Chapitre 2: Le cul au froid

Gadriel

La première chose que je remarque après avoir raccroché avec Asbeel est le froid qui me brûle la peau. Depuis combien de temps n'avais-je pas ressenti la douleur?

Une éternité.

Afin de pallier à ce problème, je me dirige vers l'homme avec le nez bousillé. Lui et son ami s'apprêtaient à violer ma cible et c'était hors de question. J'ignore qui est cette fille, mais l'aura qui luit autour d'elle ne fait aucun doute : c'est celle de mon souverain. Signe qu'il tient un tantinet à elle.

Un à un, je retire les vêtements de l'homme qui s'est évanoui et les enfile, question de ne pas mourir gelé. Ils sont trop grands, franchement moches et dégagent une odeur de sueur et de friture qui me lèvent le cœur.

Ce n'est que pour quelques heures...

C'est alors qu'un tatouage sur son poignet retient mon attention : un « C » transpercé d'une dague. Le symbole de Lilith.

Un frisson glacial parcourt mon échine; rien à avoir avec la température ambiante. Ces hommes ne sont pas de simples voyous cherchant à avoir du bon temps. Ils sont après cette humaine pour une raison précise et elle ne survivra pas longtemps sans mon aide.

Cette dernière profite d'ailleurs du fait que j'ai le dos tourné pour filer en douce.

— Si j'étais toi, je ne resterais pas seule dans les prochains jours, dis-je tout en me tournant vers elle.

À mes mots, l'humaine pivote vers moi et croise les bras sur sa poitrine.

— C'est une menace? demande-t-elle, un air de défi sur le visage.

Son ton me surprend. Elle n'a pas l'air effrayée, alors que deux sbires de Lilith s'apprêtaient à l'agresser. Peut-être cache-t-elle très bien sa peur?

— Non, juste un avertissement, répliqué-je.

Ses sourcils se froncent et sa lèvre supérieure se retrousse avec dédain.

— Écoute, je te remercie de... de m'avoir évité le pire. Mais honnêtement, je ne fais pas trop confiance à des mecs qui se promènent à poils à une heure du matin. Sérieux, va consulter! Y'a clairement quelque chose qui ne tourne pas rond chez toi!

Sur ces mots, elle tourne les talons et quitte la ruelle en prenant à gauche.

Un grognement d'impatience s'échappe de mes lèvres. Maintenant que j'ai trouvé une piste, pas question que je la lâche d'une semelle. C'est peut-être ma seule chance de retrouver Satanaël. Ma seule chance de retourner à ma vie d'avant. Celle où je n'avais que mes armées à m'occuper. Je ne la laisserais pas passer!

Je fais quelques pas pour la rattraper, puis réalise que mes orteils ne tiendront pas longtemps sur le tarmac gelé.

Putain de froid!

Ce seul détail me donne envie de retourner illico chez moi, mais je sais très bien que c'est impossible. Pas avant le prochain portail du moins.

Je jette un regard aux deux idiots qui ont voulu s'en prendre à l'humaine et déchausse celui avec le nez bousillé. Une fois ses bottes enfilées, je pique un sprint à travers la ruelle, rattrape la brunette en moins de quinze secondes, la dépasse et me dresse devant elle.

Elle n'a d'autre choix que de s'arrêter et lever ses yeux gris vers moi. Je décèle sur son visage une peur fugace qui laisse place à la colère. Je prends la parole avant même qu'elle ne puisse la déverser sur moi :

— Je crois que tu m'as mal compris. Tu es en danger et je peux te protéger. Alors tu vas faire ce que je te dis et ne pas t'éloigner de moi.

J'utilise mon ton de commandant, le même qui coupe toute idée de rébellion à mes troupes. Une lueur de surprise passe dans ses yeux en forme d'amande, mais très vite son visage se durcit.

— Non et puis quoi encore? Tu as fini de délirer? Laisse-moi tranquille!

Elle tente de me contourner, mais je me fais un point d'honneur de l'en empêcher. Même si sa rébellion me déstabilise un peu.

— As-tu un endroit pour passer la nuit? lui demandé-je.

— Pour qui tu me prends? Une SDF?

— Une quoi?

Elle lève les yeux au ciel.

— Oui j'ai un chez moi, mais pas question de t'y conduire. Tu arrêtes de me suivre ou j'appelle la police.

Joignant le geste à la parole, elle sort son téléphone et le brandit devant mes yeux.

Un grognement. C'est tout ce que je trouve à lui répondre. Il fallait que je tombe sur une tête de cochon!

Stan, tu vas me le payer!

Je m'écarte de son chemin, mais je m'assure de lui offrir mon regard le plus noir.

— Je te souhaite bonne chance alors, grogné-je.

Elle semble hésiter un instant, surprise que je lui concède aussi facilement la victoire. Ce qu'elle ignore c'est que j'ai l'intention de la suivre jusque chez elle. Ou peut-être bien qu'elle s'en doute, si elle est un tant soit peu maligne.

De toute façon, une chose est certaine : je n'arriverais pas à la convaincre de me faire confiance.

Une fois ce moment d'hésitation passée, elle réajuste son sac sur son épaule et reprend sa route d'un pas décidé. Je la regarde s'éloigner en silence et ne peux m'empêcher de remarquer sa jolie silhouette toute en courbes et ses cheveux brun foncé lui arrivant à la hauteur des épaules. Elle est loin du genre habituel de Stan, qui a toujours préféré les blondinettes. Néanmoins, pour que son aura soit partout sur elle, il n'y a aucun doute qu'il a couché avec. Et pas qu'une fois.

