23- Jeu de la souris

Maxine


Couché derrière ma lunette de visée, je regarde les réactions épiques de Damien et Tobias, d'autant plus que du prêtre qui blanchit à vu d'œil. C'est bien mon p'tit gars, tu comprends vite que ton Graal a foutu un contrat sur ta tête. J'étais loin de me douter que le père mon cul soit le fils d'un mafieux et au vu de son pedigree à celui-là, j'ai fort intérêt de ne pas me louper. Cependant, le jeu en vaut la chandelle, je vais m'amuser à traquer ce gibier.

Mon nouveau téléphone vibre. Celui-là, il ne pourra jamais le craquer, car le marchand de glace l'a spécialement sécurisé pour moi. Je me tortille de ma position et regarde le message qu'il m'a envoyé.

« Je t'attends à l'hôpital »

Il a fait vite. Je range mon matos après un dernier coup d'œil, puis je quitte les broussailles du toit-terrasse de l'immeuble d'en face pour rejoindre la rue animée au pas de course. Mes doigts appuient sur la lisière de ma casquette sombre pour la baisser sur mon visage quand je hèle un taxi. Il ne faut pas que je traîne plus longtemps dans le coin au risque de me faire repérer, la perche a déjà deviné que je suis revenu en France.

Je grimpe dans la voiture, prenant soin de positionner mon sac à dos et ma mallette sur la banquette arrière avant d'indiquer la destination au chauffeur. Titine va rester un moment au garage. Je cale ma tête contre la vitre, fermant les yeux un instant face à la migraine qui se profile à l'horizon. Deux semaines à tout mettre en place. Mon premier contrat sera plus facile, mais je ne voulais pas l'exécuter tout de suite. Quant au deuxième... Un pincement passager au palpitant me fait grimacer.

— Fichtre, râlé-je entre mes dents.

— Je vous demande pardon ? interpelle le chauffeur en regardant dans son rétro.

Je glisse mes yeux vers lui et remarque qu'il a les sourcils froncés, tentant vainement de m'analyser, puis je reporte mon regard sur le périph, ignorant sa question. J'ai souvent souhaité un contrat sur sa tête avec les coups bas qu'il m'a fait, alors pourquoi ça me contrarie de l'avoir à présent ?

Des bouchons et une heure plus tard, le taxi se gare devant l'hôpital près du Torb'j. Je paye en liquide la course, puis me dirige directement aux urgences sans un regard pour le bar. Taire ses émotions, ne plus en avoir, se concentrer sur mes objectifs.

Cendrillon devrait être dans le coin, d'après les informations du glacier, et je ne tarde pas à avoir la confirmation quand celui-ci apparaît en catastrophe, quand j'ai dit à la standardiste que je suis sa marraine la bonne fée.

— T'es de retour, s'extasie-t-il joyeusement comme une groupie en chaleur. Viens, on va aller dans une salle privée.

Discrétion zéro avec lui, mais d'un côté, avec plus d'un mois d'absence, il y a de quoi de se comporter comme cela. Je ne lui en voudrai jamais à mon petit oisillon. Je le suis, sac à dos à l'épaule et ma mallette de flûtiste à la main, priant pour que la sécurité ne la repère pas. J'ai déjà de la chance qu'ils n'ont pas de détecteurs à l'entrée, ce serait con de se faire griller maintenant. Il ferme la porte derrière moi et m'invite à m'asseoir. Or je ne m'exécute pas, le temps est compté.

— Qu'est-ce que tu fous avec un pull pareil, il fait une chaleur à crever dehors, me reproche-t-il en s'essuyant le front.

— Clim en panne ?

— Ne change pas de sujets Max, où étais-tu passée ? Tobias et Damien sont hyper inquiets, et Gertrude est infernale.

Un fin sourire se dessine sur mes lèvres. Ses journées doivent être bien fades sans avoir à me confronter sans arrêt. Je pose ma mallette sur la table de réunion, puis glisse mon sac pour fouiller à l'intérieur. Cendrillon sait que le boss, la perche et moi menons une double vie, même si nous le préservons un maximum.

Je sors une enveloppe kraft épaisse que je lui tends.

— Mon loyer pour les six mois à venir et le tien par la même occasion, donne les à la vieille au compte goutte sinon elle serait capable d'oublier que c'est payé.

Il fronce les sourcils, mais récupère l'enveloppe.

— Absence prolongée ?

Je hoche la tête.

— Pas un mot à Tobias ou Damien sur mon passage ici, menacé-je.

Il blanchit.

Diantre !

— Ne me dis pas que tu les as prévenus ? m'énervé-je en tournant la tête de gauche à droite pour repérer au travers des stores une quelconque présence indésirable.

Cendrillon gratte l'arrière de sa tête gêné, puis me regarde d'un air désolé. Comment lui en vouloir quand un ancien de l'armée, et un tueur remonté lui mettent la pression ? Ils ont dû deviner que je passerai ici. Je sors mon téléphone et envoie un message à Léon pour savoir où il se trouve, sa réponse ne tarde pas quand il indique :

« Au coin du couloir, on doit se dépêcher, on a de la compagnie. »

Bordel, ils ont fait vite.

— Nouveau téléphone ? Tu me donnes ton...

— Non, tranché-je aussi sec. J'étais contente de te revoir Cendrillon, à une prochaine.

