4- Collés aux basques

Maxine

Je tourne encore et encore la clé dans le contact, rien n'y fait. Le moteur tousse et s'éteint.

— Bordel !

Je rage dans ma 4 L garée sur le parking du Torb'j. Bien que la journée ait mal commencé et que durant la soirée les clients ont été particulièrement en forme, l'appel du patron m'a mise sur les nerfs. Maintenant, titine me fait des siennes !

Je tape et cogne sur le volant en hurlant comme une déséquilibrée. Je sors et claque la portière avec force, faisant trembler la carrosserie. La main tremblante de colère, j'attrape mon paquet de Lucky dans ma poche, sors une cigarette et l'allume. J'inspire profondément, puis évacue la fumée qui s'écrase sur la vitre de la 4 L. Mon reflet débraillé me fait face, me scrute, me pointe du doigt. Il se moque.

Ah miséricorde. Qu'est-ce qui a piqué Tobias de me proposer un tel client ? Le contrat à côté, je m'en fous, buter des gens est un petit passe-temps bien sympathique. Ça me permet de faire du lèche-vitrine sur les armes et de me déconnecter de ce monde pourri jusqu'à la moelle. En plus, même si je ne demande pas grand-chose, généralement, ils avancent les frais de voyage. Je souris. Ah, elle était bien cette petite mission que j'avais faite à Bora-Bora. Tuer un chef de famille. Il m'avait donné du fil à retordre celui-là. En revanche, il m'avait bien fait marrer à taper dans ses mains tous les soirs pour éteindre ses lumières. Je me tapais des barres toutes les nuits dans ma planque à l'imiter. Depuis, ça m'est resté.

Mais là, un prêtre sérieusement ! Le boss a pété son câble. Il a oublié de tirer Ginette ce soir, ce n'est pas possible. Je lève les yeux au ciel. Tobias est gay. Ce n'est pas Ginette qu'il a oublié de tirer, il n'a juste pas eu de quoi se mettre sous la dent tout simplement.

Un prêtre, sérieusement !

Je reste un moment statique, la tête en l'air à fixer les nuages comme s'ils allaient me tomber sur la tête. Si une météorite pouvait m'achever là, tout de suite, ce serait parfait. Au moins, j'emporterai un sacré beau butin avec moi. Je ris de ma connerie, mais je m'arrête quand mon ouïe repère des pas s'approcher de ma position.

La perche ?

Il n'a pas eu son compte plus tôt, celui-là ? Mais je ne reconnais pas son souffle si particulier qui m'indique sa présence. Non. C'est différent. Et, il n'a pas terminé son service. Mes yeux se glissent sur le côté suivi de ma tête pour les poser sur lui. Il fait sombre, l'éclairage est aussi défaillant que l'enseigne au loin. Cependant, je repère sans mal son costume trois-pièces noir et son col romain, cachant le début de tatouage que j'avais remarqué en entrant dans le bureau. Sa boucle d'oreille en forme de croix se balance discrètement.

Une tête qui ne correspond absolument pas à la tranche des pervers de sa congrégation. Les sourcils broussailleux avec une fine cicatrice en fendant celle de gauche. Des yeux marron clair exprimant la sévérité de son regard. Son nez droit sculpté comme une statue de marbre. Une barbe bien entretenue ne mesurant pas plus de cinq millimètres, ornant sa bouche charnue. Les cheveux rasés à l'arrière, laissant le reste s'échapper dans des mèches folles.

L'archétype parfait qui rivalise avec la perche, un cran au-dessus. Ah il doit en avoir des minettes qui se pointe dans son église pour mouiller les bancs lors de ses sacrements.

— Vous faites distributeur ?

J'arque un sourcil sur sa question, portant ma clope au bec. Devant mon air étonné et gardant le silence, il m'apporte l'explication dont je me serais bien passé :

— Croquette, Max...

