19 - Un loup dans la bergerie

// Avertissement : Passage pouvant heurter la sensibilité. Ce n'est pas explicitement décrit, mais l'imagination peut très bien travailler. Merci de le prendre en concidération ! //

Maxine

Arrêté à une station de service, je troque l'Alpine de la perche contre une Ford F150 bleu nuit. Il va me maudire quand il ne verra plus sa titine. Il me maudit déjà, je lui ai tiré dessus. Je hausse les épaules. Il ne fallait pas pointer l'aiguille. Puis le propriétaire du garage fait une belle affaire. Dans le magasin, je me prends de quoi tenir sur la route. Boisson, caféine. Soda. Sandwichs. Sucrerie. Et, je me paye même le luxe de me prendre une carte du continent. Ce p'tit con de Damien, connaissant sa maniaquerie, il serait capable de foutre un mouchard dans sa caisse.

Le plein est fait. Je décolle. Pas de téléphone. Rien pour me tracer. Je suis libre comme l'air. Libre. Non. Mes démons sont présents, m'envahissent, me hantent. Je souffle, allumant une cigarette. La route va être longue. Je file à toute berzingue, sur l'Interstate 81 Sud, l'esprit tourmenté.

* * * * *

Il fait noir. C'est la nuit. Ou peut-être pas. La lampe torche n'a plus de piles. Je suis allongée sur le matelas miteux. En pleure.

Maxine, susurre sa voix derrière la porte.

Je me recroqueville plus sur moi-même. La boule au ventre dès qu'il m'appelle. La bile montant dans ma gorge. Il gratte sur la porte. Je n'arrive pas à me retenir. La frayeur l'emporte sur ma vessie. Je mouille le matelas. Redoublant mes pleurs. Connaissant déjà la sentence de cet accident.

La clé tourne dans la serrure. Il arrive. Je file dans mon coin. Me cachant davantage. La lumière de son antre m'aveugle, cachant son corps à contre-jour.

Le seigneur est mécontent, Maxine, gronde-t-il de sa voix grave. Tu empestes. Tu es sale. Tu es habité par le diable.

Il s'approche. M'attrape par le bras. Me gifle.

Tu as eu un bain pourtant ! hurle-t-il hors de lui. On va devoir recommencer.

Je crie. Sa poigne se referme sur mon petit bras. Je refuse le bain. Pas encore. Il me remet une gifle, renversant ma tête sur le côté. C'est violent. Les larmes ruissellent. Il me tire hors de la pièce. J'essaie de me débattre, en vain. Il a attrapé la seringue. Il l'enfonce dans mon bras, resserrant sa prise autour de mon corps.

Sage petite fille, souffle-t-il contre mon cou, je vais bien prendre soin de toi.

Mon corps se pétrifie. J'ignore ce que contiennent ses seringues, mais dès qu'il me pique, je suis éveillé. Sans pouvoir dire un mot. Sans pouvoir hurler. Une poupée entre ses mains. Abusé. Violenté. Il me porte jusqu'à sa salle. J'ai les yeux posés sur le plafond. Fixant la lumière se balançant au-dessus de moi. M'aveuglant. Priant pour que ça s'arrête. Priant pour qu'il ne me touche plus.

* * * * *

Plusieurs coups de klaxon et des appels de phare me sortent de mes songes. Je sors dangereusement sur le côté, le cœur tambourinant dans ma poitrine. Je me gare sur la bande d'arrêt d'urgence. Reprenant mes esprits. Je hurle à pleins poumons. Double tranchant. Le retour de cette ancienne vie me percute de plein fouet. C'est sa faute à lui ! Ce putain de prêtre de merde ! Au diable mes principes. Non. Je ne peux pas. Faut que je me pose. J'allume une cigarette et me prends la tête entre les bras, posée sur le volant.

Bordel !

