Chapitre 32: Le royaume de Shéol

Émilie

Assise derrière Gadriel sur sa moto qui roule à vive allure, je tente de ne pas trop penser. Je m'accroche à lui plus que nécessaire, comme si j'avais besoin de m'assurer que je n'étais pas dans un mauvais rêve.

Dans notre précipitation à quitter l'appartement, je n'ai pas pensé me changer. Malgré mon manteau, mon pantalon de pyjama en flanelle et la chaleur du corps de Gadriel contre le mien, ce n'est pas suffisant pour m'abriter du vent froid qui fouette mon corps. Pourtant, je n'en ai rien à foutre. Il m'aide à rester éveillée et tout ce qui compte est que je retrouve Mickaël, que ce soit dans cette dimension ou dans une autre. Qu'il soit le fils d'un démon ou celui d'un homme ordinaire, Gadriel a raison : il reste mon Mickaël, mon fils au grand cœur et à l'intelligence exceptionnelle.

Alors que nous arrivons bientôt à Sherbrooke, j'aperçois les premiers rayons du soleil qui se lèvent à l'est. Nous traversons une partie de la ville avant de tourner en direction d'un parc. Sans hésiter, Gadriel déroge de la route et embarque la moto sur un sentier aménagé pour les piétons. Il nous mène vers un petit lac et en fait le tour. Après quelques minutes de hors-piste, il arrête l'engin tout près d'un boisé qui nous sépare de la rive.

— Nous sommes arrivés, annonce-t-il en descendant de la moto. On doit se dépêcher, il ne reste que quelques minutes.

Il retire son casque avant de m'aider à retirer le mien puis me tend la main. Je glisse mes doigts dans le sien et le suis à travers les arbres sur quelques mètres. Son téléphone dans son autre main, il inspecte les environs puis s'avance encore de quelques centimètres. Je le sens tendu, tout comme moi.

— Voilà, c'est ici, annonce-t-il.

Il plante ses deux pieds au sol, range son téléphone puis m'attire à lui. Ses bras entourent ma taille et ses yeux se plantent dans les miens. J'arrive à peine à en voir la couleur, sous la lumière de l'aurore, mais j'y décèle une douceur qui fait vibrer mon âme.

— Accroche-toi à moi, murmure-t-il. C'est le seul moyen de passer le portail à deux.

Je hoche la tête puis enfouis mon nez dans son manteau. Les notes de caramel qu'il dégage me réconfortent sur la suite des choses. Je ferme les yeux pendant quelques secondes à écouter battre son cœur.

— Ça ne devrait plus être très long.

Sa voix est douce et rassurante et j'ai confiance que tout se passera bien.

Du moins, jusqu'à ce que j'entende le tonnerre gronder au-dessus de nous.

J'ouvre les yeux alors qu'une lumière éblouissante s'enroule autour de nos deux corps et le bourdonnement qui l'accompagne et si assourdissant que j'ai l'impression que mes tympans vont exploser. Je ferme les yeux à nouveau, étourdie par cette impression de perdre le contrôle. Une chaleur insupportable s'empare de mon corps, comme si j'étais en train de brûler. Paniquée, je m'agrippe de toutes mes forces à Gadriel qui resserre son étreinte. Cela a pour effet de m'apaiser un peu, jusqu'à ce que je sente le sol se dérober sous mes pieds.

Or, la sensation de chute ne vient pas. J'ai l'impression de flotter, mais je n'ose ouvrir les yeux pour vérifier. Une fraction de seconde plus tard, mes pieds touchent le sol de nouveau puis le grondement assourdissant s'éteint aussi vite qu'il est venu. Le seul son qui vient perturber le silence est le bruit de ma respiration rapide.

— Ça va ? murmure Gadriel.

Son souffle chaud dans mes cheveux me fait frissonner, confirmation même que je suis toujours vivante.

J'ose à peine ouvrir les yeux, mais lorsque je le fais, je réalise que nous ne sommes plus à l'extérieur comme dans mon univers. Nous sommes plutôt dans une pièce ronde aux murs noirs. Je lève le regard et aperçois une ouverture au plafond. Elle laisse passer une lumière orangée qui nous enveloppe.

