Chapitre 34: Le père de mon fils est un connard

Émilie

Debout en face de Satanaël, les bras croisés sur ma poitrine, j'ai bien l'intention de faire comprendre à cet homme qu'il n'a aucun droit sur mon fils et qu'il ne peut prendre des décisions le concernant sans m'en parler. Il en est peut-être le géniteur, mais en aucun cas son père. Et ce n'est pas son sourire enjôleur qui me fera changer d'idée. Pour ma part, j'affiche mon air le plus froid, prête à en découdre avec lui.

— Je suis content de te revoir, Émilie, m'annonce-t-il d'une voix mielleuse.

— Vraiment ? répliqué-je, sceptique.

Je suis presque certaine que, quelques heures à peine, il ne se souvenait même pas de mon nom. Gadriel ou l'un de ses assistants a dû lui dire.

Il s'apprête à faire un pas vers moi, mais le regard que je lui lance l'en décourage.

— Je voulais te remercier d'avoir pris soin de mon fils. Tu l'as très bien élevé.

— Il n'est pas ton fils. Ce n'est pas un petit bout de sperme qui fait de toi son père, rétorqué-je sèchement.

Mes paroles ne semblent pas l'affecter. Il affiche encore son sourire à la con. J'ai la soudaine envie d'enfoncer ses foutues dents parfaites au plus profond de son tube digestif.

Il est sexy, ça, personne ne le nierait. Cheveux, sourire, physique parfait. Et monsieur le sait très bien. Même s'il déjà séduite par le passé avec son air à la fois charmant et mystérieux, cette fois-ci, j'ai bien l'intention de lui résister.

— Tu as raison, admet-il en secouant l'air de ses mains en signe de paix. Je ne suis que le géniteur. Tu l'as élevé seule. Sans mon aide. Néanmoins, je suis là maintenant, ma douce. Laisse-moi t'aider.

— Je n'ai pas besoin de ton aide, on se débrouille très bien sans toi. Laisse-nous simplement retourner à la maison.

Je laisse un silence passé avant de rajouter avec dédain :

— Et ne m'appelle pas « ma douce » !

Il détaille mon visage pendant un long moment, un demi-sourire sur les lèvres. Je deviens très vite inconfortable. C'est comme s'il lisait en moi, tout comme le faisait Gadriel les premiers jours. Alors que le malaise s'amplifie et que je songe à tourner les talons et le planter là, il s'approche de moi. Sa main capture la mienne puis son pouce en caresse le dessus. Surprise par ce geste si intime, je n'ai pas le réflexe de la retirer immédiatement.

— J'aimerais bien vous laisser partir, mon sucre d'orge, susurre-t-il, mais maintenant que Mickaël a accès à ses pouvoirs, il a besoin de moi pour les maîtriser. Allez, fais-moi plaisir... Reste ici sans histoire. En souvenir du bon vieux temps...

Sans savoir pourquoi, c'est à ce moment que je réalise que je discute avec Satan, LE SATAN ! Et il vient de m'appeler son « petit sucre d'orge ». C'est IRRÉEL ! Je secoue la tête, comme si ce simple geste avait le pouvoir de faire disparaître la semaine disjonctée que je viens de vivre. Je donnerai tout pour retourner en arrière, revenir à ma routine quotidienne et sans histoire.

Puis, le visage de Gadriel s'impose à moi. L'idée de l'oublier, de l'effacer de ma vie me semble impensable, voire même impossible.

Je secoue la tête une deuxième fois et mon attention revient sur l'homme devant moi. Ses mots doux et son air de chat botté ne font que m'offusquer davantage. D'un geste brusque, je retire ma main et lui lance un regard si glacial que j'espère le congeler sur place.

— Quel bon vieux temps ?! On se connait à peine ! Je n'ai presque plus de souvenirs de notre rencontre ! J'étais paumée et tu as profité du fait que j'avais trop d'alcool dans le sang pour me séduire ! Je pourrais te coller une plainte d'agression sexuelle !

Bon, je l'admets, c'est peut-être un peu exagéré. Je me souviens de notre nuit. J'étais consentante et j'y ai même pris plaisir, le rouge sur mes joues en ce moment en est la preuve. Oh et poursuivre le dieu des enfers en justice, c'est fort peu probable.

Ma réplique fait quand même mouche : il hausse les sourcils puis perd son sourire de connard.

Pour quelques secondes.

Car ce dernier revient de plus belle.

— Bon, je vois que tu es fâchée contre moi, mon minou d'amour, mais tu verras, tu retrouveras la raison et nous formerons une parfaite petite famille.

— Tu peux te la foutre où je pense ta parfaite petite famille ! craché-je, les poings serrés.

Il soupire puis passe une main dans sa chevelure ébène qui reprend sa place comme par magie.

— Tu étais plus sympathique dans mes souvenirs, reprend-il sur un ton totalement différent.

Plus de fioritures ou de sucrerie. Ses traits redeviennent sérieux et j'ai devant moi le vrai souverain des enfers. Imposant. Dangereux. Je crains soudain d'avoir dépassé les bornes.

