Chapitre 20: Révélations d'Asbeel
Émilie
À 26 ans, jamais je n'aurais cru avoir besoin d'un baby-sitter. Heureusement, Asbeel semble être du même avis.
— Bon, maintenant que monsieur "Tropsérieux" est parti, on peut sortir l'alcool et se relâcher un peu ! annonce Asbeel dès que la porte se referme derrière son ami.
J'avoue que le planning me plait. Hier fut une journée éprouvante, haute en émotion. Aussi désagréables qu'agréables. La perspective de relaxer avec un verre de vin est plus qu'alléchante.
— J'ai un rosé dans le frigo, si tu veux. Et un reste de vodka. Je peux aussi sortir des grignotines.
— Super ! Tu veux qu'on regarde la TV ou tu préfères jouer aux cartes ?
— Les cartes ça me va. Surtout si c'est du poker !
— Poker it is!
Le vin servi, les croustilles dans un bol, Asbeel et moi prenons place à table afin d'entamer une partie de poker où des bretzels font office de jetons. Les premières mains se font dans la bonne humeur et la plaisanterie, jusqu'à ce que j'aborde un sujet qui ne cesse d'occuper mes pensées depuis quelques jours.
— Tu connais Gadriel depuis longtemps ? demandé-je entre deux manches.
Asbeel prend un instant pour mélanger les cartes avant de répondre.
— Tu veux la vraie réponse ou la fausse ?
— La... la vraie, hésité-je. Je sais que Gadriel n'est pas comme moi.
— Moi non plus d'ailleurs.
Sa révélation ne m'étonne pas. Dans un sens, Asbeel ressemble beaucoup à Gadriel. Même s'il est beaucoup moins imposant physiquement que Gadriel, on devine quand même que sous ses airs de dandy aux cheveux blonds coupés court se cache un corps ferme et agile. Dans ses yeux, d'un bleu plus pâle que ceux de Gadriel, je décèle une touche de mélancolie. Elle semble moins profonde que celle de son ami, mais peut-être est-ce dû à cette façade d'insouciance et de bonne humeur qui affiche à tout moment.
Je cesse d'observer Asbeel et fais mine de diriger mon attention sur les cartes qu'il vient de distribuer. Du coin de l'œil, je surprends cependant son regard qui me scrute à son tour.
Quelques secondes s'écroulent avant qu'il réponde à ma question toujours en suspens :
— Nous nous connaissons depuis toujours. Je ne compte plus vraiment les années. Du moins, pas comme vous le faites, vous, les humains.
Il prend une pause puis continue.
— Gadriel et moi sommes... nés en même temps. Nous faisions partie des Grigoris à l'époque.
— Gadriel a déjà mentionné ce mot. Qu'est-ce que c'est ?
— C'est le nom donné à ceux qui veillaient sur les créatures de votre dimension. Malheureusement, nous avons perdu notre titre il y a bien longtemps et les portes d'Éden ne s'ouvriront plus jamais pour nous. Notre demeure se trouve maintenant à Shéol. Du moins, pour mes confrères. Personnellement, j'aime mieux rester ici. J'aime beaucoup votre dimension.
Ce dernier commentaire est accompagné d'un sourire énigmatique que je n'arrive pas à déchiffrer. Il finit par détourner les yeux et lancer deux bretzels au milieu de la table comme mise de départ. Je fais de même avant de continuer à nourrir ma curiosité :
— Tu as parlé de Shéol, qu'est-ce que c'est ?
Asbeel prend un moment pour regarder à nouveau ses cartes avant de répondre :
— C'est notre royaume. C'est ce que vous, les humains, appelez l'enfer. Cependant, c'est très loin de la représentation projetée par tes ancêtres, crois-moi. Gadriel ne t'en a pas parlé ?
Je souris, ma coupe de vin aux lèvres.
— Gadriel n'est pas très bavard...
Asbeel me renvoie mon sourire en ricanant.
— Ça, je te l'accorde. Mais il n'a pas toujours été ainsi.
Je soulève un sourcil, surprise.
— Vraiment ? Comment était-il, avant ? Avant quoi au fait ?
Mon gardien défausse une de ses cartes puis se redresse sur sa chaise et passe une main derrière la nuque. Je réalise qu'il choisit ses mots avec précautions. Je pose peut-être trop de questions, mais Gadriel crèche chez moi depuis plusieurs jours, je suis en droit de connaître un peu plus l'homme que j'héberge chez moi et qui a promis de me protéger.
— Il était plus souriant, ça c'est certain. Plus confiant aussi. Il n'a jamais été très bavard, mais depuis notre déchéance c'est comme s'il portait tout le poids de l'humanité sur ses épaules.
