36 - Petit Fien
Elio
— Il est revenu en France.
Ma mâchoire se contracte à l'annonce de Vera. Silver, ce fantôme qui me hante, est de nouveau dans nos parages. La panthère a gardé un œil sur lui, surveillant ses mouvements.
— Sait-il où nous sommes ?
— Malheureusement, oui. Mais il n'a pas bougé d'Orléans pour l'instant, soupire-t-elle.
Je laisse échapper un souffle lourd de tension. Un autre appel clignote sur mon écran. Le caméléon. J'appuie pour décrocher.
— Hello ma petite panthère, ça faisait longtemps ? annonce-t-il joyeusement.
Ils échangent des banalités sur un programme en cours de conception, me laissant en proie à mes pensées. J'appuie mes coudes et pose mon menton sur mes mains jointes, les écoutants à travers mon casque. Mais mon esprit s'envole loin de cette conversation. Mon attention dérive, je ne peux m'empêcher de repenser à Maxine. À cette nuit. Ce moment où tout a changé.
Je n'aurais pas dû la laisser seule après qu'elle se soit endormie. Mais l'appel de Vera m'a forcé à descendre dans mon antre, à me couper de cette chaleur troublante qui me brûlait. Ses sanglots résonnent encore dans ma tête. Les images de son corps contre le mien, ses bras autour de moi, mêlant fureur et abandon.
— Allô la terre ici la lune ! appelle Vera un soupçon d'impatience.
Je secoue la tête, chassant ces pensées enfiévrées. Mon regard se porte sur l'écran, où une carte apparaît, avec un point rouge clignotant.
— Qu'est-ce que c'est ? demandé-je, perplexe.
— La position de Maxine, répond le caméléon, sérieux cette fois. J'ai glissé une puce GPS dans ses godasses pour garder un œil sur elle. J'ai déjà envoyé la position à Damien et Tobias.
Il pianote sur son clavier comme un acharné au son des touches qui s'enfoncent avec souffrance. Ce n'est pas étonnant qu'il en change régulièrement. L'ironie me frappe : aussi discrète qu'elle soit, elle n'échappera jamais à la surveillance d'un caméléon.
— Elle va se faire passer un savon, vu l'endroit où elle se trouve.
Je regarde la carte. Châtelet-les-Halles. Qu'est-ce qu'elle fout là-bas ? Je regarde l'heure, la matinée est bien entamée. J'ai passé le restant de la nuit avec la panthère, me disant qu'elle serait en sécurité dans son studio. Sauf que Maxine et la sécurité... deux concepts opposés. Une Maxine en sécurité avec son propre esprit ravagé ? Impossible. Je secoue la tête, dépité. Elle est un danger pour elle-même.
— Tu as de leurs nouvelles ? interrogé-je le caméléon.
— Désolé Elder, pour l'instant c'est le grand silence. Quand Damien l'a appelée cette nuit, elle l'a envoyée paître. Il s'est méfié, et m'a demandé de la suivre.
Je hoche la tête sans un mot. Après quelques dernières instructions, le caméléon raccroche. Vera termine également la conversation, me promettant de continuer sa surveillance sur Silver. Le silence retombe dans la pièce, me laissant face à mon clavier, mes pensées brouillées. Je m'étire, l'esprit encore accablé par les tourments de cette nuit. Qu'est-ce que Maxine est en train de faire maintenant ?
Je me connecte aux caméras de la zone. Les galeries des Halles sont désertes, un spectacle étrange pour un quartier généralement si animé. Je passe aux caméras extérieures, et là, mon cœur rate un battement. Un groupe de délinquants est étalé au sol, tabassé, entouré de CRS, de gendarmes et de pompiers. La foule amassée derrière les rubalises regarde, certains filment la scène avec leurs téléphones. Je déglutis, les poings serrés.
Je zoome sur la scène, cherchant désespérément à la localiser. Le caméléon relance la conversation.
— Tu l'as voit ou pas ? s'empresse-t-il de demander.
— Non. Mais elle s'y est donnée à cœur joie, répondé-je en regardant les dégâts.
Le caméléon râle dans son micro.
— Est-ce que tu vois une paire de tennis noir dans ce bain de sang ? Un abruti est connecté aux caméras, je n'arrive pas à y accéder.
— L'abruti t'emmerde !
Je pianote sur mon clavier et passe la zone au scanner. Quand je repère enfin l'objet tant recherché, un haut-le-cœur me saisit. Je ne voudrais pas être à la place du gars à cet instant précis.
