21- Un contrat peu commun
Maxine
Rien de plus bizarre que deux tueurs mangeant tranquillement au restaurant. Non. Tout. Va. Bien. Surtout quand l'un furète sur le couteau à viande et que l'autre garde sa main dans la poche de son pull. Plus méfiant que nous, il n'y a pas. Le cimetière ne compte pas, c'est un lieu de paix. Là, on est sur notre terrain de jeu.
— Tu es redevenu un fantôme aux yeux du monde, indique Léon en mâchant un morceau de son steak saignant.
— T'as sucé qui pour ce tour de force ? rétorqué-je en plantant ma fourchette dans la raviole.
Il s'étouffe en avalant de travers. J'incurve mes lèvres en plissant les yeux. Ouais, petite vengeance pour être venu m'emmerder pendant mon recueillement. Il prend son verre en se raclant la gorge, ses yeux perlés de larmes.
— Bordel, t'en tues combien rien qu'avec ta langue ?
— Ça dépend comment je l'utilise...
— Stop, me coupe-t-il la parole. Je ne veux pas savoir.
Il lève les yeux au ciel, marmonnant sûrement à Darius, qui doit se fendre la poire en nous regardant. Se disant inévitablement que je suis pire que lui. Eh oui, mon grand, tu m'as bien élevé. D'un côté, en le détournant avec cette question, je lui cache mon soulagement. Un hackeur au cul, même sans téléphone, connaissant également le terrain comme sa poche, est à éviter. De plus, Tobias a certainement dû aller le voir pour me tracer, comme il l'a laissé entrer dans ma vie pour atteindre son objectif. Pourquoi le boss a agi ainsi ? J'y réfléchis encore.
— Plus sérieusement, je ne peux pas trop t'en dire ici, sait-on jamais qui écoute ? murmure-t-il, penché vers moi.
Toujours aussi parano. Mais ça se comprend. Ce n'est pas dans un lieu public que l'on parle de ces choses-là. Surtout quand un enfant crie dans sa poussette et qu'un petit con n'arrête pas de lever les yeux sur moi. Un fin sourire s'attarde sur mon visage, augmentant la méfiance de Léon. Je lève ma main, puis lui effleure la joue avec un regard tendre. Il m'attrape le poignet aussi sec, en plissant les yeux.
— Attends que l'on soit rentré à l'hôtel, chéri, souffle-t-il en comprenant mes intentions.
Le gars, pas loin, écarquille les yeux d'horreur. Se demandant comment une nana comme moi, la gueule à moitié enfarinée, peut se taper un vieux croûton asséché. Je tourne la tête vers lui et lui fais un clin d'œil, tandis qu'il porte sa main à sa bouche pour se retenir de vomir. Il part précipitamment aux toilettes. Sous le rire de Léon.
— Un rien, les choque, haussé-je les épaules en souriant sournoisement, il me fait penser à Gertrude.
— Qui ça ?
Oups, j'ai parlé trop fort.
— Une petite vieille que je tourmente. Elle est sacrément résistante, réponds-je sans en dévoiler plus. Elle te plairait.
Il hoche la tête, songeant à ce que je fais subir à la propriétaire. Le serveur débarrasse, puis nous apporte des cafés. Léon furète encore la salle, puis glisse une carte sur la table qu'il me tend. Je la récupère du bout des doigts et la pose sous ma soucoupe. Un seul dessin y est représenté. Un phénix. Destination accordée. Je lève la tête vers lui, les sourcils froncés.
— Jet ?
Il hoche la tête.
— Pas chez lui directement, c'est un point de passage. Tu me retrouves à l'aérodrome d'ici à une heure, le temps des préparatifs, et on décolle.
J'acquiesce. Nous sortons du restaurant après avoir payé. Il rejoint une voiture sombre garée plus loin, quand moi, je m'avance vers ma Ford restée à la lisière du cimetière. Je profite pour m'allumer une cigarette, contemplant le ciel étoilé. Un léger pincement au cœur en pensant à Tobias, qui doit tourner en rond derrière son bar. Je le place au même niveau que Darius en termes de respect. Je sens que les deux vont me faire ma fête dès mon retour. Si je reviens. Tout dépend où se situe la mission. Si un Amerloque me demande sur son territoire, c'est que son poisson est ici. Je grimpe dans ma caisse. Regarde une dernière fois vers la demeure de Darius. Puis démarre en direction de l'aérodrome.
