Chapitre 7: Une image vaut milles mots

Émilie

C'est la tête à des milliers de kilomètres que j'accompagne mon fils à son arrêt d'autobus. J'écoute à peine les chamailleries des enfants qui attendent avec lui et je réponds comme un automate aux questions polies d'une autre mère qui accompagne son fils.

Mon cerveau se trouve dans un état second pour plusieurs raisons. La première vient d'une vision irréelle qui flotte encore devant mes yeux : celle du torse nu de Gadriel. Lorsqu'il nous a cloîtrés dans la chambre de Mickaël pour me parler, la colère a explosé en moi. Pour qui se prenait-il de m'agripper ainsi de la sorte et m'enfermer ? Puis, sa peau nue devant mes yeux et la puissance de sa stature m'a complètement fait perdre le fil de mes idées. Cette proximité entre nos deux corps, cette pièce fermée... En un claquement de doigts, mes sens se sont enflammés. J'ai dû reculer pour laisser un espace entre nous et reprendre mes esprits. C'est comme si la proximité de Gadriel avait réveillé mon corps qui dort depuis longtemps, très longtemps. Depuis la naissance de Mickaël pour être plus précise. La force brute de cet homme devant moi m'a complètement déroutée. Et que dire de son odeur... un mélange envoutant de caramel brûlé d'épices et de sueur sans que ce soit désagréable.

Même un moine tibétain qui a fait vœu de chasteté n'aurait pu rester indifférent.

Néanmoins, ce n'est pas la seule chose qui m'a perturbée. L'absence de traces des altercations de la veille est encore plus incompréhensible. Ses plaies se sont complètement refermées, ses hématomes sont disparus. C'est à croire qu'il ne s'est jamais battu. Que tout ça n'était qu'un mauvais rêve. Or, ma trachée me prouve le contraire. J'ai un mal de chien lorsque j'avale et ma voix est plus rauque que celle d'un truckeur. Non, ce n'était pas un rêve. Et Gadriel n'est pas un homme comme les autres. Dans tous les sens du terme.

Une pression à la hauteur de mes jambes me ramène à la réalité. L'autobus est arrivé et Mickaël me réclame un dernier câlin avant de partir. J'ai à peine le temps de m'accroupir et le serrer dans mes bras qu'il court déjà rejoindre ses amis à l'intérieur du véhicule.

Une fois de retour à l'appartement, j'aperçois ma coloc assise à l'îlot de la cuisine, un bol de céréales devant elle.

— Ok ok, je veux tout savoir ! me lance ma coloc dès qu'elle me voit entrer dans l'appartement.

Ses yeux pétillent d'excitation face aux potins à venir, comme un enfant qui attend son jouet pour Noël.

Un balayage rapide du salon et la cuisine m'assure que Gadriel n'est pas dans la pièce. Il est plutôt dans la salle de bain si je me fie aux sons des jets de douche en fonction. Je vais donc rejoindre ma coloc dans la cuisine et me sers un café.

— Savoir quoi ? demandé-je innocemment appuyant mes coudes sur l'îlot en face d'elle, ma tasse en main.

— Ce mec que tu as ramené hier soir, tu l'as rencontré où ? As-tu couché avec ?

— Non ! m'exclamé-je, un peu trop fort.

Je jette un coup d'œil nerveux vers la salle de bain, mais la douche coule encore.

— Non je n'ai pas couché avec, reprends-je plus bas. C'est un client du restaurant et Miranda m'a demandé de l'héberger.

Je lui épargne les autres détails du genre : j'ai été attaqué, j'ai failli mourir étranglée et je l'ai vu à poils. À quoi bon l'inquiéter. Ou l'exciter encore plus.

Julie me regarde, étonnée.

— Pourquoi elle t'a demandé ça ? Elle le connait ? Et toi tu le connais depuis quand ? Accepter d'héberger un parfait inconnu ne te ressemble pas !

— Écoute, c'est son immeuble, elle me fait le loyer à rabais. C'était difficile de lui dire non.

Elle me scrute un instant puis sourit, espiègle.

— Surtout avec la shape qu'il a !

Sa réplique est accompagnée d'un jeu de sourcils qui me fait pouffer. Elle marque un point : Gadriel est l'archétype du mâle alpha. Celui qu'on voit dans les films et aucun prince charmant ne pourrait lui arriver à la cheville. Pourtant, je refuse de donner raison à ma coloc et lui montrer ne serait-ce qu'une once de vulnérabilité. Elle l'utiliserait pour me narguer sans relâche.

C'est pourquoi je prends mon air le plus désintéressé et lui demande :

— Tu le trouves mignon ?

— Euh allo ? T'as besoin de lunette ou quoi ? C'est le gars le plus canon que j'ai jamais vu ! Suffit de le regarder pour que je mouille ET bande à la fois !

