Chapitre 19: le chant de la sirène

Gadriel

Mon cœur cogne dans mon thorax, dans mes tempes, dans mon corps en entier ! Mes muscles sont tendus comme jamais, gonflés d'un désir irrépressible. Mon sang brûle dans mes veines, ma respiration est chaotique et pénible, comme si une main compressait ma poitrine. Jamais je n'avais ressenti une telle chose. Cette sensation de tomber, de perdre le contrôle. Comme si mon corps n'obéissait qu'à lui-même.

Émilie est une humaine ! Une MORTELLE !

Ma tête me répète sans cesse cette fatalité. Mon corps, lui, s'en fout. À quoi bon lutter ? Ce ne serait pas la première fois qu'un déchu succombe au charme d'une mortelle. Asbeel le fait constamment. Stan aussi. Alors pourquoi résistes-tu ?

Parce que je m'étais fait la promesse. Parce qu'au fond de moi, je sais que ce n'est pas que du désir. C'est plus que ça.

Mon âme vibre à son contact. Elle s'agite et illumine les parties les plus sombres de mon être. Si je franchis cette ligne de plus en plus mince, l'inévitable douleur se réanimera. Cette douleur dans ma poitrine que j'ai pris des siècles à refouler.

Les dents serrées, j'étouffe tous les jurons existants dans ma tête. Il est plus que temps de quitter cette dimension. Que j'enterre cette sensation, que j'oublie celle qui la fait naître.

Mais je ne peux pas, pas tout de suite. Je dois m'assurer de la laisser en sécurité. Et pour ça, je pouvais déjà confier deux dossiers à Asbeel.

J'attrape mon téléphone et compose son numéro.

Une voix endormie me répond à la quatrième sonnerie.

— Ouais...

— T'as un papier et un crayon ? lui demandé-je sans préliminaires.

— Ouais, je dors toujours avec ce genre d'attirail, ironise Asbeel.

J'ignore son humour habituel et vais droit au but.

— J'ai besoin que tu montes deux dossiers pour moi. Et mets-y la totale.

— Traquenard avec perpétuité ?

— Exacte.

— C'est bon. Attends un instant.

J'entends le bruit de drap qu'on froisse, puis une chaise qui racle le sol.

— D'accord, je suis prêt.

Je lui donne deux noms : Richard Martin et Nicolas Laflèche. Je déballe les détails pour qu'ils puissent les retrouver.

— J'ai un ou deux dossiers à traiter avant, mais ça devrait être fait rapidement, déclare-t-il après avoir noté les informations.

— Merci

— J'imagine que tu ne m'expliqueras pas pourquoi je dois m'occuper de ces mecs?

— Ils le méritent, crois-moi.

— Je n'en doute même pas.

Un silence passe. Un silence où j'envisage l'idée de me confier à Asbeel.

— Est-ce que ça va Gad ? me demande-t-il à l'autre bout du fil.

— Oui, pourquoi ?

— Je sais pas, peut-être parce que tu ne m'as pas encore raccroché au nez après m'avoir craché tes ordres ?

Je grogne, frustré qu'Asbeel me connaisse si bien.

— C'est la jolie brunette qui ramollit ta vieille carcasse ?

— Va te faire foutre, Asbeel.

Je l'entends rire à l'autre bout du fil.

— Profite de la vie, mon vieux. Oublie tes vieux démons et laisse-toi aller. Ce n'est pas tous les jours qu'on croise un aussi joli petit cul.

Les dents serrées, je raccroche.

Quel con !

Et puis je réalise que j'ai oublié de lui demander de passer à l'appartement d'Émilie demain soir. Ça et envoyer quelqu'un illico pour réparer tout ce que j'ai fracassé de rage dans la salle de bain.

J'étouffe une série de jurons et recompose son numéro.

***

Après une nuit trop courte passée dans un minuscule canapé à tenter de faire taire mes pensées, me voilà à laver encore une fois de la vaisselle dans un restaurant de quartier. Si quelqu'un m'avait dit que je ferais ça un jour, je lui aurais fracassé le crâne sur du marbre. Mais voilà, je suis maintenant en train de vider les restes de nourriture dans un bac à compost et remplir un lave-vaisselle commercial dans un restaurant bas de gamme. La tâche est pénible, franchement dégueulasse et je regrette amèrement ma décision d'être partie à la recherche de Stan.

Sauf quand Émilie franchit les portes de la cuisine.

