Chapitre 23: Lingerie

Gadriel

Ma journée de travail au restaurant est interminable. Je déteste avoir l'impression de perdre mon temps et je déteste encore plus sentir que je perds le contrôle.

Parce que c'est ce qui m'arrive : j'ai perdu le contrôle de la situation et tout ça à cause d'une jolie serveuse qui est rentrée dans ma vie comme une tornade.

« Mais, pourquoi ? » m'a-t-elle demandé.

Parce que ça aurait été de la folie. Parce que si j'avais couché avec elle, c'était un clou de plus dans mon cercueil, le dernier coup de pelle dans la tombe que je me creuse moi-même depuis cinq jours.

Ces pensées tournent en boucle dans mon esprit une bonne partie de la matinée jusqu'à ce qu'Émilie m'annonce qu'Asbeel veut me parler. Je termine ma tâche en cours et annonce à Miranda que c'est l'heure de ma pause. Je m'écrase ensuite sans élégance dans la banquette en face de mon ami.

Il dépose le burger qu'il s'apprêtait à engloutir et me parcourt des yeux d'un air moqueur.

— Ta gueule, aboyé-je avant même qu'il ouvre la bouche.

Il avise le linge à vaisselle sur mon l'épaule. Je le retire aussitôt.

— Tu voulais me parler ? grogné-je.

— Zaamiel m'a contacté, débute-t-il en s'essuyant les mains sur une serviette de papier. Ça n'a pas bien été hier, si j'ai bien compris ?

— On peut dire ça, ouais, grommelé-je.

— Sariel et lui ont perdu la trace de la sirène après votre altercation. Ils pensent même qu'elle a quitté la ville.

— Vraiment ?

— Si elle n'est pas stupide, c'est ce qu'elle a fait. Maintenant qu'elle sait que trois déchus sont après elle, ça serait surprenant qu'elle reste dans le coin. Elle ne fait pas le poids.

— Et les sangrégats ?

— Baraquiel croit avoir retrouvé leur trace un peu plus au nord. Il pense qu'ils ont pris la direction de Québec.

Je grogne, incertain de ce que je dois faire de ces informations.

— As-tu des nouvelles de Shéol ? demandé-je pour changer de sujet pendant qu'Asbeel prend une grande bouchée de son burger.

— Mwouais, répond-il la bouche pleine.

Il avale sa bouchée puis continue :

— Une autre vague de démons a tenté d'atteindre les portails nord, mais tes armées les ont massacrés, comme toujours. Aucun d'eux n'a pu passer cette fois.

— Bordel, c'est la troisième attaque depuis une semaine.

Asbeel hoche la tête en fourrant une frite dans sa bouche.

— En effet, Lilith manigance quelque chose, il n'y a pas de doute.

— Et pour Stan ? Tu as des nouvelles ?

— Aucune trace de son aura depuis la dernière attaque au parc.

Je grogne de frustration puis me jette sur ma dernière piste.

— Et hier, quand tu étais avec Émilie, tu n'as pas perçu un indice qui nous laisse croire qu'elle a un lien avec Stan ?

— J'ai effectivement perçu quelque chose, m'avoue-t-il d'un air sérieux.

Inquiet, je lui fais signe d'élaborer.

— J'ai perçu un lien entre vous deux et tu ne devrais pas l'ignorer.

Je me renfrogne pendant qu'il arbore son air d'enfoiré habituel.

— Sans blague, Gadriel, il y a quelque chose entre vous d'eux. Ça crève les yeux ! Laisse là entrer un peu, laisse là te faire du bien. Elle n'est pas Ève. Elle est à des milles de cette garce narcissique. Et puis ça mettra un peu de piquant dans ton éternité, tu ne crois pas ?

Mon éternité, mais pas celle d'Émilie.

Car elle est mortelle.

Par ma faute.

L'arrivée soudaine de celle au cœur de notre conversation m'empêche de répliquer à Asbeel.

— Est-ce que c'est à ton goût ? Il te manque quelque chose ? lui demande-t-elle.