Les bras de Gadriel se relâchent autour de moi et j'écarte mon visage de sa poitrine. C'est à ce moment que je réalise qu'il ne porte plus sa veste.

Ni son chandail d'ailleurs !

Oh merde !

Non seulement Gadriel est nu comme un ver, mais moi aussi !

Mon premier réflexe est de me plaquer à nouveau contre lui, question de masquer ma nudité !

Grosse erreur !

Car mon corps réagit aussitôt.

Sa peau est tellement chaude, ses muscles si fermes que mon ventre se contracte. Gadriel se crispe, mais referme tout de même ses bras autour de moi.

— Hé, ça va ?

— Moui... soufflé-je d'une petite voix.

— Qu'est-ce qui se passe ? Tu as mal quelque part ?

— Non, c'est que... je suis nue !

Un ricanement s'échappe de sa poitrine et secoue ma tête en même temps.

— Ça, j'avais remarqué... chuchote-t-il d'une voix rauque.

Et la preuve appuie avec insistance au bas de mon ventre. Je sens mes joues rougir aussi vite que la vague de chaleur qui se répand dans tout mon corps. Ma poitrine se gonfle contre la sienne et la pointe de mes seins se tend sous ce frottement délicieux.

— Il y a des peignoirs dans une armoire derrière toi, continue-t-il. Si tu veux, je peux fermer les yeux pendant que tu vas en chercher.

— D'a-d'accord.

J'écarte ma tête de son buste et lève les yeux à la rencontre des siens. Ses iris, complètement violets, me laissent sans voix. Je n'y décèle aucune trace de bleu comme avant.

— Tes yeux, soufflé-je. Pourquoi changent-ils de couleur constamment ?

Il hausse un sourcil puis me sourit.

— Leur couleur est liée à mes pouvoirs. Sur Gaïa, ils deviennent bleus puisque je n'ai plus aucune magie en moi.

— Sauf à mon contact, lorsque tu cicatrises, deviné-je.

— Sauf à ton contact, souffle-t-il d'une voix profonde qui me fait frémir.

En silence, Gadriel scrute mon visage un moment puis il ferme les paupières comme promis. Il relâche son étreinte lorsqu'il me sent reculer. Je fais quelques pas vers l'arrière et avant que toutes notions de moralité ne viennent effleurer mon esprit, je profite un instant de la vue.

Bien des jours se sont écoulés depuis la toute première fois où nous nous sommes rencontrés. Je me souviens avoir été effrayée par cet homme qui déambulait dans les rues, complètement nu. Aujourd'hui, je comprends pourquoi il était ainsi. Il venait de traverser un portail. Quand mes yeux balaient son corps, je découvre avec plaisir qu'il est encore plus séduisant que dans mes souvenirs. Ses pectoraux sont parfaitement découpés, ses biceps juste assez gonflés et ses abdos se joignent en une ligne envoutante qui nous mène tout droit vers un paradis fièrement dressé et entièrement conscient qu'une femme nue se trouve à ses côtés.

— Dis, j'espère que tu n'en profites pas pour me mater ? plaisante-t-il.

Mon cœur manque un battement et mon regard quitte en vitesse le sud pour remonter sur son visage. Ses yeux sont toujours fermés. Heureusement. Néanmoins, son visage arbore un sourire canaille. Je quitte des yeux ce corps digne des dieux puis avise la penderie à l'autre bout de la pièce. Comme promis, j'y trouve des peignoirs de toutes les grandeurs et de toutes les couleurs. Devant ces choix, une idée saugrenue me passe par la tête et je saisis deux peignoirs, enfile le premier, fait d'une soie verte et douce, puis revient vers Gadriel qui m'attend sagement.

— Voilà pour toi, lui dis-je en prenant sa main et en la guidant vers le peignoir que je lui tends.

