Chapitre 30: l'attente
Émilie
Ça fait bientôt une heure que nous roulons sur l'autoroute 20 en direction Montréal. J'ignore quels sont les plans d'Asbeel, mais plus la route défile devant nous, plus le nœud dans mon ventre se resserre. Comment Mickaël arrivera-t-il à me retrouver ? Est-il en sécurité ? Est-ce que Gadriel est avec lui ?
L'image de l'horrible bête qui m'a attaquée me hante. Je revois la chambre de Mickaël dévastée par le feu, le corps carbonisé au pied de son lit. Mon fils est-il encore vivant ? Est-il blessé ?
Asbeel reste muet à mes côtés, concentré sur la route. Je n'ose lui poser toutes ces questions, de peur d'en connaître les réponses. Alors que nous croisons la sortie à la hauteur de Saint-Eugène, le téléphone d'Asbeel se met à sonner. Les battements de mon cœur accélèrent et la boule dans mon œsophage enfle de plus belle.
— Oui, répond Asbeel avec son mains libres.
— Le petit est en sécurité, balance aussitôt Gadriel à l'autre bout du fil. Émilie est avec toi ?
Un sanglot s'échappe de ma gorge et la tension que je retenais à l'intérieur se déverse dans un torrent de larmes. Je tente de répondre à Gadriel, mais ma voix reste coincée, incapable de contrôler les soubresauts de mon corps.
— Elle va bien, répond doucement Asbeel à ma place. Elle reprend vie...
Le silence lourd de Gadriel à l'autre bout du fil signifie qu'il m'entend pleurer et je tente avec peine de contenir les émotions qui se déversent hors de moi.
Mickaël est en vie, Mickaël va bien. Il est avec Gadriel. Tout va bien aller.
— Je..., commence Gadriel.
Puis je l'entends s'éclaircir la voix.
— Arrête-toi dans un hôtel, Asbeel. Je vous rejoins dès que possible. Arrange-toi pour nous trouver un portail qui s'ouvre dans les prochaines heures.
— Parfait, va prendre la 20 en direction de Montréal. Je sors de l'autoroute et te texte l'adresse dès que nous trouvons un endroit où nous poser.
— Merci, Asbeel, souffle Gadriel.
— De rien, mon ami.
Une vingtaine de minutes plus tard, Asbeel arrête la voiture dans un motel d'Acton Vale.
J'assèche les dernières larmes sur mon visage et sors de l'auto avec lui. Nous réveillons le propriétaire du motel qui nous conduit à une chambre au bout d'un bâtiment blanc fait en long. Celui-ci date d'une autre époque, mais le propriétaire a manifestement fait des efforts pour rendre la chambre qu'il nous propose la plus confortable possible. Les édredons jaunes des lits s'accordent avec la couleur des murs. Il fait froid, mais l'homme monte le thermostat juste avant de nous laisser les clés et nous souhaiter bonne nuit.
Lorsque la porte se referme derrière lui, le silence s'empare des lieux. Je me sens démunie. J'ignore quoi faire. En fait oui, je sais quoi faire. Je dois attendre. Attendre que Gadriel vienne nous rejoindre avec mon fils.
Je m'assois sur le lit et observe le cadran numérique au chiffre rouge. Une heure trente du matin. Je devrais avoir sommeil, mais le sentiment d'angoisse dans ma poitrine me garde réveillé.
Asbeel s'active autour de moi. Il ferme les rideaux, fait le tour de la chambre à quelques reprises puis sort son téléphone. Il pianote l'adresse à Gadriel qui doit être en chemin.
Les minutes passent à une lenteur démesurée. Asbeel sort à quelques reprises pour passer des coups de fil. J'imagine qu'il ne veut pas que j'entende.
Je finis par m'étendre sur le côté, directement sur l'édredon, mes genoux repliés contre ma poitrine, mes mains jointes sous ma joue. Je fixe le cadran devant moi en calculant la distance parcourue et le temps que Gadriel prendra à nous rejoindre.
Bientôt...bientôt je tiendrai à nouveau Mickaël dans mes bras.
***
Des chuchotements me sortent d'un sommeil involontaire. Je mets quelques secondes à me rappeler où je suis. Quelqu'un a éteint la lumière et je distingue deux silhouettes près de la porte.
— Le prochain portail le plus proche est à Sherbrooke, à environ cinquante minutes d'ici.
Je reconnais la voix d'Asbeel et la deuxième silhouette à la fois imposante et rassurante.
Gadriel.