Cinq heures après, nous voilà sur le point d'atterrir à Phoenix. J'ai profité du voyage pour dessiner sur la gueule de Léon qui s'était endormi. L'âge ne réussit pas son sommeil. Deux phallus partent en dessous de ses cernes, rejoignant un large sourire édenté. Je m'empêche de rire en le regardant, toute ma concentration portée sur mes armes que je monte et démonte sur la tablette devant lui. Bien sûr, poussant le vice jusqu'au bout, j'ai demandé aux hôtesses de garder leurs professionnalismes. La liasse de billets aidant beaucoup à les convaincre. Pour le départ aux States, le prêtre a dû remplir mon compte en banque. Rendant seulement la moitié de mes gains.
En sortant du jet, je repère trois voitures sombres garées sur le tarmac. Vitres teintées. Carrosserie lustrée. Des hommes en noir y descendent. Que dis-je, des gorilles. Armée jusqu'aux dents. Un accueil du plus réjouissant. Pourtant, je ne peux pas m'empêcher de sourire quand ils se jettent des coups d'œil entre eux, fixant Léon qui descend à son tour.
— Ils sont bizarres, marmonne-t-il en plissant les yeux.
Je hausse les épaules à son intention, pinçant mes lèvres pour me retenir de rire. L'un deux s'approche de nous, nous invitant à le suivre jusqu'à l'une des voitures. Je m'installe dans la première, suivi de mon accompagnateur. Le conducteur démarre, tandis que je garde mes sens en éveil. Autant d'hommes à sa botte, gardant un silence et une tension palpable, ça ne présage rien de bon.
Un endroit, aussi gardé que le palais de l'Élysée, se présente sous mes yeux. Une villa, au bout d'un chemin cahoteux qui me fait valdinguer dans tous les sens. La voiture se gare dans un silence de plomb. Même les portes de prison causent plus que ces gorilles. Je descends, portant mes mallettes. Le Beretta glissé dans la ceinture de mon jeans. L'un d'eux tente de me prendre mes armes, mais il se récolte un regard noir. Faisant rire Léon.
— Un conseil messieurs, pas touche à nos outils, se moque-t-il en posant la pointe de son couteau sur son doigt.
Or, le garde du corps respire comme un taureau, refusant d'abdiquer et tentant une fois de plus la manœuvre. Prévoyant son geste, j'ai glissé une mallette, tenant les deux d'une main, pointant mon Beretta directement sur ses bourses.
— Fait un geste, et tu peux dire adieux à ta descendance, rétorqué-je, la mâchoire contractée.
Il soutient mon regard. Je ne le lâche pas d'un iota. L'échange est tendu. Ses copains ne réagissent pas. Or, une personne s'approche de nous. Riant de la situation.
— Laisse la p'tite dame avec ses jouets, Marcus.
Je glisse un regard vers l'homme qui vient de parler. Son visage me paraît familier, mais je n'arrive pas à mettre le doigt sur quoi. Peut-être est-ce sa coiffure impeccable : des cheveux noirs, lissés en arrière, sans une mèche rebelle. Ou ce sont ses sourcils épais et soigneusement taillés qui lui donnent un air sévère. Son nez droit, son visage rond et ses yeux marrons foncés évoquent un visage que l'on pourrait facilement oublier, s'il n'était pas pour son sourire trop large et son rire trop bruyant.
Il avance vers nous avec une démarche nonchalante, ses mains profondément enfouies dans les poches de son pantalon crème sur mesure. La chemise bleu-pastel qu'il porte est légèrement ouverte au col, ce qui pourrait sembler décontracté, mais la montre en or massif et les bagues ostentatoires indiquent qu'il aime afficher sa richesse. Son regard est perçant, cherchant à lire en moi. Ne craignant aucunement le danger filtrant de mes pores.
Le gorille qu'il a rappelé recule prudemment. Me contournant comme on contournerait un serpent venimeux. Je fixe le mafieux dans les yeux, cherchant à comprendre qui est cet homme qui inspire autant de crainte parmi ses propres hommes.
— Bienvenue à Phoenix, ma belle, dit-il avec un sourire éclatant. Je suis ravi que Léon ait pu vous trouver. Je me présente, Livio Porcelli.
