26 - Poisse sur poisse

Maxine

Le tissu de la tunique claque sur mes cuisses, alors que je me faufile entre les voitures. La moto se penche de gauche à droite. La colère irradie dans mes veines. L'oreillette grésille dans mon oreille, m'alertant de la communication active entre Léon et moi.

« Putain Maxine, détend toi sur l'accélérateur j'ai dû mal à te suivre ! Et c'est quoi ces collants résille ? »

Un sourire machiavélique s'étire sur mes lèvres, avant de s'effacer sur le souvenir de son regard. Avais-je prévu qu'il me repère aussitôt ? Pas du tout. Vu comment j'ai enchaîné les merdes tout le long de la journée, fallait bien en récolter dans la soirée.

Un abruti avait fermé à clé la porte menant au clocher, alors que j'étais tranquillement en planque. Il a fallu que j'escalade la bâtisse, manquant de peu de m'éclater sur le parvis en brisant la tête d'une gargouille qui a cédé sous mon appui. Courir dans l'église, récupérer mes affaires, harnacher ma mallette à la moto, mettre le casque, m'installer, démarrer... Et qui voilà ? Le père Noël !

La moitié du visage en sang. Essoufflé comme un bœuf. Pleurant comme un gamin. Me fusillant du regard. Jamais ! Ô grand jamais, je me suis retrouvé dans une situation pareil. Les erreurs ne me sont pas permises.

« Max... Max.. »

Les interférences et la distance empêchent Léon de me parler. Pas bon de l'énerver celui-là, mais à ce stade, son humeur je m'en fous comme de la tronche de Gertrude. J'ai besoin de fuir. Loin. Très loin d'ici. Oublier ce regard. Oublié ce que j'ai fait à sa demande plus tôt dans la journée. Voilà que mon cerveau déraille encore. Bordel !

Je ralentis sur l'autoroute A10 direction Paris. M'engage sur l'aire de Boutroux, trouve une place et éteins le moteur. Le parking est presque vide. Quelques camionneurs stationnent. Je repère du coin de l'œil l'un des chauffeurs se dirigeant vers les toilettes. Un sourire s'étire sur mes lèvres.

Je file en vitesse dans les chiottes avec mes affaires. Me déshabille. Enfourne les habits de nonne dans mon sac à dos et enfile une combinaison moulante. Pas le choix, même si je préfère les pulls larges. J'attrape mon téléphone et l'oreillette que je lâche au-dessus des toilettes turques. Je vérifie les doubles poches et le fond de mon sac à la recherche d'une puce, aucune n'est présente. Tu perds en vigilance Léon ! Mais je sais qu'il y en a une dans la moto.

J'étire le masque en silicone de mon visage. Grimaçant quand celui-ci m'arrache la peau, m'offrant une épilation gratuite. Je le fourre dans le sac également. Puis, je sors et attends patiemment ma proie à l'entrée de la zone des hommes. Il prend son temps le salaud pour se soulager. J'entends son grognement satisfait, et la chasse qui se tire. Parfait ! L'étiquette des tueuses reconnue en place, j'appuie mon dos sur le bâti en verre. Baisse la fermeture de ma combinaison jusqu'à la naissance de ma poitrine. Approche, une cigarette de mes lèvres. Et prétexte de ne pas avoir de feu.

Reniflant, et remontant son jean sur les hanches, le chauffeur passe devant moi avec un bref regard. Trois. Deux. Un. Il s'arrête. Recule. Ce n'est pas beau de baver comme ça mon cochon !

— Problème de briquet ma jolie ?

Il a bien vu ma gueule ? Ah, non, c'est vrai. L'éclairage des aires d'autoroutes est pourri. Il fait nuit et ses yeux fixent ma poitrine au lieu de ma tronche. Célibataire, c'est sûr. Pas d'alliance au doigt quand il me tend son briquet. Je m'approche avec ma cigarette aux lèvres, et tire sur le filtre avant de me reculer.

— De moto.

Je lui désigne mon casque et la bécane qui roupille tranquillement.

— Ah, elle a de belle courbe. Vous avez besoin d'un chauffeur ? Je vous dépose où ?

Tu n'es pas une tueuse en série recherchée pour avoir buté un évêque il y a seulement quelques heures. Non ! Avec un corps pareil, tu es juste une nénette dans la panade prétextant une panne à la con, sans téléphone et qui n'a pas un autre tueur au cul. Hein ?

— Et vous ?