Il commence à l'enfiler, mais éprouve quelques difficultés. Je passe derrière et l'aide à passer son bras droit dans la manche. Je reviens ensuite à l'avant et ramène les pans du vêtement tendu sur son ventre (non sans jeter un coup d'œil rapide plus au sud) puis attache la ceinture de soie pour le faire tenir.

Je recule ensuite pour admirer le résultat. Il ouvre les yeux, mouline ses épaules à l'étroit puis son expression change lorsqu'il remarque la couleur du tissu : rose bonbon avec des fleurs jaunes.

— Mais qu'est-ce que... ? Tu as choisi le plus laid ou quoi ?! Comment cette putain d'horreur s'est-elle retrouvée ici!

Je glousse devant son expression outrée. Lorsque j'ai vu ce modèle à travers tous les autres plutôt sobres, je n'ai pu résister. Et non seulement il est adorablement horrible, mais de taille beaucoup trop petite pour la stature imposante de Gadriel.

Ma victime grogne de protestation, mais lorsque j'éclate de rire, je crois l'entendre émettre un léger ricanement, ce qui réchauffe mon cœur.

— Allez, viens, me dit-il en acceptant son sort et en pressant ma main dans la sienne. Allons trouver ton fils.

Je hoche la tête, le sourire encore aux lèvres puis accepte de le suivre. L'adrénaline de cette nuit terrifiante se dilue peu à peu dans mes veines au contact de la main Gadriel qui enserre la mienne. Nos doigts entrelacés m'offrent une douce sensation de sécurité. Malgré tout, une grande de mon être ne sera pas apaisée tant que Mickaël ne sera pas dans mes bras.

Sans plus attendre, nous sortons de la petite construction circulaire pour nous retrouver à l'extérieur où la réalité me rattrape. Je ne suis plus sur Terre. Je suis dans une autre dimension complètement différente.

Une brise chaude aux notes de muguet caresse ma joue. Le ciel au-dessus de nos têtes est d'un rose saisissant. La même teinte exceptionnelle d'un coucher de soleil parfait saupoudré de lueurs orangées. Plus près de l'horizon, des tons de bleu marin se fondent dans le rose.

— C'est magnifique, murmuré-je.

Gadriel suit mon regard puis sourit.

— Tu t'imaginais un enfer en feu avec de la lave partout, avoue ?

Je glousse puis observe un peu plus les environs. Aucune trace de lave. Nous sommes entourées de petites huttes de forme conique semblables à celles où nous étions.

— C'est à cet endroit que mènent tous les portails, m'explique-t-il. Chaque construction est liée à une vingtaine de portails dans ta dimension.

— Combien y en a-t-il ?

— Des milliers.

J'ouvre la bouche, étonnée, ce qui fait apparaître un sourire sur les lèvres de Gadriel.

Nous marchons pendant plusieurs minutes en suivant une allée plus large à travers tous les portails quand soudain, Gadriel s'arrête brusquement.

Je lève un regard interrogateur vers lui, mais ses paupières sont fermées, son front plissé. Il reste un moment immobile puis, comme si la vie revenait en lui, il prend une grande inspiration.

— Enfin... murmure-t-il en relâchant son souffle et ses muscles tendus.

— Que se passe-t-il ?

Il reste silencieux devant ma question et mon cœur ne peut s'empêcher de s'affoler. Après toutes les péripéties de cette longue nuit, je reste sur mes gardes.

Je recule de quelques pas lorsqu'il lève lentement sa main gauche devant lui. Puis, contre toute attente, il claque des doigts.

En un clin d'œil, une lumière verte l'entoure et disparaît. J'écarquille les yeux lorsque je remarque qu'il ne porte plus son kimono rose bonbon. Il a plutôt laissé place à un torse nu et incroyablement sexy, un jean noir bas sur ses hanches et des chaussures de la même couleur.

Je suis tellement sous le choc que j'en oublie de refermer ma mâchoire béante.

Une lueur d'amusement vole dans ses yeux et il me pointe du menton. Un regard rapide sur ma personne me fait réaliser que j'ai aussi une nouvelle garde-robe. Un jean de la même couleur que le sien, un chandail rouge vin à manche courte glissé dans mon pantalon et une veste de cuir sans manches qui s'arrête juste au-dessus de mon nombril. Je prends un temps d'arrêt pour comprendre tout ceci.