— Que s'est-il passé ? Pourquoi...
— Pourquoi avons-nous perdu notre statut d'ange ? complète-t-il devant mon hésitation.
Je hoche la tête, incertaine d'avoir le droit de poser cette question.
— Alors là, c'est une longue histoire ! lance-t-il d'un air amusé.
Je hausse les épaules puis défausse un six et un quatre.
— J'ai tout mon temps.
Il sourit puis s'appuie un peu plus sur son dossier, une main toujours sur la nuque.
— J'ai l'impression que Gadriel me tuerait si je te racontais tout.
Je penche la tête sur le côté et le toise d'un air provocateur.
— J'ai l'impression que tu en as rien à foutre de ce que Gadriel pense.
Son rire résonne dans la pièce. Il m'indique que j'ai visé juste. Asbeel n'a pas la personnalité de celui qui suit les règlements à la lettre. Je suis même certaine qu'il prend plaisir à me dévoiler toutes ces informations.
Une fois les nouvelles cartes distribuées, il se cale à nouveau dans le fond de sa chaise.
— Tout d'abord, tu dois savoir qu'il existe trois dimensions : Éden, Gaïa ou si tu préfères la Terre, ainsi que Shéol. Éden est le niveau supérieur dans la hiérarchie. C'est à cet endroit que le Créateur entrepose ses plus belles œuvres.
— Attends ! le coupé-je, stupéfaite. Quand tu parles du créateur, tu parles de... ?
Il hoche la tête et complète mon idée.
— De ce que vous appelez Dieu, oui. Iel préfère être vu comme un artisan plutôt qu'une divinité. C'est d'ailleurs ainsi qu'on l'appelle la plupart du temps. Iel a le pouvoir unique. Celui de forger des êtres vivants. Pendant des millénaires, iel s'est évertué à donner naissance à des êtres de plus en plus perfectionnés jusqu'à sa réalisation suprême : les anges.
— Comme Gadriel et toi ?
— Oui, nous sommes des anges. À la base... À la différence près que nous avons perdu quelques privilèges pour en gagner d'autres.
Alors que je m'apprête à la questionner une nouvelle fois, il m'arrête d'une main devant lui.
Une lueur d'amusement danse dans ses yeux.
— Laisse-moi te raconter notre histoire sans m'interrompre, tu comprendras tout. Du moins, tout ce que tu es en mesure de comprendre en tant qu'humaine.
Sa dernière remarque pique mon orgueil. Mais si tout ce charabia est vrai, peut-être est-ce en effet possible que les anges soient d'un intellect supérieur au nôtre. Je me rappelle soudain les enseignements de l'un de mes professeurs de sciences qui disait toujours que l'univers est si complexe, que l'homme n'arrivera jamais à le saisir dans sa totalité avec son seul entendement. C'est sans doute ce qu'Asbeel laisse entendre. La raison humaine ne peut concevoir qu'une infime partie de cet univers rempli de possibilités.
Je dépose mes cartes face contre table, signe que je suis prête à l'écouter. Le poker attendra, même si j'ai en main deux dames qui complètent un carré avec les cartes communes sur la table.
— Donc, comme je disais, l'Éden est l'endroit où les plus belles créatures de l'Artisan reposent. Gaïa, c'est-à-dire votre dimension, est le terrain de pratique du Créateur. Plusieurs créatures incomplètes ou imparfaites y vivent, comme les animaux par exemple. Ils sont des créations de l'Artisan. Les humains en font partie, même s'ils sont légèrement différents. Contrairement aux autres animaux, iel vous a doté de ce que vous appelez une âme, c'est-à-dire une infime partie de son essence céleste.
Pendant que je digère toutes ces informations, Asbeel attrape un bretzel au centre de la table, le lance dans sa bouche et l'avale.
— Les anges aussi ont cette essence du Créateur, continue-t-il. Mais la différence entre nos deux espèces réside dans l'endroit où elle a été implantée. La vôtre se trouve dans votre cerveau, plus précisément dans votre système limbique. La nôtre se loge à la racine de nos ailes.
Il fait une pause et j'en profite pour prendre une gorgée de vin. Aussi étrange que son histoire puisse paraître, les détails sont tellement précis que c'est difficile de croire que ce n'est qu'un produit de son imagination.
— Au début, continue-t-il, notre mission était de veiller sur l'évolution des créatures de Gaïa sans interférer sur leur développement. Nous étions aux nombres de treize, dont Gadriel, Satanaël notre chef et moi-même. Nous étions les Grigoris, les gardiens de Gaïa.