Le tout en dressant ses mains, les paumes tournées vers le ciel pour imiter une balance. Il tente l'humour avec moi ? Il n'est pas sérieux, j'espère. Pourtant, je n'affiche aucune expression. Mécaniquement, mon corps rejoint la ligne de ma tête, tournant ma carcasse vers lui. Heureusement, j'ai remis mon pull large. Il fronce les sourcils. Plisse ses paupières. Il a compris. L'aura que je dégage ne lui plaît aucunement. J'esquisse un sourire. À la mode pétasse, je pose ma main sur ma hanche droite et porte ma cigarette à ma bouche.

J'inspire. La lueur éclaire rapidement mon visage avant de s'évanouir, puis je souffle sur lui toute la fumée que j'ai contenue un temps. Il ferme les yeux, son nez se plisse, il ne supporte pas l'odeur, tant mieux. Je prends la peine de lui répondre, une connerie me traversant le cerveau :

— J'attends mon mac, il ne devrait pas tarder.

Je fais mine de regarder l'heure sur mon poignet sans montre, puis repère la perche sortir du bar du coin de l'œil. Je ferme à clé ma titine qui dormira ici cette nuit. Puis, je me décale d'un pas sur le côté et me dirige vers mon collègue qui vient de sortir en lui faisant un signe.

— La vraie raison de votre refus ? entendé-je dans mon dos.

Je m'arrête. La perche plisse les yeux sur moi. Attendant que je le rejoigne. Je me retourne lentement vers le prêtre. Il ne démord pas. Je n'ai pas de comptes à lui rendre, il me débecte. Lui et son espèce tout entière. Or, je lui offre mon plus beau sourire, celui que je garde en réserve pour Gertrude dans mes bons jours, puis lève mon majeur d'un geste sec.

Impassible, il me fixe. Je me tire et rejoins la perche. Il allume sa clope avant de glisser ses mains dans ses poches, portant son regard sur l'homme dans mon dos. Arrivé à sa hauteur, il me demande :

— Ton coup de ce soir ?

— Je ne suis pas une enfant de chœur, réponds-je simplement.

Il m'a agacé le curé. La perche fume sa Malboro et me scrute.

— Du coup ?

J'arque un sourcil en croisant les bras sur ma poitrine. Si je ne veux pas me taper la gueule du prêtre qui squatte encore à côté de ma voiture, Damien reste ma seule porte de sortie. Oui, j'utilise son prénom quand j'ai besoin de son aide. Et, dans le cas présent, à défaut de tuer pour de l'argent, je ne tue pas gratuitement. De plus, j'ai également une réputation à tenir. Puis merde, à la fin, il y aurait du sang sur ma titine, déjà qu'elle n'est plus toute jeune, ça reste la seule chose dont je prends soin.

— Chez moi. Cendrillon a fait le ménage.

Il rit, puis glisse son bras sur mon épaule et m'embarque. Enfin, je vais pouvoir libérer la pression. Quoique, avec la perche, la pression va rester de moitié. On quitte la banlieue pour rattraper le périph. Ma tête est calée contre la vitre de l'Alpine, je regarde le paysage défiler en ruminant. Damien est comme moi, les voitures de collection, c'est notre dada. On arrive rue de Fontarabie, non loin du cimetière du Père-Lachaise, et comme d'habitude, il n'y a aucune place pour se garer. J'attends que la perche se trouve une place, repérant les lumières éteintes de Gertrude.

— Quelle bourrique celle-là, ruminé-je entre mes dents en regardant la façade de l'immeuble datant du XIVᵉ.

Elle gâche un lieu historique en laissant l'intérieur en ruine. Pourtant, ce ne sont pas les tunes qui lui manquent à cette vieille peau. Damien me rejoint enfin. Il aura mis son temps celui-là. On arrive au studio. Je jette mes clés sur la commode et balance mes pompes dans un coin. La perche referme derrière moi.

— Bière ?

