10 - De mauvais goût

Elio

Je savais qu'Elder n'allait pas s'empêcher d'apposer sa marque. En même temps, je l'ai muselé quatre ans. Séparant totalement son identité de la mienne. Régressant mon intelligence, en m'évadant des États-Unis après avoir forcé le système de sécurité du frère de mon père. Chien qu'il était. Sombre merde qu'il est. Haut placé qu'est ce géniteur, il a usé de ses connaissances pour me foutre Interpol sur le dos. Ç'a été dur de m'en défaire, mais pas impossible.

J'ai pu voyager. Embarquant avec moi mon héritage. Le scellant dans le secret le plus gardé. Piratant les banques. Détournant leur attention en me faisant passer pour d'autres hackeurs. Copiant leurs façons de faire. Une ombre, un clone. Tous m'ont recherché. Jamais ils ne m'ont trouvé. Mis à part ses démons. Ses chiens qui m'ont poursuivi jusqu'en Asie. Jusqu'à ce que Franck me les précède et leur fasse leur fête. Ne jamais l'énerver celui-là.

Mais je ne voulais pas m'en arrêter là pour retrouver ma liberté. Mon sommeil où j'entends ses hurlements qui me brisent. Ma vie où je me sens obligé de me retourner toutes les trente secondes pour voir si je n'étais pas suivi. Il doit payer.

La voix du seigneur m'a guidé jusqu'au père Gustave. La voix de ma mère a fait qu'il m'a ouvert les bras. Il m'a offert son refuge malgré la haine qui m'habite. Il m'a guidé sur le droit chemin, malgré les frayeurs que j'ai laissé infiltrer dans le presbytère. Il est resté là à me reconstruire, veillant à ce que je ne tombe pas dans les affres de l'enfer.

Pourtant, il me pousse à redorer cette image. À convaincre Cerbère d'accomplir ma volonté. Cerbère... Un sourire diabolique se dessine sur mes lèvres. Oui, ça lui correspond bien, vu son tempérament. Max, la chienne des enfers. Ç'a été très dur d'ignorer ses accusations. De réagir comme le parfait imbécile qui ne comprend rien. Mais elle n'est pas stupide. Elle a compris. La partie est lancée.

Franck est prévenu. Dans mon logement, on ne parle plus d'Elder. Sait-on jamais les oreilles qui peuvent traîner. Si j'ai pu poser un micro dans son studio, elle en fera de même dans le mien. Ce sera plus complexe pour elle. La supplier ? Non. La rendre folle ? Oh que oui !

Un appel entrant : la perche. C'est qui celui-là encore ? J'active l'écoute de sa conversation. Pas de téléphone prépayé récupéré. Celui-là restera sous surveillance.

« Qu'est-ce que tu veux ? » grogne-t-elle.

Elle est encore énervée. Pourtant, j'ai quitté son appartement il y a plusieurs heures déjà.

« Boss m'a appelé, » répond-il.

Je reconnais la voix. Je pianote sur mon clavier pour afficher la dernière conversation concernant les croquettes. C'est lui. La perche est Uriel. Plusieurs pseudonymes. Mais son prénom, aucun. Peut-être que je le découvrirai en les écoutant.

« Je m'inquiète, Maxine. »

Maxine... Maxine Nyx, dit Max. Elle a un beau prénom. Il serait encore plus beau sans son caractère de pitbull.

« Maxine répond moi, » proteste-t-il.

Rares sont les moments où elle est silencieuse.

« Quand rentres-tu ? »

Sa voix... Elle est chevrotante. Pourquoi ?

« Bientôt. Demain, je m'occupe de ma proie et je rentre avec un joli cadeau pour toi. »

Mon cœur se serre. Mes poings se crispent.

« Tu l'as trouvé ? » s'extasie-t-elle.

Maintenant, elle se réjouit.

« Oui, et comme tu les aimes désormais, va travailler. »

« D'accord, » souffle-t-elle.

« La perche ? »

« Arrête avec ce surnom bordel. »

Il s'énerve vite lui aussi.

« Moi aussi, j'ai une surprise pour toi. »

Je devine sans mal son sourire diabolique avec l'intonation de la voix qu'elle a. J'entends le fameux Uriel soupirer de crainte à l'autre bout du monde. Je confirme, si c'est ce que je pense, tu peux avoir peur.

« Max ? »

« Ouais ? »

Elle réfléchit à la mise en place de sa surprise. Pas totalement concentré sur la conversation. Elle s'égare vite dans ses pensées de ce que j'ai remarqué.

« Toc toc toc. Je voudrais un... »

Elle raccroche. C'était sec. Il n'y a pas d'amour entre eux. Du moins, pas comme je me l'imaginais plus tôt. Je m'arrête là pour ce soir. Pourquoi mon palpitant s'excite quand d'autres hommes s'inquiètent pour elle ? Que cache-t-elle ? Je vais aller demander à Franck.

Je me lève. Rejoins mon studio pour me changer. Puis sors sur le palier. Mon regard se perd sur sa porte. Le silence règne chez elle. La tête perdue dans mes pensées, je descends les marches menant au domicile de mon soi-disant frère. Juste une couverture entre nous. Je sonne. J'attends. La poignée descend.