Je décèle soudain une pointe de mélancolie dans sa voix.
— Or, plusieurs d'entre nous sont tombés sous les charmes d'une certaine création de l'Artisan. Une créature dotée de quelque chose que nous n'avions pas.
— Qu'est-ce que c'était ? osé-je demandé.
Il plante ses yeux azur dans les miens.
— Des émotions.
— Oh...
J'avale ma salive.
— Et ces créatures... c'était nous ?
Il hoche la tête alors que ses yeux sont toujours plantés dans les miens. Je sens soudain le poids de cette révélation peser sur moi.
— Alors que nous avions pour ordre de rester invisibles aux yeux des habitants de Gaïa, nous avons été obnubilés par votre capacité à jouir de la vie. Nous avons pris plaisir à vous observer et ensuite, à vous côtoyer. Car plusieurs d'entre nous n'ont su rester à l'écart, moi le premier. Pendant des centaines d'années, les humains et les Grigoris ont cohabité sur Terre. Et peu à peu, vous nous avez partagé cette incroyable capacité, celle de ressentir.
La paume d'Asbeel se pose sur son cœur.
— Nous avons découvert la joie, le rire, l'excitation et l'espoir. Nous avons goûté à la volupté du désir et au plaisir charnel qui n'égalait rien de ce que nous avions connu jusqu'alors.
Les paupières d'Asbeel se referment et un sourire sensuel se dessine sur ses lèvres. Une chaleur soudaine m'envahit et une vision de Gadriel s'impose à moi. Nu entre mes jambes, ses muscles qui joue sous sa peau à chaque coup de bassin qui m'emmène peu à peu vers l'extase. Mes joues s'échauffent. Je réalise au même moment que les yeux d'Asbeel sont braqués sur moi, comme s'il avait lu dans mes pensées. Mon cœur s'emballe de telle sorte que j'abaisse mon regard et fixe une poussière invisible sur la table. Je jure intérieurement contre mon ma transparence.
Asbeel émet un rire rauque avant de continuer.
— Quoi qu'il en soit, nous avons tous succombé à ces plaisirs, à ce sentiment de vie qui grandissait en nous au fur et à mesure que nous ressentions les émotions.
Il laisse passer un silence puis ajoute :
— Tous... Sauf un.
— Gadriel ? deviné-je aussitôt.
Il acquiesce encore une fois.
— Il refusait de trahir les ordres du Créateur. Il s'est tenu à l'écart plusieurs années, à nous observer en silence. Certains d'entre nous le détestaient pour cela. Mais pas moi. Toutes ces sensations étaient nouvelles pour nous et avec nos pouvoirs, cela aurait pu très vite dégénérer. Alors je crois plutôt que Gadriel résistait à l'attraction afin de veiller sur nous. C'est ce qu'il a toujours fait, dans l'ombre de son silence... Jusqu'à ce qu'une femme fasse tomber toutes ses barrières.
Je retiens ma respiration, pressentant que je vais enfin comprendre la lueur sombre qui brille parfois dans le regard de Gadriel.
— Cette femme s'appelait Ève.
Mon cerveau bogue. Je manque renverser mon verre de vin.
— Attends, Ève comme dans ...?
— Ouaip.
— Elle a réellement existé ?! Et Adam aussi ?
Les yeux d'Asbeel s'assombrissent aussitôt le nom du premier homme évoqué.
— Si tu veux un conseil, ne prononce jamais le nom d'Adam devant Gadriel.
Son ton est froid, l'avertissement est clair.
Un silence passe pendant lequel il reprend un peu de sa contenance puis il continue :
— Ève était une brunette narcissique et manipulatrice. Et pourtant, Gadriel en est tombé éperdument amoureux. Il était prêt à tout pour elle et elle le savait. Ainsi, toutes ses réticences à partager la vie des humains se sont envolées. Et ce fut là le début de sa déchéance. Le début de notre déchéance. Son amour l'aveuglait et il a commis l'irréparable. Il a offert à sa belle tout le savoir de l'univers, en passant par la métallurgie jusqu'à la médecine ou les secrets de la création. Gadriel lui a offert la connaissance sur un plateau d'argent. Et pour le remercier, elle l'a quitté pour un autre homme, lui broyant le cœur et l'âme par la même occasion.
— Cet homme c'était...
— Adam, me coupe-t-il.
Ses yeux s'égarent un instant dans le vide. Et moi, j'ai du mal à croire que les histoires que racontent les religions depuis un peu plus de deux mille ans se rapprochent d'aussi près de la réalité.
