18 - Partie en vrille

Maxine

— Tu crois que si je prends l'angle du dossier, je fais atterrir la cacahuète dans le gosier de la vieille pour qu'elle s'étouffe avec, murmuré-je à la perche assis à mes côtés dans l'avion.

— Ça se tente, pouffe-t-il dans sa main.

Je déplace le majeur calé contre mon pouce maintenu dans une pression. Deux rangs derrière, au centre, une petite vieille, la bouche ouverte qui ronfle. J'ajuste mon poignet sous le regard attentif de Damien. Je lâche la pression de mon doigt cognant ladite cacahuète qui ricoche sur le dossier d'en face avant de frapper la vieille au front, la faisant se redresser d'un coup surprise.

— Fichtre !

— Trop haut, glousse la perche avant de se caler au fond de son siège.

Rah, pour le coup, cela aura arrêté ses ronflements intempestifs. Puis, il faut bien s'occuper au bout de quasiment sept heures de vol. Le client a certes payé les billets, mais il a été radin sur le jet privé. Nous collant en classe éco pour le trajet. Par ailleurs, je ne remercierai pas le boss en laissant les instructions à la perche qui m'accompagne pour l'occasion. Un gros bébé pour nous deux. Seul dans notre coin pour des missions, c'est rapide, ensemble, c'est l'anarchie. C'est que le gibier à abattre n'est pas n'importe qui.

Encore quarante-cinq minutes de vol avant d'atterrir à la grosse pomme. Ça m'arrange que ce soit de ce côté du continent, ça me fera moins de route pour aller en Caroline du Sud après. J'ai une visite à faire. Je cale ma tête contre l'appui-tête, soufflant. Mes doigts pianotent sur l'accoudoir. Nous n'avons pas tardé à partir après que la perche m'ait récupéré. Cependant, j'aurais bien voulu passer au stand de tir, mais les bagages étaient déjà faits. Le matos déjà parti avant nous. Je n'aime pas ne pas avoir mon Artic ou mon Beretta loin de moi. Mais, pour passer les portiques des aéroports, pas le choix. Surtout aux États-Unis.

Bien sûr, Tobias connait du monde dans le coin pour nous aider dans ce genre de transaction. Quant à moi, je ne suis pas française pure souche. Loin de là. Je glisse mon regard en extérieur, apercevant derrière les nuages la ville et ses hauts bâtiments. Paris me manque. Venir aux States, c'est à double tranchant avec moi. Soit l'excitation de canarder une proie, soit lui. Je ferme les yeux. Inspire un grand coup, sentant mes tripes se serrer. La main de la perche se pose sur mes doigts.

— Il est mort.

Oui, je sais, de mes propres mains. Sans contrats. Cela n'empêche pas mon foutu cerveau de débloquer. L'avion atterrit. Nous passons les douanes. Sortons de l'aéroport John Fitzgerald Kennedy. Mes poumons trouvent la joie d'avaler sa dose de nicotine, pendant que la perche est partie chercher une voiture. Il arrive dans une Alpine A106 noire. Il ne peut pas s'empêcher d'avoir une voiture de collection dans les mains celui-là. Je secoue la tête dépitée et balance mon sac à l'arrière. Direction Little Italy.

— Nous devons nous faire un mafieux du nom de Camerino, explique la perche sur la route. Il aurait, comme la plupart, énervé le mauvais gars. En revanche, il ne tiendrait pas en place, d'où la demande de nous avoir tous les deux.

— Encore un agité du bocal ? Ils n'ont pas des tireurs de renoms dans le coin ? interrogé-je perplexe.

La plupart de nos commanditaires sont européens, nous faisant effectivement faire la majeure partie du temps le tour du globe. En revanche, les Américains font rarement appel à nous. Peut-être une connaissance de l'un de nos clients. Nous arrivons à destination. En plein milieu du quartier de la mafia italienne. Cela promet. Si je coupe mes spaghettis devant eux, je suis sûre de me prendre une balle perdue. Ou pas.

Nous descendons et rejoignons l'air bnb que la perche a loué pour le mois. Pas très grand. Positionné là où nous devons faire notre planque. À l'angle de Grand street et Malburry street. Un quartier animé par ses restaurants cachant sûrement plus que de la pâte à pizza dans le coin.

— Tu commences la surveillance, Max, je vais chercher nos bébés, indique-t-il après avoir déposé nos bagages sur les lits.

Mouais, en gros, je ne te revois pas de sitôt. Heureusement que l'on a nos micros avec nous. Je vais faire du repérage et en disséminer un ou deux. Sortant dans la rue, je m'allume une cigarette, mets mes lunettes de soleil, et glisse ma main dans la poche de mon pull large. J'avance dans la rue telle une touriste. Scrutant derrière mes lunettes si Calimero se pointe. Oui, j'aime jouer avec les noms.

