Chapitre 26: Le vide

Émilie

C'est impossible. C'est n'est qu'un cauchemar. Le plus horrible des cauchemars.

À genou devant la chambre de mon fils, j'ai l'impression que mon monde vient de s'écrouler. Un corps immonde qui n'a rien d'humain git au pied du lit. Il est carbonisé. Comme tout le reste de la pièce. Une affreuse odeur de chair brûlée flotte dans l'air, mais ce n'est rien à comparer à la douleur dans ma poitrine. Mes idées s'entrechoquent. Je n'arrive plus à penser ni à respirer. Que s'est-il passé ? Qui sont ses créatures ? Pourquoi nous ont-elles attaqués ? Où est mon fils !

Engourdie par la douleur, je mets un moment avant de réaliser que Gadriel n'est plus là. Je me lève, animé par ce besoin de comprendre, de me convaincre que tout ceci n'est qu'un horrible cauchemar.

La police, je dois appeler la police !

Je cours vers l'entrée afin de récupérer mon téléphone dans mon sac, mais fige net devant une silhouette imposante au milieu du salon.

Grande et élancée, c'est celle d'un homme au visage impénétrable. Ses cheveux blonds et bouclés m'évoquent ceux de Gadriel. Vêtu d'un pantalon blanc et d'un chandail de la même couleur, il m'observe de ses yeux violets.

Nous restons quelques secondes à nous dévisager en silence, bien que mon cerveau roule à toute vitesse et tente de trouver une issue.

Son regard me quitte pour se porter vers la chambre de mon fils. Il s'attarde sur le corps calciné au pied de son lit, avant de revenir sur moi.

Il penche lentement la tête sur le côté alors que je reste tétanisée, la peur aux tripes.

D'un pas calculé, il avance dans ma direction, ses yeux toujours plantés dans les miens. Toute volonté quitte mon corps qui refuse de m'obéir, comme s'il ne m'appartenait plus.

Ce n'est qu'un cauchemar !

À l'approche de sa main à la hauteur de mon visage, je ferme les yeux, souhaitant qu'il me fasse oublier, que les dernières heures s'effacent.

Quelques secondes encore et je me réveillerai...

— Uriel ! Non !

Je sursaute et ouvre les yeux. L'inconnu devant moi pivote pour faire face au visage grave de celui qui avait promis de nous protéger.

— Gadriel. Que fais-tu ici ? demande l'homme.

— La même chose que toi ! Des démons nous ont attaqués.

— Je sais. Nous l'avons détecté. Où est ton souverain ? Pourquoi a-t-il utilisé sa magie ?

— Il n'est pas ici.

L'homme ne répond rien, mais s'éloigne de nous et fait le tour de l'appartement. Son pas et si lent et léger qu'il me donne l'impression de flotter. Gadriel en profite pour se glisser près de moi. Sa main se pose dans le creux de mes reins. Il m'attire à lui d'un geste protecteur. Son corps près du mien m'apporte un certain réconfort, mais ne fait pas disparaître la sensation de vide et de douleur en moi. J'ai l'impression qu'on m'a arraché le cœur.

— Gadriel, je dois appeler la police, dis-je dans un sursaut de lucidité.

— La police ne pourra rien faire, Émilie, murmure-t-il à voix basse.

La colère s'empare soudain de moi.

— C'est faux ! Il faut les appeler ! Ils vont le retrouver !

Je fais un pas vers mon sac pour l'attraper, mais Gadriel raffermit sa prise. Je proteste, me débat pour me défaire de sa poigne alors que des larmes d'impuissance envahissent mes yeux et roulent sur mes joues. Ses bras se referment encore plus et m'empêchent toute résistante. Alors que la frustration devrait s'emparer encore plus de moi, sa chaleur m'apaise, mais n'assèche pas mon visage couvert de larmes.

— Je dois effacer sa mémoire, annonce l'homme revenu près de nous sans que je le réalise.

