisit, me forçant à m'agripper à la table. Franck me soutient instinctivement.

— Je vais t'accompagner à la chambre.

J'acquiesce faiblement.

À l'étage, Franck me conduit à la chambre qui m'a été attribuée. Ce n'est pas une maison de luxe, mais le confort y est présent. Loin de ce que j'avais connu dans ma jeunesse quand je vivais dans la villa de ce fumier. Loin des endroits pitoyables où je me suis longtemps caché. Mon ami referme la porte derrière lui alors que je me dirige le pas traînant jusqu'à mon lit pour m'y asseoir.

Je retire mon t-shirt et le pose sur les couvertures. Ma main se pose sur mon tatouage au niveau de mon pectoral. La sensation de la cicatrice proche de mon cœur sous la peau du serpent m'étreint. Mes yeux se ferment sur ce souvenir douloureux.

* * * * *

Vous avez fini ?

Douleur.

Il ne reste plus grand-chose à tirer de toi.

Bruit assourdissant. Rire malfaisant. Mes yeux d'adolescent s'ouvrent sur elle. Pleurant. Priant à ses genoux pour sa vie. Son corps recouvert d'ecchymoses. Sa peau lacérée, dénudée. Grimaçant sous la prise ferme de mon géniteur qui la maintient par les cheveux.

Ta dernière punition, indique-t-il en me désignant du doigt. Tu dois aimer ça te taper des jeunes, chienne que tu es.

L'imaginer m'horrifie. Tandis qu'il la traîne à mes pieds. Mes poignets sont attachés à la chaise. Je hurle qu'il la laisse en paix. Que je ferais tout ce qu'il voudra tant qu'il épargne ma mère dont son regard trahit la peur, l'abandon.

Il la jette à mes pieds, se baisse à sa hauteur et place une lame sous son cou. La mort ou la soumission. Ses yeux implorants, en larme. Sa morve se mélangeant au sang imprégnant son visage. Des jours de torture, de viol... Des jours gravés à jamais dans mon esprit innocent où j'admirais ma mère jouée de la flûte traversière dans les jardins de Toscane quand nous rendions visite à Gustave. Des jours ensoleillés, détruits par la cupidité et la possessivité de ce monstre abjecte.

Une dernière lueur dans son regard au moment où mon géniteur enfonce la lame dans ma poitrine. Une rage incandescente d'une mère protégeant son enfant. Une force que seule elle pouvait puiser tandis que mon regard se brouillait sous la douleur. Sa main l'avait attrapé, et dans une rage ultime elle s'était tranché la gorge. Me protéger en mourant. Ma promesse en le dépossédant de ses biens, et en l'achevant.

* * * *

La porte de la chambre claque, me réveillant en sursaut. Une ombre se faufile rapidement dans la pièce, passe au-dessus de moi, se glisse sous les draps.

— Qu'est-ce que...

Sa main se plaque sur ma bouche.

— Un mot et je te brise les cacahuètes, murmure-t-elle essoufflée.

Un sourire se dessine sur mon visage alors que Cerbère se recroqueville contre moi tel un chiot apeuré. Des pas résonnent sur le palier. Pressé. Accompagné de jurons. Je me tourne sur le côté, faisant dos à la porte, la cachant contre mon corps. Son souffle se percute sur ma peau. M'électrisant à chaque impact. Sa frappe contre le bois.

— La seule planque qu'elle peut avoir c'est là-dedans, crache Damien la voix chargée de colère.

— Elio se repose, il n'a pas dormi depuis deux jours, répond Tony.

J'imagine qu'il essaie de l'arrêter.

— Rien à foutre du prêtre, elle va me payer cet affront.

J'entends le caméléon pouffer derrière le battant. Tout comme Maxine contre mon torse. Je souffle d'exaspération. L'anarchie n'était pas à prendre à la légère. Les deux se font des coups bas dès que l'occasion se présente, et leurs imaginations sont sacrément tordues. Y ai-je contribué ? Je lève les yeux sur la fenêtre en y songeant. Elder et le caméléon ont dû y mettre leur touche personnelle.

La porte s'ouvre lentement.

— Elio, tu dors ? appelle Tony d'une voix douce.

Je décale ma tête vers lui, montrant un visage endormi.

— Aurais-tu vu Maxine ?