— À quelle heure ?
— À 5 h 45, un peu avant le lever du soleil.
— D'accord, il nous reste encore un peu de temps.
J'écoute leur conversation, incertaine de comprendre. C'est la deuxième fois qu'ils mentionnent un portail.
Soudain, une évidence me frappe. Je me redresse d'un seul coup. Les deux silhouettes se tournent vers moi.
— Où est Mickaël ? crié-je d'une voix paniquée.
Gadriel échange un regard avec Asbeel et ce dernier quitte la chambre en silence. La grande silhouette du déchu s'approche de moi et s'assit sur le lit voisin. Le sommier émet un craquement de protestation sous son poids. Je me retourne afin de lui faire face et allume la lampe de chevet afin de mieux voir son visage. Ses traits sont graves, son regard indéchiffrable, mais l'état dans lequel il se trouve est ce qui me frappe le plus. Sa peau est boursouflée à plusieurs endroits sur son visage et dans son cou. Ses bras sont couverts de lambeaux de chair calcinée. Mon cœur se contracte. Que lui est-il arrivé ? Où est Mickaël ? Pourquoi n'est-il pas avec lui ? J'ouvre la bouche pour le questionner, mais la boule dans ma gorge m'empêche de parler.
— Mickaël est en sécurité, m'annonce-t-il, lisant dans mes pensées.
— Où est-il ?!
— Avec son père.
Mon cœur bondit. Son père ? Comment est-ce possible ?
— L'homme que tu as rencontré il y a quelques années, celui avec qui tu as... tu as conçu Mickaël...
Sa voix est hésitante. Il cherche ses mots alors qu'un soupçon de tristesse voile son regard.
— Cet homme est Satanaël, continue-t-il.
— Satanaël ton souverain ? murmuré-je.
Il hoche la tête, le regard sombre.
— L'aura qui t'entoure actuellement est la même que j'ai détectée il y a quelques jours. Elle a la même signature que celle de Stan, à quelques variations près. C'est pour cette raison que je n'ai pas tout de suite compris.
— Je... je ne comprends pas.
— Cette aura qui t'entoure, c'est celle de ton fils. Il a sans doute utilisé ses pouvoirs sur toi.
— Ses pouvoirs ?
Ma respiration s'accélère. Tout ceci ne fait aucun sens. Le père de mon fils est un déchu ? Mon fils a des pouvoirs ?
— Afin de garder le contrôle sur les autres déchus, Satanaël est le seul à avoir accès à sa magie dans cette dimension. Du moins, c'est ce que je croyais. Il semble que son fils... votre fils...
Gadriel déglutit, puis reprend :
— Il semble que votre fils en soit capable également.
Mes oreilles entendent les paroles de Gadriel et pourtant mon cerveau ne semble pas capable de les comprendre. Comment est-ce possible ?
Puis soudain, l'inquiétude me ronge.
— Et où sont-ils ? Où et Mickaël et... et...
— Ils sont à Shéol, dans l'autre dimension.
Cette annonce est la goutte qui fait déborder mon vase. Mon cœur s'affole dans ma poitrine et je saute du lit. Ne sachant plus comment gérer le sang qui afflue à toute vitesse dans mes veines et le bourdonnement dans mes oreilles, je fais plusieurs aller-retour dans la petite chambre en essayant de calmer mon hyperventilation. À défaut de réussir, je file dans la salle de bain et verrouille la porte derrière moi comme pour créer une barrière entre moi et cette autre réalité.
J'inspire et m'appuie sur la vanité. Le miroir devant moi me renvoie l'image d'une autre personne. Mes pupilles sont dilatées, mes paupières ont doublé de volume après avoir tant pleuré et mes cernes sont encore plus profonde que d'habitude.
J'ouvre le robinet et me passe un peu d'eau sur le visage et le cou en recensant ces nouvelles informations dans ma tête. Mon fils a des pouvoirs. Son père est un dénommé Satanaël, un ange déchu comme Gadriel, roi d'une autre dimension par-dessus le marché !
Il ne me reste plus qu'à faire la même chose que lorsque j'ai découvert pour Gadriel. Je sors mon téléphone de mon manteau, que je n'ai même pas pris la peine d'enlever, et m'assieds sur le bord de la baignoire. Je pianote le nom du supposé père de mon fils dans le moteur de recherche.
Et je regrette aussitôt.
« Ange déchu, chef des Grigoris, Satanaël est plus souvent connu sous le nom de Satan. »
— Non ! Non non non non non !
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