Chapitre 16: Chocolat chaud et crème fouettée
Émilie
— Est-ce que Gadriel va rester longtemps avec nous ? demande mon fils, couché dans son lit, alors que je remonte les couvertes sous son menton.
— Je l'ignore, mon ange. Pourquoi ? Sa présence te dérange ?
— Non. Je l'aime bien ! Il est chouette !
Je souris. Je n'ai pas de difficulté à croire Mickaël. Après notre tournoi de Mario Kart, mon fils a insisté pour que ce soit Gadriel qui lui lise l'histoire du soir avant d'aller dormir. Ce dernier a semblé perplexe, mais n'a pu résister au regard de chat botté que lui a lancé Mickaël. Assis sur le canapé, un livre pour enfant dans ses énormes mains et Mickaël à ses côtés, Gadriel a entamé l'histoire préférée de mon fils. De sa voix grave et profonde, il nous a lu l'histoire d'un drôle de loup qui n'aimait pas être noir. Même si je la connais par cœur pour l'avoir lu mainte et mainte fois, je n'ai pu m'empêcher de l'écouter, absorbée par la beauté de ses traits et de ses yeux bleus qui exprimaient les mêmes émotions que le personnage. Sa mâchoire anguleuse couverte d'une légère barbe cendrée plus foncée que ses cheveux se mouvaient au même rythme que ses lèvres pleines et qui donnaient vie à l'histoire.
Gadriel s'est figé quand Mickaël s'est blotti contre lui pour mieux voir les images. Il a penché la tête vers le petit puis a repris l'histoire d'une voix moins assurée. J'ai moi-même été surprise. Mickaël n'a jamais été un enfant très affectueux, sauf avec moi. Même Julie, qui s'en occupe les soirs où je travaille, a eu beaucoup de difficulté à percer sa carapace. Je réalise soudain que lorsqu'il est avec des étrangers, il est un peu comme Gadriel. À la fois silencieux et observateur. Toutefois, pour une raison qui m'échappe, Mickaël ne semble pas considérer Gadriel comme un étranger. Une partie de moi s'en réjouit sans trop savoir pourquoi. Une autre partie, dissimulée dans les recoins les plus noirs de ma conscience, s'en méfie. Les apparences sont parfois tellement trompeuses...
— Bonne nuit, mon ange.
Je dépose un dernier baiser sur le front de mon fils avant d'éteindre la lumière et quitter sa chambre.
Lorsque je referme sa porte derrière moi, je sens mon masque s'effriter et la fatigue des derniers jours me gagner. Mickaël est couché, je n'ai plus à faire semblant que tout va bien. Mes craintes, mes peurs et mes doutes reviennent me hanter. Néanmoins, lorsque mon regard se pose sur Gadriel qui s'affaire à remettre le salon en ordre sans que personne ne lui demande, j'ai envie d'avoir confiance en cet homme qui a débarqué dans nos vies et a promis de nous protéger.
— Je pensais me faire une tisane avant d'aller me coucher. Tu voudrais quelque chose ? Thé, café ? Chocolat chaud ?
J'ai ajouté le dernier à la blague, mais à voir ses yeux s'allumer, je crois qu'il a un faible pour ces délices sucré.
— Chocolat chaud ça serait parfait.
Je hoche la tête, amusée, puis me dirige vers la cuisine pour nous préparer deux tasses de cette boisson chaude. Parce que moi aussi, finalement, j'ai envie de retourner en enfance.
Je vais ensuite rejoindre Gadriel au salon. Assis sur le canapé, il pianote sur ton téléphone et relève la tête lorsque je lui tends sa tasse.
— Votre chocolat chaud, milord. Crème fouettée en extra ! plaisanté-je.
Il range son téléphone et prend la tasse dans ses mains.
— Merci, me dit-il avant de la porter à sa bouche et prendre une longue gorgée.
Une moustache de crème se forme sur sa lèvre supérieure et il passe sa langue pour la nettoyer.
Oh seigneur !
J'ai besoin de toute la volonté du monde pour ne pas rester là, debout, à le dévorer des yeux pendant qu'il boit son chocolat chaud. Comment est-ce possible d'être aussi sexy avec une boisson d'enfant dans les mains ?
Je détourne les yeux puis décide de me poser à l'autre extrémité du canapé, une jambe repliée sous moi et mon corps légèrement tourné vers Gadriel.
Je fixe mon attention sur la tasse dans mes mains pendant qu'un silence s'installe entre nous.
À mon grand étonnement, c'est Gadriel qui finit par le briser en premier.
— Tu dois être fatiguée.
Je lève un regard surpris vers lui. Aïe ! Aie-je l'air si fatiguée ? Mes cernes sont-ils si apparents ?
— Ça paraît tant que ça ?
— Non. Mais tu ne t'arrêtes jamais. Ça fait trois jours que je t'observe et pas une seule fois tu ne t'es reposée ou tu as fait quelque chose pour toi.