Il hoche la tête quand je tourne la tête vers lui. Je me dirige vers mon réfrigérateur, découvrant au passage qu'une tornade est passée dans mon p'tit chez moi. Il ne fait pas les choses à moitié Cendrillon quand il s'y met. Je ne me souvenais plus que j'avais du carrelage noir et blanc dans la partie cuisine. Il a tellement frotté que je vois ma sale gueule dans le reflet. Je ferme la porte du frigo en tenant deux Leffe entre les doigts et remarque un post-it sous un magnet Bob l'éponge.

Le p'tit con. Il sait que je ne supporte pas cette chose pleine de trous, avec de grands yeux injectés de sang et son sourire niais. Je lis tout de même son mot :

« Jack et Michel brillent de mille couleurs. Ils sont tout neufs. »

Je souris. Une fois toutes les deux semaines, depuis que je l'ai pris sous mon aile et que je paye son loyer, il me rend la pareille, bon samaritain qu'il est, en briquant mon taudis. Il a bien essayé de m'expliquer certaines astuces, mais le ménage et moi, on est en désaccord. Surtout, quand je fous le feu à mes fringues. Évidemment, il ne connaît pas ma planque. Il a bien vu une arme traîner, mais son silence est d'or et mon porte-monnaie plein d'argent.

Je me dirige vers la perche, qui n'a pas attendu avant de s'installer confortablement sur mon lit, les bras croisés derrière la tête.

— Fais comme chez toi, grommelé-je en lui tendant sa bière.

— Ton lit est si moelleux en même temps.

— Ça, c'est parce que t'es dans le trou qui s'est creusé après mon passage.

Un sourire se dessine sur ses lèvres, et il attrape la bière. Je pose la mienne sur ma table de chevet et m'éclipse dans la salle d'eau pour me débarbouiller.

— Qu'est-ce que voulait le boss ?

Rien ne lui échappe. Il a attendu que l'on soit loin des oreilles traînantes pour me coincer. Je me passe l'eau sur le visage, ignorant sa question. Enfin, je suis débarrassé de ce maquillage de pute que je dois mettre pour faire plaisir aux clients, mais surtout au boss. Sinon, il me répéterait sans cesse : « T'as certes tes règles quand t'es en mission, mais derrière le bar, c'est moi qui tire les rênes. »

Au départ, je croyais qu'il me parlait de mes menstruations, intelligente que je suis. Mais à force de me pointer avec ma sale gueule à faire fuir ses vaches à lait, il m'a coincé. Il ne serait pas un gros nounours celui-là, j'aurais tout fait pour qu'il est sa tête mise à prix.

J'attrape une serviette sur le côté et m'essuie le visage. En redressant mon dos endolori par ma position de planque du matin, je sursaute derrière le miroir. La perche est posée contre le bâti de la porte et me fixe à travers la glace. Ses yeux noirs ne me lâcheront pas tant que je ne lui aurai pas répondu. Je souffle d'exaspération en levant les mains au ciel... Tutute, on va éviter ce genre d'expression ce soir. Mes bras retombent lourdement le long de mon corps.

— Un contrat, réponds-je sans le lâcher du regard dans le reflet du miroir.

Il fronce les sourcils. Cherchant le pourquoi de mon énervement. Son silence est pesant, et ses yeux qui me scrutent. Je ne supporte pas, la pression augmente d'un coup. Je retire mon pique-cheveux, libérant ma tignasse qui retombe en cascade sur mes épaules, et d'un geste sec et rapide, tire comme une fléchette vers lui.

J'ai été bien naïf de croire qu'il est con. Le lancer de couteau, c'est son rayon. Il a esquivé à temps avant que le pique ne se plante dans la sous-pente du toit. Je l'entends glousser comme une hyène, se moquant de mon échec.

— Tu perds en précision, Max, pouffe-t-il.

— Quand je t'aurai fait un second trou de balle, tu verras si je perds en précision, ragé-je, sarcastique.

Silence.