J'entre dans un restaurant, commandant une pizza. Le serveur, maigre, les cheveux noirs, me sourit. Se demandant sûrement ce qu'une étrangère fait ici. Son regard ne me trompe pas. Je suis de passage. Il m'indique que ma commande sera prête d'ici à trente minutes. Parfait. Je lui demande où se trouvent les toilettes. Prétextant une envie pressante, sous mon sourire charmeur. Il me montre un rideau du pouce. J'acquiesce. Quelques clients dans le resto, cela ne casse pas trois pattes à un canard. Surtout quand la plupart ont un p'tit joujou de planqué sous leurs vestes.

Dans les toilettes, je repère une grille. Jackpot. L'avantage aux States, c'est que même les conduits d'aération des chiottes sont assez larges. Je me hisse dedans. M'avance sur le coude et repère la pièce qui m'intéresse. Calimero est ici, comptant ses billets. Je pose mon micro en le coinçant dans de la pâte à fixe. Puis reviens, ni vu ni connu. Je demande une boisson au serveur pour attendre ma commande. Quarante-cinq minutes après, je suis dans l'appartement. L'oreillette en route, pendant que je savoure ma pizza.

Calé sur le lit, en fin de soirée, je continue l'écoute durant ma navigation sur mon prépayé. Je ne doute pas que le prêtre a déjà dû le hacker. Le perso, en mode avion, est au fond de mon sac. Damien revient peu de temps après avec ma mallette et mon autre petit bébé. Mon Beretta d'amour.

— Du nouveau ? demande-t-il en retirant sa veste.

— Aussi chiant qu'un film de gangsters, rétorqué-je, ne levant pas les yeux du tél. Des transactions ici et là. Des commandes de putes pour une petite soirée. Ma puce d'Amsterdam était plus active.

La perche arque, ses sourcils, étonnés.

— C'est juste le début, allez, va te poser, je prends la relève.

Je me lève et m'étire en levant les bras au plafond. Je confirme. Ultra chiant. De plus, on nous a indiqué insaisissable. Bougeant, à tout va. Mais, Camerino n'a pas bougé de son bureau. Je me dirige vers ma mallette. L'ouvre. Et, sort mon Artic Warfare Folding. Je vérifie la lunette de visée. Compte les balles avant de le reposer dans son étui. En le caressant du bout de mes doigts.

J'entends Damien rire en mangeant un bout de la pizza que je lui avais laissée. Je me tourne vers lui, l'invitant à m'expliquer.

— Je sens que ça va être du luxe, pouffe-t-il. Ils sont en pleine guerre de gang. Purée, on se retrouve au milieu de tout ça.

Je souffle. Pourquoi nous appeler s'ils sont sur le point de s'entre-tuer ? Cela ne colle pas. Soit, on laisse faire. Soit, on passe la seconde à peine installé. Je ne suis pas contre d'emballer le boulot maintenant, mais ça risque d'être fait comme un sagouin, et je n'aime pas le travail mal fait. Il vaut mieux patienter.

Deux semaines s'écoulent dans le calme. Je suis allongée derrière mon Artic, surveillant derrière ma lunette les faits et gestes de Calimero. Damien, étant plus un pro des couteaux, reste à l'écoute. Restant en planque dans une voiture lambda pour éviter de se faire repérer. Il ne faut pas déconner non plus. L'Alpine reste trop voyante et attire beaucoup les regards. Surtout ceux des gangs. Ce soir, c'est animé au restaurant. Je garde l'écoute active de mon côté. Une affaire de drogue qui se joue. Un échange de bon procédé. Des petites nénettes avec des jupes ras la foufe entrent et sortent comme dans un moulin.

Je lève mon viseur à l'étage. Les appartements du mafieux. C'est fiesta. Rail de coke. Alcool. Il ne manquerait plus qu'une petite orgie pour rendre cela plus intéressant. Cependant, ils sont sages comme des images. Comme tous les soirs d'ailleurs. Ses gorilles profitent tout en gardant un œil sur leur boss qui se tape une jeunette. Je pourrais facilement l'avoir d'ici. Néanmoins, je tique sur la demande du commanditaire depuis le début. Ce gars est bien trop calme.

Il y a bien eu un échange de tir, une semaine plus tôt ; or les deux clans se sont vite rabibochés en festoyant ensemble après. Ce que je n'aime pas, c'est m'occuper des mafieux. Les trafiquants, OK, ils sont plus sur leurs gardes. Mais, les mafieux, en plus d'être sur leurs gardes, ont un code de famille. Si l'un tombe, le tireur se fait pourchasser.

Bon, jusqu'à présent, aucun ne m'a rattrapé, mais il faut s'en méfier comme de la peste. Allez, Calimero, secoue ton poireau, que l'on en finisse.

« Max, si tu l'as dans le viseur, fais-lui un deuxième trou de balle que l'on remballe », intervient la perche dans l'oreillette.

— Je l'ai, mais...

« Mais rien du tout. Tu tires », grogne-t-il.

Je lève les yeux au ciel. Joue de mes coudes pour me positionner. Me plaçant correctement derrière le viseur. Je considère le temps. Nuageux. Venteux. Pas les meilleures conditions. J'ajuste mon canon. Le gros lard fume son cigare pendant que la demoiselle lui nettoie son engin avec sa langue. Tu ne sais pas y faire poulette, il y en a encore dans ses poils. Mon doigt glisse sur la gâchette. Tranquillement. Je tire. La balle fuse de l'angle de la rue. Traverse sa fenêtre ouverte avant de se loger entre les yeux. Strike.

