11 - Passager Forcé.

Maxine

Derrière le bar, je m'active à servir les jeunes venus soutenir leurs potes jouant sur la scène. Une fois par mois, nous accueillons des groupes voulant se faire connaître. Certains devraient se terrer dans des trous pour se cacher. Je grimace dès que le chanteur tente de passer dans les aiguës. Il va finir par faire péter toute la verrerie s'il continue. J'ai l'impression qu'il s'assoit sur la barre d'un tabouret sans l'assise.

Je finis de disposer les boissons et les verres remplis sur un plateau qui décolle aussi sec, attrapé par une serveuse. Même s'il y a du monde, l'ambiance est plus calme avec les groupes qu'avec Vava sur scène. Je pose mon torchon sur l'épaule et m'attelle à la plonge. Je repense à la soirée d'hier. Cendrillon était remonté comme un cocotier contre le prêtre. En même temps, quelle idée de se montrer avec ce genre d'accoutrement ? Ah oui, c'est moi qui le lui ai carré sur la tronche. Je ris de ma connerie. Il ne veut pas avouer être Elder ? Je vais lui faire vivre un enfer.

— Tout se passe bien, Max ?

Je lève la tête et aperçois Tobias qui vient me rejoindre derrière le comptoir.

— Mis à part la pucelle qui se fait défoncer le cul dès qu'il passe les aigus, c'est plutôt tranquille.

Il repère mon sourire sadique. Puis souffle résigné en tournant son regard vers le chanteur qui augmente la tonalité de sa voix. Sa grimace me fait sourire de plus belle.

— Il faudrait vraiment que je leur fasse une audition avant de les présenter au public, soupire-t-il.

— Ç'a l'air de plaire aux midinettes pourtant, indiqué-je en haussant les épaules.

Il s'accoude à l'évier, laissant les serveuses prendre le relais sur le service. Il me fixe alors que j'ai les mains plongées dans la mousse.

— J'ai eu Damien au téléphone, m'informe-t-il.

Je me fige. Qu'est-ce que la perche a pu lui dire ? Lors de son dernier appel, j'ai eu un p'tit moment de faiblesse passager, mais je me suis vite reprise. Ma mâchoire se contracte, attendant la suite du boss.

— Il m'a dit qu'il rentre dans quatre jours, le temps de finir le travail.

Tant mieux, je pourrai bientôt me venger.

— Tu vas pouvoir déjà noter un point supplémentaire pour ma part, il n'est pas prêt de s'en remettre.

Tobias arque un sourcil avec un sourire en coin. Il pose une main sur mon épaule.

— Ça me rassure que tu réagis ainsi, il s'inquiète pour toi.

— Faut pas. Je suis une dure à cuire.

Il se marre.

— Allez, j'ai un entretien de dernière minute.

Il s'en va. Damien a vendu la mèche. L'enflure. Il va falloir que je peaufine la soirée que j'organise pour lui. Le mieux, le faire chez lui, on ne sait jamais avec le prêtre dans les parages. Quoique ? Un rictus s'étire. Une idée me vient en tête.

Je vide l'évier et me retourne vers Ginette. La plus vieille serveuse du Torb'j. Un dinosaure qui se complaît à mener les filles à la baguette. Un vrai tyran. Mais avec la perche et moi, elle est aussi douce qu'un chaton. En même temps, derrière son pot de peinture qui lui recouvre le visage, elle sait qu'il ne faut pas nous titiller. Ginette à déjà essayé de nous affronter dans nos conneries, et elle est vite repartie la queue entre les jambes.

Je m'accoude au comptoir et lui fais signe de s'approcher. Vieille, c'est peu dire. Elle se conserve la donzelle. Ses cheveux roux remontés en chignon lui tirent le visage en épingle, comme si elle se prenait le vent de plein fouet dans la gueule. Ses yeux marron croulent sous une tonne de fard à paupière et de liners. Comment fait-elle pour ne pas pleurer avec ça ? Je me pose encore la question. Ses lèvres, refaites, sont aussi pulpeuses que les roues d'un camion. Elle est un peu forte, mais ses courbes ne la désavantagent pas. Juste sa tronche, comme moi.