— C'est ça les autres pouvoirs dont tu me parlais ? dis-je d'une voix un peu suraiguë.

— En partie.

— En partie ? répèté-je, incertaine.

Puis un fait indéniable me frappe. Je croise les bras sur ma poitrine et prends mon ton le plus accusateur possible :

— T'avais pas envie de les utiliser tout à l'heure lorsque j'étais nue ?

Ma remarque le fait rire, ce qui réchauffe ma poitrine. C'est si rare de l'entendre rire.

— Il y a toujours un délai, se défend-il. Plus on passe de temps dans ta dimension, plus nos pouvoirs mettent du temps à revenir. Je n'ai passé que quelques jours, mais une personne comme Asbeel, qui y passe des mois, doit attendre plus longtemps avant de les récupérer.

Même si j'ai un peu l'impression de m'être fait avoir, son explication me semble plausible.

— Reste ici, m'ordonne-t-il alors qu'il s'écarte de quelques mètres.

Il plante ses deux pieds au sol, à la largeur de ses épaules, serre ses poings au niveau de ses hanches puis ancre ses prunelles dans les miennes.

Et soudain, une chose à la fois magnifique et incroyable se produit : six majestueuses ailes noires se déploient sous mes yeux. Une à une.

D'environ deux mètres chacunes, elles ne sont pas recouvertes d'écailles ou de cuir déchiré comme dans les reproductions de démon. Elles sont plutôt tapissées de plumes noires qui brillent comme l'obsidienne à la lueur du soleil. Elle confère à Gadriel une allure irréelle, surnaturelle. L'image de la puissance même.

Ils sondent mon visage à la recherche d'une réaction de ma part, pourtant je suis trop bouleversée par sa beauté pour dire quoi que ce soit. Sans trop réfléchir, je franchis l'espace qui me sépare de l'une de ses ailes puis tend la main pour en apprécier la texture. Tout doucement, je glisse mes doigts à travers ses plumes qui s'avèrent aussi soyeuses qu'elles le promettaient.

— C'est magnifique, murmuré-je.

Je me reprends en ramenant mon attention vers son visage :

— Tu es magnifique.

Je crois déceler une lueur de soulagement dans ses yeux, comme s'il craignait m'effrayer en me dévoilant sa vraiment nature. Pourtant, c'est tout le contraire. Je le vois maintenant comme il est réellement. Un ange des ténèbres à la fois sombre et éblouissant.

— Approche, me dit-il son regard soudain plus trouble.

Hypnotisée par son regard insondable, j'obéis et avance de quelques pas. Mon souffle se coupe lorsque sa main droite agrippe ma veste et m'attire à lui. Mes paumes se plaquent sur son torse chaud et ferme. Un son rauque s'échappe de ma gorge alors que son odeur sucrée attise mes sens.

— Tu es prête ? murmure-t-il près de mon oreille.

— Prête pour quoi ? demandé-je en frémissant.

Sans me fournir la réponse, il s'accroupit légèrement, glisse un bras dans mon dos et l'autre sous mes jambes pour me soulever de terre. Ses grandes ailes prennent de l'ampleur et il plie ses genoux avant de se propulser en direction du ciel.

Lorsque je réalise que nous quittons le sol, je m'agrippe à son cou comme une demeurée. Mes jambes se débattent d'elle-même dans le vide et j'étouffe un cri dans ma gorge alors que ses puissantes ailes battent l'air afin de nous faire prendre de l'altitude.

— Cesse de gigoter, rigole-t-il tandis que mon corps agit sans mon consentement.

— T'aurais pu m'avertir !

— C'est ce que j'ai fait, je t'ai demandé si tu étais prête...

Ah, prête pour ça...