— Lorsque le Créateur réalisa que les humains avaient maintenant tout le savoir nécessaire pour devenir aussi puissants que les anges, iel leur effaça la mémoire et leur retira l'immortalité. Cela aurait pu suffire à les ramener à leur état d'origine, mais pour une raison qu'on ignore, des traces de ce savoir restèrent inscrites dans leur âme. Mélangées avec des émotions comme l'envie et le désir, c'était un cocktail parfait pour que la science se dévoile à l'humanité après plusieurs milliers d'années.
— Et vous, que vous est-il arrivé ? osé-je demander.
— Le Créateur nous retira l'accès à nos pouvoirs sur Gaïa ainsi que la possibilité d'accéder aux portes de l'Éden. Le créateur voulait éviter que notre âme bigarrée d'émotions ne contamine les autres anges. Shéol, la demeure des démons, ces erreurs de la création, devint notre seul refuge et le seul endroit où nous possédons toujours nos pleins pouvoirs. Depuis des milliers d'années, nous veillions à ce qu'aucun démon ne s'échappe de notre royaume et ne vienne saccager la vie sur Gaïa.
Un voile de tristesse flotte dans le regard d'Asbeel. Je comprends un peu mieux l'aura de mélancolie que traine Gadriel et son ami. Leurs actions ont condamné l'humanité à rechercher sans fin cette immortalité perdue. Que ce soit par la religion ou la médecine. Mais la conscience de la mort n'est-elle pas l'essence même de l'humanité ? Vivre c'est aussi d'apprendre à mourir. La vie n'a-t-elle de sens que si elle se termine ?
Soudain, une question me vient à l'esprit.
— Est-ce que vous lui en voulez, à Gadriel? D'avoir transmis la connaissance aux humains ?
Asbeel secoue la tête aussitôt.
— Personne ne lui en veut. L'un de nous aurait fini par céder, crois-moi. Vous, les humains, êtes de jolies créatures très persuasives.
Il le dit avec une pointe d'humour dans la voix.
— Et puis si tu veux mon avis, c'est mieux ainsi. Nous n'avons peut-être plus accès à Éden, mais nous avons cela.
Il pointe à nouveau son cœur avec son index.
— Vivre sans ressentir d'émotions, c'est ne pas vivre du tout. Et crois-moi, l'éternité peut être très longue à porter lorsqu'on est mort à l'intérieur.
Je hoche la tête.
— Je crois comprendre. Et puis, si l'on pense à nous les humains, être mortel n'est pas si mal. Ça nous permet d'accorder de l'importance à la vie et d'en profiter à cent pour cent.
Asbeel sourit.
— Je suis d'accord avec toi. Et tu nous rendrais tous un très grand service si tu réussissais à convaincre Gadriel de ce fait. Il est le seul à s'en vouloir et ça commence à devenir lourd à la longue.
Un sourire en coin étire les lèvres d'Asbeel.
— Et comme je l'ai dit, les petites humaines dans ton genre peuvent se montrer très persuasives.
Le rouge me monte aux joues sans que je ne sache pourquoi. Je cherche une réplique à lui lancer lorsque j'entends la porte d'entrée s'ouvrir. Ma coloc pénètre dans l'appartement, chargée comme un mulet : son sac à dos sur l'épaule gauche et le sac de son ordinateur portable sur l'autre.
— On se les gèle dehors ! lance-t-elle avant de se figer comme un épouvantail lorsqu'elle pose les yeux sur Asbeel.
Son visage passe de l'étonnement à l'intérêt évident et à en croire le sourire charmeur qu'Asbeel lui renvoie, l'intérêt est partagé.
— Allo Julie, la salué-je pour briser le silence étrange qui vient de s'installer. Tu as passé un bon week-end chez tes parents ?
— Dis donc, on est devenu une pension à beaux mecs ou quoi ? balance-t-elle en ignorant ma question.
Asbeel émet un rire grave puis se lève afin d'accueillir ma coloc comme il se doit.
— Bonsoir ! Je me présente : Asbeel. À qui ai-je l'honneur ?
Tout en parlant, il sort une carte de la poche de sa chemise et la tend à Julie.
— J.. Julie, bégaie-t-elle.
Je pense que c'est la première fois que mon amie reste sans mot.
— Enchanté, répond Asbeel en effectuant une légère révérence. Veux-tu te joindre à nous pour une partie de poker ?
— Strip-poker ? s'informe-t-elle retrouvant sa répartie habituelle.
— Ça peut s'arranger, répond Asbeel d'une voix sensuelle.
Je ne peux m'empêcher de lever les yeux au ciel. Ces deux-là font un parfait duo. La soirée risque d'être intéressante.
