Chapitre 3: Le stalker

Émilie

Les rayons de soleil qui percent à travers mes rideaux me réveillent quelques minutes avant l'heure. Un regard rapide par la fenêtre près de mon lit m'informe que la journée sera belle et plus douce que la veille. Les couleurs chaudes des arbres qui revêtent encore leurs habits d'automne se reflètent sur les murs de ma chambre et m'enveloppent d'un cocon réconfortant. Le remède idéal pour me faire oublier mes mésaventures de la veille.

Hier soir, avant d'arriver à mon appartement, j'ai fait plusieurs détours pour m'assurer que Terminator ne me suivait pas. Je suis rentrée chez nous et j'ai verrouillé ma porte à double tour. À l'heure qu'il était, le silence régnait en maître dans l'appartement. Ma colocataire et Michaël devaient déjà dormir depuis longtemps. J'ai pris tout de même le temps de jeter un coup d'œil dans leur chambre respective : Julie, ma coloc, dormait sur le dos, la bouche entrouverte, un livre à cheval entre son menton et sa poitrine, signe qu'elle s'était encore endormie en lisant une romance fantastique quelconque. Julie est une vraie fan de dragon, de magie et de surnaturel. Ce petit côté geek m'a tout de suite plu chez elle.

Étudiante en art et lettre au cégep du coin, elle s'installait souvent au restaurant pour faire ses travaux en compagnie d'un bon café. Inévitablement, à force de lui proposer un refill de café, un lien d'amitié s'est créé entre nous. Quelques mois plus tard, son copain — un véritable enfoiré — l'avait foutue à la porte de son appartement et elle n'avait plus d'endroit où rester. J'ai sauté sur l'occasion : elle avait besoin d'une chambre, j'avais besoin de quelqu'un de confiance pour s'occuper de mon plus grand trésor. Chacun y trouvait son compte. Deux heures plus tard, elle se retrouvait dans mon appartement avec ses valises.

Une fois rassuré sur l'état de ma coloc et amie, je me suis ensuite dirigé vers la seconde chambre : celle de Michaël, mon petit garçon de six ans. Couché sur le dos, ses petits bras levés au-dessus de sa tête, il dormait profondément. Une vague de soulagement et d'amour m'a tout de suite envahie devant son petit visage rond et sans défense. Comme à chaque fois que je rentre tard du travail, je me suis assise sur son lit et j'ai remonté ses couvertures qui avaient glissé dans son sommeil. Une mèche de ses ébènes, de la même couleur que ceux de son père, recouvrait son front et je l'ai glissée derrière son oreille avant de déposer un baiser sur sa joue.

— Je t'aime, ai-je chuchoté, comme à chaque fois.

Je suis restée quelques instants à admirer ce petit être qui a complètement bouleversé ma vie, il y a de cela quelques années. J'avais vingt ans, j'étais jeune, insouciante et je cherchais à tout prix à me faire remarquer. Sans doute pour combler un manque d'amour que je n'ai jamais reçu de la part de ma mère et encore moins de mon père qui a levé les voiles avant mes premiers cris de nourrisson. Il a suffi que d'une sortie dans un bar, quelques verres d'alcool en trop et un inconnu séduisant aux cheveux noirs, au sourire éclatant et aux yeux marron pour que ma vie bascule. Quatre semaines après une des nuits les plus torrides de ma vie, un test de grossesse m'indiquait que ma vie allait changer à jamais.

J'ai alors fait ce que je croyais être le mieux pour ce petit être innocent qui grandissait dans mon ventre : j'ai fui. J'ai fui ma mère qui n'était que l'ombre d'elle-même. J'ai fui mon beau-père de l'époque qui battait régulièrement ma mère et j'ai débarqué dans cette ville sans histoire dans l'espoir d'élever mon enfant du mieux que je pouvais. Je crois que je n'ai pas trop mal réussi. Du moins, je l'espère. Si je compare avec l'enfance que j'ai eue, c'était difficile de faire pire.

Une fois assuré que tout le monde allait bien et dormait paisiblement, j'ai sauté dans la douche. Même si ce salopard n'avait pas eu le temps d'arriver à ses fins, je me sentais sale. Souillée. L'eau chaude, presque brulante, arrivait à peine à enlever les traces de ses doigts dans ma chair.