Chaque fois, c'est plus fort que moi : mon attention se tourne vers elle et mes yeux cherchent les siens. Je me délecte de ses joues qui se colorent de rose lorsque son regard croise le mien. De cette timidité qui s'empare d'elle alors qu'il y a quelques jours, c'était plutôt de la colère ou de la peur.

Un lien s'est formé entre nous. C'est indéniable.

Et c'est loin d'être une bonne chose.

— Mickaël, tu peux me donner un coup de main pour casser ces œufs ? demande Antoine au fourneau.

Assis à la table des employés, le petit hoche la tête et débarque de sa chaise. Il n'est pas à l'école aujourd'hui. Émilie m'a expliqué qu'il était en pédago, même si je n'ai aucune idée de ce que ça signifie. En même temps, ça tombe bien. Il est plus facile de le protéger ainsi, s'il reste avec nous. Miranda et Émilie lui ont aménagé un petit coin sur la table où il peut jouer avec ses figurines de super-héros et dessiner. Antoine et Miranda lui demandent parfois d'accomplir quelques tâches simples afin de le divertir, ce qui me fait croire que ce n'est pas la première fois que Mickaël suit sa mère au boulot.

Quoiqu'il en soit, notre journée de travail à Émilie et moi passe relativement vite, surtout quand cette dernière est dans les parages et non dans la salle à manger. Nous revenons à son appartement un peu après 18 h où Émilie entame la routine du soir avec Mickaël. Pendant ce temps, je m'assure que tout est en place pour ce soir. Je dois rejoindre Zaamiel et Suriel au centre-ville afin de mettre la main sur la dernière menace qui plane au-dessus de la tête d'Émilie. Du moins, je l'espère.

À 21 heures, comme prévu, on cogne à la porte.

— Ça doit être ma baby-sitter, ironise Émilie.

Je vois bien que l'idée qu'Asbeel vienne veiller sur elle ne lui plaît pas, mais je n'ai pas vraiment d'autres choix.

Émilie accueille un Asbeel tout sourire qui semble tout droit sorti d'une soirée mondaine. Sous son manteau de cachemire gris, qui épouse à la perfection sa silhouette svelte, et qu'il tend à Émilie, il revêt une chemise blanche dont les manches sont repliées, laissant entrevoir ses avant-bras. Un pantalon noir de tailleur complète sa tenue de parfait petit bourgeois pédant. Il est franchement temps qu'il revienne à Shéol avant qu'il ne devienne comme ces humains prétentieux qui se croient supérieurs aux autres.

— Bonsoir très chère Émilie, lance-t-il accompagné de son sourire légendaire qui en a fait mouillé plus d'une.

Il effectue une petite révérence qui, pour mon grand plaisir, n'a pour effet sur Émilie que de lui faire lever les yeux au ciel.

— Bonsoir Asbeel, l'accueille-t-elle malgré tout. Tu n'étais pas obligé de venir, tu sais, je me débrouillais très bien avant que ton grincheux d'ami ne débarque dans ma vie.

Je sens une pointe d'amusement dans sa voix plutôt de réels reproches.

— Je n'en doute pas une seule minute, très chère Émilie. Mais je suis au service de mon souverain, plaisante-t-il en effectuant une autre révérence, à mon intention cette fois.

Ça réplique me fait grincer des dents. Émilie, étonnée, se tourne vers moi.

— Je croyais que c'était Stan ton souverain ?

J'ouvre la bouche pour lui expliquer, mais Asbeel est plus rapide que moi.

— Gadriel est le bras droit de Stan. C'est lui le souverain en son absence.

Il se tourne vers moi, un éclat sournois dans le regard.

— Qu'il le veuille ou non.

Cette fois c'est moi qui tourne mes yeux vers le ciel.

— Tu as ce que je t'ai demandé ? le questionné-je afin de couper court à tout ceci.

Il acquiesce puis sort un trousseau de clé de sa poche arrière.

— Et voilà mon ami ! Amuse-toi bien !

Asbeel me lance le trousseau en m'expliquant que ma nouvelle moto m'attend en bas de la rue. Je hoche la tête en signe de remerciement puis attrape ma veste dans l'entrée.

— Je reviens d'ici une heure ou deux. J'ai mon téléphone si jamais..

— Oui oui, t'inquiète. Je vais bien veiller sur petite Émilie. Tu veux qu'elle soit couchée à quelle heure déjà ? se moque-t-il en tapotant le crâne de cette dernière.

Asbeel lance un clin d'œil à Émilie qui éclate de rire.

« Ta gueule » est ma réponse.

Puis je ferme la porte derrière moi.

