25 - Ah Maria !

Maxine

Il ne devait pas rester dans son presbytère, celui-là ? De plus, mon téléphone est avec mon sac dans le parloir avec le casque. Je les ai laissés en arrivant, un panneau rénovation en face y empêche l'accès, laissant mes affaires en paix. Purée, comment vais-je me débarrasser de lui ?

— Ah, mon père, vous êtes de retour.

Je me retourne vers le nouvel arrivant. Un autre prêtre, dégarni, un sourire de pervers collés sur le visage. Une verrue sur la joue. Ses yeux de fouine me scrutent avant que son sourire ne s'élargisse. Il me donne envie de gerber.

— Oh, mais vous devez être sœur Marie-Josette de l'église de Sainte Verge ?

Je me retiens de rire devant ce nom ridicule. Marie Josette... Or mon silence devant le prêtre étonne beaucoup les deux hommes. J'acquiesce cependant à sa question, en penchant la tête.

— J'avais oublié, vous êtes muette, s'excuse-t-il.

Alléluia ! Enfin une info utile à mon avantage. Je souris tendrement, sentant le silicone tirer sur ma peau. Le prêtre se tourne vers Elio et lui serre la main.

— Je vous présente notre soliste pour le concert qui a lieu demain soir, j'espère que vous serez des nôtres.

— Malheureusement, je repars dans la nuit. J'ai une affaire urgente à régler.

L'affaire urgente est juste sous ton nez couillon.

— Oh, c'est dommage, lui répond son collègue.

Hé hé, oui. Tellement dommage d'avoir une tarée au cul. Je leur fais signe que je dois répéter en silence, hoche de la tête avant de me retourner et me dirige vers le bureau.

— Vous pourrez peut-être nous faire une démonstration ? interroge le père mon cul.

Fichtre !

Je me fige. Quand les galères s'enchaînent comme ça durant une mission, c'est un vrai merdier pour s'y dépêtrer.

— Elle est peut-être timide, remarque l'autre prêtre.

Je lève les yeux au plafond avant de les reporter sur Elio. Son air est sérieux, il me fixe. J'ai l'impression qu'il sent mon aura, mais j'ai tout fait pour l'éteindre, gardant mon humanité juste le temps d'atteindre mon objectif.

— Est-ce que cela vous dérangerait de nous jouer un morceau ? demande Elio.

Je secoue la tête et me dirige vers le pupitre sur l'estrade mise en place pour l'évènement. Quand faut y aller, faut y aller. Le seigneur me punit-il pour la prévision de pêcher dans son domaine ? Sûrement, mais c'est le seul lieu qui m'offre une vue complète sur la ville de Blois. Et sur ma cible.

J'ouvre ma mallette, et prends soin de sortir la flûte traversière et la partition, prenant garde de ne pas dévoiler ce qu'il y a en dessous. Je m'installe, tandis que des visiteurs s'assoient sur les bancs et que les deux prêtres font de même en se mettant pile en face de moi. Je n'ai pas du tout la pression là !

Je souffle. Je comptais seulement faire la prestation de demain, tuer et m'effacer, mais ce con d'Elio m'a prise en traître. S'il savait qui se cache vraiment sous le silicone.

Je positionne mes doigts sur l'instrument, lève le coude et rapproche l'embouchure de mes lèvres. Les premières notes de l'Ave Maria s'élèvent dans l'enceinte de l'église, captivant l'attention des spectateurs de passage, arrêtant leur visite pour m'admirer. Mes doigts glissent sur les touches, produisant une mélodie envoûtante.

L'acoustique de l'église amplifie chaque note, les faisant résonner avec une pureté cristalline. Les murs de pierre vibrent doucement, comme s'ils répondaient à l'appel de la musique. La lumière du soleil pénétrant par les vitraux colore la scène de teintes vibrantes, ajoutant une aura mystique à l'atmosphère.

Chaque souffle que je prends est un hommage à Darius, chaque mouvement de mes doigts est une prière silencieuse. La flûte traversière, avec son éclat argenté, brille sous les rayons du soleil, symbolisant l'espoir et la rédemption. Les notes montent et descendent, formant une vague émotionnelle qui engloutit les spectateurs.

Les visages des visiteurs, illuminés par les couleurs des vitraux, reflètent une palette d'émotions : émerveillement, tristesse, admiration. Certains ferment les yeux, se laissant porter par la mélodie, tandis que d'autres ont les larmes aux yeux, touchés par la profondeur de l'interprétation. Même les prêtres, habituellement stoïques, semblent émus, pris dans la beauté transcendante de la musique.