— Je te l'interdis ! gronde Gadriel.

L'homme incline à nouveau la tête et plisse des yeux.

— Et pourquoi ? Tu connais les lois de l'Artisan, déchu. Nul humain ne doit connaître notre existence.

— Ce n'est pas une humaine ordinaire, rétorque Gadriel. C'est la maîtresse de Satanaël et aussi la mère du prince de Shéol.

Le choc s'empare de moi. Qu'est-ce qu'il raconte ? Ses paroles ne font aucun sens ! La maîtresse de Satanaël ? La mère d'un prince ? Je m'écarte et lève mon regard vers cet homme qui a bouleversé ma vie. Ses yeux rencontrent les miens. Ils sont remplis de tristesse et d'appréhension.

— Que racontes-tu, démon ? Satanaël n'a pas de descendants.

— Regarde bien autour de toi, Uriel, regarde bien l'aura autour de cette femme, les traces de magie dans la chambre. Que vois-tu ?

— La signature du roi de Shéol, répond Uriel, impassible.

— Regarde plus attentivement ! 

Les yeux froids de l'inconnu s'attardent un moment sur moi, puis dans la chambre de Mickaël.

Une éternité semble s'écouler avant qu'il hoche la tête.

— Et où se trouve le responsable, cette créature que tu prétends fils de Satanaël ?

— Les démons l'ont kidnappé. J'ai besoin de ton aide pour le retrouver.

Le dénommé Uriel secoue la tête, alors que j'essaie de comprendre tout ce non-sens.

— Je ne peux rien faire. J'ai pour mission de détruire les corps et effacer toute trace de leur passage sur Gaïa. Cette femme (il lève un doigt vers moi) a été témoin de trop d'incidents. Je dois lui effacer la mémoire.

— Non ! s'exclame Gadriel d'un ton presque suppliant. Elle oubliera l'existence même de son fils. Laisse-moi m'occuper d'elle, fais-moi confiance !

Pour la première fois depuis qu'il est là, je crois déceler une émotion sur le visage de l'inconnu. Un demi-sourire éclaire ses traits, mais j'ignore si c'est bon signe.

— La dernière fois que notre race t'a fait confiance, tu as ruiné l'œuvre du Créateur.

Un grognement sourd s'échappe de la gorge de mon protecteur.

— Donne-moi trois jours. Je retrouve le petit et le ramène à Shéol avec sa mère.

Un silence passe puis l'homme hoche la tête.

— Trois jours. Ne nous déçois pas... encore une fois.

Puis l'homme tourne son visage vers moi, me scrute un long moment. Il lève sa main droite, claque des doigts puis s'évapore ! C'est ce moment que choisissent mes jambes pour me lâcher. Des mains puissantes me retiennent et le visage inquiet de Gadriel est la dernière chose que j'aperçois avant de plonger dans le noir.

***

J'ouvre les yeux. Il fait sombre. Je mets un moment à comprendre que je suis dans ma chambre. Ma tête est lourde, j'ai la nausée. J'ai l'impression d'avoir fait un long cauchemar. Le pire de ma vie. Celui où on s'en prend à mon fils.

Je vérifie autour de moi. Aucune trace de se souvenir qui hante encore mon esprit. Pas de corps gisant au sol ni d'odeur de fumée.

Je m'extirpe du lit. Je dois aller vérifier si Mickaël va bien. Lorsque j'ouvre la porte de ma chambre, deux paires d'yeux se tournent dans ma direction : ceux d'Asbeel et Gadriel. L'inquiétude que je découvre dans le regard de ce dernier me fait douter.

Et si... et si ce n'était pas un rêve ?

Mon cœur cogne contre ma poitrine. Je m'élance vers la chambre de mon fils.

Elle est vide ! Mickaël n'y est pas !

Les murs sont toutefois intacts. Était-ce un rêve ? Où est mon fils ?