— Mickaël est en danger s'il retourne là-bas, m'annonce-t-il d'un timbre grave. Avec l'arrivée de ses pouvoirs vient aussi son aura magique qui agit comme une balise. Lilith aura tôt fait de le retrouver, peu importe où il est. Il est plus en sécurité ici, à Shéol, que dans ton univers, et ce, jusqu'à ce qu'il développe son plein pouvoir. Tout comme nous, il est invincible dans cet univers, mais son enveloppe humaine sur Terre est mortelle.

Il marque un point. Rien ne m'assure que nous serons en sécurité à si nous retournons dans notre dimension. Ni ici d'ailleurs. Cet endroit m'est complètement inconnu et il faut se l'avouer, personne ne vante le confort de l'enfer.

N'y rêve d'y faire un voyage tout inclus.

J'ai toutefois besoin de comprendre quelque chose :

— Qui est cette Lilith et pourquoi cherche-t-elle à faire du mal à Mickaël?

Une ombre traverse le visage de Satanaël. Il s'éloigne de moi puis saisit une carafe qui trône sur son bureau. Il se verse un verre d'un liquide ambré et l'avale cul sec avant de me répondre :

— Lilith était ma femme.

— Ta femme? répété-je plus que surprise.

Satan, marié? Qui l'aurait cru! Je devrais sans doute réviser mes connaissances en théologie. 

Puis, une parole de Gadriel me revient à l'esprit: « Lilith a toujours mené la vie dure aux maîtresses de Stan. »

Ce qui m'amène à une nouvelle question :

— Étais-tu encore avec elle, lorsque nous avons... lorsque...

— Non, me coupe-t-il. Nous ne sommes plus ensemble depuis 374 ans.

C'est moi où c'est très précis comme chiffre ? Un peu plus et il me nomme le nombre de mois, d'heures et de secondes exacts.

Satanaël se sert un autre doigt d'alcool, mais cette fois, il le fait tourner dans son verre, son regard perdu dans le mouvement du liquide.

Puis, après une longue minute, il reprend la parole :

— Avant de connaitre l'existence de Mickaël, les traces d'aura que tu avais sur toi ont dû faire croire à Lilith que nous avions couché ensemble. Récemment. Mais maintenant, elle sait que ces traces venaient de la magie de mon fils.

Encore ces mots. « Mon fils ». Je doute être en mesure de me faire à l'idée.

— Avant de l'appeler « ton fils », je crois que tu devras faire tes preuves, ne puis-je m'empêcher de rétorquer.

Il relève le regard dans ma direction et un sourire mutin éclaire son visage.

— Donc tu me laisses tenter ma chance comme père ?

Il emploie encore ses yeux de chat mignon et cette fois-ci je ne peux empêcher mes lèvres de se retrousser.

— On verra, répondis-je en effaçant quand même toute trace de sourire sur mon visage. Pour l'instant je suis trop crevée pour en discuter et j'aimerais retrouver Mickaël.

Ma voix se fendille lorsque je prononce ce souhait. Je suis passé par toutes sortes d'émotions dans les vingt-quatre dernières heures et j'ai même cru, un trop long moment, que je ne reverrai plus jamais mon fils. J'ai besoin de le tenir dans mes bras et de sentir sa chaleur contre moi.

Cette idée s'accompagne aussi d'un autre souhait : celui de retrouver Gadriel. Il est la seule personne à qui j'ai envie de m'accrocher dans ce monde inconnu. Comme une bouée, tangible, forte et indéfectible.

Satanaël hoche la tête, me signifiant qu'il comprend.

— Gadriel ne doit pas être très loin, si tu veux, je peux le chercher avec toi.

— Non ça ira.

— Oh et ma chambre est grande ouverte pour toi cette nuit, si jamais...

Le regard et le ton lubrique qu'il utilise me donnent envie de lui balancer un coup de genou dans les couilles comme réponse.

— Non merci, me contenté-je de dire.

L'urgence de quitter cette pièce se fait sentir. Je sens la colère nourrir à nouveau mes veines. Mieux vaut prendre mes distances. Mais comment aie-je pu coucher avec ce fichu connard manipulateur et arrogant ? L'alcool nous fait faire vraiment n'importe quoi!

Une fois la porte refermée derrière moi, le long corridor sans fin qui m'accueille me fait réaliser que je n'ai aucune idée où trouver Mickaël et Gadriel. Je n'ai pas vraiment porté attention au chemin emprunté lorsque je suivais ce dernier et, de part et d'autre du couloir, les nombreuses portes me confirment que je ne les retrouverais pas de sitôt. J'hésite un instant à retourner demander à mon ancien amant, puis j'opte finalement pour longer le couloir et découvrir où il me mènera.

Une vingtaine de minutes plus tard, après avoir monté des marches, longé trois passages, redescendu de nouvelles marches et tourné plusieurs fois à gauche, je suis complètement perdue. J'ai compté pas moins d'une cinquantaine de portes, mais je n'ai pas osé en ouvrir aucune. J'en suis même venue à espérer déboucher dans le hall pour demander mon chemin au démon poilu qui nous a accueillis plutôt. La preuve que je suis désespérée...