Je fronce les sourcils. D'habitude, il rétorque, et la bataille commence. Là, rien. Pourtant, je n'ai pas mis de somnifères dans sa bière. Je réfléchis un instant, sans savoir si je l'ai fait ou non, puis hausse les épaules et sors de la salle d'eau brillante comme un sous-neuf. Je m'attends à ce qu'il soit écroulé comme un rat mort sur mon lit, mais le contraire me frappe de plein fouet. Il est assis sur ma chaise de bureau, le coude posé sur l'accoudoir et la tête appuyée contre son poing, me fixant sérieusement. Son autre main pianote sur sa jambe haute, croisée sur l'autre. Ça va être ma fête.

Ce regard qu'il porte sur moi est celui qu'il a quand il est en planque. Il analyse. Je récupère ma bière sur ma table de chevet, appuie mon dos sur le mur et porte le goulot à mes lèvres. Non sans quitter ses yeux fixes. Ne clignant d'aucune manière, je penche ma tête légèrement en arrière, puis avale une grande gorgée du liquide blond.

— C'est le prêtre le contrat ?

Le liquide se coince dans ma gorge, provoquant une douleur insupportable au niveau de mes poumons. Une mauvaise route. Je recrache la bière en m'étouffant à moitié, la sentant couler de mon nez. Purée, ce qu'il m'énerve, le croque-mort. Je tousse les genoux à terre en reprenant difficilement ma respiration. J'ai l'impression de claquer d'un cancer. Il va m'user jusqu'à la moelle, celui-là. En plus, il ne bouge pas son cul de la chaise. Rah, je vais me le faire !

— Le boss m'a convoqué après qu'il soit parti, enchaîne-t-il indifférent de mon état. Il voulait savoir si je pouvais te faire changer d'avis.

Je me fige en reniflant bruyamment. Mes yeux fixent le parquet de l'espace de nuit. C'est décidé, je mets un contrat sur sa tête et j'engagerai la perche pour lui plomber le cul. Quoique, ses prix sont exorbitants. Faudra que je m'en charge moi-même, opération zéro. Mais la perche n'a pas fini de m'achever quand je l'entends humidifier ses lèvres. Je m'attends à toutes les raisons pour que j'accepte la demande de ce foutu prêtre.

— J'ai refusé.

À tout, sauf à ça. Je redresse la tête vers lui, surprise. Dieu bénit les États-Unis. Merde, on est en France. Et, qu'est-ce qu'il vient foutre dans mon cerveau, celui-là ? Les moutons accordent ta bénédiction à la perche. Ouais, ça sonne mieux, et les scies circulaires avec aussi.

— Ne reste pas dans cette position, Maxine, tu m'excites.

Hum.

Il se tourne vers mon ordi et je vois apparaître sur l'écran : Moulin rouge. Purée, il va m'achever. Loin que le scénario de fond me dérange, non, mais les comédies musicales sérieusement ! J'ai déjà Gertrude pour ça. Et le connaissant, il va chanter à tue-tête. Heureusement qu'il ne m'a pas mis la reine des neiges, je l'aurais étouffé avec mon oreiller.

La perche lance le film et saute dans mon lit pour se positionner correctement devant l'écran. Je m'installe à côté de lui en soufflant. Il glisse son bras derrière mon dos et m'attire contre lui en resserrant sa prise. Ça pue ! Mes craintes se confirment quand je vois brancher sur l'USB de mon portable sa clé. Je tente de m'écarter, mais il avait planqué une lame dans sa manche et me la positionne contre la jugulaire. Le son d'un rewind me vrille le cerveau, floutant la nénette chantant sur son éléphant. Qu'elle se casse la gueule, tiens, de son éléphant, pour afficher la raison de vouloir choper l'oreiller, là tout de suite ! Il a modifié le film le bougre.

— Pas bougé, tu me dois ça pour que le patron ait accordé ton refus. Ah d'ailleurs, c'est lui qui a cassé ton démarreur.

— Vous êtes des hommes morts, sifflé-je.

Son torse me secoue la tête avec son rire. Pendant que les deux sœurs chantent : je voudrais un bonhomme de neige...

Étouffe-toi avec la carotte Anna. 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top