Je vis l'enfer. Vérifie mes rétros après m'être redressée et reprends la route à la recherche d'un motel. L'aube se profile à l'horizon, ainsi qu'une foutue migraine. Le panneau m'indique que je suis à Winchester en Virginie. En dessous, cela m'informe d'une station et d'un motel à cinq bornes. Je vais pouvoir me poser. J'arrive après les quelques kilomètres avalés. M'arrêtant d'abord à la station, en tirant une gueule de six pieds de long. Deux nuits blanches d'affilée ne me réussissent pas. Entre la surveillance du mafieux et ma cavale, ça ne m'étonne pas d'être à la dérive.

Je prends un pack de bière. Ensuite, demande des cachets d'aspirine. Le motel se trouve deux bornes plus loin. Je gare la Ford. Récupère les clés auprès de l'accueil, puis m'enferme. Je veux oublier. Simplement oublié. J'attaque une bière, avalant le cachet simultanément avec la première gorgée. Le sommeil, bien présent, ne m'étreint pas. La deuxième binouze suit le même chemin que la première. Rien. Je regarde par la fenêtre. Voyant la petite famille américaine parfaite sortir de leurs chambres. Les parents tenant leurs petits dans leurs bras. Souriant comme s'ils posaient pour une pub de dentifrice.

Baliverne.

Je m'allume une cigarette, analysant le comportement du père caressant le haut de la tête de sa fille. Ma main glisse sur mon Beretta niché dans ma poche de pull. Salaud. Vas-tu l'abandonner ou la protéger ? La troisième bière suit ses sœurs. En même temps que mes yeux suivent la voiture familiale partant du parking. Profitez de la vie, jeune insouciant. Protégez vos enfants. Je me redresse. Vacille. Putain, ça ne loupe pas. J'atterris à côté du lit. La tête envahit par ce maudit souvenir, m'entendant dire en larme :

— Et ils les jetteront dans la fournaise ardente, où il y aura des pleurs et des grincements de dents. Matthieu 13 : 42.

Elio

— Vous pouvez arrêter de cloper ici s'il vous plaît ? grogné-je en pianotant comme un acharné sur mon clavier.

J'ai passé la nuit à me connecter de VPN en VPN. Créant une multitude d'adresses IP pour éviter que l'on me retrouve. Tournant au café et à la boisson énergisante. Pendant que Tobias tape du talon, assis derrière moi.

— Désolé petit, mais une Maxine dans la nature avec ce que je lui ai imposé pour la guérir est une tueuse à éviter. Mais surtout à retrouver, peste-t-il entre ses dents.

C'est ce que j'ai cru comprendre quand il a débarqué avec Franck. Celui-ci est d'ailleurs parti missionner des hommes pour rapatrier Damien. Le boss n'a pas arrêté de l'avoir au téléphone, écoutant encore et encore la même histoire. L'entendant s'énerver à l'autre bout du monde.

— C'est quoi le souci au juste, demandé-je en créant une autre adresse. Mieux vaut être prudent.

Tobias soupire. Il se lève, puis disparaît avant de revenir avec une bouteille de scotch dans la main. Il se serre un verre devant mon regard. Les sourcils froncés. Il fixe l'ambre tournoyant dans son contenant.

— Toi qui as vécu dans un milieu hostile et qui repères sûrement des informations pas très nettes sur le web, tu devrais être habitué.

Ça pour être habitué, malheureusement, je le suis. Surtout sur le dark web, où l'on peut retrouver, si l'on sait où chercher, des choses plus immondes que les autres.

— As-tu déjà entendu parler de Vincent Shodlz ?

Un frisson glacé parcourt mon échine. Mes muscles se contractent. Une légende dans le monde de la pédocriminalité. Mort, il y a un moment déjà. Tué de façon inconnue, mais ses actes horribles ont envahi la toile à l'époque. Il avait créé une secte d'Évangile. Égarant ceux ayant une foi absolue en la beauté. Mais, derrière ses promesses, il abusait des enfants. Nombre d'entre eux ont été retrouvés après que l'endroit ait explosé. Rien que d'y repenser, j'en ai la chair de poule. Me faisant trembler d'effroi. Je venais de fêter mes quinze ans. Et, je me perdais déjà dans cet univers rempli de 1 et de 0.