Je me perds dans la mélodie, chaque note me rapprochant de lui. Je me souviens des nuits passées à répéter ce chant dans la forêt longeant la maison. Son regard fier, quand je le lui ai joué pour le remercier de m'avoir sauvé et libéré. Le seul moment où je lui ai autorisé cette petite bulle. La flûte devient une extension de mon âme, chaque son un fragment de mon histoire, de notre histoire.

Puis, au sommet de la pièce, un crescendo se déploie, puissant et majestueux. La flûte semble chanter de toute son âme, chaque note étant une larme de joie et de douleur. Les voûtes de l'église semblent s'élargir, comme pour accueillir cette explosion de musique. Les dernières notes s'estompent doucement, laissant une traînée d'émotion suspendue dans l'air.

Le silence qui suit est chargé de l'écho des notes disparues. Personne ne bouge, personne ne parle. L'église entière semble retenue par le souffle de cette performance. Je repose doucement la flûte dans son étui, les mains tremblantes.

C'est alors que les applaudissements éclatent, un tonnerre de reconnaissance qui résonne dans toute l'église. Les larmes aux yeux, je m'incline légèrement, remuant les lèvres pour une dernière prière à Darius.

En me redressant, je sais que la prochaine étape m'attend, mais en cet instant, entourée de l'écho de l'Ave Maria et des applaudissements des spectateurs, je me sens invincible.

Elio

Le souffle coupé dès les premières notes, je me suis laissé bercé par la prestation de la sœur. Ses doigts fins ont dansé sur les touches comme une caresse qui a effleuré mon âme. Les yeux fermés, les échos se répandent dans les voûtes de l'église. Un pur moment de libération dans ce chaos qui m'est propre.

La dernière note s'envole, les réactions ne se font pas attendre, les applaudissements des spectateurs, de mon collègue et moi résonnent. Elle s'incline, remerciant son public, l'émotion traversant son regard.

— C'était magnifique, remarque mon collègue. J'en ai la chair de poule.

Il y a de quoi en même temps. Je pose ma main sur son épaule en guise d'accord sur ses paroles.

— Je vais aller la féliciter avant de retourner au presbytère.

Il acquiesce, me serre la main, puis s'en va rejoindre des visiteurs pour répondre à leur question. Je monte sur l'estrade pour rejoindre sœur Marie-Josette. Elle est de dos, rangeant sa flûte dans sa mallette. Feuilletant sa partition avant de la déposer au côté de l'instrument. Je lève mon bras pour lui tapoter l'épaule, mais elle se retourne aussi sec en fronçant les sourcils, sur ses gardes. Ce mouvement imprévisible me fait reculer d'un pas.

— Je ne voulais pas vous faire peur, ma sœur, la rassuré-je.

Un fin sourire dessine ses lèvres, tandis que son regard s'apaise. Sa main se porte machinalement sur son cœur comme un signe de soulagement.

— Je voulais vous féliciter pour votre prestation. L'interprétation de l'Ave Maria à la flûte traversière était tout simplement magnifique.

Elle hoche la tête, puis récupère sa mallette.

— Vous avez un peu de temps à m'accorder ?

Son geste se fige. Elle se redresse mécaniquement, et semble tendue. La mettrai-je mal à l'aise ? Mallette en main, elle se retourne vers moi et ancre son regard dans le mien. Elle signe en m'expliquant qu'elle doit répéter au calme à présent afin d'être prête pour le concert de demain.

— Je comprends. Je ne vais pas vous retenir plus longtemps.

J'aurais bien voulu en apprendre plus sur son talent de flûtiste. Elle s'incline avant de disparaître dans les bureaux de la cathédrale. Je souffle en regardant la rosace ornant le vitrail et ses couleurs chatoyantes, puis pars rejoindre le presbytère dans le silence. Un silence accompagné de prière vers mon seigneur, lui demandant de m'accompagner dans cette épreuve.

Je croise Franck sur le parvis, échangeant au téléphone. Il raccroche, démonte le mobile, récupère la puce avant de la casser en deux et de me tendre le reste.

— Tu as pu faire tes adieux ?

Je hoche la tête.

— J'ai même pu assister à un solo incroyable, murmuré-je, l'émotion encore présente.

— C'est ce que j'ai entendu. J'avais l'impression d'entendre ta mère.

Il a mis le doigt dessus. Elle était une grande musicienne que j'admirais et dont je n'ai jamais pu apprendre d'elle. Ma mâchoire se crispe, chassant les brides de mes cauchemars remontant à la surface. Je lève la tête vers le ciel. La fin d'après-midi se voile de nuage, les températures baissent, le vent se lève.

— À minuit monsieur.

Je ferme les yeux. Entendant ses pas s'éloigner. Minuit. Franck et moi nous ne serons plus qu'un vague souvenir de la France. Une nouvelle fuite. De nouveau horizon avec la mort à mes trousses. Elder au plein pouvoir. Vil désespoir.

