Chapitre 13: Fais moi confiance
Gadriel
De l'irritation. C'est ce que je ressens quand Asbeel m'appelle pendant que je tente de rassurer Émilie. Je dis bien « je tente », car à voir son visage, c'est plutôt un échec total.
— Gadriel, j'ai de mauvaises nouvelles en provenance de Shéol, m'annonce Asbeel dès que je réponds. Les troupes de Lilith ont encore une fois pris d'assaut les plaines du nord. Baraquiel a réussi à les repousser avec tes armées, mais d'autres démons ont pu à traverser les portails. Trois sangrégats pour être plus précis.
— Tu te fous de moi ?
— J'aimerais bien, mais ce n'est pas le cas.
Je jure dans ma barbe pendant qu'une porte derrière moi se referme. Émilie s'est réfugiée dans sa chambre.
— Il me reste la sirène à retrouver ici. Envoie Suriel et Zaamiel les exterminer, ordonné-je.
— C'est une possibilité. Sauf que le portail a débouché dans un village situé tout près de ta position actuelle. Baraquiel a perdu leur trace, mais j'ai bien l'impression qu'ils se dirigent dans ta direction.
Dans ma direction ? Mais c'est quoi ce bordel ? Pourquoi, soudain, toute la vermine de Shéol s'intéresse à cette petite ville reculée où l'on se gèle les couilles ? Et puis des sangrégats en plus. Les démons de Lilith les plus redoutables !
Émilie.
Est-ce pour l'éliminer qu'ils sont ici ?
— Appelle Suriel et Zaamiel quand même. Dis-leur de débarquer avec leur équipe et ratisser la ville au grand complet. Qu'ils me transmettent un rapport à chaque heure à propos de tout incident ou comportement étrange de citoyens. Si nous trouvons la sirène, nous trouvons les sangrégats.
— C'est noté, répond Asbeel.
— J'ai aussi besoin de trois gardes, postés jour et nuit à l'adresse que je t'envoie à l'instant. Et puis dépêche-toi pour me dénicher une moto ou tout autre moyen de transport.
— C'est comme si c'était fait.
Je raccroche puis réalise que ma priorité numéro un vient de changer. Je ne suis plus ici pour retrouver Stan ni pour neutraliser les démons échappés de Shéol. Je suis ici pour protéger Émilie et son fils.
— Émilie ?
Je cogne à la porte de sa chambre, sans réponse.
Je cogne une deuxième fois.
— Émilie, je peux entrer ?
Toujours pas de réponse.
Je tourne la poignée et constate qu'elle n'est pas verrouillée. La porte s'ouvre et laisse place à une petite pièce éclairée par une lumière tamisée qui provient d'une lampe près d'un lit double sur lequel Émilie est assise, penchée un ordinateur portable. Une commode et un bureau dépareillé encadrent le lit. Sur les murs, quelques photos de Mickaël et d'Émilie ainsi que des affiches colorées rendent la pièce plus chaleureuse. En passant par des guerrières fantastiques en allant jusqu'à de drôles de créatures qui se veulent parfois mignonnes et parfois effrayantes, toutes ses représentations semblent provenir du même univers.
Cette humaine qui vient de voir son monde s'écrouler par mes aveux fixe son ordinateur sans faire attention à moi. Je n'ai pas besoin de regarder son écran pour comprendre. Une simple recherche sur le web peut en effrayer plus d'un à propos de ma race.
« Créatures sanguinaires, maîtres des enfers », les anges déchus ont été le centre de bien des légendes. Les pires sont celles qui concernent Shéol, notre royaume. Les humains le nomment plus communément l'enfer et le dépeignent comme un monde sombre où le feu et la lave consument les âmes des condamnés, de ceux qui ont osé contredire la parole de Dieu. Et bien, pour être honnête, ce Dieu n'existe pas. En fait si, il existe, mais il se contrefout de tout ce qui se joue dans cette dimension depuis des millénaires. Depuis que les hommes, ces créatures mi-anges, mi-démons, ont eu accès à la connaissance. Depuis que j'ai échoué à protéger leur innocence. Tout ça, à cause d'une femme à qui j'aurais tout donné.