Les informations ont couvert ceci comme une organisation protégeant un être infâme. Que le FBI recherchait, mais n'a pu trouver que le corps carbonisé de Vincent ! Le pire de tous dans ce raffut, c'est que les églises s'en sont pris un coup. Augmentant la méfiance des croyants. Je redresse la tête en faisant le lien qui le percute de plein fouet.

— Ne me dites pas que...

Je ne termine pas ma phrase quand je vois sa tête acquiescer lentement. Le regard sérieux.

— Un ami m'a mis sur sa piste. Il m'a raconté comment il l'avait retrouvé. Un ancien tueur à gages qui s'était joint à d'autres pour chasser la tête de ce fils de pute.

Il me raconte les détails du retour de son ami. Ils ont fait la descente après que l'un des enfants d'un mafieux a été enlevé. La famille s'est sacrée, surtout dans ce milieu. La mienne mise à part. Le gars leur a donné du fil à retordre, mais ils ont pu libérer certains enfants avant d'atteindre cet homme. Son récit me glace les veines, quand il arrive à la partie. Découvrant une adolescente. Dans un état déplorable. Couteau en main au-dessus d'un corps gisant. Transpirant la mort. Son premier meurtre.

Le boss a appris tout cela dans une lettre que sa connaissance lui avait transmise. Apprenant avec rage ce qu'elle avait vécu depuis ses neuf ans ! Quatre ans de souffrance, où les adultes enrôlaient du monde sous les ordres de ce gourou factice. Je lève la main. L'envie de vomir bien trop présente. Je ferme les yeux, passant mes mains sur mon visage. Me lève de mon fauteuil. Attrape la bouteille de scotch posée sur la table. Bois directement au goulot. La rage se déploie dans mes veines.

— Il m'a informé de son existence seulement six ans après l'avoir récupéré sous son aile, me demandant d'en prendre soin, continue le boss en regardant les écrans. Il l'a reconstruite. L'a formée. Créant le fantôme qu'elle est à ce jour. J'ai mis quatre ans avec Damien à la retrouver, sur le point de tuer un mafieux à Reno dans le Nevada.

Je me fige. Reno. Là, où habitait mon oncle. Je me rappelle qu'à cette époque, sa tête avait été mise à prix. Cependant, je refusais qu'un tueur se charge de son cas à ma place. J'ai piraté son système de sécurité, enclenchant toutes ses technologies dont il était si fier, afin de le faire exploser. Ainsi, le tueur que j'ai pris de court, c'était elle ? Cerbère ? Nos chemins se seraient-ils déjà croisés ? Impossible.

Je souffle. Me retourne. Pose mon cul sur la chaise. Libère à cent pour cent Elder. Des souvenirs traumatisants qui remontent, c'est la connerie assurée. J'appuie sur une touche. Plusieurs écrans, se connectant à des caméras, s'activent. Je perçois Tobias se lever et me rejoindre. Deux paires d'yeux scrutant la rue le soir du meurtre du mafieux. Déjà, une journée qui s'est écoulée. Une ombre. Petite. Se déplace dans la rue. Monte dans une voiture de collection. En plein dans le quartier italien ?

— C'est tout Damien, confirme le boss à mes pensées. D'un pays à l'autre, il ne peut pas s'empêcher d'acheter une voiture de collection. Il doit y avoir un mouchard à l'intérieur.

— C'est peu discret pour un tueur à gages, relevé-je en zoomant sur la plaque.

— Il est comme ça, chacun ses tocs, rit Tobias.

Et, elle, quels sont ses tocs ? J'active ledit mouchard, retraçant son trajet jusqu'à une station-service. Je la retrouve la gueule en vrac, achetant de quoi manger pour tout un régiment. Avant de perdre sa trace. L'Alpine se dirige vers le Nord. Je note l'information au boss. Il sort son téléphone et appuie sur son contact. Je l'écoute, le menton posé sur mes mains jointes. Le cœur tambourinant. Comprenant dès à présent son aversion envers ma fonction.

— Ils la prennent en chasse, indique Tobias avant de s'asseoir en soufflant lourdement.

Je ne te quitte pas des yeux. 

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