5- Elder Snake

Elio


Mes doigts pianotent nerveusement sur la table, tandis que mes yeux sont figés sur le papier que le patron du bar m'a donné. Je scrute le mot dans le vide, alors que mon cerveau tourne à vive allure. Un fantôme. Une ombre. La meilleure au vu de tous les noms d'affichés quand j'ai aperçu ses exploits. Le tout pour une somme ridicule.

Ridicule aux regards de l'évêque qui me soutient, non, mais à moi qui descends d'une famille très aisée, oui. Une famille... Non, ce n'en est pas une. Ma mâchoire se contracte. Mes muscles tressautent. Je ne peux pas continuer ma formation sans avoir son ombre qui me suit constamment. Sans avoir ses démons à mes trousses.

Sa toque à la porte. Mon regard se lève vers la croix. Il n'attend pas ma réponse, alors que je prie le seigneur de me guider. Une main bienveillante se pose sur mon épaule, mais je ne me retourne pas.

— Ton rendez-vous s'est si mal passé ?

La chaleur du père Gustave apaise mes tourments.

— J'ai perdu mon sang-froid, réponds-je déçu de moi-même.

Il soupire.

— Je t'ai prévenu que le chemin que tu empruntes sera semé d'embûches, répond-il calmement.

Je me redresse sur la chaise et me tourne vers lui. Assis sur mon lit de bois à la couverture rêche, père Gustave me fixe de ses yeux bleus d'un air sage. Son nez tombant sur sa bouche étroite. Ses sourcils gris sont légèrement relevés, accompagnant leurs teintes à ses cheveux plaqués sur sa tête. Ses traits anguleux relèvent ses fossettes au fur et à mesure que ses lèvres s'étirent en un sourire.

— L'embûche en question est à un prix plus qu'approprié, mais refuse catégoriquement ma requête.

— Trouves-en un autre ?

Je baisse le regard. Les autres sont excessifs, d'excellente réputation certes, mais hors de portée. Et, ils ne transpiraient pas la mort comme elle. Les autres, des dangers. Elle, la faucheuse. C'est elle que je veux pour ce contrat. Devant mon silence pesant, père Gustave se lève.

— Suis-moi.

Je mets le papier dans ma poche de soutane noire, emboîtant le pas de l'évêque. Ainsi, nous sortons de la chambre, qui est composée seulement d'une chaise, d'un lit et d'une armoire en bois sombre et qui semble ne pas avoir d'âges. Elle est simple sans artifice, seuls trônent au-dessus du lit la croix du seigneur et une lampe sur le bureau.. Nous marchons lentement sous les douves du presbytère de la cathédrale. Les arches donnent accès directement à une cour bien entretenue, resplendissant les couleurs chatoyantes du printemps. Un endroit serein ressemblant au cloître du mont Saint-Michel, où seuls les murmures brisent le silence.

Nous l'abandonnons pour rejoindre la maison accolée, croisant nos confrères en formation dans le couloir étroit, avant d'atteindre le bureau du père Gustave. Tout aussi simple que les autres pièces de ce domaine. Les murs crépis gris se fondent dans le parquet grinçant sous nos pas. La croix, accrochée derrière son bureau verni où toutes ses affaires sont soigneusement rangées. Une bibliothèque protège derrière ses portes vitrées un nombre de livres anciens. Il s'installe et m'indique d'en faire autant sur la chaise devant son bureau.

— Quand je t'ai accepté en formation, j'avais pleinement conscience de ton passif, commence-t-il calmement.

Je reste neutre devant lui.

— Je connaissais ta mère.

Mes poings se ferment.

— Mais là, ça te ronge.

Ma mâchoire se tend.

— Tu l'as trouvé, il a refusé, mais je vois que c'est lui que tu veux, termine-t-il la voix posée.

Il met le doigt dessus. Son refus tourne en boucle dans ma tête. Mes yeux se plissent sur ses doigts qui se joignent entre eux. Il est serein, toujours de sage parole. Il inspire et expire plusieurs fois en fermant les yeux. Il cherche. Réfléchis. Soupèse le dilemme qu'il va m'imposer.

— Deux choix s'offrent à toi Elio...

Il doute. Ses mains tremblent d'incertitude.

— La première : tu abandonnes et reprends ta formation.

Impossible. Je serais toujours l'œil aux aguets à craindre que mes proches se fassent tuer. J'entends par là Père Gustave et mes confrères, mais également du gorille qui me suit à la trace. Va vraiment falloir que je le sème celui-là.

— La seconde, reprend-il hésitant, tu remets ta casquette pour le convaincre.

Le vin, il ne faut pas en abuser non plus. Mes doigts se mettent de nouveau à pianoter nerveusement. Remettre ma casquette. Celle dont j'ai eu du mal à me séparer. Celle qui me démange quand mon cerveau tourne à plein régime. Pourtant, une question me chiffonne.

— Si tu me laisses déployer mes capacités, demandé-je sérieusement, pourrai-je continuer à avoir le rôle de prêtre ?

Père Gustave ferme les yeux. Il s'attendait à cette question, d'où son hésitation.

— Oui et non.

Je fronce des sourcils.

— Tu pourras toujours étudier, j'y veillerai, mais tu ne pourras pas exercer.

Il ouvre ses paupières, figeant son regard dans le mien. Il n'abandonne pas l'idée que je revienne achever ma formation. Et, je ne compte pas me détourner de cette voix.

— Laisse-toi le temps d'y réfléchir.

J'acquiesce et prends congé.

