Chapitre 31: Le portail
Gadriel
Le cri d'Émilie à travers la porte me transperce le cœur. Je viens de foutre en l'air la petite vie tranquille qu'elle a forgée pour son fils. Elle ne verra plus jamais son univers de la même manière ni son fils d'ailleurs.
Mes pieds me guident vers cette porte qu'elle a refermée entre nous comme une barrière qui la protège de la vérité. Je comprends son besoin d'être seul, de digérer tout ça. J'ai moi-même de la difficulté à le croire. Et pourtant...
Après quelques minutes, l'inquiétude me ronge. Je cogne doucement à la porte.
— Émilie, est-ce que ça va ?
Le silence me répond. Puis des pas s'approchent de l'autre côté. La porte s'entrouvre pour laisser place au visage livide d'Émilie. Je remarque son téléphone ouvert dans sa main droite tendue devant elle et j'entrevois sur l'écran la raison de son cri.
— Le père de ton fils n'est pas aussi sanguinaire que les écrits le laissent croire, murmuré-je, espérant ainsi la rassurer.
Elle ne dit rien et retourne à son écran. Je soupire, m'approche d'elle et lui prends le téléphone des mains.
— Je peux te parler de lui, tu n'as pas besoin de lire toutes ces conneries.
Son regard est si vide de vie que quelque chose à l'intérieur de moi se brise. Je laisse tomber toutes mes barrières et l'attire à moi. Son visage s'enfouit dans mon chandail alors que mes bras l'enserrent. Son corps reste inanimé un long moment. Puis, très lentement, il reprend vie. Ses bras entourent ma taille et elle répond à son tour à mon étreinte.
Nous restons un moment enlacés à s'échanger en silence toutes les émotions qui nous submergent. Je sens sa tristesse. Je sens sa peur que je partage. Car moi aussi, je suis effrayé. Effrayé par ce lien qui s'est inévitablement créé entre nous et qui devra bientôt se rompre. Elle est la mère du prince de Shéol. Et si mon souverain la revendique comme épouse, elle deviendra sa reine. Les sentiments qu'elle fait naître en moi devront s'éteindre en même temps que son couronnement.
J'inspire longuement afin de m'imprégner de son odeur, de sa chaleur qui fait battre mon cœur trop longtemps endormi.
Puis, malgré moi, sachant que le temps joue contre nous, je m'écarte. D'un geste tendre, je glisse sa mèche décolorée derrière son oreille et glisse mon index sous son menton afin qu'elle relève son visage. J'ai besoin qu'elle m'écoute attentivement. Le contact avec sa peau débute ma guérison, accélère les battements de mon cœur, mais je tente d'en faire abstraction.
— Ton fils est en sécurité. Et nous pouvons aller le rejoindre, murmuré-je.
Une lueur s'allume dans son regard. L'espoir.
— Vraiment ? souffle-t-elle.
— Oui, mais nous devons partir immédiatement.
— Pour Shéol ?
Je hoche la tête.
— Nous prendrons un portail qui ouvre dans une heure. Et ne t'inquiète pas. Mickaël est toujours le même. Il est toujours ton fils et le restera à jamais, peu importe sa nature ou ses origines.
Un faible sourire éclaire son joli visage. Malgré ses yeux bouffis et son manque de sommeil évident, elle reste encore la plus belle femme que j'ai jamais vue.
— Je crois que c'est le discours le plus long que tu n'as jamais prononcé en cinq jours.
Je lui renvoie son sourire en même temps que le soulagement envahit mon cœur. Son humour est revenu et c'est bon signe. J'admire son courage et sa façon de garder le moral. Si elle s'effondre, ce n'est toujours qu'un moment, avant de retrouver espoir et foncer vers l'avant.
Mon pouce caresse tout naturellement sa joue et l'envie de l'embrasser me submerge. Mes yeux dérivent vers ses lèvres si délicieusement imparfaites.
Un baiser... un seul baiser.
Je déglutis. Ma raison m'empêche de franchir ce pas. Si j'abdique, jamais je n'arriverai à la laisser partir dans les bras d'un autre.
Je l'amène à moi à nouveau afin de la sentir encore contre mon cœur. J'inspire une dernière fois son parfum puis l'écarte de moi à regret.
— Nous devons partir, annoncé-je.
Elle hoche la tête faiblement et ramasse son sac à dos sur le lit. Je la stoppe lorsqu'elle s'apprête à sortir.
— Tu devrais peut-être appeler Julie pour lui dire que tu seras absente quelques jours.
— Euh... oui, d'accord.
Je lui rends son téléphone sur lequel elle pianote un long message.
— Je lui ai dit que je devais m'occuper de ma mère, m'explique-t-elle lorsqu'elle range son portable dans la poche de son manteau. J'ai aussi averti Miranda.
— Bonne idée.
Nous sortons à l'extérieur où ma moto est stationnée. Le froid est mordant en cette nuit de novembre et je me maudis encore une fois d'avoir demandé une moto à Asbeel plutôt qu'une voiture. Jamais je n'aurais cru qu'il pouvait faire aussi froid dans cette région, même en automne.
J'offre à Émilie l'un des deux casques qu'elle installe sur sa tête.
— Tu as déjà fait de la moto, m'assuré-je.
— Oui, ma première fréquentation en avait une. Un enfoiré qui avait une quinzaine d'années de plus que moi.
— Quel âge avais-tu ?
— Quatorze ans.
Sous mon regard surpris, elle hausse les épaules de manière désinvolte.
— Je cherchais l'affection où je pouvais en trouver à cette époque.
Mes yeux s'égarent un instant tandis que ma mâchoire se contracte. Pendant que j'enfonce mon casque sur ma tête, je note mentalement de m'informer davantage plus tard sur ce petit copain à la con. Un autre dossier à confier à Asbeel...
J'enfourche ma moto puis Émilie s'installe derrière moi. Elle pose sagement ses mains sur mes hanches. Je les agrippe et l'amène plutôt à passer ses bras autour de ma taille.
— Tu peux te coller un peu plus à moi, expliqué-je. Tu risques d'avoir froid.
Je l'entends sourire alors qu'elle se plaque contre moi. Une chaleur agréable qui n'a rien à voir avec celle que l'on partage se déverse dans mon ventre. Je ferme les yeux un moment puis inspire avant de prendre mon téléphone.
Une fois les coordonnées qu'Asbeel m'a fournies entrées dans mon téléphone, je démarre la moto. Il ne nous reste plus qu'une heure avant l'ouverture du portail et le rater signifierait plus de douleur pour Émilie, car je suis persuadé qu'elle ne trouvera ni le sommeil ni la paix tant qu'elle ne pourra pas tenir Mickaël dans ses bras.
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