Deux mains se posent sur mes épaules et je pivote vers le visage sérieux de Gadriel qui confirme toutes mes craintes. Mes lèvres se mettent à trembler. Ce n'était pas un rêve, ce cauchemar était réel.

— Nooonn...

C'est le seul mot que j'arrive à prononcer à travers les sanglots qui nouent ma gorge. Les bras de Gadriel se resserrent autour de moi. Mes larmes mouillent son chandail, ma gorge me brûle, mon cœur s'éteint.

— Tout va bien aller, me chuchote-t-il. Nous allons le retrouver.

Il marque une pause, alors que mes sanglots s'accentuent. Mes jambes peinent à me soutenir. Seule sa force m'aide à rester debout.

— Pour le retrouver, j'ai besoin de ton aide. J'ai besoin que tu m'écoutes et que tu me fasses confiance.

Confiance ?! Comment puis-je lui faire confiance ?! Lui qui devait nous protéger, lui qui devait empêcher ces démons de s'en prendre à nous !

Je repousse son étreinte et mon regard furieux se plante dans le sien.

— Pourquoi es-tu parti ?! Où étais-tu ?? Si tu n'avais pas quitté l'appartement, Mickaël... Mickaël serait encore avec moi !

Je crache à son visage toutes les émotions qui me consument. Le sentiment d'injustice est plus fort que ma douleur, que ma peine. Pourquoi n'était-il pas là ?

Ses grandes mains encadrent mon visage alors qu'il se penche sur moi.

— Je suis désolée. Je te jure que je vais réparer mon erreur. Nous allons le retrouver. Mais encore une fois, j'ai besoin que tu m'écoutes.

Le désespoir et la culpabilité brillent si fort dans ses yeux que j'ai du mal à l'ignorer. Je m'écarte et détourne le regard.

Il m'invite à m'asseoir sur le tabouret à côté d'Asbeel. Mes pieds m'y portent contre ma volonté.

— Je veux que tu quittes l'appartement avec Asbeel. Il t'amènera loin d'ici.

— Non !

La colère s'empare à nouveau de moi. Il n'est pas question de fuir. Je dois appeler la police, parcourir les rues à la recherche de mon fils !

— Émilie, tu es en danger ici. C'est comme si une énorme lumière rouge venait d'allumer au-dessus de ton immeuble. Tous les démons affiliés avec Lilith peuvent débarquer ici à n'importe quel moment. Tu ne peux pas rester ici.

La peur m'envahit, s'empare de moi comme un poison. Jamais Mickaël ne pourra me retrouver si je pars d'ici.

— Je vais rester en contact avec Asbeel, je te ramènerais ton fils, promis. Fais-moi confiance et va-t'en d'ici. Plus vite je pars à la recherche de Mickaël, plus j'ai de chance de le retrouver, mais avant de partir, je dois m'assurer que tu es en sécurité.

Son dernier argument me percute tout comme son regard sincère. Il perd du temps à rester ici, à discuter avec moi.

Je hoche la tête en essuyant mon visage couvert de larmes.

— Pars tout de suite ! ordonné-je. Retrouve-le, je t'en supplie !

Ses mâchoires se contractent et son regard s'assombrit. Il acquiesce puis quitte les lieux.

Les larmes se remettent à couler. Je me sens seule, si seule. Il doit le retrouver. Sans Mickaël, je n'arrive plus à respirer.

Une main me serre l'épaule avec douceur. Celle d'Asbeel. Mon attention se tourne vers lui. Pour la première fois, il n'arbore pas son air railleur. Il a plutôt laissé place à un regard affligé.

— Viens. Attrape quelques morceaux de linge, on part d'ici.

J'obéis. Je déniche ma vieille valise et laremplis de quelques vêtements de Mickaël et moi. J'amène aussi son toutoupréféré dans l'espoir qu'il pourra encore le serrer dans ses bras un jour. 

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