Je vérifie qu'il soit mort. La fille hurle devant son corps encore chaud, tandis que ses gorilles débarquent. Un autre homme arrive, prend son pouls, puis se tourne vers la fenêtre. Je sursaute. Fronce les sourcils et me remet derrière le viseur. Purée, la ressemblance est frappante.

« Tu l'as eu ? » demande la perche.

— Ouais.

Mon cœur se contracte. Deux semaines l'esprit occupé sans repenser à lui. Deux semaines sans que mon cerveau débloque. Faut que je me casse. J'emballe mon fusil. Sort du plafonnier. Attrape des affaires que je fourre dans un sac.

— Qu'est-ce que tu fais, on part que demain soir, s'agace la perche. Tu vas être grillé avec ses hommes qui tournent dans la rue.

Je me tourne vers lui. Il recule. Il a raison. Je transpire le meurtre. Damien avait réussi à me faire oublier. Mais, j'ai prévenu, être aux States est à double tranchant. Et, là, la deuxième facette vient de se réveiller. Je prends le prépayé et le jette sur le lit, de même pour le téléphone personnel. Il revient à la charge, voulant m'attraper par les épaules, mais je me dégage de sa poigne. Il me menace. En sortant son Beretta avec une fléchette. Erreur. Dans cet état, je ne réponds plus de rien. Je sors le mien tout aussi vite et lui tire dans la jambe. Sans hésitation. Il a menacé. J'ai répondu aussi sec.

— N'essaie même pas de tenter quoi que ce soit, sifflé-je entre mes lèvres pincées.

Je le regarde de haut, tandis qu'il se maintient la jambe, la mâchoire crispée. Je m'avance, récupère ses clés et quitte l'appartement. L'Alpine est garée plus loin. Je jette mes affaires à l'arrière. Grimpe à l'intérieur et démarre en trombe dans la rue.

Elio

Tranquillement derrière mes écrans, je pianote sur mon clavier. Deux semaines que je me tourne et retourne dans la tête son comportement apeuré que j'ai vu sous calmant. Franck s'en rappelle encore quand il s'est pris une droite en la maintenant. Merci à Tobias de nous avoir prévenus de ne pas crever. Elle était enragée. Ce regard affolé que je connais si bien. Que j'ai déjà vu dans ceux de ma mère ! Je souffle en calant ma bouche entre mes mains.

Cherchant à savoir ce qu'elle a bien pu vivre pour devenir un tel assassin. Une tueuse de sang-froid. J'ai beau taper son nom en entier, fouillant le dark web pour plus d'informations sur elle, mais rien. Sa vie n'a débuté qu'à l'âge de vingt-deux ans. Une fois arrivé en France. Avant, où était-elle ? Sur quel continent ? Un mois que j'attaque pour qu'elle accepte ce maudit contrat, usant de bassesse. Qu'elle a rétorqué en dix fois pires ! Elle a de la suite dans les idées.

Ma jambe remue. Fixant l'écran sur la géolocalisation de son téléphone, en plein milieu du quartier italien de New York. Les deux sont là-bas. Les deux tueurs. En mission. Depuis qu'elle est partie en trombe de mon studio nue comme un vers sous ma serviette. Je ferme les yeux. Un bruit m'interpelle. Je fixe mon écran. Le téléphone de Damien s'active. Il appelle son boss. Rien de bien intéressant. J'active tout de même l'écoute en me calant au fond de mon siège et refermant les yeux.

« Elle s'est barré bordel ! » hurle-t-il à l'autre bout du monde.

Mes yeux s'ouvrent en grand. Comment ça, elle est partie ? Ses téléphones sont toujours au même endroit.

« Calme-toi, Uriel », rétorque son boss. « Raconte-moi ce qu'il s'est passé. »

Le son d'un grognement et de gémissement de douleur s'entend dans l'appareil. Le Damien a l'air d'être en mauvaise posture.

« C'est acté. Mais, avant de faire le point, elle a changé de comportement et m'a tiré dessus. Putain, la garce, dès que je lui mets la main dessus, ça va être sa fête ! » rage-t-il.

Silence. Tobias ne répond pas. Pire. Il raccroche. Les minutes s'étirent, réfléchissant à ce qui a bien pu arriver durant leurs missions. Pourquoi un tel changement ? Les minutes deviennent des heures. Silence radio. Sans téléphones, je ne peux pas la tracer. À moins de me connecter aux caméras, mais là ça me mettrait en mauvaise position au risque de me faire repérer. Jamais.

Or, la porte de la bibliothèque s'ouvre dans mon dos. Je me retourne, apercevant Franck accompagné de Tobias.

— Je sollicite ton aide, petit, c'est urgent.

Ouais. Pour qu'il vienne me voir en personne, c'est que c'est grave. Pas le choix. Va falloir que je prenne des précautions. 

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