— Je m'améliorais, tu t'améliorais, il s'améliorait...

Je lève la tête vers Maxine qui me regarde d'un air sournois avec un large sourire. Récitant la conjugaison du verbe améliorer. Améliorer. Elio Ray. Sacre bleu, il fallait la trouver celle-là. Pourtant, je guette ses gestes.

Elle a une main cachée dans son dos tandis que l'autre pointe le plafond. Je lève la tête et j'aperçois un tissu blanc pendu sur un fil. Je la regarde de nouveau, ne comprenant pas. Pas de liquide. Pas de farine, juste un tissu.

Son sourire s'agrandit encore plus quand elle dévoile l'arme qu'elle tient dans ses mains. Elle vise le plafond. Tire. Ça se décroche et me tombe sur la tête.

— Si c'est une blague, elle est de très mauvais goût ! peste Franck en ouvrant totalement sa porte.

Je me tourne vers lui, ne comprenant pas. Le voyant seulement dans deux trous percés au niveau des yeux. Je perçois la porte de Mansur, l'étudiant en médecine, s'ouvrir également. Je me retourne vers lui. Il sursaute, choqué, les yeux ronds. Et, moi qui ne capte pas, pensant ressembler à un fantôme. Je lève la tête vers Max, mais elle n'est plus là.

— Vous allez tout de suite me dire qui vous êtes, avant que je ne vous casse la gueule, grogne Franck.

Je me dépêtre du tissu et me révèle aux yeux de mon ami. Il écarquille les yeux.

— Monsieur, je ne sais pas si vous l'avez fait exprès, mais évitez cela dorénavant.

Tu m'étonnes que Franck a voulu me casser la gueule et que j'ai choqué l'étudiant. Elle m'a collé un masque du Ku Klux Klan sur la tête. Elle est sacrément dingue.

— Désolé, il m'est tombé sur la tête. Jamais, je n'oserai me moquer de vous ainsi.

Je m'excuse surtout envers le jeune, car Franck sait que je n'aurai jamais fait ça.

— Je l'espère, mais vraiment, évitez à l'avenir, surtout avec Max dans le coin, gronde Mansur.

Je vois son regard fureter vers le haut, et suis son regard. Elle est de nouveau présente sur son palier. Elle a les bras croisés sur sa poitrine. Elle me fusille du regard. Ne dissimulant aucunement la menace qui se lit dans ses yeux. Elle m'a mise en échec avec un simple tir silencieux. Le coin de ses lèvres se lève imperceptiblement. Cerbère à de la suite dans ses idées.

— Cendrillon, j'ai besoin de tes doigts de fée, indique-t-elle sans me lâcher du regard.

— J'allais arriver, Max.

Il referme derrière lui, récupère ses clés et en profite pour me lancer un regard en biais. Il n'a pas vraiment apprécié la blague, mais qui l'aurait concrètement appréciée ? Elle me met dans une position plus que délicate. Elle avait tout calculé. Mansur passe devant Maxine, mais elle, elle reste un instant à me fixer.

— Échec et mat ! susurre-t-elle entre ses lèvres.

Elle disparaît et referme derrière elle. Mon poing se serre sur le tissu. Elle va me le payer. Je sens par contre Franck me choper par le col et me tirer dans ses appartements. Il me pose de force dans son canapé jaune-canari. Part dans sa cuisine et revient avec deux verres et une bouteille de chardonnay. Je ne décolère pas quand il me tend un verre. Je le saisis et l'avale cul sec.

— Doucement, ce n'est pas de l'eau là.

Je regarde le contenant surpris. Puis souffle. Je cale mes mains sur mon visage et appuie ma tête sur le haut du canapé.

— C'était elle, n'est-ce pas ? me demande-t-il.

J'acquiesce, mais ne prononce pas un mot.

— Tu as dû sacrément l'énerver, indique-t-il en se moquant.

— Entre le paquet de croquettes et la chanson sur la radio, ou l'appel Amazon ?

— Je dirais un ensemble de tout, tu l'as attaqué de front dès que tu as laissé Elder te contrôler, rit-il.

Je soupire.

— Elle est sacrément rapide dans ses gestes. Elle n'a pas usurpé sa réputation.

Oui. En moins d'une minute, elle s'est déplacée comme une ombre et m'a piégé. Aussi rapide que les balles qu'elle tire.

— Qu'est-ce que tu comptes faire ?

Me venger, bien sûr. Demain, je vois l'archevêque à Notre-Dame, pour faire un point avec lui, mais après, je reprendrai la partie. Père Gustave est ici pour quelques jours, je ne pouvais pas l'éviter, et ça me donnera des idées en même temps. Je laisserai passer le week-end, laissant mes programmes en route pour quand elle passera sur le périph la nuit en rentrant du travail. J'évite de faire ça le jour.

Franck me sert de nouveau un verre en m'expliquant comment il m'emmènera demain. La stratégie à suivre, éviter les caméras pour éviter d'être trouvé à ses yeux. Qu'importe le continent. Tant qu'il ne verra pas mon corps sans vie, il ne lâchera pas l'affaire. 

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