Comme promis, la moto m'attend au pied de l'immeuble. Je remarque qu'Asbeel a pensé à me procurer deux casques. J'en range un puis enfile l'autre. Je programme mon gps à l'adresse indiquée par Suriel et enfourche ma moto.

À cette heure, les rues de la ville sont désertes. Peu de gens s'aventure hors de chez soi un lundi soir. La température près du zéro et la chaussé humide me fait soudain regretter mon choix de véhicule. Le froid s'incruste sous ma veste et je ne suis pas mécontent quand j'arriver à destination. Suriel et Zaamiel m'attendent dans le stationnement d'un bar que nous voulions surveiller ce soir.

Je gare ma moto près d'une haie de cèdre de plusieurs mètres de haut et inspecte les lieux pendant que les deux déchus s'approchent de moi. Que quelques voitures sont stationnées devant le bâtiment rectangulaire au toit vert et au revêtement brunâtre. Un poteau rouge planté juste en face soutient un écriteau qui affiche les mots « Pignon vert ». Si j'en crois la position suggestive de la silhouette féminine qui décore le panneau, ça n'a rien à voir avec le roman du même nom.

Zaamiel me salue tandis que Suriel arbore son air blasé habituel. Tous les deux sont habillés comme de simples civils : jean et parka. Suriel toutefois porte une casquette.

— Ça m'a surpris quand Asbeel m'a dit que c'est toi qui t'occupais du dossier, déclare le premier.

— Ouais, c'est une longue histoire.

— Avec toi, c'est toujours des longues histoires, rigole-t-il. Malgré tout, je suis content de te revoir. Ça doit faire quoi... un siècle ?

— Je crois, peut-être un peu plus. Alors, vous croyez qu'elle est ici ? enchaîné-je pour couper court.

— Oui, du moins c'est notre piste la plus certaine. Il y a eu plusieurs altercations dans les derniers jours et une activité disons plus... intense.

Sariel hoche la tête pour confirmer.

— Parfait et vous avez un plan ?

— On s'assied à l'intérieur et on observe, répond encore une fois Zaamiel.

— C'est tout ?

— Tu t'attendais à quoi ? Tabasser chaque client du bar jusqu'à ce que l'un d'eux nous dise où se planque la sirène? On n'est pas à Shéol j'te signale, il y a des humains là-dedans qui n'ont aucune idée de notre existence.

— Je suis au courant, me rembrunis-je même si je sais qu'il a parfaitement raison.

Le fait est que, même si j'avais hâte de venir ici me dégourdir un peu après les derniers jours à rester inactif, j'ai déjà hâte de revenir à l'appartement. Je ne fais pas totalement confiance à Asbeel. Il saura protéger Mickaël et Émilie, quoi qu'il arrive. Mais il saura aussi utiliser ses charmes sur Émilie et ça me fout en rogne rien que d'y penser. Si Asbeel ne pose ne serait-ce qu'un doigt sur Émilie, je jure que je lui casse la gueule tous les jours du reste de son éternité. Siècle. Après. Siècle. Amen.

— Allons-y, ordonne Zaamiel.

Sans plus attendre, nous franchissons les portes de l'établissement. Une musique lente et lascive nous accueille, ainsi qu'une jeune femme à demi vêtue. Elle nous invite à déposer nos manteaux dans le vestiaire et nous fait payer notre droit d'entrée. L'atmosphère est tamisée. Seules quelques lumières basses éclairent les lieux. Les nombreux miroirs et l'absence de fenêtre contribuent à rendre l'endroit plus intimiste. Trois scènes sont installées au milieu de la salle et sont entourées de tables et des chaises pour les clients. Une dizaine de personnes sont attablées ici et là, sirotant une bière et appréciant le spectacle d'une jeune femme qui doit à peine avoir l'âge de la majorité. Elle porte une minuscule jupe bleue sur laquelle sont accrochées des menottes de fourrure. Elle tourne lentement autour d'un mât de métal puis s'arrête pour le coincer entre ses seins dénudés et le lécher de manière suggestive.

— Merde, soufflé-je. On n'a pu les bordels qu'on avait.

— Ce n'est pas un bordel, me précise Zaamiel qui nous indique une table où nous prenons place. C'est un cabaret de danseuse. Ici, on se rince l'œil, c'est tout.

— Vous voulez quelque chose à boire ? nous demande une serveuse venue nous rejoindre.

Une simple nuisette noire fendue des deux côtés de ses cuisses jusqu'à ses fesses constitue son habillement.