Il se gratte l'arrière de sa tête rasé. Ses aisselles auréolées tachent sa chemise de bûcheron à carreaux bleu ciel. Ses lèvres fines s'étirent sous sa moustache blonde, tandis que ses yeux bleus rieurs ne lâchent pas le haut de ma fermeture.

— Hambourg.

— Il y a de bonne saucisse à Hambourg, souligné-je en appuyant bien sur le mot saucisse, les yeux plissés.

Un éclat de rire sort de bon cœur de ses lèvres. Touché, coulé. Sans se douté un seul instant de devenir ma proie, il m'invite à le suivre.

— Et votre moto ?

— Elle retrouvera un nouveau propriétaire dans peu de temps.

Et va falloir vraiment décamper dans la minute, car Léon sait déjà qu'il a plus de contact avec moi. Et le mouchard de la moto signale cette position. Je grimpe dans le camion, posant ma mallette et mon sac sur sa couchette. Mon Beretta appuie à l'intérieur de mon entrejambe, m'arrachant involontairement un gémissement. Fichtre.

Le gaillard rigole, savourant la beauté à ses côtés. Profite, profite, mon gros. Tu n'auras pas le temps d'atteindre le pays de la saucisse avant de me voir te faufiler entre les doigts. Le camtar démarre, les feux s'allument sur une merde sèche noire qui se gare en trombe à côté de la moto. Je m'allume une cigarette, observant dans le rétro le marchand de glace hurler en renversant la bécane d'un coup de pied au fur et à mesure que le camionneur s'engage sur l'autoroute. Échec !

La mort, on l'a tient pas en laisse. Et le merdier de la journée n'est que de ton fait ! Fallait pas me la mettre à l'envers.

* * *

Putain c'est quand la prochaine pause. Des heures que l'on a dépassé Paris et que j'entends parlé de saucisses à toutes les sauces. Confirmation sur le fait d'être célibataire OK. Par contre, plus chiant on ne fait pas. J'ai connu des routiers, moins bavards ou avec des sujets plus intéressants. Je me mords la joue au sang pour me retenir de lui coller une bastos dans la tempe.

Bon avec son monologue sur la gastronomie allemande, il a eu le mérite de me changer les idées. Je sors mon paquet de ma poche, l'ouvre et souffle d'exaspération.

— J'en connais des fumeurs, mais vous, vous êtes un vrai pompier !

Et ma main dans ta gueule a fumé tes cigarillos qui puent autant que les menthols.

Sa radio s'allume. Une alerte au routier est lancée.

« À tous les routiers. Des barrages policiers ont été mis aux frontières. »

Le gaillard dont j'ai déjà bouffé le nom attrape son récepteur et demande la raison.

« Allume ton poste et tu sauras. »

Le ton employé ne laisse pas la place à la discussion. En mode, Google est ton ami couillon. Je reporte mes yeux sur le paysage, dépassant le panneau de sortie de Lille à 5 bornes.

— On peut faire une halte pour des cigarettes ? demandé-je l'envie de cloper bien trop présente.

Il hoche la tête en se penchant pour allumer son poste radio. Un flash info retentit dans les enceintes.

« Cela a été révélé ce matin. Un évêque du presbytère de Blois a été tué cette nuit. Les enquêteurs cherchent des indices encore à ce jour. »

Eh, ben.

« Un témoin... »

Pourquoi ne l'ai-je pas buté en même temps celui-là au lieu d'attendre de savourer ma chasse ?

« Les policiers sont à la recherche d'une bonne sœur, transportant une mallette noire. Si vous la croisez, ne prenez pas de risque et appelé à ce numéro... »

Pétard de pétard. Le déguisement est dans mon sac, et la mallette dans mon dos. Jusqu'au bout, le merdier s'étale. Trop risquer de rester plus longtemps dans ce camtar.

— Il y a des fous partout.

Et t'en as une juste pile sous ton nez !

La commentatrice radio indique la dernière information.

« Son nom serait sœur Marie-Josette de l'église de Sainte Verge. »

Que les moutons te viennent en aide, ma sœur. Mes doigts pianotent le repose coude de la portière. Comment vais-je me sortir de cette poisse infernale ? Déjà, me débarrasser de ce boulet. Ensuite, faire le plein de clope. Trouver un véhicule...

Sapristi !

La situation empire. Pire qu'une situation de débutante, il n'y a pas. Va falloir que je me tire et là c'est deux hackeurs que j'aurais au cul. Bordel de merde.