Et pourtant, c'est sur moi que ses yeux s'attardent.

— Pas pour l'instant, mais je prendrais bien une de ces délicieuses tartes tout à l'heure.

Il pointe le présentoir à dessert près de l'entrée.

— Pas de problème, je t'amène ça dès que tu as terminé.

Elle lui offre un de ses jolis sourires, me jette encore un rapide coup d'œil puis tourne les talons en direction des cuisines. Sans faire attention, je laisse mon regard errer sur la courbe de ses hanches et le galbe de ses fesses. L'image de son corps qui se frotte contre le mien me revient en mémoire.

Je pousse un grognement de frustration et retourne mon attention sur Asbeel qui m'observe les yeux rieurs.

— Quoi ?! craché-je.

Il lève les mains en l'air en signe de paix.

— Rien, rien.

— Appelle Zaamiel. Dis-lui de suivre la trace des sangrégats au nord. Avec un peu de chance, cette satanée sirène voyage avec eux.

— Oui, chef ! déclame-t-il en mimant le salut militaire.

Je lève les yeux au ciel et le laisse à son repas.

De retour dans les cuisines, je termine mon quart de travail en ruminant ma frustration autant pour mon échec lamentable d'hier qui me ramène au point zéro que pour cette attirance envers Émilie qui menace de briser mon équilibre.

Avant mon départ, Miranda m'annonce qu'Olivier reprendra sa place demain. Elle m'offre un autre poste dans les cuisines, mais je refuse. Je ne pense pas rester encore très longtemps ici si la menace qui plane au-dessus d'Émilie a bel et bien levé les voiles.

Lorsque nous quittons le restaurant, le soleil de novembre s'en est allé pour laisser place à une nuit froide et sans lune. Émilie frisonne sous son fin manteau et je réprime l'envie de l'attirer à moi pour la réchauffer. L'air entre nous deux est chargé d'électricité même si nous marchons en silence durant tout le trajet.

Une fois à l'appartement, Mickaël accueille sa mère avec un câlin et j'en ai même droit à un. Je reste figé, le petit humain collé à mes jambes, sans savoir comment réagir. Émilie s'amuse de mon embarras puis file vers la cuisine aider Julie avec le souper.

— Tu viens faire un casse-tête avec moi ? demande le petit homme en s'écartant.

— Euh... d'accord.

Il attrape ma main et me conduit jusqu'à la table où un casse-tête est déjà entamé.

— Est-ce que tu l'aimes ?

J'examine l'image que devrait représenter cet étalage de morceau pêlemêle. Mon cœur s'arrête lorsque mes yeux se posent sur la boîte.

J'y vois un ange guerrier dont les ailes sont complètement noires. Il tient dans ses mains une épée sertie d'émeraude et arbore une couronne en or.

— Il l'a choisi au magasin en revenant de l'école, annonce Julie qui s'est rapprochée. J'ai voulu le convaincre que mille morceaux c'était beaucoup pour son âge, mais il a insisté en disant que tu l'aimerais.

Mes yeux se posent sur le petit garçon à mes côtés. Son regard est incertain, comme s'il attendait une réaction de ma part, mais je suis trop secoué pour réagir. Pourquoi a-t-il choisi ce casse-tête et non un autre ? Sa mère lui a-t-elle révélé ma vraie nature ?

Je jette un regard interrogateur à cette dernière qui est venue nous rejoindre. Nos yeux se croisent. Elle secoue la tête, aussi surprise que moi.

— Tu l'aimes ? me demande à nouveau Mickaël d'une voix moins assurée.

Je prends quelques secondes avant de comprendre qu'il parle du casse-tête.

Je lui offre mon sourire le plus doux et hoche la tête.

— Beaucoup.

Son visage s'illumine et il sautille jusqu'à une chaise. Je m'installe à ses côtés et m'efforce de l'aider à trouver les morceaux qu'il m'indique. Mes pensées partent dans tous les sens, incapables de saisir la signification de tout ceci. Est-ce un simple hasard ? Nous a-t-il entendus discuter Émilie et moi ? Asbeel lui a-t-il dévoilé notre secret lorsqu'il est venu ici ?