Non, Shéol n'est pas cet enfer dépeint par les dirigeants de ces religions insipides. Shéol est magnifique. Couverte de forêts luxuriantes entrecoupées de nombreuses plaines et rivières éclairées par la lumière éternelle du soleil couchant, Shéol est loin d'être un enfer. Plusieurs démons s'y côtoient et sont, pour la plupart, très loin des créatures assoiffées de sang et de vengeance. Tous ces écrits sur nous ne sont qu'un ramassis de conneries.
— Ne crois pas la moitié des choses que tu vas lire sur nous, déclaré-je tout en m'approchant d'elle.
Ses paupières clignent à quelques reprises puis elle porte son attention sur moi. Son teint est livide et je décèle, à travers une veine de son cou délicat, un pouls plus rapide que la normal.
Elle ne dit rien et retourne à son écran. Je soupire, m'assieds sur le lit près d'elle et rabats doucement l'écran de son ordinateur.
— Je peux te parler de nous, tu n'as pas besoin de lire tous ces mensonges.
Aucune réaction de sa part.
L'envie de la secouer comme un prunier me démange, mais je sais que cela ne donnerait rien.
Alors que je cherche un autre moyen pour la rassurer, deux mots finissent par sortir de sa bouche :
— Va-t'en.
Son ton n'est pas criard ni menaçant, seulement froid comme l'éternité. Dans d'autres circonstances, j'aurais obéi avec plaisir. L'envie de quitter cette foutue dimension me tenaille depuis que j'ai traversé le portail, mais pour une raison que j'ignore, quelque chose me retient ici.
Peut-être est-ce le fait que je viens de foutre en l'air sa petite vie tranquille alors qu'elle ne verra plus jamais son monde de la même manière ? Peut-être est-ce à cause de la menace qui plane au-dessus de sa tête ? Peut-être est-ce pour me rattraper de mes erreurs passées ? Ou peut-être est-ce à cause de cette sensation dans ma poitrine à chaque fois que ses yeux gris se posent sur moi.
— Va-t'en...
Cette fois, ce n'est plus un ordre, mais une supplique.
— D'accord, accepté-je, en me relevant du lit. Je te laisse tranquille un instant, mais je reste dans l'appartement.
Elle lève des yeux noirs vers moi.
— Pourquoi ?
— Parce que ta vie est peut-être en danger.
Ses sourcils qui se froncent m'amènent à préciser :
— Les hommes qui t'ont attaqué ne sont que la pointe de l'iceberg. Asbeel vient de m'annoncer que d'autres dém.. d'autres personnes sont en route vers Thetford. Il y aura d'autres attaques. Celle d'hier soir au parc n'avait peut-être pas de lien avec toi, mais rien ne m'indique que tu es en sécurité.
— Ce n'était pas un loup au parc, n'est-ce pas ?
Je secoue la tête.
— L'homme qui a été attaqué, ajoute-t-elle. C'est celui que tu as visité à l'hôpital ?
— Oui.
— Il avait un lien avec moi, avoue-t-elle en abaissant son regard.
La surprise s'empare de moi comme un étau dans mon ventre.
— Lequel ?
Je me déplace pour me rasseoir près d'elle.
— C'est le professeur de Mickaël.
Ma poitrine se contracte. Toutes mes craintes s'avèrent fondées.
Sans réfléchir, je m'empare de ses mains et les enveloppe des miennes.
— Écoute-moi, dis-je doucement. Je ne suis pas du type à m'imposer dans la vie de qui que ce soit, mais je peux te protéger. Je peux vous protéger.
Je laisse un silence passer avant d'ajouter :
— C'est à toi de voir si tu veux de moi comme garde du corps le temps que je découvre pourquoi tous ces dé... toutes ces personnes en ont après vous.
Elle relève le visage. Ses yeux gris me scrutent un long moment, comme si elle prenait la mesure de mon âme. Comme si elle pesait les pour et les contre avant de trancher sur la confiance qu'elle est prête à m'accorder.
— D'accord, souffle-t-elle après d'interminables secondes.
Puis elle ajoute :
— Mais ne dis rien à Mickaël. Je ne veux pas qu'il ait peur. Je... je ne veux pas qu'il sache...
— Promis.
Je me redresse, lui offre un sourire qui se veut rassurant puis quitte la pièce. Je dois lui donner le temps de digérer toutes ces nouvelles informations et dieu sait qu'elle en aura besoin.
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