Chapitre 38: Les préparatifs


Émilie

C'est complètement détendus que nous regagnons les quartiers de Gadriel deux heures plus tard. Un pincement amer traverse ma poitrine lorsque je constate que ce dernier n'est toujours pas de retour. Meridoc nous annonce qu'il sera dans le couloir si nous avons besoin de lui avant de nous laisser seuls Mickaël et moi.

Pendant que mon fils rejoint sa chambre pour profiter de ces nouveaux jouets, je jette tout de même un coup d'œil dans la salle de bain dans l'espoir de trouver une trace de son passage pendant notre absence. J'ose même pénétrer dans l'unique pièce que je n'avais pas visitée jusqu'à maintenant. Cette dernière est adjacente à la salle de bain et lorsque la porte s'ouvre, je découvre qu'il s'agit de la chambre de Gadriel. L'immense lit de fer forgé noir est la première chose que je remarque. Un large bureau en bois est tourné vers une fenêtre à double battant qui donne accès au balcon. Des portes-miroirs coulissantes laissent envisager un vaste dressing. Un sourire se dessine sur mes lèvres quand je constate que son lit est fait à la perfection, sans aucun pli apparent, et que toute sa literie, jusqu'aux rideaux, est dans les tons de noir. Même son bureau est vide de tout papier ou décoration, comme si personne n'avait jamais travaillé dessus.

Comment a-t-il bien pu faire pour vivre et supporter mon bordel pendant tout ce temps sans virer fou ? Malgré cette personnalité ordonnée que je découvre, jamais il n'a émis un seul commentaire sur ma désorganisation totale ou la manière dont je gère ma maisonnée, à l'inverse de tous les hommes que j'ai vu défiler dans la vie de ma mère.

Des gloussements féminins qui proviennent de l'entrée mettent fin à mon exploration. Je quitte la chambre de Gadriel et reviens sur mes pas pour trouver dans l'entrée un groupe composé de trois succubes, dont Sybil.

— Ah la voilà ! s'exclame-t-elle lorsqu'elle me voit.

Le jolie succube tape dans ses mains comme une gamine trop excitée, ce qui contraste avec la tenue sexy qu'elle revêt : un juste aux corps en vinyle blanc accompagné des bottes hautes de la même couleur et un ruban pourpre noué dans sa queue de cheval blond platine.

Sans gêne aucune, elle traverse la pièce et m'attrape par le bras pour m'asseoir sur un des tabourets de la cuisine. Elle rejoint ensuite ses deux amies en face de moi qui me détaillent de la tête aux pieds sans retenue.

Les lèvres pincées, son index tapotant son menton, Sybil m'étudie un long moment puis hoche la tête d'un air décidé.

— Je crois que j'irais avec un look charbonneux et un chignon bas. Qu'en dites-vous, les filles ?

Un look quoi ?

— Entièrement d'accord ! Ça ira à la perfection avec sa robe ! répond une brunette aux yeux noisette.

Celle-ci arbore les mêmes atouts féminins que la bombe sexy à ses côtés, mais mise en valeur par un déshabillé de dentelles rouge vin qui laisse entrevoir un petit cœur gros comme une noix tatoué sur le galbe de son sein gauche.

Les trois succubes autour de moi s'excitent et se mettent à jouer avec mes cheveux et manipuler mon visage dans toutes les directions. À bout de patience et agressée par cette violation de ma bulle personnelle, je me lève d'un bond et m'écarte promptement.

— Vous pouvez m'expliquer ce que vous faites ? m'écrié-je.

Sybil affiche d'abord une mine étonnée qui s'efface ensuite pour laisser place à un sourire avenant.

— C'est fête ce soir ! On nous a expressément demandé de te préparer pour que tu sois resplendissante !

— Moi ? Resplendissante ? Pour une fête ? répété-je, sceptique.

— Pas n'importe quelle fête ! Un bal ! précise la jolie brunette au sein tatoué.

— Un bal ? croassé-je, ma gorge serrée de panique.

— Ouiiii ! s'exclament de concert les trois succubes dans un cri suraigu qui bousille mes tympans.

— Allez, assieds-toi ! On s'occupe de tout !