— Basket retrouvé, et elle n'a certainement pas dû utiliser de vaseline pour son traitement.
— La garce. J'appelle Damien.
Il coupe la conversation.
Je reste là, fixant les écrans, observant l'un des délinquants se faire emporter sur un brancard, la mine déformée. Aucun n'a été tué, mais ils ne sont pas près de se remettre de sitôt. Des sachets de drogue tombent d'une poche ouverte, une preuve qu'ils n'étaient pas innocents. Je soupire. Ils l'ont pris pour un proie facile... mais ils ont découvert que le prédateur, c'était elle, et ils se sont pris le revers du siècle.
Où es-tu passé encore ?
Un bruit strident retenu à travers mon casque. Mon interphone. Je fronce les sourcils et monte rapidement de mon antre jusqu'à mon studio. En vérifiant la lucarne, je la vois. Maxine. Avachie contre sa porte, l'air hagard.
J'ouvre précipitamment, la découverte dans un état lamentable. Une basket manquante, l'autre pied en chaussette. Ses poings sont en sang, son visage tuméfié.
— Max...
— Qu'est-ce qu'un canif ? me demande-t-elle complètement à côté de la plaque.
Je me rapproche d'elle, puis m'accroupis. En passant mon bras sous ses épaules pour la soulever, elle me souffle au visage avec un large sourire. Je devine à son odeur, qu'il n'y a pas qu'au délinquant qu'elle a fait passer un mauvais quart d'heure, mais au rayon alcool aussi.
Un grand sourire idiot éclaire son visage, et elle tape mollement mon torse avec son doigt.
— Réponds le curé où je te fais la tête au carré...
Sa bouche part de travers alors qu'elle titube sur le côté. Je la rattrape à temps, avant qu'elle ne passe par-dessus la rambarde. Or, elle s'agrippe dessus et se met à hurler dans la cage d'escalier :
— Gertrude t'a vue, j'ai fait une rime, bourrique !
Je ferme les yeux priants pour que celle-ci ne soit pas dans le couloir. Maxine se retourne d'un coup, perdant l'équilibre.
— Oh, ça tourne.
— Viens, là je t'amène chez moi, indiqué-je en la soutenant tant bien que mal.
Je l'entraîne dans mon studio, mais elle se dégage, se précipitant maladroitement vers mon bureau.
— Et toi, tu sais ce que c'est, un canif ? interroge-t-elle la croix du seigneur sur le mur, la pointant avec son doigt tremblant.
— Je ne pense pas qu'il va te répondre, viens là.
J'essaie de l'approcher, mais elle m'échappe, titubant avec une vivacité surprenante malgré son état. Son rire éclate, désordonné. Malheur à moi.
— Le balourd n'a pas voulu répondre non plus, rigole-t-elle. Du coup, il a goûté au plaisir de ma basket, mais je ne sais pas où il l'a mis après, rigole-t-elle.
Je grimace. À mon avis, elle ne voudra pas la récupérer sa chaussure vu l'endroit où elle a été mise. Je tends le bras vers elle, son corps vacille, ses gestes perdent toute coordination, sa chevelure est complètement désordonnée. Elle me repousse d'un geste flasque. Son visage se fige, et ses yeux deviennent étrangement sérieux.
Sa main retombe lourdement sur son flanc avant de se glisser dans son dos.
— C'est pas difficile à répondre pourtant... souffle-t-elle, presque dans un murmure, fixant la fenêtre comme si elle y cherchait une réponse.
— Maxine, tu devrais t'asseoir, insisté-je, une inquiétude froide me saisissant.
Je tente un pas vers elle, mais elle braque son regard vers moi en même temps que son bras tenant son arme.
— Maxine, tu ne devrais pas tuer le prêtre, Maxine tu ne devrais pas coucher avec lui sinon ça va te faire remonter des merdes, grogne-t-elle, imitant des voix.
Ma mâchoire se contracte. Sa colère est palpable, violente. Je lève les mains lentement.
— Maxine, même si tu pleures au-dessus de sa tombe, j'ai un contrat juteux pour toi.
Elle ramène son bras vers sa tête, se tapant la tempe avec son arme.
— Maxine, écoute le gentil prêtre, il va te donner un bain... Tous les mêmes... murmure-t-elle.
— Max...
— Ferme là !
Elle me vise, l'arme tremblante dans sa main. Son regard est perdu, sa voix pleine de rage et de confusion. Son aura se déploie.
— Tu n'es pas lui, il est mort ! Mais ça ne change rien, tu vas me bousiller aussi, non ?
