Gadriel

                — C'est aussi chez toi maintenant, tu sais.

Ces quelques mots prononcés par Satanaël à l'endroit de son fils agissent comme un million de sabres qui transpercent ma poitrine.

La famille réunie...

Jamais la douleur n'avait envahi aussi vite mon âme que maintenant.

Je me sens de trop. J'ai effectué ma mission, j'ai retrouvé mon souverain, protégé sa progéniture et celle qui deviendra bientôt sa femme. Je peux maintenant me retirer et retrouver ma vie d'avant. Même si ces pensées me déchirent le ventre, me font saigner de l'intérieur, me vide de toute vie. Elles ne sont que la froide vérité.

— Je vais vous laisser.

En famille, complété-je dans ma tête, car de le dire tout haut aurait officialisé cette réunion improbable.

— Attends! m'intime une voix qui met un baume, l'espace d'une seconde, sur le trou béant de ma poitrine.

Je m'arrête, mais refuse de la regarder. Je n'arrive plus à me forger un visage impassible. Ma carapace s'effrite, je perds le contrôle.

— Je peux te confier Mickaël?

Bien sûr, Émilie. Tu peux tout me confier.

Sans un regard pour l'humaine qui ranime mon cœur et l'anéantit à la fois, je m'approche du petit humain et l'invite à me suivre.

La porte se referme dernière nous, tout comme l'étau dans ma poitrine. J'arrive à peine à respirer.

Ce n'est qu'une humaine, bordel! Et c'est celle que ton souverain a choisie... Tu t'attendais à quoi?

— Elle est où ma chambre? Est-ce qu'elle est aussi grande que celle de papa?

Mickaël me sort de ma lutte intérieure et m'astreint à sourire :

— Non, pas tout à fait, mais elle est beaucoup plus amusante. Tu vas voir.

Nous traversons l'aile ouest puis bifurquons vers mes quartiers. Une chambre attenante à mes appartements est inoccupée et comme je n'ai reçu aucun ordre de la part de Satanaël à ce sujet, je préfère loger le petit le plus près possible de moi afin de le garder à l'œil. Du moins, c'est ce que j'essaie de me faire croire, même si une partie de moi espère qu'Émilie vienne le rejoindre plus tard.

Lorsque j'ouvre la porte de la pièce qui deviendra sa chambre, le petit semble surpris. Réaction tout à fait normale puisque l'endroit est complètement vide.

— C'est ça, ma chambre?

Sa voix peine à contenir sa déception.

— Tu es déçu? lui demandé-je un brin amusé.

Son regard passe de mon visage à la pièce froide et impersonnelle.

— Non, ment-il. Mais est-ce que je dois vraiment dormir par terre?

— Tu aurais aimé un lit?

— Peut-être...

Je peux voir qu'il fournit un effort monumental pour ne pas paraître capricieux. Émilie l'a bien élevé sur ce point et je ne peux m'empêcher de penser qu'il est beaucoup plus mature que son âge.

— De quelle couleur aurais-tu aimé ton lit?

— Vert, me répond-il, tout de go.

Je hoche la tête puis claque des doigts afin de faire apparaître devant lui un lit double à l'édredon vert forêt et ensevelit par des peluches de toutes sortes.

Les yeux de Mickaël s'écarquillent de stupéfaction.

— Waouah! Toi aussi tu fais de la magie?

Je lui souris puis lui demande s'il souhaite autre chose.

Quelques minutes plus tard, la pièce est remplie de jouets et les murs, maintenant bleu poudre, sont parsemés de décalques d'étoiles phosphorescentes.

Le petit saute sur place d'excitation devant sa nouvelle chambre.

— Maintenant, il te reste plus qu'à te mettre en pyjama.

Mickaël fait la moue. Devant tous ces jouets, il n'a sans doute qu'une seule idée: en profiter au maximum.

— Tu vas pouvoir jouer, mais avant, j'aimerais que tu enfiles un pyjama. Avec la nuit que tu viens de passer, ta mère voudra surement que tu te reposes un peu et j'aimerais que tu sois prêt lorsqu'elle viendra te border.

— Je vais pouvoir jouer après, me demande-t-il avec ses petits yeux suppliants.

— Promis.

Le petit, heureux, tape dans ses mains.

D'un claquement de doigt, je fais apparaître trois pyjamas sur son lit, même si je sais déjà lequel il choisira.

Une fois celui de la Reine des neiges enfilé, Mickaël me demande de jouer avec lui au bloc de construction. J'accepte, même si mon cœur et mon esprit ne sont pas de la partie. Ils sont plutôt à l'autre bout du château, où celle qui occupe toutes mes pensées, doit faire face à son ancien amant...