Alors que je l'observe s'éloigner, je ne suis pas surpris de la voir regarder par-dessus son épaule à plusieurs reprises. Dès qu'elle tourne le coin d'une rue, je m'élance sur sa trace et tente, tant bien que mal d'éviter qu'elle me repère. Le vent glacial qui siffle dans mes oreilles couvre mes pas et les quelques voitures stationnées dans les rues étroites ainsi que le peu d'éclairage me permettent de rester discret.

Après trente minutes à jouer au chat et à la souris, je la soupçonne d'allonger son chemin pour s'assurer de me semer. J'ai quand même l'impression qu'elle ne m'a pas repéré et la preuve irréfutable est qu'elle finit par pénétrer dans un bloc appartement jaunâtre et défraichi.

Une fois qu'elle est à l'intérieur, j'observe avec attention toutes les fenêtres de l'immeuble à trois étages qui doit contenir une dizaine d'appartements. Après quelques minutes, j'aperçois à travers une fenêtre une lumière qui s'allume.

Bingo!

Son logement est au deuxième étage sur la gauche. Je note mentalement l'adresse puis fais le tour du bloc. Il me faut un abri pour la nuit avant de devenir un glaçon ambulant. Malheureusement, pas de cabanon dans la cour arrière ni de portique. Pas question non plus de m'imposer de force chez elle. Il ne reste que le hall d'entrée du bloc. Pas très discret, mais je n'ai qu'à y rester quelques heures, le temps que le soleil se lève et chasse le froid et l'humidité de cette nuit d'automne.

Le cul sur du linéum gris, le dos contre un mur de la même couleur, je ne peux m'empêcher de grommeler tout haut contre mon ami et souverain :

— Le Canada, Stan! Putain t'aurais pu choisir un endroit plus chaud! Je sais pas moi, la Floride, Barcelone? Mais non! T'as choisi le Canada! Et en plein mois de novembre! Tu m'en veux à ce point?

Même si je rage contre mon ami, je m'inquiète tout de même pour lui. Ce n'est pas la première fois qu'il disparait sans crier gare, mais jamais aussi longtemps. Deux mois déjà qu'il a quitté le palais sans donner de nouvelles. Les premiers jours, je pensais qu'il reviendrait après une semaine. Comme il fait d'habitude. Puisque je suis son bras droit, les conseillers sont vite venus me voir pour que je prenne les décisions à sa place : devrait-on rénover cette aile du palais? Est-ce une bonne idée d'ouvrir une autre maison de jeu? Quels orchestres choisir pour le prochain bal costumé? Devrait-on céder la frontière sud aux gobelins? Pendant quelques jours, j'avais réussi à repousser ces décisions dont je n'en avais rien à foutre, mais après trois semaines j'ai dû me rendre à l'évidence : je devais agir et retrouver Stan au plus vite sous peine de devenir fou!

Je n'ai pas l'étoffe d'un souverain. Les réceptions et cérémonies officielles me donnent la nausée. Les décisions sur l'avenir du royaume, de l'urticaire. Mon truc à moi, c'est entraîner l'armée du royaume, gérer les têtes fortes et les engueuler lorsqu'ils dérogent aux règles - ma spécialité - .

Porter des habits chics et sourire comme un con à des gens que je déteste, très peu pour moi.

Bref, afin d'éviter de me taper toutes ces responsabilités débilitantes, je devais retrouver Stan, lui dire ma façon de penser et le clouer par les couilles sur son trône. Or, malgré toutes les recherches de Baraquiel à travers les trois mondes, il était introuvable. Alors que tout espoir de le retrouver s'égrainait au même titre que ma patience envers ses conseillers — que j'étais sur le point d'empaler sur la place publique — une trace de son essence était apparue sur les radars, à l'endroit exact où je me trouvais. Mais seulement une trace, qui en l'occurrence se trouvait sur cette fille que je venais de sauver par la peau des fesses.

Littéralement.

C'était mon seul indice pour retrouver Satanaël. Et selon le tatouage que je venais de découvrir sur ses assaillants, je n'étais pas le seul à être sur cette piste.

Soudain, la porte du petit hall d'entrée où je me trouve s'ouvre. Accompagnée de son lot d'air glacé qui me fait frissonner. Un homme d'une trentaine d'années à la barbe mal entretenue et au manteau rapiécé pénètre à l'intérieur et se dresse devant moi les sourcils froncés :

— Dégage de là, c'est mon spot pour la nuit.

— Pas cette nuit, grondé-je sans prendre la peine de le regarder dans les yeux.

— Ah ouais? Peut-être que ceci va te faire changer d'avis.

L'homme sort de sa poche un couteau à cran d'arrêt et en dégage la lame d'un mouvement de poignet agile. Je soupire et lève mes yeux au ciel. Pas moyen de broyer du noir en paix!

Lorsque je déplie mon corps et le surplombe de mon 6'2 tout en muscle, mon interlocuteur semble moins sûr de lui. Je prends le temps de bien articuler mes mots, un à un :

— Je n'ai pas changé d'avis. Cette nuit, trouve-toi un autre endroit.

Ses yeux hésitants me détaillent de haut en bas et sa poigne sur sa petite arme ridicule est beaucoup moins solide. Il déglutit lentement. J'entends presque ses neurones analyser ses faibles chances de survie s'il décide de m'attaquer.

— D'accord pour cette nuit alors, grommèle-t-il d'une voix qu'il aurait sans doute voulu plus assurée. Mais demain, si tu es encore là, je reviens avec mes potes.

— Super... Maintenant, dégage.

D'un grondement insatisfait, il quitte le minuscule portique en laissant entrer encore une fois un insupportable vent glacial. Je retourne reprendre ma place, assis le dos au mur et me recroqueville sur moi-même afin de garder le peu de chaleur qui me reste.

Putain, que je déteste cette dimension!

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