Je suis sur le point de me mettre en position fœtale dans un coin lorsque j'entends des rires qui proviennent d'un couloir sur ma droite. Malgré la crainte de croiser une autre forme de vie aussi étrange que celle du valet de porte, j'estime que c'est peut-être ma seule chance de m'en sortir. J'emprunte donc le couloir et suis les éclats de rire qui m'apparaissent de plus en plus humains.

Plus j'avance et plus l'air devient chaud et humide. Au bout du couloir, je débouche sur une grande pièce ouverte parsemée de plusieurs bassins d'eau. Une vapeur invitante flotte dans l'air et le doux son d'une cascade attire mon attention sur un groupe d'individus à l'apparence humaine qui se prélasse dans l'un des points d'eau troublés par une petite chute qui coule du plafond. Je m'approche d'eux dans l'espoir de demander mon chemin et lorsque j'arrive à leur hauteur, cinq têtes, quatre brunes et une blonde se tournent vers moi.

Je suis soulagée de constater que ce sont des femmes tout ce qu'il y a de plus normal hormis le fait qu'elles sont magnifiques. Les cinq arborent une chevelure longue et abondante, des lèvres pulpeuses qui rendraient jalouse n'importe quelle actrice et un visage qui exsude l'érotisme et la sensualité. Même moi qui préfère les hommes, je ne reste pas insensible à leur charme envoutant.

Je réalise un peu trop tard que je suis devant eux, la bouche ouverte et qu'elles attendent que je parle.

— Euh, bonsoir. Je... je suis perdue. Je cherche Gadriel, vous le connaissez ?

De concert, les regards convergent vers la femme aux cheveux d'or.

— Je crois que Sibyl le connait très bien, glousse une des brunettes.

Je lève un sourcil, interloquée. Je ne suis pas certaine d'apprécier le double sens de cette affirmation.

L'intéressée affiche un sourire énigmatique puis me répond :

— Je ne savais pas qu'il était de retour. Je peux te conduire à ses appartements si tu veux.

Et sans attendre ma réponse, elle se redresse et dévoile ce que je craignais : un corps nu et tout en courbe. Sa poitrine généreuse semble défier les lois de la gravité et une chose encore plus surprenante, une longue queue mince qui se termine par un pique décore le haut de son postérieur indécemment rebondi. Elle monte les quelques marches qui lui permettent de sortir du bassin pendant que j'essaie de détourner mes yeux de son corps injustement parfait. Après avoir épongé sa peau à l'aide d'une minuscule serviette, elle enfile des habits noirs qui ne la couvrent guère d'avantage. Ils s'apparentent plus à des sous-vêtements sexy qu'à des vêtements : petite culotte noire de style garçonne qui laisse entrevoir le galbe de ses fesses parfaites et haut sans manches qui s'arrête juste au-dessous de la poitrine et qui laisse la grande majorité de ses seins découverts. Le tout, accompagné de bottes cuissardes de cuir noir. Bref, de quoi donner des complexes à n'importe quelle fille. Ou exciter la totalité des mâles de la terre, non-hétéro compris.

Une fois habillée, elle s'approche de moi et me toise de haut en bas.

— Tu es humaine.

Je hoche la tête en silence même si j'ignore si c'est une question ou une affirmation.

Elle se pince les lèvres de façon tout à fait mignonne et tapote son menton de son index.

— Ah ! Je sais ! s'exclama-t-elle avec l'air de celle qui a trouvé la réponse à l'énigme de l'univers. Tu dois être la nouvelle compagne de Satanaël et la mère du petit humain !

— Oh ! s'exclament les autres femmes dans le bassin.

Et avant même que je ne puisse réagir, les cinq amies sont autour de moi à m'observer sous toute mes coutures.

— Qu'elle est mignonne ! dit l'une.

— Tu as vu ses cheveux courts ! J'en veux des pareils ! dit l'autre en passant sa main dans ma coiffure négligée.

Je cligne des yeux à plusieurs reprises ne sachant plus où regarder devant tant de nudité. Je ne suis pas extrêmement pudique, mais je crains d'être asphyxié par ce surplus de poitrine nue et opulente autour de moi.

— Ses seins sont petits, mais il paraît que c'est la mode sur Terre, déclare une troisième.

La mode ? Mais qu'est-ce que..?!

Je recule de plusieurs pas, de peur qu'elles ne se mettent à me tripoter.

— S'il vous plaît, repris-je les mains devant moi pour me protéger. Est-ce que vous pourriez seulement m'aider à trouver Gadriel ?

J'essaie de garder mon calme, mais mon niveau de patience est rendu au dixième sous-sol et mon niveau de panique a pris le chemin contraire. Il est au centième étage de l'Empire State Building.

— Allez les filles, laissez-la tranquille, ordonne la dénommée Sybil.

Elle se tourne ensuite vers moi et m'invite à la suivre. Pour le meilleur ou pour le pire. 

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