Son approche est prudente, mais je repère le regard noir de Damien derrière lui. Son visage transpirant la vengeance. Les bras croisés sur son torse.

— Je ne l'ai pas vu, réponds-je la voix pâteuse.

Son collègue me fixe intensément. Tony s'excuse puis commence à refermer la porte. Erreur de Maxine à se moment là de glisser sa main sur mon bas ventre, me provoquant un hoquet de surprise. Le battant s'ouvre dans un bruit assourdissant.

— Tu ne paies rien pour te planquer sale fourbe, rage Damien.

Damien rentre en trombe tandis que je me redresse brusquement en sentant Cerbère se glisser à l'opposé du lit pour en sortir. Des gamins.

Tony passe la main sur son visage, bien qu'il ait du mal à s'empêcher de rire, alors que Max se met à sauter sur le lit, échappe à la prise de son collègue puis s'enfuit dans le couloir. Je secoue la tête, exaspéré par ses enfantillages, mais d'un côté, cela nous permet d'alléger la tension qui règne au quotidien.

— Qu'est-ce qu'elle a fait cette fois ? interrogé-je Tony.

Il attrape une chaise et s'assoit à califourchon dessus.

— Elle est rentrée avant Damien, apparemment ils n'ont pas arrêté de se chercher pendant leurs missions. Tobias est revenu avec elle, et au vu de son état, je ne sais pas comment il fait pour ne pas les choper par le col et les coller au mur en guise de punition.

J'arque un sourcil. Cela ne m'étonnerait pas qu'il agisse ainsi.

— D'ailleurs, je pense que le boss ne va pas tarder à agir, car elle a réussi à faire un combo du tonnerre.

Un sourire espiègle s'affiche sur son visage. Je tente de percer l'acte que Cerbère a fait, quand le cri de Gertrude se répercute en bas. Ça n'annonce rien de bon. Je remets mon t-shirt, puis me lève en même temps que Tony. Mon cauchemar, encore imprégné, s'évanouit grâce à l'animation au sein de cette maison.

Nous nous arrêtons aux dernières marches de l'escalier et nous nous figeons en apercevant la scène. Le boss est entré en action. Damien et Maxine sont punis comme deux gosses. Tourné vers le mur, leurs fronts tenant une affiche qu'ils doivent fixer. Un clown pour le barmaid, et bob l'éponge pour cerbère.

— Tant que vous ne levez pas le pied sur vos conneries, vous allez rester comme ça ! gronde Tobias qui reste derrière eux les bras croisés sur son torse.

Je finis de descendre et me dirige vers les complaintes de Gertrude. Elle est assise sur le canapé, en tenant son caniche dans les bras. Mes lèvres se pincent pour contenir le rire qui a failli s'échapper. D'un pelage blanc, il est passé aux bariolés, avec des teintures formant un maquillage de clown sur la tête et un collier à clou. Oui, Max a poussé le vice jusqu'au bout.

— Mon Rex, mon bébé, qu'a-t-elle fait, renifle Gertrude.

— Ah, il va en faire tomber des culottes le Rex maintenant, pouffe Max dans le couloir.

Je me frotte les yeux en baissant la tête. Le hurlement strident de la propriétaire pète les tympans de chacun, alors que Max en profite pour sortir son paquet et s'allume une cigarette en face de bob.

— Ce que je déteste cette éponge, baragouine-t-elle en soufflant sa fumée dessus.

Tony me tape le dos en pouffant. Bien que l'animosité règne entre certains, cela nous détend. Or, l'alarme de mon ordinateur se met à sonner. Je m'approche rapidement de celui-ci et pianote sur le clavier. La programmation est finie, il s'est arrêté de courir. Tony pose le sien à côté. Et me fixe intensément.

— La chasse est ouverte, confirmé-je à son regard.

La légèreté de l'ambiance descend en flèche. Les pas lourds de Tobias résonnent dans le salon. L'aura des tueurs s'accroît.

— Prenez vos billets, restons en communication, et éliminons la vermine pour venger nos amis, aboie-t-il comme une promesse.

Tous hochent la tête. Deux équipes, deux hackeurs, deux tueurs et deux anges de la discorde. Elle sera avec moi, mais je ne lui permettrai pas de l'achever à ma place. C'est ma proie. 

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