Une bonne demi-heure de décapage plus tard, je me suis glissée sous les couvertures. Néanmoins, le sommeil n'est pas venu avant un bon moment. L'adrénaline affluait encore dans mes veines et pour être honnête, les paroles de l'inconnu roulaient en boucle dans ma tête.

En fait, elles résonnent encore dans mon esprit ce matin.

« Tu es en danger et je peux te protéger »

C'est ridicule, je sais. Ces paroles n'ont aucun sens. En danger, en danger de quoi ? Tout le monde était en danger ! Personne n'était à l'abri de rien. Et la protéger de qui ? Sans conteste, cet homme était directement sorti de l'asile psychiatrique. Ou peut-être pas. Peut-être était-il réellement un terminator venu me protéger ?

Non, arrête Émilie, tu délires complètement.

Je secoue la tête. Je dois oublier les images d'hier soir et surtout les paroles de cet homme. De toute façon, tout ça, c'est du passé. C'était hier et aujourd'hui, c'est aujourd'hui.

Je regarde le cadran près de mon lit : 6 h 45.

Merde ! Je dois me lever avant que Michaël ne se réveille.

J'enclenche donc la routine du matin : je mets en marche la machine à café, saute encore une fois dans la douche, mais pour me réveiller cette fois-ci. Je m'habille d'un jean et d'un t-shirt de Spiderman noir puis sèche mes cheveux bruns et dru coupés au carré à la hauteur de mes épaules. En croisant mon regard dans le miroir, je réalise que mes yeux gris sont cernés, dû à la courte nuit d'insomnie. Je fais une moue boudeuse, me maquille légèrement puis comme à mon habitude je glisse derrière mon oreille la petite mèche blanche qui part de ma tempe et jure à travers mes cheveux. Voilà, c'est déjà mieux.

Maintenant prête, je reviens dans la cuisine et entame la préparation du petit déjeuner. Sans grande surprise, mon fils Michaël s'est levé pendant mon passage sous la douche et est déjà scotché à l'écran de télévision devant un de ses sempiternels films d'animation. Cette fois-ci, il semble avoir jeté son dévolu sur Mulan, l'un de mes préférés. J'aime bien que pour une fois, ce soit la fille qui botte des culs et non le prince charmant. Rafraichissant et plus réaliste. Ça ne sert à rien d'attendre qu'un homme nous sauve, il faut d'abord se sauver soi-même. Quoiqu'hier, j'avoue que j'étais mal barrée pour me débarrasser de mes agresseurs avant que Monsieur Nu ne vienne me filer un coup de main.

Soudain, l'image de son corps musclé et sa peau d'albâtre s'impose à moi. Une chaleur s'installe sur mes joues et je secoue la tête pour faire disparaître cette vision.

Ce n'était qu'un pauvre fou. Un pauvre fou aux allures d'un dieu grec, mais un pauvre fou quand même.

Tout en tentant de me raisonner, je prépare deux tartines au beurre d'arachides, des quartiers de pomme et un peu de fromage que j'assemble dans deux assiettes puis dépose mon œuvre d'art sur la table.

Un coup d'œil sur l'horloge du salon m'indique que nous sommes un peu en avance sur l'horaire alors j'en profite pour m'asseoir dans le canapé à côté de Michaël.

— Bonjour, mon ange. Tu as bien dormi ? le salué-je avant de l'attirer contre moi et déposer un bisou sonore sur sa petite joue potelée.

Il glousse puis détourne ses yeux marron de la télévision quelques secondes pour m'offrir l'un de ses plus beaux sourires. Ses deux palettes du devant sont tombées il y a quelques jours, ce qui lui donne un air encore plus coquin qu'à l'habitude.

— Oui ! Julie a mis mon doudou dans la sécheuse avant le dodo. J'ai eu chaud chaud chaud ! me répond-il, ses petits yeux brillants.

Je souris. Puis le presse un peu plus contre moi alors qu'il retourne son attention sur l'écran de télévision. Je peux difficilement croire la chance que j'ai eue en tombant sur Julie. En échange d'un toit et un loyer réduit, elle a tout de suite accepté de faire la nounou les soirs où je dois travailler. Les quarts du soir sont les plus payants au restaurant en matière de pourboire. C'est une plus-value pour une mère monoparentale qui doit payer toutes les factures à la fin du mois. Surtout lorsqu'on a une nounou gratuite et aussi géniale que Julie pour s'occuper de mon petit garçon. Et puis ça me permet d'avoir mes weekends pour être avec lui le plus possible et la tête loin de toutes préoccupations financières. Du moins, la plupart du temps.