Je hausse les épaules.
— Il y a des journées plus difficiles que d'autres, c'est vrai.
— Et celle-ci était difficile ?
Non. Elle était même plutôt agréable.
— Pourquoi ? Est-ce qu'on a réussi à t'épuiser ? plaisanté-je.
Je réussis à lui soutirer un sourire. Minuscule, mais un sourire quand même. Il quitte mon regard et fixe la télévision éteinte.
— Non. Ça va.
— Ce n'était pas trop pénible ?
Quelques secondes s'écroulent avant qu'il ne réponde.
— Non.
Je lève les yeux au ciel. Voilà ses monosyllabes qui sont de retour !
— Tu n'es vraiment pas du genre bavard, toi.
Il retourne son attention sur moi.
— Non, répond-il de son air impénétrable.
Je m'apprête à grogner lorsque je vois apparaître un sourire narquois sur ses lèvres. Un éclat de malice brille dans ses yeux.
Je réprime mon envie de lui tirer la langue comme un enfant.
— Tu as toujours voulu être serveuse ? me demande-t-il soudainement.
Je repose ma tasse sur mes genoux, mes doigts glissés dans l'anse.
— Non, je n'ai même jamais pensé l'être. Disons que ce boulot m'est tombé dessus comme une bouée. J'étais enceinte de Mickaël, je ne connaissais personne et j'avais besoin d'argent. Miranda cherchait quelqu'un. J'ai saisi l'occasion.
— Tes parents ne pouvaient pas t'aider ?
Je laisse passer un rire grinçant.
— Je n'ai jamais connu mon père et ma mère... Disons que je ne pouvais pas compter sur elle.
À mon plus grand soulagement, Gadriel ne pousse pas davantage dans cette direction. Je n'aime pas beaucoup parler de mon passé, surtout pas de ma mère qui aurait dû être ma bouée, mais qui était plutôt le boulet qui m'empêchait d'avancer. Cela peut paraître cruel. Un enfant devrait être reconnaissant envers sa génitrice.
Ce n'est pas mon cas.
Gadriel prend une autre gorgée de sa boisson. Involontairement, mon attention se porte sur son biceps qui se contracte sous la manche de son t-shirt lorsqu'il lève sa tasse. Puis, mes yeux glissent sur les symboles tatoués sur son avant-bras.
Je les pointe du doigt :
— Ils ont une signification ?
Il jette un regard sur ceux-ci, comme s'il avait oublié leur existence.
— Oui et non.
Je penche ma tête et fais la moue.
— Tu peux élaborer ?
— Ils me rappellent toutes les décisions stupides que j'ai prises dans le passé.
— Cooomme ? insisté-je
Un sourire s'invite sur son visage, rapidement remplacé par une lueur de regret dans ses yeux.
— Pendant longtemps, je me suis... disons... égaré ?
Il laisse passer un moment avant d'inspirer et continuer.
— J'ai passé plusieurs années en Asie et en orient à errer sans but.
— Pourquoi, demandé-je doucement, consciente que c'était peut-être difficile pour lui de se s'ouvrir à moi.
Je ne voulais surtout pas qu'il se rétracte à nouveau derrière son mur.
— Je m'en voulais, avoue-t-il. M'en voulais d'avoir été aussi stupide. D'avoir succombé au point d'oublier mes responsabilités. J'ai bu pour faire taire ma douleur. J'ai respiré des herbes qui me faisaient oublier qui j'étais. À peine conscient, j'ai marqué à vie mon enveloppe mortelle de toutes les erreurs que j'ai commises. Les jours, les mois et les années se sont enchaînés dans lesquels ma vie n'était qu'un brouillard permanent.
L'émotion contenue dans ses propos me transperce et me laisse sans voix. J'y décèle une douleur encore trop vive, une souffrance qu'il aurait aimé oublier.
— Qu'est-ce qui s'est passé ensuite ? Comment en es-tu sorti ?
Un sourire triste étire le coin de sa bouche.
— Asbeel et Stan m'ont retrouvé et m'ont ramené de force dans notre royaume.
— Stan, ton souverain ? C'est pour ça que tu es à sa recherche ? Tu veux l'aider toi aussi ?
Il ricane et tourne son regard vers moi.
— Non, je ne pense pas qu'il soit en danger ou égaré. Je veux seulement qu'il revienne diriger son royaume qu'il a laissé en plan. C'est moi qui dois le remplacer pendant son absence et je dois me coltiner tous les foutus conseillers qui ne pensent qu'au prochain bal ou à la prochaine soirée mondaine et non à la sécurité du royaume. Pendant ce temps, Stan doit se prélasser quelque part au soleil et se taper tous les beaux culs qu'il croise.
— Oh, laissé-je échapper, surprise.
— Quoi ?
Je penche la tête sur mon chocolat chaud, le rouge aux joues. Je ne peux toutefois m'empêcher de poser la question qui me brûle les lèvres.