Je ferme les yeux et ordonne à mon cœur de se calmer en dirigeant mes pensées ailleurs. Je pense d'abord à Mickaël qui est la raison de ma présence ici. Je prends aussi conscience du vent qui souffle dans mes cheveux, de la chaleur qui se dégage de Gadriel, de son pouce qui caresse doucement ma hanche à travers le tissu de mon jean. Peu à peu, ma respiration et mon pouls reprennent un rythme normal, assez pour que j'ose ouvrir les yeux et découvrir le monde de Gadriel.

La première chose que j'aperçois sont les petites huttes qui renferment les portails. Elles sont minuscules, à peine des petits points noirs, ce qui me laisse croire que nous avons pris beaucoup d'altitude. J'en vois une centaine, sinon plus. À notre droite se dessine une forêt aux arbres dénudés de feuilles. Son allure lugubre correspond un peu à l'idée que j'avais de l'enfer. Pourtant cette végétation peu luxuriante est que la seule image qui s'y rapproche, car un long fleuve aux eaux limpides borde la forêt et serpente une plaine verdoyante délimitée par une chaîne de montagnes aux pics blancs qui disparaît à l'horizon. Un peu plus loin devant nous, j'aperçois un village, ou plutôt une bourgade, qui entoure un château majestueux. Celui de Disney n'est rien à comparer de ce palais digne des plus grands rois. Un long mur aux briques rouges ceinture celui-ci et le seul accès afin de le franchir est un portail de fer forgé haut de plusieurs mètres. À l'intérieur de l'enceinte, un long bâtiment d'au moins cinq étages est coiffé d'une multitude de toits noirs et pointus. Des fenêtres sont présentes sur toute la longueur du bâtiment et sur tous les étages et une tour plus haute que les autres se démarquent par son balcon qui l'enserre.

— Bienvenue à Shéol, m'annonce Gadriel alors que nous survolons les premières chaumières.

Quelques coups d'aile plus tard, Gadriel amorce une descente vers le château. Il atterrit tout en douceur à l'intérieur de l'enceinte où se trouvent deux escaliers de pierre qui mènent à une large porte de fer.

Mon regard quitte le décor pour se tourner vers Gadriel qui me tient toujours dans ses bras. Mes yeux percutent les siens. Je décèle un éclat étrange au fond de ses prunelles. Comme une lueur de tristesse que je ne serais expliquer.

— C'est ici que tu habites ? demandé-je pour faire fuir un inconfort qui balaie ma poitrine.

— Oui, répond-il en me déposant au sol et en s'écartant.

Je me détourne de lui et lève les yeux vers les immenses tours qui se dressent devant nous.

— Wouah !

Gadriel sourit puis claque des doigts une nouvelle fois pour faire apparaître un t-shirt noir sur sa personne. Je comprends au même moment que son habitude à ne pas en mettre n'est pas pour me rendre folle dingue, mais plutôt pour éviter que ses ailes soient entravées lorsqu'ils les déploient.

En silence, il me fait signe de le suivre et nous pénétrons à l'intérieur du château où un grand hall d'entrée nous accueille. D'une dimension comparable à une salle de bal, son plafond en forme de dôme lui confère une allure majestueuse. Un grand escalier trône au centre de la pièce et est couvert d'un tapis de couleur pourpre qui s'agence parfaitement avec la tapisserie brodée de fleur. Des demi-colonnes ioniques de couleur crème placée de façon régulière contre murs complètent le décor.

— Waouh ! m'exclamé-je encore une fois. Où est passé le château lugubre envahi par les toiles d'araignée de Belzébuth ?

Mon ton badin a pour effet de le faire sourire et comme à chaque fois, une petite étincelle de bonheur réchauffe mon cœur.

— Bonsoir, maître Gadriel, annonce une voix derrière nous.

Je me retourne et sursaute.

Un petit homme à tête de loup et aux jambes arquées nous regarde d'un air sérieux. Ses yeux sont complètement blancs et ses dents sont aussi pointues que les lames d'un rasoir.

Ce qui contraste avec l'habit de majordome dont il est accoutré.

— Bonsoir, Stuart, le salue Gadriel. Notre souverain est-il de retour ?