J'ai peu dormi depuis que j'ai quitté Paris pour revenir à Blois. Je voulais profiter de ce voyage pour aller voir Notre-Dame, mais sa voix tournait sans cesse. Non. Et la raison aussi ridicule à souhait, portant d'infâme préjugé. J'ai été surpris par son mordant. L'appâter avec plus d'argent ? Elle refusera aussi. C'est sûr. Son boss me l'a confirmé. Pourtant, il n'a pas totalement fermé la porte.

Ma main triture le papier dans ma poche. Je regagne ma chambre, défais ma chemise blanche, retire mon col et m'habille de mon costard noir. Quittant les lieux, je me dirige vers une médiathèque. Je regarde rapidement au-dessus de mon épaule, Franck est absent. Quand je suis à Blois, il n'a pas l'autorisation de pénétrer dans le presbytère. Il a essayé une fois, il s'en rappelle encore.

Je longe la rue porte clos hauts pour rejoindre le boulevard Eugène Riffault. Les éclats de rire des enfants jouant dans les jardins de l'évêché me font sourire, mais il s'évanouit quand j'entends ses paroles acerbes me frapper de plein fouet.

Je ne traite pas avec les violeurs d'enfants.

Mon poing se serre. La colère me submerge. Je tente de me contenir en reprenant ma marche, me demandant pourquoi une telle réaction de sa part. Je n'ai pas une longue marche à faire, pour arriver à ma destination.

Poussant les portes de la bibliothèque Abbé-Grégoire, mes yeux se portent directement vers l'espace qui m'intéresse. Il n'y a pas grand monde à cette heure de la journée, arrangeant mes petites affaires. Je prends place derrière l'un des PC et sors le papier. Je fixe l'écran devant moi, inspirant en levant les mains au-dessus du clavier. Elles tremblent. Ça me démange. C'est une simple recherche. Pas besoin de faire appel à lui. Mes yeux se ferment. Mes doigts caressent les touches. Mon cœur s'accélère.

La première touche s'enfonce, suivie d'une autre une minute après... Mon sang pulse dans mes veines... La troisième s'active... J'expire... J'hésite... Abandonner... Me reconnecter... Dilemme... Il m'appelle... Il me hurle dans la tête... J'inspire... Je résiste... Plus pour longtemps.

La quatrième s'enfonce. J'ouvre les yeux. La barre clignote dans l'espace recherche comme les indicateurs de direction d'une voiture à un carrefour attendant de tourner. Hypnotisant. Sans que je m'en aperçoive, le nom était déjà rentré en entier. Merde. Mon annulaire tourne sur entrée pour valider le nom. Ça m'excite. Il s'actionne. C'est juste pour cette fois.

Ma main se porte sur la souris, glissant et cliquant sur le premier lien. Pas de résultat. Je sors de la page et clique sur le suivant. Échec. Je serre les dents. Je ne dispose pas d'autre choix. Mon regard glisse à gauche, puis à droite. Pousse sur mes fesses pour observer au-dessus de la séparation, plus personne à l'horizon. Merci, seigneur.

Tel le pianiste jouant l'été de Vivaldi, mes doigts glissent d'une touche à l'autre, faisant sauter le pare-feu de l'ordinateur. Me connectant en un temps record à plusieurs VPN, fouillant les affres de l'internet pour enfin tomber sur la fenêtre demandant mes logs.

3- L-D-3-R, S-N-4-K-3.

Il sourit. Il est là. Elder Snake. Il fait craquer ses doigts. Branche le port à mon âme, et me guide. Plusieurs fenêtres s'ouvrent sous mon regard scrutateur. Laissant tomber la muselière entravant Elder. Un fantôme. Elle est introuvable. Pourtant, le nom sur le papier, que je zieute en parallèle, me donne un indice.

Gertrude Delacroix. Propriétaire et concierge d'une bâtisse, rue Fontarabie. Loue ses appartements à un prix exorbitant. Deux par palier. Un couple et un retraité au premier. Deux étudiants en art au second. Un étudiant en médecine et un appartement vide au troisième. Une femme occupe un studio au dernier face à un autre logement vide. Je tique.

Je regarde en extérieur, le soleil se couche. J'hésite à approfondir. Elder s'agite. Abandonner ou plonger.

— Monsieur ?

Je sursaute et redresse la tête. La bibliothécaire porte sa main à son cœur au vu de ma réaction.

— Nous allons fermer, je vous demanderai de quitter les lieux, s'il vous plaît.

— Veuillez m'excuser, je n'ai pas vu l'heure tourner.

Je lui souris. Elle rougit.

— Juste un instant le temps de fermer la page.

— Je vous en prie, j'attends à la porte pour fermer derrière vous.

Mes doigts pianotent pour remettre tout en ordre, réactivent le pare-feu et éteint l'ordinateur. Je fais un signe de tête à la femme qui compresse ses cuisses entrent-elles, puis sort de la médiathèque. Mes yeux croisent ceux de Franck. Il est appuyé sur la voiture, les bras croisés, me fusillant.

Je m'approche de lui. Les mains dans les poches.

— Tu as réussi à me trouver.

— Elio, t'avais raccroché.

Je glisse mes yeux sur le côté. Un gorille. Un garde du corps. Le meilleur ami de ma mère. Sa mission de vie, veiller sur moi. Et, il prend ses dernières paroles au mot. Me suivant dans l'ombre.

— Ça me démangeait, bougonné-je entre mes lèvres.

Il souffle, je le désespère.

— Et donc ?

Je tourne encore mon incertitude dans ma tête. Baisse le regard vers le pavé.

— Je dois voir l'évêque.

Il se décale, ouvre la portière sans un mot. Mon choix est pris. 

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