Je reste encore quelques minutes collée contre son petit corps chaud puis nous fermons la télévision afin de déjeuner ensemble. Après une discussion très enrichissante sur l'importance de la couleur de Flash McQueen dans les bagnoles et ses roues super performantes, je presse mon petit bonhomme afin qu'il termine son petit-déjeuner et s'habille. Une dizaine de minutes plus tard, il enfile son manteau d'automne, ses petites bottes jaunes de pluie Star Wars et son sac à dos Minecraft. On peut dire qu'il est un peu éparpillé dans ses passions, mais en même temps la pomme n'est pas tombée très loin de l'arbre. Avec une mère et une nounou geek, il ne peut faire autrement qu'aimer tout ce qui touche l'imaginaire.

Tout comme mon fils, j'attrape mon manteau et je sors de l'appartement afin d'aller attendre l'autobus avec lui. Une fois à l'extérieur de mon immeuble, je ne peux m'empêcher de jeter des regards autour de moi, à la recherche d'un indice qui me rappellerait mon aventure d'hier. Je ne vois aucun homme nu. Ni agresseur. Seulement un soleil éclatant, presque aveuglant et deux autres amis de mon fils qui patientent au bout de la rue. Michaël me fait un rapide câlin au niveau des jambes puis va rejoindre ses amis. Je reste devant l'immeuble comme une vraie mère poule jusqu'à ce qu'il monte dans son transport. Parfois, je n'arrive pas à croire la vitesse à laquelle il grandit.

Un léger frisson parcourt soudain ma nuque. Je me retourne aussitôt, m'attendant à voir l'homme d'hier soir derrière moi.

Tout ce que je vois c'est un écureuil qui s'éclipse à l'arrière de mon immeuble.

Tu t'attendais à quoi ?

Je secoue la tête puis retourne à l'intérieur. Il faut que j'arrête d'y penser et que je fasse quelques corvées avant mon shift d'aujourd'hui.

***

Comme chaque jeudi midi, le restaurant est bondé et bruyant. En passant par les travailleurs qui se permettent un petit dîner au restaurant la fin de semaine, aux clients réguliers à la retraite qui n'ont rien d'autre à faire que siroter un café le jeudi après-midi, le travail ne manque pas. C'est à peine si j'ai le temps de souffler. Vers 14h00 mes tables se vident peu à peu et je prends quelques instants dans la cuisine pour avaler un sandwich que m'a préparé Antoine, le cuisinier.

Miranda, ma patronne, entre dans l'endroit alors que je finis de mâcher ma dernière bouchée.

— J'ai installé un client à la table quatre. Si tu peux t'en charger, ça serait sympa. J'ai un groupe sur la six et de la comptabilité à faire.

J'hoche la tête puis avale ma bouchée avant de retourner dans la salle à manger.

Une fois les portes battantes franchies, mon corps se fige en même temps que mon cœur.

À quelques mètres devant moi, je l'aperçois : mon sauveur d'hier soir est assis à la table que Miranda vient de m'attitrer.

Eh merde !

Un coup d'œil rapide me permet de constater qu'il porte encore la même chemise à carreaux et le même jean défraîchi qu'il a piqué à mon assaillant d'hier. Ses cheveux blonds qui lui arrivent aux épaules sont emmêlés, comme s'il sortait du lit. Le regard tourné vers la fenêtre juste à côté de lui, il passe ses mains dans sa tignasse puis se masse les tempes.

— Émilie, tu te pousses, oui ? ronchonne Miranda derrière moi.

Je sursaute puis me retourne. Ma collègue a les bras chargés d'assiettes contenant des frites et des hamburgers.

— Oh oui, désolée, marmonné-je en m'écartant du chemin.

Je retourne mon attention sur l'inconnu et ma poitrine se crispe lorsque je croise son regard qui me transperce.

Il reste là, à m'observer.

Sans bouger.

Comme s'il attendait quelque chose de moi.

Mais qu'est-ce qu'il fout ici ?

J'aperçois du coin de l'œil Miranda qui revient vers moi et réalise qu'elle a eu le temps de servir ses clients et retourner vers la cuisine alors que je reste plantée là à écouter mon cœur jouer la samba dans ma poitrine. Les sourcils de ma collègue se froncent d'inquiétude devant mon visage sans doute encore plus blanc que d'habitude.