— Oui mon maître, il vous attend dans ses quartiers.

— Parfait, merci.

— Tout le plaisir est pour moi, maître.

L'homme-loup effectue une légère révérence puis ses yeux sans iris s'attardent un instant sur moi. Un frisson me parcourt, mais la main chaude et rassurante que Gadriel glisse dans mon dos l'interrompt aussitôt. Il m'invite d'une pression au creux de mes reins à le suivre jusqu'en haut des marches. Nous longeons ensuite un couloir interminable avant de nous arrêter devant une porte qu'il ouvre sans cogner.

La pièce dans laquelle nous pénétrons donne sur un grand cabinet de travail aux tons de vert forêt et de gris et au fond duquel un énorme bureau nous reçoit. Trois chaises, une derrière le meuble et deux devant s'y retrouvent. Lorsque je tourne la tête sur ma droite, ma poitrine se gonfle de bonheur. Mickaël est assis sur un long canapé de cuir en compagnie d'un homme que je reconnais immédiatement.

Des cheveux noirs impeccablement coiffés, des yeux marron de la même couleur que ceux de Mickaël. Un nez aquilin et une bouche gourmande. L'organe dans ma poitrine s'arrête alors que tous ces détails me ramènent quelques années plus tôt, dans ce bar sombre où cet homme m'a fait oublier, l'espace d'un moment, le poids de ma misérable vie.

— Maman ! s'exclame Mickaël qui saute sur ses pieds et s'élance vers moi.

Faisant fi de ces souvenirs chargés d'émotions, je m'accroupis et accueille mon trésor dans mes bras. J'inspire profondément pour m'imprégner de son odeur et pour chasser l'envie qui me taraude de pleurer.

— Mon ange. Tu m'as manqué.

Ma voix tremble lorsque je murmure ces mots dans ses cheveux.

Il s'écarte afin de sonder mon visage d'un air soucieux.

— Tout va bien, maman. Je n'ai rien.

Effectivement, je ne constate aucune blessure sur son petit corps et entre lui et moi, il semble celui le moins affecté par cette horrible nuit.

Je hoche la tête puis chasse une larme qui menace de tomber.

Il me sourit puis balaie la pièce à l'aide de sa petite main.

— Tu as vu comme c'est beau chez papa ? C'est beaucoup plus grand que chez nous !

Chez papa...

Mon cœur se crispe, incapable d'accepter cette idée. Incapable d'envisager la possibilité de partager mon fils avec quiconque.

— C'est aussi chez toi maintenant, tu sais, annonce l'homme qui s'est levé et approché de nous.

Mon sang se glace dans mes veines. Comment ose-t-il affirmer ceci sans m'en parler ?

— Oh, c'est vrai ? s'exclame mon fils !

Son regard excité passe de l'homme à moi.

— C'est vrai, maman ? Est-ce que nous allons vivre ici ? Est-ce que papa et toi allez vivre ensemble maintenant ?

J'entends Gadriel émettre un son grave derrière moi, ce qui attire tout de suite mon attention.

— Je vais vous laisser, annonce-t-il d'une voix sombre.

Il évite mon regard et tourne les talons.

— Attends ! le rappelé-je.

Il s'arrête, mais reste tourné vers la porte.

— Je peux te confier Mickaël ? J'aimerai discuter un instant avec... avec...

— Satanaël, se présente l'homme à qui j'ai donné mon corps il y a de cela si longtemps.

Il tend la main, mais je l'ignore tandis que Gadriel pivote et revient vers Mickaël sans un regard dans ma direction.

— Viens, petit homme, dit-il en tendant une main vers mon fils. Je suis certain que tu aimerais voir ta chambre.

Puis il ajoute en appuyant bien ses mots :

— Pour cette nuit.

Son attention à ne pas présumer à ma place comme l'a fait son souverain me touche beaucoup.

Mickaël sourit de toutes ses dents à Gadriel et accepte de le suivre. Lorsque la porte se referme derrière eux, je prends une grande inspiration afin de trouver le courage d'affronter mon passé. Et la conversation à venir. 

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