— Je sa...
— Nan tu ne sais pas putain ! hurle-t-elle à présent en rage.
Notre nuit ensemble était une erreur. Un péché qui l'a fait chavirer dans son sombre passé. Elle ne montrait rien, faisait semblant de rien, pourtant, il la hante encore. De plus, la voir ainsi, je ne peux qu'avoir le coeur brisé face à l'enfant qui à subi les supplices d'un psychopathe. Je m'avance, bravant sa colère, ignorant son bras tremblant.
Elle recule. Du déjà vu, pas plus tard qu'hier. Son arme pointée vers moi. Sa fureur froide, à un détail près, l'alcool n'avait pas autant imbibé son sang. J'attrape fermement son poignet, pose le canon sur mon coeur.
— Je sais ce que tu as enduré, Maxine, susurré-je en la fixant droit dans les yeux. Je sais que ta colère envers moi n'est que le fruit de ce fumier.
— Vous êtes tous des violeurs...
Sa voix se brise sur ce dernier mot. Ses mains tremblent plus violemment maintenant, mais elle ne lâche pas l'arme. Ses paupières sont à moitié fermées, comme si elle cherchait à effacer les visages de ses bourreaux qui se superposent au mien. Qu'elle en fasse de nouveau référence ne m'atteint plus autant qu'avant.
— Tue-moi, murmuré-je.
Elle la redresse en fronçant ses sourcils, surpris par ma demande. Mon souffle se fait plus court, mais je maintient mon calme.
— Tu hais tout ce qui attrait à la religion. Tu as tué un ami qui m'était cher. Mon père te paye pour m'éliminer. Qu'est-ce que tu attends Max ? Que je te tienne la main pour que tu me colles une balle dans la tête ? Tue-moi !
Son bras vacille un instant, mais elle ne baisse pas l'arme. La colère brille encore dans ses yeux, mais quelque chose d'autre la retient.
— Je ne regrette pas cette nuit avec toi ! Pourtant, t'es une sacrée emmerdeuse, qui n'en fait qu'à sa tête. Une putain de nana avec un cerveau complètement dérangé. Même sous effet d'alcool, tu me pousses encore à prendre soin de toi, alors que tu ne fais que provoquer la mort.
Ses yeux s'agrandissent d'effroi, comme si mes mots la frappaient de plein fouet. Sa respiration devient saccadée, incontrôlable. Je saisis son poignet avec délicatesse, posant le canon de son arme contre mon cœur. Mon doigt glisse sur le sien au niveau de la gâchette.
Elle ferme les yeux avec force, ses lèvres tremblent. Je lui dis qu'elle court après la faucheuse, pourtant, là je me tiens sur la corde raide. À double tranchant. Seigneur, aider moi, même si je ne le mérite pas.
— Tu vas tirer oui ?
Elle secoue la tête, ses sourcils froncés, et je sens son bras faiblir. Je la rapproche de moi, posant le canon de l'arme encore plus fermement contre ma poitrine.
— Un p'tit fien !
Le coup part en même temps que la réponse qu'elle me hurle. Mon cœur s'arrête un instant, non pas parce que j'ai été touché, mais parce qu'elle a dévié son bras à la dernière seconde. Je tourne la tête sur le côté, et deviens encore plus livide que je dois l'être actuellement quand j'aperçois que la balle s'est logée dans la tête de Jésus. Pour dire, elle sait viser.
— Je ne peux pas te tuer, Elio.
Je la regarde de nouveau. Ses yeux sont clos. Sa respiration saccadée.
— Je ne peux plus me passer de toi, foutu curé, murmure-t-elle d'une voix brisée.
Sa tête se projette en arrière. Je la prends dans mes bras. Elle lâche son arme qui tombe dans un bruit sourd sur le sol. J'attrape son visage, écrase mes lèvres contre les siennes. Cerbère combattait son cerveau, ses principes, ses sentiments. Le baiser est intense, allumant le feu dans mon ventre. Elle glisse ses bras autour de ma taille, renforçant notre échange.
Je me déplace avec elle jusqu'à la salle d'eau. On se déshabille en vitesse, et la guide dans la douche. La laver. Laver le sang sur ses mains. Laver son âme tourmentée. Réchauffer son coeur et son corps.
J'attrape ses cuisses et la soulève. Le jet nous enveloppe dans un cocon. Le serpent s'est épris de Cerbère, comme la faucheuse tombe raide face au fantôme. Je ne te laisserai plus m'échapper, vile créature.
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