C'est ainsi que sans que je puisse y faire quoi que ce soit, trois abeilles excitées s'affairent autour de moi pour me rendre présentable. Des crayons à maquillage jusqu'au rouge à lèvres, en passant par des pinces à cheveux et du fixatif, je redoute le moment où je découvrirais un visage que je ne reconnaitrais surement pas.

— Et maintenant, la pièce de résistance! annonce Sybil de manière théâtrale après vingt minutes de cette torture.

La blondinette se dirige vers un des fauteuils où repose une grande housse noire que je n'avais pas remarquée. Elle la prend avec soin et revient vers nous en la dressant devant elle.

— La robe !

Son visage ne pourrait être plus excité.

— Allez, viens dans la salle de bain, je vais t'aider à l'enfiler !

— Pourquoi pas dans la chambre, proposé-je me rappelant les grands miroirs qui me permettront de me voir de plain-pied.

Parce que oui, j'avoue, je me laisse un peu prendre au jeu et j'ai hâte de voir le résultat. Malgré mes réticences à jouer à la poupée, je commence à croire - non à espérer - qu'elles ont peut-être réussi à me faire ressembler à quelque chose.

Les yeux écarquillés des trois succubes me confirment que mon idée n'est peut-être pas si géniale.

— Personne n'est jamais allé dans la chambre de Gadriel, souffle la brunette. Même pas Sybil !

Autant la première affirmation me fait sentir coupable, autant la dernière m'écorche le cœur.

— Ah non ?

Le troisième succube aux cheveux cuivrés, qui n'a pas encore ouvert la bouche depuis qu'elle est ici, secoue la tête avec sérieux. Je commence à croire qu'elle est muette.

J'ai donc brisé une des règles de Gadriel. Je regrette un court moment ma curiosité avant de me raisonner. Je ne pouvais pas savoir et il n'a jamais mentionné que c'était interdit. Et puis il n'avait qu'à ne pas m'abandonner ici sans donner signe de vie ! Voilà !

Sans plus de préambule, je suis Sybil dans l'immense salle de bain de Gadriel. Je m'attends à ce qu'elle me tende la housse et me laisse mon intimité, mais cette dernière l'accroche à la porte de douche puis descend la fermeture éclair pour dévoiler une étoffe de soie de couleur aubergine. Elle écarte les pans et extirpe la robe délicate de son emballage. Elle est toute en simplicité avec son jupon en mousseline et son col en V plongeant. Une ceinture strassée de perles argentées entoure la taille et des fleurs de la même couleur que la robe sont brodées au niveau du corset.

Mes yeux s'attardent sur les détails alors que je retiens mon souffle. Mon regard finit par croiser celui de Sybil qui me sourit. Sans plus de cérémonie, elle m'aide à me dévêtir - non sans gêne de ma part - et glisse le tissu soyeux sur ma peau telle une douce caresse. Elle remonte la fermeture à l'arrière de mon dos à moitié dénudé et pose ses mains sur mes épaules me souriant à travers la vanité. Le résultat est très réussi, même si j'ai peine à me reconnaitre. Mes yeux charbonneux semblent deux fois plus grands et font ressortir les teintes de gris dans mes iris. Les succubes ont pris soin d'atténuer mon front trop large à l'aide de deux mèches qui encadrent mon visage et l'on remarque à peine la petite touffe de cheveux blanche coincée dans un chignon bas et ceinturé d'un cerceau argenté.

— Ta robe te va à ravir !

J'avoue que je n'ai jamais porté une telle robe. Le corset est parfaitement ajusté à ma petite poitrine et la couleur met en valeur ma peau trop pâle que j'ai toujours détestée. Les perles argentées rehaussent la couleur de mes yeux et une longue faille au niveau du jupon laisse entrevoir mon mollet et une partie de ma cuisse.

— Tu es très jolie, me complimente Sybil tout en lisant une mèche rebelle qui s'échappe de mon chignon.

— Merci, murmuré-je, gênée par ce compliment qui paraît si sincère.