— Trois bières en fût s'il te plaît, ma jolie, commande Sariel qui déplie ensuite ses jambes et croise les mains derrière sa tête pour apprécier le spectacle.

Sur la scène, deux autres filles ont rejoint à la première et exhibent allégrement leur croupe.

Pendant ce temps, je jette un coup d'œil aux gens dans la salle. La plupart du personnel est constitué de femmes. Je repère néanmoins un homme d'une cinquantaine d'années derrière le bar. Deux autres hommes, plutôt baraqués, sont postés près de l'entrée. Leurs bras tatoués croisés sur leur poitrine, ils balaient la salle des yeux tout en discutant entre eux.

Les autres personnes dans l'endroit sont manifestement des clients. Plusieurs sont seuls, d'autres en groupe de deux ou trois. Pour l'instant, je ne décèle rien d'anormal.

Une heure passe pendant laquelle mes amis sirotent leur bière et Sariel se gâte en payant une fille pour qu'elle se frotte à lui. Pour ma part, je ne touche pas à mon verre et reste à l'affût du moindre indice qui me laisserait croire qu'une sirène traine dans les parages. Les filles semblent consentantes et surveillées par les hommes près de la porte. Les clients restent calmes et profitent du spectacle. Et moi ? J'ai l'impression de perdre mon temps.

Je m'apprête à proposer qu'on cherche ailleurs quand, mon regard se pose sur une silhouette qui monte sous les projecteurs. Elle n'a rien à voir avec les autres danseuses. Un soutien-gorge argenté couvre sa poitrine menue. Il est relié par des cordes tressées à une petite culotte de la même couleur. Son ventre et son dos découverts laissent entrevoir sa peau aussi blanche que la première neige de l'hiver et malgré le masque noir orné de dentelle qui couvre son visage, je la reconnais au premier regard.

Elle aussi.

Les yeux gris d'Émilie s'écarquillent lorsqu'ils se posent sur moi. Elle se mord la lèvre puis avise mes compagnons. Alors que mon cerveau tente de comprendre sa présence ici, sur cette scène, à peine vêtue, une musique lente et chaude nous enveloppe. Son regard change, prend de l'assurance. Elle descend les quelques marches et s'avance lentement vers nous, ses hanches roulant à chaque pas. C'est plus fort que moi, ma queue se dresse lorsque mes yeux balaient son corps de déesse qui bouge lascivement au rythme des notes suaves.

Une fois devant moi, elle se penche et pose les mains sur mes cuisses, ses doigts s'enfonçant dans ma chair. Elle m'offre une vue spectaculaire sur sa poitrine à peine couverte.

Mes muscles se tendent alors que mes mains agrippent les bras de ma chaise.

— Que fais-tu ici ? soufflé-je.

Elle penche la tête, une jolie moue sur son visage.

— Je travaille ici.

Sa voix est chaude, douce comme le miel.

— Pourquoi ne me l'as-tu jamais dit ?

Elle hausse les épaules, se relève et me contourne lentement, ses mains glissant sur mes bras, mes épaules et ma nuque. Une douce torture qui éveille ma peau.

Elle se penche derrière moi. Son souffle brûlant caresse mon oreille. Mon cœur se détraque.

— Parce que je sais que tu n'es pas du genre à partager, souffle-t-elle, ses lèvres effleurant la peau de ma nuque. Que tu empêcherais quiconque de me caresser des yeux comme tu le fais maintenant.

Mon sang bouillonne. Un volcan menace de faire irruption dans mes veines et plus rien ne compte. Je n'entends plus la musique, ne vois plus les autres danseuses. Nous ne sommes plus dans ce bar. Nous sommes seules, ici, maintenant. Dans cet instant. Dans ce brasier qui nous consume.

Elle revient devant moi, se retourne et s'assoit sur moi. J'observe la courbe magnifique de ses reins, de ses hanches et de ses fesses pressées contre ma queue qui la désire à en avoir mal.

Mes mains brûlent de la toucher, de la caresser et quelques secondes me suffisent pour que mes barrières cèdent.

En retenant mon souffle, j'effleure la peau délicate de son dos du bout des doigts. Elle est chaude, douce. Émilie gémit doucement en réaction puis se cambre davantage.

Mes mains se déplacent vers l'avant de son corps. Je caresse son ventre soyeux et ferme puis la peau sensible sous ses seins. Ma queue pulse dans mon pantalon alors que je sens ses paumes sur mes cuisses. Elle les caresse, les presse et les maltraite. Puis une douleur. Une piqure qui devient un doux supplice.