J'éclate de rire face à sa réplique. Julie a toujours été beaucoup plus crue que moi et je l'adore pour ça. Les contraires s'attirent, dit-on. Et bien, elle est tout le contraire de moi. Franche, directe, entreprenante.

Pour ma part, même si je sais être directe parfois, surtout lorsqu'on me provoque, je préfère être celle qui passe inaperçue, celle que l'on qualifie d'effacée. C'est souvent plus simple ainsi.

Mon amie prend une bouchée de ses céréales, puis revient à la charge avec ses questions :

— Tu sais d'où il vient?

— Calgary, je crois.

— La vache ! C'est pas la porte à côté !

— Non, en effet, commenté-je tout en prenant une gorgée de mon café.

— Mais, mais mais, reprend-elle, l'index en l'air, c'est parfait pour toi !

— Parfait pour moi ?

— Parfait pour te dépoussiérer un peu sans t'engager.

Je la regarde, surprise.

— Me dépoussiérer ?

— Oui quoi ! Tu dois avoir de sacrées toiles d'araignée plus bas.

J'écarquille les yeux tandis qu'elle penche la tête d'un air sévère.

— Depuis quand ne t'es-tu pas envoyé en l'air ? J'arrête pas de te dire de dater, de profiter de la vie ! Ta vie ne s'est pas arrêtée quand tu es tombée enceinte, ma belle !

Un peu quand même. Ce n'est pas comme si on pouvait facilement prendre un verre avec un mec lorsqu'on a un bébé scotché à la poitrine vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Bon, Mickaël n'a plus l'âge d'être allaité, mais avec le nouvel environnement, le travail, les comptes à payer, j'ai peut-être mis un peu (beaucoup) de côté cette partie-là de ma vie. Je voulais à tout prix que Mickaël ait la meilleure vie possible, loin de ce que j'ai connu, loin du manque à combler. J'ai tout donné pour lui.

Peut-être un peu trop, si j'en crois ma coloc.

— Mon vibrateur, ça compte ? répliqué-je dans un demi sourire.

C'est ma tentative d'éviter la question. C'est raté, car elle roule des yeux :

— Non ça ne compte pas !

Elle se redresse sur son tabouret et prend un air solennel avant de continuer :

— Émilie, je veux que tu me promettes une chose.

— Et quoi donc ? dis-je, un sourire aux lèvres.

— Quand le dieu grec que tu as ramené hier sortira de la salle de bain, tu vas le parcourir des yeux, des pieds à la tête, et tu vas t'imaginer baiser avec dans toutes les pièces de ton appartement. Ça va peut-être réveiller un peu ta petite chatte et te donner le courage de passer à l'acte.

Je la regarde, ébahie par ce qu'elle vient de dire et aussi par les images qu'elle vient de planter dans mon cerveau. Je secoue la tête avant que la chaleur me monte aux joues et lance la seule réplique qui me vient en tête :

— T'es obligée d'être aussi vulgaire ?

— Toujours, me répond-elle un sourire triomphant sur les lèvres ce qui me fait sourire également.

Au même moment, je réalise que l'eau de la douche ne coule plus. La porte de la salle de bain s'ouvre et l'objet de notre discussion en sort, une serviette autour de la taille. Même si j'avais voulu ne pas suivre les conseils de ma coloc, ça aurait été impossible. Même un aveugle ne peut ignorer cette vision qui est à couper le souffle. Des pectoraux humides et parfaitement proportionnés, du genre qui donnent envie de les lécher. Des cheveux blonds bouclés plaqués par en arrière et une barbe de la veille qui confèrent un air sauvage. Lorsque Gadriel tourne le regard dans notre direction, je détourne les yeux en même temps que Julie plonge son nez dans son bol de céréales. Mes foutues joues s'empourprent et du coin de l'œil, je le vois se diriger vers le salon, attraper son sac de voyage et pivoter de nouveau vers la salle de bain. Comme deux tarées, nous continuons notre examen anatomique dès qu'il a le dos tourné. Je remarque encore une fois les six cicatrices gravées dans sa chair sous ses omoplates. Puis mon regard descend plus bas. Le petit creux au niveau de ses reins est a craquer et la serviette laisse présager un fessier plus que remarquable. La vue est loin d'être désagréable, surtout que cette fois, je ne suis pas en train de me faire agresser en pleine ruelle. J'ai tout le loisir de l'admirer et je sais que sous la serviette se cachent bien d'autres choses...

— Tu peux arrêter de baver maintenant, me chuchote mon amie lorsque Gadriel referme la porte derrière lui.

En effet, j'ai la bouche entrouverte et j'ai oublié de respirer.

— Dans tous les cas, si jamais tu ne sautes pas dessus dans les prochaines 48 h, c'est moi qui vais le faire. Alors dépêche-toi !