Le bas de ma mâchoire bouge de gauche à droite. Je ne réponds pas. Sa jovialité sonne faux. Un masque cachant quelque chose de plus sombre. Il continue à sourire, mais ses yeux scrutent chaque mouvement, chaque réaction. Même son humour semble menaçant. Il porte son regard sur Léon à mes côtés, qui est aussi tendu que le string de Vava. Lui non plus ne sent pas cet homme, et pourtant il m'a conduite à lui. Porcinet explose de rire, entraînant ses gorilles dans son sillage. Léon fronce les sourcils, regardant tour à tour Porcelli et moi. Je fais mine de regarder ailleurs, tout en gardant mon sérieux.
— Je ne connaissais pas ton penchant pour l'art, se moque Livio. Va te débarbouiller, je vais m'entretenir avec la demoiselle.
Léon mate sa tronche dans le reflet de sa lame. Écarquillant les yeux. Lentement, il tourne sa tête vers moi. Me fusillant sur place. Un frisson glacé me parcourt le dos, sentant le poids de la menace de son regard.
— T'es pire que lui, susurre-t-il, me promettant, dans son compliment, une vengeance.
Je lève la tête, penchée sur le côté, souriant comme une gamine. Il porte sa main au front, secouant sa tête dépitée. Avant de disparaître dans de grandes enjambées dans la villa. Porcinet observe Léon partir avant de se tourner vers moi. Je remarque que son sourire a disparu. Son regard est devenu plus dur, comme s'il venait de changer de visage. Ses traits deviennent presque anguleux, marqués par des années de méfiance et de violence.
— Suivez-moi, me dit-il impassible en me faisant signe d'entrer.
Je le suis dans sa demeure, où le luxe ostentatoire est partout. Marbre au sol, meubles anciens et antiques, des œuvres d'art qui appellent à les regarder. Pourtant, tout est froid, sans âme, comme si la richesse avait été acquise à travers des actes peu recommandables. Une baie vitrée donne sur une piscine à débordement et une vue sur la ville. Ça pue tellement le luxe, que je me sens mal à l'aise. Regrettant mon petit taudis pour le coup.
Nous arrivons dans son bureau. Là, la vue est magnifique, mais l'atmosphère est glaciale. Un canapé d'angle, des étagères en bois massif remplies de livres et un bureau regroupant plusieurs dossiers étalés dessus. Il se serre un verre de bourbon et m'en propose un, que je décline. Sa tronche ne me revient pas depuis le début. Aucune photo de famille. Rien. Nada. Vu son pedigree, cela m'étonne beaucoup. Malgré son apparente hospitalité, il est évident qu'il a des arrière-pensées.
— Installez-vous, je vous prie, indique-t-il en se posant contre son bureau.
— Je préfère rester debout, ça ira, répliqué-je ma méfiance à son paroxysme. Ne tournons pas autour du pot et dites-moi quelle est la cible.
— Je vois que vous n'aimez pas perdre de temps, sourit-il en plissant les yeux.
Je n'aime surtout pas cet endroit. Face à mon silence pesant, son comportement décontracté change du tout au tout. Voilant son regard de menace. Porcinet attrape un dossier sur son bureau et le lance sur la table basse à côté de moi. Je me penche pour le récupérer, l'ouvre et me fige.
— On dit que même avec la distance, vous êtes la meilleure. Une faucheuse. La mort en personne, débute-t-il son explication. Je sollicite vos services pour éliminer cette personne.
Je ne laisse rien transparaître en détaillant la photo. Sa photo. Plus jeune. Le regard fuyant. Assis au pied d'un cerisier en fleur. Je lève l'image, pour en découvrir plus. Son année de naissance. Son nom ne correspondant pas à celui que je connais. Elio Porcelli.
— Qui est-il ? demandé-je sans pouvoir retenir la question de franchir mes lèvres. Me valant de me taper mentalement la tête contre un mur.
Il m'explique qu'il s'agit de son unique fils, qu'il a trahi la famille. Tout chez cet homme suggère qu'il n'hésitera pas à faire ce qui est nécessaire pour protéger ce qu'il considère comme sien, même si cela signifie éliminer son propre sang. Je sais alors que cet homme n'est pas simplement un mafieux stéréotypé. C'est un être humain profondément brisé, dont la violence et la cruauté sont les reflets d'une douleur intérieure qu'il n'a jamais confrontée. J'ai déjà vu des hommes comme lui auparavant, et je sais qu'ils sont souvent les plus dangereux, même si pour la plupart, ils ont fini par tomber sous mes balles. Porcelli est différent, insaisissable. Il serre les poings en me regardant, ses jointures blanchies par la tension.