— Qu'est-ce que tu veux, ma belle ? demande-t-elle de sa voix nasillarde.

Je pose mon menton sur mes poings et lui fais un large sourire.

— As-tu encore des contacts avec les « filles » du bois de Boulogne ?

Elle réfléchit un instant, puis me fixe.

— Une seulement. Elle peine à arrondir les fins de mois, ils ratissent la zone en ce moment.

Mes yeux se plissent.

— Un petit extra lui conviendrait ? Si elle n'a pas peur de se frotter à un homme d'Église.

Son sourire s'élargit. Elle comprend vite le fond de ma pensée.

— Je la contacte et t'informe. Dis-moi juste ce dont tu as besoin.

J'attrape un stylo et un bloc-notes sous le comptoir et lui note les informations. Je l'entends se marrer derrière mon dos.

— Ah oui, cela va lui plaire, elle ne sera pas difficile à convaincre.

— J'ai mis mon prix également.

Je plie le morceau de papier et lui tends. Elle le récupère et le glisse dans son soutif. Ginette s'éloigne rapidement en repérant une nouvelle qui vient de renverser son plateau sur des clients. Toi, après le service, tu vas récurer les chiottes et ça ne va pas être du propre. Je repère du coin de l'œil Cendrillon qui se pose le cul sur un tabouret du comptoir. Je m'approche de lui et lui sers une vodka.

— Mauvaise journée ?

— M'en parle pas.

Il avale son verre d'un trait et me fait signe de le resservir. À sa tête, il y a dû y avoir un couac à l'hôpital.

— Il y a un mec qui m'a pris dans un coin et qui a voulu me faire ma fête, explique-t-il en vidant son verre et me refaisant un geste.

Encore un. Deux fois en l'espace de trois mois que les proches des patients lui mettent des bâtons dans les roues.

— Tu veux que je m'en charge ?

Une petite correction pour leur apprendre le respect envers ceux qui se tuent à la tâche pour sauver leurs proches ne leur ferait pas de mal. Il arque un sourcil et secoue la tête.

— Non, ça va aller, merci, Max, souffle-t-il. De plus, l'hôpital m'a dit de rentrer, j'ai dépassé mon quota d'heures.

Je hoche la tête. Faut qu'il se repose le p'tit oisillon, il ne va pas tenir la cadence à ce rythme. Il m'en demande un nouveau. J'hésite en tenant la bouteille dans les mains. Il en a déjà enchaîné six. C'est que ça le travaille. Je ne termine pas avant une heure du matin. Soit il rentre en déambulant dans les rues avec le gros risque de se faire violer, soit il m'attend.

— Tu veux le canapé de Tobias ?

— Non, un dernier et je rentre directement, s'il te plaît Max.

Ah, comment résister à ses yeux de merlan frit ? Je le sers, mais avant qu'il ne puisse attraper son verre il disparaît et se fait gober par un autre client. Nous portons notre regard sur l'empaffer qui vient de lui subtiliser sa noyade et je me fige. Décidément, pire qu'une merde collée à la semelle, je le vois partout lui. Je croise mes bras sur ma poitrine.

— Vous n'êtes pas censé boire d'alcool, vous, je fulmine entre mes lèvres.

Bien apprêté dans son costard noir, les boutons du haut de la chemise ouverte. Il me fixe en plissant les yeux.

— C'est ma tournée, indique-t-il, mais sers-moi un verre de chardonnay et de l'eau pour Mansur.

Je soupire. Et, les sert.

— Qu'est-ce que vous foutez là ? Vous prospectez pour enrôler des brebis égarées ?

Il rit et ne me quitte pas du regard. C'est ce que l'on va voir.

— Heu, Max, pourquoi tu ne vires pas ce type après ce qu'il a fait ?

Un rictus se forme au coin de mes lèvres. Cendrillon l'a encore de travers. Je sens la main de Tobias sur mon épaule. Il essaie de contenir la bête.

— Salut, Mansur, as-tu un moyen de rentrer ?