Après avoir déposé tout son barda dans sa chambre, ma coloc attrape une coupe dans l'armoire et se verse du vin, non sans avoir rempli à nouveau la mienne au préalable. Elle s'installe à la table et nous recommençons notre partie à zéro. Tant pis pour mon carré de reine.
Le reste de la soirée défile à une vitesse surprenante. Nous jouons aux cartes pendant deux heures et je m'amuse des jeux de mots salaces accompagnés des regards coquins que s'échangent ma coloc et mon baby-sitter. J'aurais pu me sentir de trop, mais l'ambiance est à l'humour et la bonne humeur. Sans trop faire attention, les verres de vin s'enchaînent et mon corps, peu habitué à l'alcool, peine à traiter ce nectar qui m'engourdit et me détend. Mes fous rires sont de plus en plus nombreux et ma vision s'embrouille tranquillement. Pour la première fois depuis quelques jours, je me sens bien. Je ris et je souris sans m'inquiéter de l'avenir.
Lorsque la porte de l'appartement s'ouvre, laissant place à cette grande silhouette qui hante mes rêves depuis quelques nuits, mon sourire ne quitte plus mes lèvres. Nous l'accueillons tous les trois d'une grande exclamation joyeuse. Néanmoins, son regard n'entend pas à rire. Sa main est posée sur son flanc droit et je remarque avec horreur une longue entaille sur sa joue. Mon regard est ensuite attiré par sa cuisse droite où son pantalon est imbibé d'un liquide sombre. Du sang.
Mon cœur bondit. Je me lève d'un saut, mais le regrette aussitôt. La pièce tangue, l'alcool me monte à la tête. Je reprends néanmoins l'équilibre et réussis à me trainer jusqu'à lui. J'attrape son menton et l'oblige à tourner la tête pour examiner sa joue.
— Qu'est-ce qui t'est arrivé ? baragouiné-je du mieux que je peux.
— Un imprévu, me répond-il d'un ton froid.
Ses yeux scrutent mon visage un instant, puis il entoure ma main de la sienne et l'écarte de son visage avec douceur. Au même moment, le sol se met à bouger et je perds pied. Gadriel me rattrape d'un bras glissé dans mon dos. Ma hanche se colle à la sienne et la sensation de son corps chaud et rigide contre le mien m'émoustille.
Ça ou l'alcool qui me réchauffe les sangs.
Le résultat ? Un souvenir béat sur mes lèvres suivi d'un gloussement.
— Qu'est-ce que tu lui as fait ? grogne-t-il.
Je sursaute avant de réaliser qu'il ne s'adresse pas à moi. Son étreinte protectrice se resserre autour de ma taille, me plaquant davantage sur son corps. Son regard est braqué sur son ami, toujours assis à la table. Ce dernier lève les mains en l'air en signe de drapeau blanc.
— J'ai fait ce que tu m'as demandé.
Asbeel affiche un sourire faussement innocent.
— Je t'ai demandé de la surveiller, pas de la souler !
— Non. Rectification : tu m'as demandé de prendre soin d'elle. Elle avait besoin de se détendre et de rire un peu. C'est ce qu'on a fait.
— Mais qu'est-ce qui se passe ici ? demande Julie, inquiète.
— Rien du tout, répond Asbeel. Mon ami est un grognon rabat-joie invétérée. Et je crois qu'Émilie et lui ont des choses à régler. Tu veux terminer notre partie de poker chez moi ? On pourrait incorporer le strip ?
Le jeu de sourcils d'Asbeel fait naître un sourire coquin sur les lèvres de Julie même s'il laisse vite place à un air inquiet.
— Non, je suis trop crevée, décline-t-elle. Et surtout, je ne laisse pas Émilie seule ici dans cet état.
Mon amie se lève et s'avance jusqu'à moi. Gadriel en profite pour me relâcher et s'écarter. Je regrette déjà la chaleur de son corps et son odeur réconfortante.
— N'hésite pas à venir me chercher si tu as besoin d'aide, me glisse-t-elle à l'oreille en me faisant la bise.
Je hoche la tête du mieux que je peux. Elle se tourne ensuite vers Gadriel et l'inspecte de haut en bas.
— Si j'étais toi, j'irais à l'urgence pour faire vérifier ta jambe, lui conseille-t-elle.
— Ce n'est qu'une égratignure, marmonne-t-il.
Elle lève un sourcil incrédule.
Je profite de leur discussion pour me trainer jusqu'au canapé où je m'affale comme une baleine échouée. Je ferme les yeux un instant et perds la notion du temps. J'entends des chuchotements en arrière-plan, des bruits de pas et des portes se fermer, mais tout se mêle dans mon cerveau baigné par l'alcool.
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