— Ça va, Émilie ?

Comment répondre à ça ?

« Non, y'a un dieu grec, que j'ai vu nu, soit dit en passant, qui me suit depuis hier. »

J'opte pour le mensonge.

— Oui oui. J'ai juste de la difficulté à digérer.

— D'accord, ne tarde pas trop à aller voir le client de la quatre, ça fait un bout de temps qu'il est là.

— Oui, j'y vais tout de suite.

Miranda hoche la tête puis continue son chemin vers la cuisine pendant que moi, je prends une grande inspiration et franchit les quelques pas qui me séparent de l'inconnu.

Qui me scrute toujours, évidemment.

Sans même un bonjour, je me plante devant lui et sors le calepin accroché à ma ceinture.

— Ta commande ? lancé-je un peu trop brusque.

Si brusque que je mords ma lèvre de regret.

Son sourcil gauche se soulève de quelques centimètres puis il tourne son attention vers le menu plastifié qui traine sur la table.

Un léger grognement sort sa bouche puis sa main droite se porte à sa barbe naissante pour la gratter.

Un long moment. Non. Une éternité semble s'écouler.

Puis alors que j'envisageais de m'éclipser, il soulève son bassin et glisse ses mains dans les poches arrière de son pantalon. Il en retire une poignée de change qu'il laisse tomber sur la table.

— Je peux avoir quoi avec ça ? demande-t-il de sa voix grave.

Ses yeux perçants reviennent me percuter.

J'ouvre la bouche, puis la referme.

Non, mais c'est quoi ça ? Qu'est-ce qu'il fait ici s'il n'a pas de quoi se payer un repas ? Parce que je ne suis pas dupe ! L'argent qu'il vient de lancer sur la table et celle du type d'hier soir.

— Un café, mais rien d'autre, finis-je par répondre d'un ton sec.

— Un café alors.

— D'accord, dis-je en tournant les talons sans prendre le temps d'écrire sa commande.

Plus vite je m'éloigne de lui, mieux c'est.

— Et ton téléphone, rajoute-t-il dans mon dos.

J'arrête mon mouvement. Inspire un grand coup puis me retourne vers lui.

— Oublie ça, répliqué-je. Je t'ai déjà remercié hier, je ne te dois plus rien.

Son visage reste de marbre malgré mon ton acerbe. C'est encore pire que s'il avait argumenté ou s'était emporté. Il me fait sentir comme une merde de lui parler ainsi.

— T'as qu'à aller à la caisse là-bas, marmonné-je en pointant le comptoir à l'entrée. Il y a un téléphone juste à côté.

Un demi-sourire se dessine sur ses lèvres, à la limite de l'arrogance. Sans même attendre que je m'écarte, il se lève de la banquette défraichie. Son torse frôle ma poitrine et son visage s'arrête à quelques centimètres du mien.Terrifiée je n'ose le regarder et mes yeux s'arrêtent à la hauteur de ses lèvres. Des lèvres pleines aussi parfaites que le souvenir que j'ai de son corps. Un long frisson parcourt mon épiderme. Lorsque je parviens enfin à lever les yeux et croiser son regard, mon cœur se contracte dans ma poitrine. Ses iris que je croyais hier soir couleur lavande, sont d'un bleu saisissant. Mon souffle se coupe, mes joues s'échauffent. Dans mes veines coule un mélange explosif de peur et de désir. L'espace d'un instant, je ne suis plus maître de mon corps. 

Néanmoins, l'odeur de sueur et de crasse qui émanent de ses vêtements percute mes narines et me ramène aussitôt sur Terre. Elle me rappelle mes mésaventures d'hier. Je fronce du nez alors que la nausée s'empare de moi. D'instinct, je recule de quelques pas vers l'arrière.

Ma réaction ne lui échappe pas et un grognement d'agacement s'échappe de sa gorge alors qu'il s'éloigne de moi et s'empare du téléphone près du comptoir.

Je reste quelques secondes sans bouger à me concentrer sur ma respiration afin d'éviter de vomir sur le plancher élimé du restaurant. Voir une serveuse dégobiller son dîner en pleine salle à manger égal le meilleur moyen pour couper l'appétit de n'importe quel client. Après quelques respirations, je sens que mon estomac reprend sa place et je retourne à la cuisine où je m'empare d'un grand verre d'eau. Tout en reprenant mes esprits, j'essaie de comprendre ce qu'il fait ici. Est-ce que qu'il me suit depuis hier ? Sait-il où j'habite ? Et surtout : qu'est-ce qu'il me veut ?