Cendrillon baisse le regard. Il se lève et vacille. Merde. Fatigue plus alcool égale pas bon ménage. Une poigne ferme le retient. Je lève le regard sur Franck. Jamais l'un sans l'autre, ces deux-là. Sont-ils vraiment frères ? Il porte son regard sur le père mon cul qui lui répond d'un signe de tête.

— Patron, je vais le ramener, j'habite sur le même palier.

Tobias lui fait signe de la main en signe d'accord. Patron ? J'ai loupé un épisode.

— Mademoiselle Nyx, je vous laisse mon frère entre les mains, termine de dire le colosse en s'éloignant.

Rembobinage. Mais quoi ? Je me tourne vers Tobias perplexe, glissant mon regard sur le prêtre qui boit tranquillement son verre. Un sourire en coin. Fichtre !

— Je viens d'engager Franck comme nouveau vigile, explique le boss en souriant, les mains dans les poches.

Mouais. Il n'a surtout pas pu résister à son charme, le connaissant. Je le vois scruter la salle. Le groupe a fini de chanter. Il n'y a plus personne après, mais ça va encore traîner. Les jeunes veulent en profiter. Je regarde l'heure sur l'horloge, je termine dans quarante-cinq minutes.

— Les filles vont terminer le service, rentre chez toi et oubli pas monsieur Ray.

Je lève les yeux aux plafonds quand il s'éloigne. Tu parles, il ne foutra pas son cul dans ma titine celui-là. Il peut dire ce qu'il veut, je le laisserai en plan, attaché à un poteau s'il le faut, comme un chien abandonné. Ça tombe bien, le paquet de croquettes est resté ici. Mais Tobias se retourne et, dans un sourire sadique, il rétorque à mes pensées :

— C'est un ordre sinon je note le point à Damien.

Mes dents se serrent. Il n'oserait pas ? Mais en entendant son rire s'éloigner dans le couloir, je confirme qu'il en serait capable. J'y tiens à mon point, moi. Je tourne la tête vers le prêtre qui ne me lâche pas.

— Pas bougé.

Puis disparais du comptoir pour rejoindre les vestiaires. Grommelant comme ce n'est pas permis. Je reviens rapidement dans la salle, le repérant qui discute avec la nouvelle. Elle rit à ses blagues et mouille sûrement son string. Mon humeur ne fait que grimper en flèche. Je me positionne derrière lui :

— Règle et on se casse, je n'ai pas que ça à faire.

— Tant d'amabilité sortant de votre bouche, me répond-il sans m'adresser un regard.

Il sort un billet de cinquante qu'il tend à la serveuse, lui stipulant de garder la monnaie. Puis, il se lève et m'accompagne jusqu'à la voiture. Je m'allume une Lucky et pose un coude sur le toit de titine en le fusillant du regard.

— Tu n'ouvres pas la bouche, tu ne fais aucun geste, sinon je te bâillonne et je t'abandonne sur le bord de la route.

— Je ne pense pas que votre patron apprécierait, sourit-il.

— Je peux toujours de foutre dans le coffre, rétorqué-je.

Ses yeux se plissent. Il rit, faisant vaciller sa croix à l'oreille. Je monte dans ma voiture et lui ouvre la portière. Ma titine se fait salir par son joli p'tit cul. Joli ? Non, non. Je me sors cette idée de la tête. J'allume l'autoradio, n'ayant pas pu changer la station, je branche mon téléphone et lance ma playlist. Puis tourne la clé, démarre et fais crisser les pneus.

Il se tient tranquille. Regardant la route en plissant le nez, alors que je conduis, la tête posée sur mon poing, fumant ma cigarette de temps à autre. Il obéit, c'est déjà un bon point. Je ressens la fatigue et une migraine se faufiler. Je n'ai pas dormi la veille. Trop occupé à regarder ma série après que Cendrillon est fait le ménage. Du moins, regarder non, écouter oui, pendant que je nettoyais mes armes. Il faut aussi que je convainque la donzelle de poser un micro dans le studio de ce con assis à côté de moi. Silencieux. Je glisse mon regard vers lui et analyse son tatouage dépassant de son col. Une queue de serpent.

Je fronce des sourcils et pile sur le périph. Comment j'ai fait pour que ça me passe sous le nez ? 

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