Sa remarque me fait rire. Comme si j'allais sauter sur un parfait inconnu ! Comme ça, tout bonnement ! C'est bien mal me connaitre.

En fait... je crois ?

— Bon je dois y aller, m'annonce soudain Julie. J'ai un rendez-vous chez l'esthéticienne.

Elle saute du tabouret et dépose sa vaisselle dans l'évier.

— Tu veux que je lui demande de te prendre en urgence ?

— Hein ? Qui ça ? Gadriel ?

Julie pouffe de rire.

— Non ! Mon esthéticienne ! Tu veux que je prenne un rendez-vous pour toi ?

Mon cœur, qui s'était emballé, se calme aussitôt.

— Pourquoi ?

— Bah pour te débroussailler un peu. Question d'être présentable en costume d'Ève !

Sa remarque me fait rougir autant qu'elle m'offusque.

— Eh oh, j'effectue un entretien régulier tu sauras !

Elle hausse les épaules, me donne une petite tape sur les fesses en passant dernière moi puis me laisse seule dans l'appartement.

En fait pas complètement seule.

Il reste Gadriel.

Même s'il est encore dans la salle de bain, ma tension monte d'un cran. Un drôle de mélange d'inquiétude et d'excitation se répand dans mes veines. Je maudis intérieurement ma coloc d'avoir planté des idées peu recommandables de mon esprit.

Ce n'est que lorsque je termine la vaisselle du petit déjeuner que l'objet de mes pensées sort de la salle de bain, mais cette fois, tout habillé : jeans noir, chandail à manches courtes qui met ses bras tatoués en valeur. Ses cheveux sont attachés sur sa nuque, ce qui lui donne un look plus class.

Il dépose son sac près du canapé, en tire son téléphone et compose un numéro avant de le porter à son oreille. Au même moment, c'est mon téléphone qui sonne sur le comptoir. Je jette un œil vers mon appareil, confuse, puis réalise que c'est Miranda qui m'appelle et non Gadriel. Ce dernier croise mon regard, surpris lui aussi de ce hasard.

J'attrape mon portable, quitte la cuisine pour m'enfermer dans ma chambre.

— Émilie, comment vas-tu ce matin, me demande ma patronne lorsque je décroche.

— Ça va. Dans les circonstances.

— Tant mieux. Écoute, je voulais m'assurer que tu allais toujours rentrer travailler aujourd'hui.

— Oui, sans problème. J'ai un peu mal à la gorge, mais je n'avais pas l'intention de prendre congé.

D'autant plus que je n'en ai pas les moyens.

— Parfait ! Olivier est encore à l'hôpital. Comme je n'ai trouvé personne pour le remplacer, tu feras la plonge aujourd'hui et demain. Je vais assurer le service seule, je l'ai déjà fait souvent.

— Olivier est encore à l'hôpital, répété-je, surprise. Est-ce qu'il va bien ? Il n'a rien de grave ?

— Aucune idée. C'est sa sœur qui m'a appelée pour me dire qu'il ne pourrait pas venir travailler pendant quelques jours.

Mon cœur se serre et j'imagine le pire pour mon collègue et ami. Sa vie est-elle en danger ? Est-il encore à l'hôpital par simple précaution ? Je me sens soudain atrocement responsable de ce qui lui est arrivé. Gadriel a bien dit que ces criminels en avaient après moi. Si j'avais pris au sérieux les paroles de Gadriel la veille, peut-être que cela ne se serait jamais produit ? Pauvre Olivier ! Lui qui est toujours si jovial, sensible et attentionné envers tout le monde. En même temps, comment aurais-je pu savoir que ça arriverait ?

— Émilie ?

— Euh oui, pardon.

— Alors, ça te va ?

— Je.. pardon, que voulais-tu savoir ?

— Tu feras la plonge dans les prochains jours, répète ma patronne d'un ton impatient. On se reparle au travail tantôt.

Puis elle raccroche sans que je puisse répliquer.

Je range mon téléphone dans ma poche puis je jette un regard sur la pile de factures qui m'attend sur la table. Ce n'est pas aujourd'hui que j'arriverais à les payer si je ne peux pas compter sur le pourboire du jeudi et vendredi soir cette semaine. Depuis la naissance de Mickaël, j'arrive à me débrouiller côté finance la plupart du temps, mais dans les derniers mois, avec l'inflation, l'entrée de mon garçon à l'école et les réparations que j'ai dû mettre sur ma vieille bagnole, j'ai un peu de retard dans mes paiements.

Je trouverais bien un moyen, me dis-je pour me rassurer. Pour l'instant, je n'ai qu'une idée en tête : aller voir Oliver à l'hôpital. Mais avant, je dois me débarrasser de mon invité indésirable.  

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