— Gadriel... gémit-elle en roulant et pressant ses fesses sur mon sexe qui n'a jamais été aussi dur.

J'attrape son cou et l'oblige à se redresser pour la sentir contre moi. J'embrasse sa nuque, mordille ses épaules. J'ai soif de sa peau, soif d'elle. Je veux la goûter, dévorer sa bouche, son sexe. Je veux l'entendre crier mon nom. Encore et encore.

— Gadriel !

Mais cette douleur à la jambe... et cette odeur... cette odeur épicée si loin de la poire...

— Gadriel putain !

Un poing s'écrase contre ma tempe, celui de Sariel. Une douleur fulgurante souffle le brouillard autour de moi. La lumière revient, des cris et des fracas enterrent la musique. Je vois le bras d'Émilie se soulever, un couteau couvert de sang dans ses mains. Elle pivote et ses yeux me percutent. Deux iris verts lumineux. Un visage crispé par la haine, couvert de pigment bleu et rouge.

Ce n'est pas elle. Ce n'est pas Émilie !

J'ai à peine le temps de le réaliser que le couteau s'abat vers mon ventre. Je bascule la garce au sol. La lame manque sa cible, mais transperce mon flanc droit. La douleur explose dans mon muscle. Mon sang qui bouillait se transforme en lave.

Fou de rage, je me jette sur la sirène à mes pieds. J'attrape sa gorge, lui broie la trachée. Elle suffoque, se débat, griffe mon visage. La lumière dans ses yeux est sur le point de s'éteindre lorsqu'une vive brûlure transperce mon épaule. J'hurle de douleur et relâche ma poigne. Un bras s'enroule autour de mon cou, tandis que la démone devant moi crache sa haine dans un cri strident.

Les miroirs explosent. Les projecteurs aussi. Le noir nous enveloppe un peu plus tandis que je lutte pour respirer.

Des points se forment devant mes yeux. Mes sens s'éteignent. Un à un.

Dans un dernier éclair de lucidité, j'ouvre la bouche et plante mes dents dans le bras qui coupe mon souffle. L'homme jure, relâche sa prise. De ce fait, il me donne l'ouverture nécessaire.

J'utilise mon poids pour le balancer par-dessus moi. Il atterrit au sol dans un fracas, à l'endroit même où la sirène se trouvait quelques secondes plus tôt. Je reconnais aussitôt mon agresseur. C'est un des portiers du bar. Ses yeux sont injectés de sang, ses pupilles dilatées. Il est sous l'emprise de la sirène.

Sans hésiter, j'abats mon poing sur sa tempe le mettant hors d'état de nuire et ainsi le libérer de cet enchantement.

Lorsque je me relève, une douleur cuisante émane de ma jambe. J'abaisse le regard et réalise qu'on m'a poignardé la cuisse. Quelques centimètres de plus à droite et c'est mon artère fémorale qui aurait été sectionnée. Une blessure qui aurait pu s'avérer mortelle.

Sur ma droite un homme se précipite soudain vers moi. Une chaise au-dessus de sa tête, il hurle et tente de la fracasser sur moi, mais je l'évite à la dernière minute. Il trébuche sur le corps à mes pieds. La chaise s'écrase au sol et son crâne se percute dessus.

Je réalise au même moment que le bar au grand complet semble s'être retourné contre nous. Sous la faible lumière des quelques ampoules encore intactes, je vois Zaamiel sur ma droite près du bar. Il évite de justesse le coup de poing du barman. Sariel est à ma gauche. Il immobilise une danseuse sur sa chaise avec des menottes. Un sourire extatique étire ses lèvres, signe qu'il y prend un malin plaisir. Les autres danseuses sont alignées tout près, attachées de la même manière, parfois avec de la lingerie, parfois avec d'autres articles de fantaisies.

L'endroit est sens dessus dessous. Les tables et les chaises sont renversées, des éclats de verre recouvrent le sol. La plupart des clients sont au sol, assommés. L'un d'eux a toutefois connu un sort plus funeste. Affalé sur sa chaise, un long morceau de miroir s'est planté dans sa poitrine. Ses yeux sont ouverts, son regard est éteint. Il le restera à jamais.

Cette mission est un échec. Un innocent est mort, la démone s'est enfuie et je réalise que je suis foutu.

Non seulement j'ai failli à ma tâche, mais j'ai maintenant un énorme talon d'Achille qui nourrira dorénavant tous mes ennemis.

Une terrible faille dans mon armure qui n'a qu'un nom.

Émilie.  

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