Je réalise soudain que le succube qui m'intimidait au départ et dont je me méfiais n'est pas comme je le croyais. Je l'imaginais comme la blondasse clichée qui déambule dans les corridors de l'école dans les films à succès : la tête haute et les hanches qui roulent à chacun de ses pas comme si le monde entier était à ses pieds. Mais Sybil est tout le contraire. Elle n'a été que gentillesse et sourire avec moi jusqu'à maintenant et j'ai honte de l'avoir jugé si promptement.

— Notre souverain a bien choisi la robe, ajoute Sybil. C'est comme si elle était faite pour toi.

— Votre souverain ? La robe ne vient pas de Gadriel ?

— Oh non ! C'est Lord Satanaël qui l'a choisie. C'est lui qui nous a demandé de te préparer pour le bal.

Une déception au goût amère coule dans ma gorge. Moi qui croyais que tous ces préparatifs et cette attention dont je suis l'objet étaient à la demande de l'homme qui occupe toutes mes pensées. C'est comme une épingle de plus qu'on vient de planter dans mon cœur qui en est recouvert depuis mon réveil. Pourquoi n'est-il pas assez ici avec moi ? Pourquoi m'a-t-il abandonné dans cet environnement inconnu, parmi ces étrangers qui se soucient de mon sort beaucoup plus que lui ? Maintenant qu'il a rempli sa mission, maintenant que nous sommes en sécurité, il disparaît de ma vie, comme ça, sans un mot.

Mes pensées défilent à une telle vitesse que j'en oublie presque la présence de Sybil à mes côtés. Cette dernière m'observe les yeux plissés, la tête inclinée sur le côté. Elle tapote son nez à quelques reprises puis une lumière traverse ses prunelles émeraude.

— Tu aurais préféré que ce soit Gadriel, c'est ça ? demande-t-elle avec douceur. Tu es amoureuse de lui ?

J'écarquille les yeux sans le vouloir alors que le rouge me monte aux joues. Suis-je amoureuse de Gadriel ? Non. Il m'attire, c'est tout.

Il t'obsède tu veux dire !

Mais amoureuse... ?

— Dans tous les cas, continue-t-elle sans attendre ma réponse, c'est la première fois qu'il héberge quelqu'un dans ses appartements. Tu dois être importante pour lui.

La voix de Sybil dénuée de méchanceté ou de reproches me rend méfiante. N'est-elle pas sa maitresse ?

Je quitte le miroir des yeux et pivote afin de mieux lire les traits de son visage.

— Tu n'es pas jalouse ? osé-je demander. J'ai cru comprendre que vous étiez proches tous les deux.

— Moi ? Jalouse ? s'exclame-t-elle avant d'éclater de rire.

Puis elle ajoute :

— Aucune. Chance.

Ses yeux dérivent vers la droite tandis qu'elle tapote à nouveau son menton.

— Bon, c'est vrai qu'il est un super coup au pieu, mais il est teeeeellement taciturne, se plaint-elle en levant les yeux au ciel.

Elle ajoute ensuite d'un air sournois :

— Et puis sache que les succubes ne recherchent pas l'amour, ma jolie. D'ailleurs, si jamais tu as envie de t'amuser un peu un de ces quatre...

Son clin d'œil coquin et son jeu de sourcil me font rougir de plus belle. La jolie blonde ne peut s'empêcher de glousser face à ma gêne. Elle me fait un petit câlin qui me surprend puis prend ma main pour me guider hors de la salle de bain. Elle me fait ensuite parader devant ses amies qui nous attendent toujours dans le salon.

Leurs petits cris d'excitation qui m'accueillent, font sortir Mickaël de sa chambre.

— Waouh, maman ! Tu t'es changée en princesse !

Mon cœur fond devant le regard ébloui de mon ange qui s'est approché. Je m'accroupis pour lui voler un câlin.

— Toi aussi tu seras un prince, petit humain ! affirme Sybil en levant une deuxième housse devant elle.

Une dizaine de minutes plus tard, je quitte les appartements de Gadriel en compagnie de mes nouvelles amies et d'un Mickaël en mini veston-cravate. Sans oublier Meridoc qui remplit son rôle à merveille : palier à l'absence douloureuse de Gadriel.

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