Mon questionnement ne s'arrête que lorsque le repas du soir est prêt. Mickaël et moi poussons notre ouvrage au bout de la table pour faire de la place pour manger. Julie se joint à nous pour le repas et monopolise la majeure partie de la conversation. Elle ne cesse de babiller sur ses cours et ses professeurs de littérature. Son amie l'écoute avec attention et rit à ses anecdotes. Je ne peux détacher mes yeux de son visage qui s'illumine chaque fois.

Après le repas, Julie nous quitte pour une soirée d'études entre amis et Émilie enclenche la routine du soir avec Mickaël qui rejoint son lit peu de temps après.

— Laisse, je m'en occupe, me propose-t-elle lorsque je m'apprête à faire la vaisselle.

Je secoue la tête, même si je trouve ridicule de me taper ce genre de corvée alors que chez nous, un claquement de doigts réglerait le problème. Je vois bien qu'elle est épuisée et le sourire qu'elle affichait au souper devant les autres a laissé place à son air plus sérieux. Un air qui revient vite lorsque son fils n'est pas dans les parages et qu'elle croit que personne ne la regarde. La fatigue et les tracas ternissent le gris de ses yeux. Comme si ses problèmes et toute la charge qu'elle porte sur ses épaules revenaient peser sur elle d'un seul coup.

Elle me remercie de m'occuper de la vaisselle puis s'empare d'un panier de linge propre qu'elle commence à plier sur la table basse du salon.

Je lève les yeux au ciel. Elle ne s'arrête jamais !

J'expédie la vaisselle en quelques minutes puis vais la rejoindre dans le canapé pour l'aider.

— Tu n'es pas obligé de faire ça, proteste-t-elle lorsqu'elle comprend mes intentions.

— Je sais.

Elle ouvre la bouche sans doute pour protester, mais change d'idée. Nous plions quelques morceaux de linge en silence avant qu'elle ne parle à nouveau.

— Tu n'as pas de nouvelle de ton ami ?

— Non, aucune.

— Est-ce que tu crois que Mickaël et moi sommes encore un danger ?

Je lève les yeux vers elle. Dans ses prunelles fixées aux miennes flotte une lueur d'inquiétude.

— Je l'ignore.

Et c'est vrai. Depuis que l'aura de Satanaël n'est plus sur Émilie, les démons de Lilith l'ont laissé tranquille. Il est fort à parier qu'ils étaient attirés par cette lumière comme des mouches. Maintenant qu'il n'y a plus aucune trace sur elle, ils ne devraient pas revenir de sitôt. Peut-être que je perds mon temps à être ici à plier des chandails pour enfant et des...

Oh bordel..

D'un geste rapide, Émilie attrape la petite culotte de dentelle dans mes mains. Elle la fourre sous une pile de pantalons, les joues aussi pourpres que ladite petite culotte. Mon cerveau bogue alors des images d'elle dans ce sous-vêtement s'imposent à moi.

Oh putain de bordel !

— Je... je peux finir toute seule, me dit-elle dans un murmure gêné.

— Et perdre la chance de trouver une autre petite culotte comme ça dans le lot, non merci !

Merde, qu'est-ce qui me prend de dire ça ?!

Les yeux d'Émilie s'écarquillent puis son visage rougit encore plus, si c'est possible. Elle reste sans voix. Moi, je m'en veux de lui avoir envoyé un autre signal contradictoire comme ce matin. Je viens d'ouvrir la porte aussi grande qu'une grange, bordel ! Je ne suis pas ici pour faire des culbutes avec une humaine, aussi craquante soit-elle. Je ne sais même pas pourquoi je suis encore ici merde !

Sans réfléchir, je saute sur mes pieds et m'éloigne du canapé. J'ai besoin de m'aérer l'esprit, retrouver mon focus et surtout, arrêter de bander !

— Je vais faire un tour, lâché-je.

Puis j'attrape ma veste et déguerpis. 

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