Chapitre 25: La lignée

Gadriel

Je parcours les rues du quartier depuis plus d'une heure. Le froid de novembre arrive à peine à calmer le volcan en éruption dans mon ventre. Un amalgame de frustration, d'incompréhension, de rage et de désir y bouillonne. J'ai dévié de ma mission de départ. J'aurais dû abandonner Émilie à l'instant même où l'aura de Stan s'est dissipée. J'aurais dû quitter cette dimension et laisser d'autres déchus s'occuper des démons en cavales. À la place, je suis resté auprès d'elle à la protéger d'une menace qui n'est peut-être pas réelle.

Il n'y a aucune explication logique à mon comportement, il est grand temps que je passe à autre chose.

Je m'arrête net et secoue la tête. Ma poitrine se contracte à l'idée de l'abandonner. J'ignore si elle est Mickaël sont en sécurité, si on s'en prendra à eux de nouveau. Cette sensation de peur qui s'incruste dans mon âme comme une toile d'araignée autour de mon cœur est insupportable. Moi, Gadriel, la sentinelle de l'ombre, ce démon qui n'a jamais ressenti que du désintérêt pour les humains depuis plus de trois mille ans, voilà maintenant que je crains de perdre deux d'entre eux.

Putain c'est insensé !

Un grondement sourd s'échappe de ma gorge. Je dois reprendre mes esprits, me détacher de tout ça.

Je ferme les yeux, serre les poings et inspire à plusieurs reprises. Il est temps de lever les voiles.

Je reprends la direction de l'appartement afin d'y récupérer mes affaires quand je remarque un changement dans l'air ambiant. C'est léger, subtil. Assez pour passer inaperçu aux yeux de simples mortels. Mais je ne suis pas mortel. Et cette signature, je la reconnaîtrais parmi des millions : c'est celle de Satanaël.

Je suis des yeux les vagues d'aura qui parcourent le ciel tel des aurores boréales et je réalise qu'elles mènent toutes au même endroit : l'appartement d'Émilie.

— Bordel de merde Stan ! Tu as bien choisi ton moment !

Une décharge d'adrénaline se déverse dans mes veines tandis que je m'élance au pas de course dans cette direction. Mon cœur bat à toute vitesse dans ma poitrine. La peur s'empare de moi tel un venin. Car si j'ai pu percevoir l'aura de Satanaël, toutes les autres créatures surnaturelles ont fait de même.

Bon sang, pourquoi ne suis-je pas resté avec elle, pourquoi ai-je fui comme un con ?

Lorsque j'atteins enfin l'immeuble, une dizaine de minutes se sont écoulées. Je suis à bout de souffle et je rage contre ce foutu corps impuissant qui agit comme un boulet. Je gravis les escaliers puis fige devant la porte de son appartement.

Elle est ouverte et l'un des gardes qui devaient la surveiller git au sol, décapité.

J'entends soudain un cri.

Je saute à l'intérieur, fonce droit vers la chambre d'Émilie. Mon cœur s'arrête lorsque j'aperçois un foutu sangrégat penché sur elle. Il tente de l'extirper de son lit tandis qu'elle se débat comme une enragée, griffant et mordant ce démon reptilien à tête de cervidé. Fou de rage, je bondis sur lui par l'arrière, coince son crâne entre mes deux mains et lui brise la nuque d'un mouvement sec. L'énorme bête s'écroule sur ma protégée qui hurle comme une démente.

— Émilie ! Est-ce qu'il t'a griffée ?

En panique, j'écarte le corps inanimé de la créature pour l'examiner. Un seul coup de griffe empoissonnée peut s'avérer mortel pour une humaine. Sans ménagement, je retourne Émilie de tous les côtés, la peur s'emparant de toutes les cellules de mon corps. Ma petite serveuse crie et se débat, comme si elle n'avait pas encore compris qui j'étais.

— Émilie, c'est moi, tout va bien, la réconforté-je doucement lorsque je réalise qu'elle est hors de danger.

Je la soulève du lit et presse sa tête contre ma poitrine. Son corps tremble, son cœur bat encore plus vite que le mien. Sa respiration saccadée ralentit à peine alors que mon chandail éponge ses joues humides. Je cherche les mots pour la rassurer, pour lui dire qu'elle est maintenant en sécurité.

Puis son corps se fige soudain. Elle relève son visage vers moi, ses iris hantées par une peur incommensurable.

— Mickaël !

Mon cœur s'arrête.

Je la dépose puis fonce vers la chambre du petit. Ce que j'y découvre me glace les sangs.

Mickaël n'est plus là. Les murs, le sol, les meubles... tout est complètement noirci, comme si des flammes avaient balayé les lieux. Les restes d'un cadavre calciné gisent au pied du lit, mais ce n'est pas le plus déroutant ; partout autour de moi, du plafond jusqu'au plancher, luit l'énergie de mon souverain. L'aura de Stan.

Du moins, c'est ce que je crois. Jusqu'à ce qu'un détail me frappe. Je perçois une légère différence dans cette lueur. La signature est la même, et pourtant...

— Nonnnnn !

Le cri strident d'Émilie me transperce le cœur. La douleur qui en émane est démesurée. Elle m'a suivi et s'écroule derrière moi.

— Où est Mickaël !! Où est-il ?!

J'avise la fenêtre ouverte dans la chambre. Je m'y précipite et jette un coup d'œil à l'extérieur. Aucune trace du petit. Nous sommes au deuxième étage, seule une créature surnaturelle peut survivre à une telle chute.

Sans attendre, j'attrape mon téléphone, traverse le logement et déboule les escaliers en composant le numéro d'Asbeel. Je suis déjà dehors lorsque mon ami répond.

— Ouais ?

— Asbeel, le petit a disparu.

— Quel petit ?

Pauvre con ! Je rage.

— Le fils d'Émilie ! Je veux que tu déploies toutes tes équipes pour le retrouver !

— C'est chercher une aiguille dans une botte de foin, comment veux-tu le retrouver?

J'ai la réponse devant mes yeux.

Sur le trottoir, à mes pieds, le béton est noirci à intervalle régulier. Des cercles noirs larges comme des oranges apparaissent à chaque cinq mètres comme si quelqu'un avait voulu nous indiquer la direction à suivre. Je perçois la même signature magique que dans la chambre du petit. Celle qui est si semblable à Satanaël et pourtant si différente à la fois. Seuls un ange ou le souverain de Shéol peuvent utiliser la magie dans cet univers. Qui est à l'origine de tout ça, si ce n'est Satanaël ?

Et soudain, l'évidence me frappe.

Cette impression de déjà-vu...

Ces yeux marron...

Ces paroles mystérieuses et la manière dont il me regardait, comme s'il voyait, comme s'il savait...

— Asbeel! tonné-je. Tu rappliques ici illico ! Le fils de ton roi est en danger !

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