— Je... je pensais que vous étiez... asexuel.
Un silence passe.
Silence durant lequel je n'ose lever mon regard vers l'homme assis à quelques centimètres de moi.
Mais Gadriel me surprends. Il s'approche et glisse un doigt sous mon menton pour relever mon visage. Il m'oblige à soutenir son regard où brûle un feu aussi sombre que celui de l'enfer.
— Les anges le sont. Pas les déchus, murmure-t-il.
Une étrange lueur brille au plus profond de ses prunelles. Les muscles de sa mâchoire se crispent alors que j'oublie de respirer. Sa main se déplace et il attrape une mèche de mes cheveux qu'il fait glisser entre ses doigts. Celle-là même que je fais toujours disparaître derrière mon oreille à cause de sa couleur.
— Pourquoi la caches-tu toujours ? souffle-t-il tout bas.
Son souffle caresse mon visage, ses doigts effleurent ma peau. Mon cœur se déchaîne dans ma poitrine et j'ai l'impression que tout l'air contenu dans mes poumons refuse de sortir si bien que je n'arrive pas à répondre.
— Tu l'as depuis longtemps ?
Il la laisse tomber et s'écarte, me permettant ainsi de reprendre mes esprits.
Je cligne des yeux puis secoue la tête.
— Je... non. Je l'ai depuis la naissance de Mickaël. L'accouchement a été difficile et s'est terminé en césarienne. Les médecins m'ont expliqué que la décoloration subite de mes cheveux était sans doute due au choc, même s'ils n'avaient jamais vu auparavant.
Tout en parlant, j'abaisse mon regard et pose ma paume sur mon abdomen.
— C'est un petit souvenir que m'a laissé mon fils, continué-je. Ça et un ventre bousillé par des vergetures accompagné d'une cicatrice de dix centimètres.
— Ton ventre est magnifique.
Je relève mon regard, surprise. Puis me rappelle l'éclat dans ses yeux lorsqu'il m'a vu à la piscine. Son regard a effleuré mon corps comme une caresse, s'attardant sur les courbes de mes hanches et le renflement de ma poitrine. Il dévorait chaque parcelle de ma peau, même celle cachée sous le tissu de mon maillot. Des étincelles de frisson ont parcouru mon épiderme à ce moment, mais j'ai préféré les ignorer.
Soudain, le visage de Gadriel échappe à mon regard. Il se lève, se rend dans la cuisine puis dépose sa tasse dans l'évier après l'avoir rincée.
— Il est tard, déclare-t-il d'un ton atone qui me surprend.
Je tourne les yeux vers l'horloge au-dessus de la télévision. 22 h 35. Pour un samedi soir, ce n'est pas si tard, mais je comprends que Gadriel désire se coucher. Ou peut-être mettre un point à cette conversation plutôt étrange entre nous.
— Tu as raison.
Je me lève et le rejoins à la cuisine où j'entreprends de rincer également ma tasse. Gadriel reste planté à côté de l'évier sans s'écarter, si bien que mes épaules effleurent son torse ferme et puissant. Sa chaleur m'enveloppe alors que son odeur sucrée m'ensorcelle. Mon pouls augmente dans mes veines. Le feu se rallume dans mon ventre. Alors qu'en temps normal, j'aurais tout simplement laissé la tasse dans l'évier, je tends la main vers le savon pour la laver. Peut-être pour prolonger cette proximité qui me perturbe, peut-être parce que je n'ai aucune envie d'aller dormir. Pas maintenant, pas tout de suite.
— Laisse, dit-il en se penchant son corps sur moi et en enveloppant mes mains avec les siennes. Je vais le faire demain.
Mon cœur s'arrête, mon souffle se coupe.
Je lève les yeux vers lui et me happe à son regard. Une flamme incandescente brille au fond de ses pupilles dilatées. Son visage est proche, trop proche. Ses yeux brûlants glissent sur mes lèvres. Ses narines se distendent, sa mâchoire se contracte.
Je... je n'arrive plus à respirer. Le sol menace de disparaître sous mes pieds.
Je rêve de ses lèvres chaudes sur les miennes, d'enfouir mes mains dans sa chevelure et de l'attirer à moi. Je veux qu'il me dévore la bouche, qu'il enfonce ses doigts dans ma chair, qu'il me fasse crier, autant de douleur que de plaisir, alors que son bassin frappe le mien avec une force brute.
— Bonne nuit, murmure-t-il d'un ton glacial.
Un ton beaucoup plus froid que le feu qui brille dans son regard, ce même feu qu'il a déclenché un tsunami dans mon ventre.
Il retire la tasse de mes mains, la pose dans l'évier et s'écarte en silence. Ainsi soustrait de sa chaleur, mon corps frisonne.
J'avale la boule qui a élu domicile dans ma gorge et quitte la cuisine pour me réfugier dans ma chambre.
Assise sur mon lit, encore perturbée, je dois me rendre à l'évidence : je suis attirée par un démon.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top