Je ne lui laisse pas le temps de rétorquer que je remets mon sac sur le dos et attrape ma mallette en filant en trombe de la salle. Il m'interpelle, mais je me déplace rapidement et rejoins Léon qui m'attend tel un croque-mort dans son costume sombre.

— Ils en sont où ? haleté-je en reprenant mon souffle.

Il regarde son téléphone puis se tourne vers moi le regard sérieux :

— Ils viennent à l'instant de se garer sur le parking, indique-t-il les yeux plissés. Mon petit appel a beaucoup surpris Tobias.

— Merde...

Léon aime appuyer la où ça fait mal, mais on n'a pas de temps à perdre, on doit vite partir d'ici et le mieux, sans que le boss ou la perche mettent la main sur moi. Surtout la perche. Il serait capable de me séquestrer pour se venger de la balle que je lui ai collée.

— Allez Max, rappelle-toi de nos entraînements avec Darius, rappelle-t-il pour me canaliser. On se sépare, et on se rejoint à l'héliport dans moins de trente minutes. Ça va aller ?

Je fige mon regard dans le sien, nos yeux se plissent avec synchronisation. Le jeu de la souris est lancé.

Elio

« Tu l'as repéré ? » hurle Tobias dans l'enceinte de la voiture.

Je pianote sur mon ordinateur portable comme un acharné pendant que Franck roule sur l'autoroute. Nous avons dû nous séparer dès que Mansur a appelé, prévenant que Maxine était arrivée à l'hôpital. Il n'en a pas fallu plus pour que les deux partent en trombe, en m'indiquant de me connecter aux caméras, mais je ne pouvais pas rester sur Paris. S'il l'a engagée pour me tuer, rien ne sert de me cacher de lui à présent, mais je ne vais pas rendre la tâche facile à Cerbère. Non. Je ne lui ferais pas ce plaisir.

— Elle a rejoint un homme assez flippant au quatrième étage, et ils viennent de se séparer, indiqué-je en analysant les écrans.

« Grand, sec, les cheveux en queue de cheval grisonnants, ressemblants à un croque-mort ? » demande le boss.

— Oui...

« Je vais me le faire... » rage Damien derrière.

Ils le connaissent ? Qui peut-il être ? Or un détail de leur rencontre ne m'a pas échappé. Gardant un œil sur les autres caméras, je zoome sur les mains de l'homme. Je manipule sur mes touches pour rendre l'image nette.

— Lui est au sixième, elle est partie dans les escaliers de service du cinquième, transmetté-je en furetant sur leurs parcours.

Je fais un imprime écran de l'image et me concentre sur leurs parcours. Elle est descendue d'un étage, traverse le service pédiatrique avant de sortir par la porte de secours. Merde, aucun visuel ici. L'homme continue de monter. Où veut-il se rendre ? Qu'il y a-t-il sur le toit d'un hôpital à part...

— Allez directement sur le toit, pressé-je en me penchant en avant entre les deux sièges avant.

« L'héliport. » répondent-ils en chœur.

Je les vois courir au travers des couloirs, alors que l'homme paraît serein dans sa démarche. Mes doigts, pianotent encore plus vite, me connectant à la caméra du toit du bâtiment. Si elle y parvient, nous la perdrons à nouveau jusqu'à ce qu'elle se manifeste en tuant Franck ou moi, et il est hors de question que l'un de nous deux tombe.

L'homme apparaît sur l'image, marchant les mains dans les poches en se dirigeant vers un hélicoptère noir avec aucune marque pour l'identifier. Bordel, il avait tout prévu. Il grimpe côté conducteur, alors que le boss et Damien sont dans l'ascenseur. Ma mâchoire se crispe, ils ne vont jamais y arriver.

Un mouvement au bord du toit attire mon regard. Elle a grimpé l'échelle jusqu'ici et se déplace rapidement jusqu'à l'appareil.

Le son des pals tournant de l'hélico m'indique qu'ils sont arrivés au toit. Je les vois de dos, alors qu'elle est figée à côté de la portière de l'engin, la tête cachée sous une casquette.

« Max » hurle Tobias. « S'il te plaît, ne fais pas ça, on peut trouver une solution. »

Son rire sarcastique se répercute jusqu'au micro du boss avant de s'évanouir sous les bruits de l'hélico. Je ne la quitte pas du regard. Elle passe une main dans son dos, sortant son beretta en le pointant sur eux. L'échange silencieux entre eux me fait battre le cœur rapidement. Damien a sorti sa lame, prêt à se battre contre elle.

Tobias s'avance d'un pas, mais recule dès l'instant où elle tire sur le sol devant lui. Elle n'a plus rien à perdre. Ce n'est plus la même femme que je croisais sur le palier. Cerbère avait certes son aura meurtrière de déployer, mais là, elle montre son vrai visage de tueuse impitoyable. La tension est palpable.

Les chats ont perdu, les souris ont gagné en décollant de l'héliport vers une destination inconnue. Je m'affaisse dans la banquette, perdant mon regard sur le paysage qui défile à travers la vitre teintée.

— Ils ont réussi ? interroge Franck concentré sur la route.

— Non, soupiré-je résigné.

Il souffle à son tour.

— Deux jours pas plus avec l'évêque, après on disparaît, prévient-il.

Je glisse un regard vers lui. Il est catégorique, mais je sais au fond de moi qu'il est triste de quitter Tobias. Ils se sont rapprochés pendant son absence, et il va devoir y mettre fin à cause de lui. Vile pourriture que tu es Porcelli.  

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