Je cale ma tête sur l'appui-tête, lâchant un long soupir en me massant l'arête du nez, puis ferme les yeux. J'entends à peine le bip du télépéage sonner alors que mon cerveau tente de trouver une échappatoire à cette situation. Je ne perçois pas le freinage du camion avant de s'arrêter. Ni l'écho de la ceinture qui se déboucle. Encore moins la main du pervers d'à côté se poser sur mon genou et remonter le long de ma cuisse...

J'ouvre lentement mes paupières, repérant une zone désaffectée. On est loin d'un buraliste. Puis, entre la sensation du manque de nicotine et la situation merdique dans laquelle je me trouve, ma soif de sang à dû mal à s'apaiser. Ses doigts boudinés palpent ma chaire. Un élan de nausée remonte dans ma gorge tant ce geste inconvenant place mon esprit dans des souvenirs bien trop enfoui.

Il est mort.

Je vois rouge quand il la pose entre mes jambes. Tu as voulu jouer, ma fille. Tu l'as attiré. Ma main se glisse dans la poche droite de ma combinaison. Lentement. Trouvant le passage menant à mon arme. Sa bouche se pose contre mon cou. Son odeur me file la gerbe. Mes doigts se glissent sur le manche de mon Beretta.

— Un p'tit plaisir pour le trajet, souffle-t-il contre ma peau.

— Deux choix mon gros.

Mon timbre froid et implacable lui fait arrêter tout mouvement. Je tourne ma tête vers lui, croisant son regard surpris, tandis que le mien transpire la mort. Le cran de sécurité se retire et se percute à ses oreilles. Il se recule effaré jusqu'à sa portière. Brave, petit.

Je retire ma ceinture. Attrape ma mallette et mon sac tout en le gardant en joue.

— Cinq mille et tu oublies d'avoir croisé ma route.

Je glisse la fermeture de mon sac et sors ma dernière liasse de billets. Autant être dans la merde jusqu'au bout.

— Ou une balle dans la tête et ton cerveau d'andouillette fera le reste pour oublier d'avoir croisé ma route. Que choisis-tu, mon gaillard ?

La vieille odeur de pisse envahit la cabine. Décidément.

— Vous... vous...

— Suis-je la bonne sœur recherchée ?

Ah, c'est de plus en plus compliqué. Pas de femme. Pas d'enfants. Pas d'attache. Impossible de le buter sans contrats.

— J'ai une meilleure idée !

Je sautille sur mon siège. Pas l'idée du siècle, mais il n'y a que lui qui pourra me sortir de là.

— Donnez-moi votre téléphone.

Ses yeux s'agrandissent, ne comprenant pas ma demande. Ce qu'ils peuvent être lents à la détente quand ils sont pris au piège ! Il tend sa main tremblante vers son vide-poche, attrape son mobile et me le tend.

— Je ne suis pas débile, déverrouille-le.

Pas d'ADN, pas de trace. Je fais un geste avec mon flingue pour le presser.

Il obéit comme un gentil petit toutou et compose le numéro que je lui dicte, mettant le haut-parleur à la suite. Au bout de trois sonneries, il décroche avec son humeur de mec mal baisé :

« Ouais, c'est qui ? »

— Salut, Géorgie, qu'est-ce qu'on dit hein !? C'est le clown, chantonné-je sa réplique préférée de ÇA sur un ton guillerette.

Pas besoin de deviner à son long silence qu'un frisson d'horreur parcourt son dos. Je l'entends pianoter sur un clavier. Sûrement pour repérer d'où provient l'appel.

— Parfait, je vais pouvoir te botter le cul !

— N'oublie pas la cartouche, je suis à sec.

Il raccroche. Un message apparaît cinq minutes après. Le gaillard qui n'a rien pigé à l'échange me montre l'écran.

« Ça tombe bien, je suis pas loin. »

Bon. La perche dans le même coin que moi c'est pas bon signe. Il a sûrement contacté d'anciens collègues pour me trouver, où si le hasard fait bien les choses, il était en mission. Nah. Je secoue la tête. Avec ce que je lui ai fait, il me traque aussi.

Je redresse la tête. Placarde un sourire machiavélique sur mon visage et plisse les yeux.

— Comment vais-je m'occuper de toi en attendant la perche ?

Je me penche vers lui. Déploie mon aura sournoise et le gronde comme un enfant.

— Ce n'est pas bien de toucher une femme sans son consentement.

Son hurlement se déploie dans la cabine quand je lui saute dessus. Mon rire se propage en même temps qu'il se débat.

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