— Émilie, la commande de la six est prête, me lance Antoine.

Je me tourne vers lui puis lui fais un signe de la tête que j'ai compris. Je prends encore quelques gorgées afin de retrouver mon calme. J'ai conscience que mon hamster mental tourne beaucoup trop vite. Je ne m'en fais sans doute pour rien. Il n'a posé aucun geste violent envers moi et il m'a sauvé d'une situation plutôt délicate. Jamais il n'oserait s'en prendre à moi en plein milieu d'un restaurant et s'il le faut, je demanderais à Oliver de me raccompagner chez moi à la fin de mon quart de travail.

Bien décidé à ne plus m'en faire avec la présence de cet inconnu, j'attrape les assiettes de la six puis retourne dans la salle à manger. Une fois les clients servis, je retourne aux cuisines et prépare un café que j'apporte à l'inconnu.

— Merci, me dit-il lorsque je dépose la tasse sur la table.

Je force un sourire sur mon visage puis plante devant ses yeux un panier d'osier :

— Tu veux du lait ou de la crème ?

Son sourcil gauche se soulève encore une fois puis son regard s'attarde un moment sur le contenu de mon panier.

— Je peux prendre les deux ?

— Euh... oui si tu veux.

Je crois voir une légère lueur de bonheur éclairer son regard puis il plonge avec ses deux mains dans le panier pour en ressortir avec une poignée d'une dizaine de petits contenants de crème et de lait.

Je reste d'abord bouche bée puis je réprime une envie de rire tant il semble soulagé de pouvoir en prendre plusieurs. Peut-être a-t-il l'intention d'enfiler les cafés ? Je n'ose pas lui demander et puis de toute façon, je dois me remettre au boulot et préparer mon coin travail pour l'heure de pointe du souper.

À mon grand désarroi, l'inconnu ne semble pas pressé de quitter le restaurant. Il boit son premier café assez rapidement et lorsque je viens lui proposer de le remplir à nouveau, il accepte sans hésiter. Pendant que je m'occupe des autres clients, je ne peux m'empêcher de jeter des regards dans sa direction. Je le surprends à quelques reprises à siroter un petit contenant de crème et à manger du sucre directement des sachets. Miranda vient même me voir en cuisine pour me dire qu'elle l'a surpris à voler quelques sachets de biscuits secs sur une autre table en allant aux toilettes.

Après quelques heures, j'en viens à la conclusion qu'il ne bougera pas d'ici. À force de l'observer, je dois avouer qu'à part le fait qu'il est aussi baraqué que ces acteurs dans les films de super héros, il n'a pas l'air bien méchant. Il semble même être en piteux état. Des cernes noirs soulignent son regard fatigué malgré les trois réchauds de café servis. Il passe son temps à regarder dehors et se masser les tempes. Je surprends toutefois son regard à quelques reprises sur moi, mais c'est sans doute parce que moi aussi je l'observe dès que j'en ai l'occasion.

Après quatre heures à le voir boire du café et s'enfoncer de plus en plus dans la banquette, je finis par avoir pitié de lui. J'attrape un bol dans la cuisine, le remplis de soupe aux légumes que j'accompagne de deux morceaux de pain.

— Tiens, lui dis-je en déposant le tout sur la table devant lui.

Il lève un regard surpris vers moi.

Je hausse mes épaules de manière nonchalante.

— Question que tu ne crèves pas d'une artère bouchée. Boire autant de crème en une journée, c'est une mauvaise idée. Sans compter la quantité de caféine que tu viens d'ingérer.

Je crois voir le coin de sa bouche se soulever de quelques centimètres avant qu'il n'abaisse la tête vers la soupe.

— Merci, prononce-t-il d'une voix grave, mais douce. Mon ami devrait arriver bientôt. Je vais pouvoir la payer.

— C'est moi qui te l'offre. Considère maintenant qu'on est quitte.

Sans même attendre une réponse de sa part, je tourne les talons et m'éloigne de lui. Je ne peux résister cependant à l'envie de jeter un regard par-dessus mon épaule avant d'entrer dans la cuisine. Comme je m'y attendais, il se jette sur son repas sans demander son reste.

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