* * *

— J'ai ce que Franck m'a demandé.

La nuit est tombée tandis que le vent cogne contre les fenêtres en bois. Père Gustave me tend une enveloppe kraft. Je la saisis, puis la penche pour y faire glisser les nouvelles cartes d'identité de Franck et moi. Des téléphones, des brouilleurs, et une carte du gouvernement italien assez haut placé.

— Je ne demanderai même pas comment tu as obtenu ceci.

— Quelques connaissances étaient dans le coin.

L'évêque sourit en plissant les yeux.

— Notre passé n'est jamais loin et reste dans l'ombre, marmonné-je dépité.

Mon père soupire et s'installe dans son fauteuil.

— Je t'avais prévenu que ta quête allait être complexe, la preuve en est : Tu te retrouves encore être le lièvre poursuivit par le loup.

— Et sacré loup.

— Avec ce que tu m'as rapporté de ce qu'elle a vécu, elle s'en sort plutôt bien. Un ange doit veiller sur elle.

Je ris. Un ange ? J'en doute fort. Lucifer en personne est plus plausible.

— J'ai une dernière chose à te donner avant que tu ne partes.

Il se penche sur le côté, ouvre un tiroir et en sort une photographie. Son regard pétille de nostalgie en la regardant avant de me la tendre. Je me penche en avant, puis la récupère délicatement. Une jeune femme dans une tenue d'enfant de chœur, les yeux marron, ses cheveux longs tombant en cascade sur ses épaules. Un sourire chaleureux étire ses fossettes. Son visage fin, pâle, comme une poupée.

Une larme roule sur ma joue en admirant l'insouciance de ma mère sur cette vieille photographie. Une innocente abandonnée dans les mains de mon père. Mon cœur se serre.

— Je ne pense pas qu'il t'ait laissé un seul souvenir d'elle, hormis la croix que tu portes à l'oreille.

Je secoue la tête. Sa croix et les cauchemars sont les seules qui m'accompagnent.

— Merci, soufflé-je la voix emplie d'émotion.

— Elle serait tant...

Un bruit sourd brise la vitre laissant s'engouffrer le vent dans la pièce. Du sang éclabousse la photographie et mes mains. Je redresse la tête sur mon père, mes yeux s'agrandissent d'effroi. Ses yeux figés par la mort lui retirant son dernier souffle de vie, le pétrifient un instant avant que son corps s'écrase sur son bureau, la tête transpercée par une balle.

La main tremblante, je la porte à son épaule. La secoue pour le réveiller. Mon cerveau n'arrive pas à analyser ce qui vient de se passer.

— Mon... père...

Mon sang pulse dans mes tempes.

— Gustave...

Mes membres tremblent. Ma mâchoire se contracte. Mes jambes se dérobent.

Impuissant face à la mort si brutale de l'évêque sous le regard du seigneur qui pleure sa perte. Mes yeux se lèvent sur la fenêtre. Un trou, pas plus gros qu'une pièce de deux euros. Le clocher en arrière offrant un spectacle funeste.

Le clocher...

Une sonnette d'alarme retentit dans mon cerveau. J'attrape l'enveloppe et la photographie. Me redresse, et déboule dans le couloir hurlant d'appeler la police face aux prêtres qui me croise. Je tourne dans le couloir, descends les escaliers en vitesse, manquant de peu de louper une marche. Sors en trombe du presbytère et regagne la rue pour atteindre le parking Saint-Louis.

Elle est là. Casque sur la tête. Les mains sur le guidon. La tête tournée vers moi. Sa visière est baissée, ne me montrant rien de son visage, mais sa tenue, je la reconnais. Impossible. Elle était sous mes yeux.

Je me mets à courir vers elle, son moteur vrombit. Son poignet tourne. Je me place devant sa moto à plusieurs mètres d'elle. Elle démarre. Mon cœur s'accélère en même temps qu'elle. Les sirènes de la police et des urgentistes s'entendent au loin. Sa tête se penche sur le côté.

— Arrête-toi, hurlé-je quand elle s'approche de moi.

Or, aucun geste n'indique qu'elle compte s'arrêter. Elle se rapproche de plus en plus, m'éclairant de son phare. Avalant les derniers mètres qui nous séparent. Un corps me percute de plein fouet, m'étalant sur le parvis, la laissant filer à toute berzingue dans les rues de Blois.

— Lâche-moi, crié-je hystérique.

— Jamais Elio, gronde Franck en m'écrasant de tout son poids.

Je cesse de me débattre. La cible n'était pas Franck. Mon cœur meurtri, pleure la perte d'une grande figure. D'un homme sage.

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