— Il m'a volé, dit-il d'une voix chargée de colère contenue. Il doit payer pour ce qu'il a fait.
Ne cherche pas à savoir pourquoi. Stop ton cerveau. Mets-le sur l'arrêt. Généralement, j'ai le choix de refuser un contrat, mais là, je sens que cette option ne va pas être possible. Cet homme a le pouvoir de me faire disparaître en un claquement de doigts. Ça promet tout de même une belle chasse. Un prêtre hackeur qui déjoue mes plans. Qui me suit à la trace comme une ombre. Ah, c'est dommage que sa belle gueule soit mise à prix.
— Une demande particulière ? enchaîné-je dans mes questions.
Bon. Ça va. Celle-là confirme juste que j'accepte son contrat.
— Voir son corps sans vie, indique-t-il d'une voix blanche.
Le Graal, serait-ce le mafieux ? S'il savait qu'il habite en face de chez moi. Fichtre ! Je vais devoir louer un appartement ailleurs. Et, ne pas pouvoir retrouver mon p'tit taudis. Je ferme le dossier en claquant des mains.
— D'accord, confirmé-je sans émotion. Un délai ?
Il porte son regard sur moi. Prends un autre dossier, qu'il me lance. Il m'a pris pour son clep's devant aller chercher la baballe lui ? Je le ramasse en ne le quittant pas des yeux, puis le porte sur la cible. Un vieil homme. Avec une tunique. Mes yeux se froncent, loin que cela me dérange, mais le rapport, je ne le perçois pas.
— Pour lui, c'est un petit extra, lâche-t-il. Le plus vite est le mieux, mais je sais d'avance que mon fils vous donnera du fil à retordre. Il s'y connaît pour disparaître.
Je ne réagis pas tout de suite, pesant les mots de Porcinet. À tes yeux, oui, peut-être. Pas aux miens. Je referme le dossier avec un claquement sec et indique mon prix. Comme tous, il est surpris de mes tarifs. Je n'ai pas besoin de plus. De toute façon, ça arrangera ses affaires. Je quitte son bureau sans un mot de plus.
Dehors, l'air frais de la nuit est une bouffée d'oxygène après l'atmosphère étouffante de la maison de Porcinet. Je sors une cigarette, le bruit du briquet résonnant dans le calme relatif du jardin. Je prends une profonde inspiration. Premier objectif, l'extra. Gardant le plus gros pour la fin. Et, vu la gueule de « l'extra », je n'ai aucun doute de ses relations.
Du coin de l'œil, je vois le fameux Marcus s'approcher. Les mains dans les poches et une clope au bec. Ses yeux brillent d'une lueur que je n'aime pas. Il s'approche de moi avec une arrogance qui en dit long. Se positionne à mes côtés.
— Le patron donne une petite fête, et vous invite, grogne-t-il.
— Je ne reste pas, j'ai affaire, rétorqué-je sèchement.
Il lève la main, comme pour caresser mon visage. Je repère la lueur malsaine dans ses yeux, celle qui annonce des ennuis. Juste avant qu'il ne touche ma cicatrice, souvenir que le porc m'a laissé avant que je le saigne le soir où j'ai mis fin à ses sévices. Je lui saisis le poignet. Le fait basculé au-dessus de mon épaule, et le coup de feu retentit. J'avais prévenu. Un direct dans les bourses.
Léon apparaît derrière moi, ses yeux froids, mais amusés.
— J'éviterais cela si j'étais vous, siffle-t-il d'un ton calme, mais menaçant.
Je me retourne pour voir tous les autres hommes dégainer leurs armes. Ils semblent hésiter, mais Porcelli arrive, toujours décontracté, comme si tout cela n'était qu'une routine pour lui. Il achève l'homme à terre d'un coup de feu rapide, puis s'adresse à ses hommes comme si de rien n'était. Il a besoin de moi, et il sait montrer qu'il maîtrise la situation.
Léon, toujours frais comme un gardon, s'approche. Il a lavé son visage, mais je peux voir les marques laissées par le crayon. Je n'avais pas utilisé de l'indélébile. J'aurais dû. Il paraît agacé.
— Où je te dépose ?
Je jette un coup d'œil à Porcinet. Cet homme ne va pas me rendre la tâche facile, c'est certain. Autant brouiller les pistes dès le début. Je tourne la tête vers Léon. Un sourire sournois aux lèvres.
— Chez le marchand de glace.
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